Citation
MÉMOIRE DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA EN 1994
LIEUX MÉMORIELS EN FRANCE ET LUTTE CONTRE LE
NÉGATIONNISME
I. Le devoir de mémoire : une nécessité pour la majorité des Français
1. Importance de la transmission et risque d’un trop-plein mémoriel
2. Le génocide des Tutsi et son enseignement en France
3. La mémoire du génocide des Tutsi en France
II. Les lieux de mémoire en France
1. Caractéristiques du parc mémoriel français
2. Lieux mémoriels du génocide des Tutsi
III. La lutte contre le négationnisme
1. La France et le négationnisme : pénalisation ou liberté d’expression ?
2. Caractéristiques du négationnisme du génocide contre les Tutsi
3. Moyens de lutte contre le négationnisme
Recommandations
Note de synthèse sur l’utilité des lieux de mémoire et sur leur contribution à la lutte contre le
négationnisme
Annexe
Introduction
Le présent rapport dresse un bilan des enjeux mémoriels liés au génocide contre les Tutsi
selon trois axes : le devoir de mémoire, les lieux de mémoire en France, la lutte contre le
négationnisme. S’il offre une vue d’ensemble des sujets mémoriaux en France, il est avant tout
centré sur le génocide des Tutsi.
Ce rapport, synthétisé en une note, s’appuie sur des données quantitatives issues d’enquêtes
d’opinion et de recensements, ainsi que sur des entretiens réalisés auprès de rescapés du génocide
des Tutsi et d’élus en charge de la mémoire.
Ce travail a été rendu possible grâce aux ressources d’Ibuka France, aux rescapés qui ont
accepté de témoigner, aux responsables municipaux qui ont su apporter leur expertise, au Fonds
d’histoire de Sciences-Po Paris.
I. Le devoir de mémoire : une nécessité pour la majorité
des Français
1. Importance de la transmission mais risque d’un trop-plein mémoriel
Un sondage réalisé sur un échantillon de 1003 personnes sur demande de l’Observatoire
B2V des mémoires en 2016 par l’Ifop donne les résultats suivants 1 :
Aussi, les Français sont attachés à l’entretien de la mémoire collective, à la fois dans
un objectif de prévention (88%) mais aussi de transmission (85%). Pour 59% des Français, il ne
suffit pas de ne garder que les événements positifs dans la mémoire collective, et il convient de
prendre en compte le passé dans sa globalité, aussi tragique soit-il. Quant aux thèmes, les Français
restent majoritairement favorables à la transmission, quel que soit le sujet et bien qu’il soit vieux de
plusieurs décennies.
1 IFOP, Les Français et la mémoire collective. Février 2016, disponible sur : https://www.ifop.com/
publication/les-francais-et-la-memoire-collective/
Figure 1. Opinions sur la mémoire collective en France
Figure 2. Opinions sur l’intemporalité de l’Holocauste
Dans l’enquête de 1993 visant à mesurer la connaissance des Français de
l’Holocauste (et à la comparer avec les résultats américains et anglais), les Français sont à 64%
« pas d’accord du tout » avec l’affirmation selon laquelle l’Holocauste est un événement trop
ancien pour être important, et 15% à être « plutôt pas d’accord », soit 79% contre. Dans la même
enquête, ils estiment à 88% qu’il est soit « essentiel » soit « très important » que tous les citoyens
soient informés et comprennent ce qui s’est passé avec l’Holocauste.
Aussi, 50 après l’Holocauste, l’occupation et le régime de Vichy, les Français estiment en
grande majorité qu’il est nécessaire de les transmettre aux jeunes générations, bien que les faits
soient lourdement répréhensibles pour la France, ou qu’ils remontent à plusieurs décennies.
Une autre enquête de l’Ifop pour la revue le DDV et pour la LICRA, présente ici le niveau
de soutien aux lois dites « mémorielles ». Cette enquête s’inscrit dans le cadre d’une observation de
la « zemmourisation des esprits » à six mois du premier tour de l’élection présidentielle de 20222.
Les lois mémorielles sont également largement soutenues par les sondés, quelle que soit
leur intention de vote au premier tour présumé de l’élection présidentielle. L’exception notable est
le 41% de soutien des sondés susceptibles de voter pour Eric ZEMMOUR au premier tour de
2 IFOP, Ampleur et limites de la « zemmourisation » des esprits. Novembre 2021, disponible sur : https://
www.ifop.com/publication/observatoire-du-zemmourisme-volet-2-ampleur-et-limites-de-la-zemmourisationdes-
esprits/
Figure 3. Niveau de soutien aux lois dites « mémorielles »
l’élection présidentielle et soutenant la loi « TAUBIRA », seul score inférieur à 50% toutes lois
mémorielles confondues.
Une loi mémorielle vise à créer de nouveaux droits et délits ainsi qu’à reconnaître ou à
proposer une lecture historique de faits. S’il s’agit d’un moyen pour faire reconnaître des crimes
contre l’humanité, pour lutter contre le négationnisme et construire la mémoire collective d’une
nation, elles sont aussi critiquées : accusées de particulariser les luttes pour la reconnaissance de
certains crimes contre l’humanité plutôt que d’autres, de nommer ex post des faits à partir d’une
grille de lecture moderne, et d’accentuer la concurrence mémorielle, ces lois sont avant tout
symboliques. Un arbitrage difficile à trouver, car la création de symbolique n’est pas le rôle du
législateur. 3
Par ailleurs, si les Français conviennent de l’importance des commémorations, un sondé sur
deux dans la figure 1 estime « qu’on commémore trop les événements passés ». Les risques
potentiels sont la distanciation des Français avec les commémorations, un « trop-plein
mémoriel » ou une confusion entre des événements considérés légitimes à être commémorés et
d’autres qui ne le seraient pas.
Dans cette mesure de l’attachement aux commémorations en 19984, on observe une volonté
de regroupement des commémorations croissante en fonction de l’âge.
3 VIE PUBLIQUE, Lois mémorielles : la loi, le politique et l’Histoire. Dernière modification : 03/05/2021,
disponible sur : https://www.vie-publique.fr/eclairage/18617-lois-memorielles-la-loi-le-politique-et-lhistoire
4 SOFRES, L’état de l’opinion, 1998
Figure 4. Opinions sur les commémorations selon les générations
Atif KHALID, adjoint à la mairie de Châlette-sur-Loing en charge des actions culturelles et
jumelages, relève également un désintérêt au sujet des questions mémorielles dans son
agglomération, et explique qu’il est de plus en plus difficile de rappeler ce qui s’est passé et que les
gens se déplacent moins, surtout les jeunes. Il évoque « la perte de l’attrait vers les grandes
tragédies » et qu’il faut revoir les outils de communication pour parler aux jeunes.
Lors d’un entretien avec Laurence PATRICE, adjointe à la Maire de Paris en charge de la
mémoire et du monde combattant, cette question du trop-plein mémoriel a été abordée. Mme
PATRICE considère ce risque de lassitude comme faible, et estime qu’il doit davantage servir la
réflexion autour de dispositifs mémoriels intelligents, plutôt que l’inquiétude face à une potentielle
distanciation des Français avec les enjeux mémoriels. Elle présente en exemple les parcours
mémoriels, dont certains proposent une médiation entre des rescapés et des jeunes, et qui permettent
de rendre vivante la mémoire.
2. Le génocide des Tutsi et l’enseignement en France
Une autre enquête de l’Ifop montre que si le génocide des juifs est 5 largement connu par les
jeunes (87%), la connaissance est bien moins homogène au sujet du génocide des Arméniens et du
génocide des Tutsi au Rwanda. Un écart de 36 points (87 % contre 51%) est ainsi observable, tandis
que la connaissance dans la population globale est davantage homogène, seuls 11 points séparant le
génocide des juifs du génocide des Tutsi au Rwanda (90% contre 79%).
5 IFOP, Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission. Septembre 2020,
disponible sur : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/09/11756220-20Rapport.pdf
Figure 5. Connaissance des génocides par les jeunes,
comparativement avec la population globale
Une première explication réside dans le contexte de guerre mondiale durant lequel le
génocide des Arméniens et le génocide des juifs ont eu lieu. La portée de ces guerres fait de la
production de connaissance à leur sujet une obligation morale pour les États impliqués dans les
conflits. Le degré de participation des États, leur proximité géographique ou politique avec les pays
belligérants, ou encore la présence d’une diaspora dans la population nationale sont autant
d’éléments expliquant la propension à avoir entendu parler de certains génocides. Le caractère
européen des deux guerres mondiales est également primordial dans la compréhension du rapport
des pays occidentaux avec la Shoah, et dans son hégémonie dans les politiques mémorielles.
Néanmoins, une - si ce n’est la - raison principale de cet écart de connaissance des
génocides s’explique par l’enseignement fourni par l’Éducation nationale. Dans L’état de l’opinion
de 1998 de la SOFRES, les 18-24 ans ont appris l’essentiel de leurs connaissances sur le régime de
Vichy à 77% à l’école, institution essentielle de la transmission de savoirs.
Le génocide des Tutsi est entré dans les programmes scolaires au moment du
renouvellement des programmes de terminale de la voie générale, à la rentrée 2020, dans le chapitre
« Nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux depuis les années 1990 ». La spécialité
Histoire-Géographie Géopolitique Sciences Politiques permet en outre d’aborder le génocide des
Tutsi à travers le prisme de la justice des crimes contre l’humanité, avec l’étude du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda et des juridictions gacaca. Une nécessité, puisque la figure 5 signale
qu’à peine plus d’un jeune sur deux a déjà entendu parler du génocide des Tutsi. Le génocide
arménien et la Shoah sont quant à eux présents dans les programmes d’histoire dès le collège, en
classe de troisième, car ils sont étudiés dans le cadre des deux guerres mondiales. Le génocide des
Tutsi peut être étudié dans le thème 2 en troisième, « Le monde depuis 1945 », dans le chapitre
« Enjeux et conflits dans le monde après 1989 », et est ainsi présent dans certains manuels scolaires,
mais non obligatoire. Enfin, le chapitre d’histoire de terminale dans lequel apparaît le génocide des
Tutsi est le neuvième sur onze chapitres. C’est-à-dire qu’il n’est traité qu’en fin de terminale, vers
avril-mai. Cependant, en cas de retard sur les programmes et dans un contexte de préparation des
élèves au baccalauréat, ce chapitre n’est pas systématiquement étudié.
En résumé, le génocide des Tutsi est seulement obligatoire dans les programmes scolaires en
classe de terminale générale depuis 2020, ce qui correspond à une fraction bien trop faible d’élèves.
C’est donc un point majeur dans la diffusion de connaissance du génocide contre les Tutsi
que d’étendre son enseignement aux autres filières et de le rendre systématique.
Pour Atif KHALID, au-delà du devoir de mémoire, le devoir d’alerte doit être renforcé : il
faut expliquer les mécanismes qui conduisent aux génocides, présenter le Rwanda autrement que
par le génocide contre les Tutsi, pour comprendre que les gens qui l’ont commis étaient comme tout
le monde avant.
3. La mémoire du génocide des Tutsi en France
Après des années de silence sur la politique française au Rwanda, le président Nicolas
SARKOZY incarne la rupture lors de la conférence de presse conjointe qu’il donne avec le
président Paul KAGAMÉ sur les relations franco-rwandaises, à Kigali le 25 février 2010.6
Le président Emmanuel MACRON ouvre une nouvelle voie dans la reconnaissance des
responsabilités et la production de connaissances sur la politique française au Rwanda. Le rapport
dirigé par l’historien Vincent DUCLERT, La France, Le Rwanda, et le génocide des Tutsi,
(1990-1994) expose les fautes commises par la France au Rwanda et la dérive des institutions de la
Vème République, avant, pendant et après le génocide. Il conclut à des responsabilités accablantes
de la France et à un aveuglement des dirigeants politiques, notamment à une vision dépassée de
l’Afrique du président MITTERRAND.
Selon Aymeric GIVORD, co-administrateur du site https://francegenocidetutsi.org, le
rapport DUCLERT a le mérite d’avoir instauré une vérité officielle même s’il ne va pas au bout de
la démarche et que des zones d’ombre demeurent. Il rappelle que des lignes rouges avaient été
définies, et que le rapport a été soumis à un frein politique, comme la recherche en général.
Dans un entretien, une rescapée explique l’importance de la mise en place de lieux
mémoriels pour la France. Elle précise que « pour un Français en dehors de la politique, qui ne
connaît rien au génocide des Tutsi, quand il apprend les relations entre l’Etat français et les
génocidaires, les responsabilités de la France, il est choqué, il tombe de haut. »
Avoir un lieu de passage permet de sensibiliser, de faire connaître des noms d’événements,
de héros, des dates précises, de faire entrer ces sujets dans l’espace public.
« Les gens regardent et cherchent. Ils se disent ‘notre Etat est impliqué’, et l’Etat ce sont les
citoyens, donc ils se sentent impliqués aussi et se rendent compte que l’Etat peut s’engager
pour eux, en leur nom, dans des actions qu’ils désapprouvent. »
VIE PUBLIQUE, Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président 6 de la République , et
Paul Kagamé, Président de la République du Rwanda, sur les relations franco-rwandaises. Disponible sur :
https://www.vie-publique.fr/discours/178331-conference-de-presse-conjointe-de-mm-nicolas-sarkozypresident-
de-la-r
Elle souligne à la fois les rapports entre l’Etat et ses citoyens, sous-tendus par la légitimité,
en particulier quand l’Etat mène des actions répréhensibles, mais aussi la portée universelle des
lieux de mémoire. Ainsi, un lieu mémoriel est utile à chaque citoyen, qu’il ait déjà entendu parler du
génocide ou non. Le choc de ceux qui le découvrent est si grand qu’il pousse les uns et les autres à
s’informer, à prendre conscience des agissements de l’Etat et de la nécessaire vigilance à avoir.
Madame PATRICE corrobore ce constat, en ajoutant que la dimension symbolique,
internationale et universelle de villes comme Paris permet réellement de sensibiliser ses habitants,
mais aussi tous ceux qui y séjournent.
Un double constat apparaît alors. D’une part, les Français sont généralement attachés à la
reconnaissance des crimes contre l’humanité, à la consolidation de la mémoire collective et à la
transmission de la connaissance des événements passés. D’autre part, la relation particulière entre
la France et le Rwanda jusqu’au génocide contre les Tutsi en 1994 oblige la France à un effort de
réflexion, de reconnaissance et de mémoire. Aussi, il s’agit de repérer les dynamiques de
transmission et de recueillement qui entourent les lieux mémoriels en France, et la contribution de
tels lieux dans la lutte contre le négationnisme.
II. Les lieux de mémoire en France
L’appellation lieux de mémoire recouvre les stèles, mémoriaux, monuments aux morts,
jardins, places, rues : ces objets de l’espace public qui servent les mémoires et la mémoire
collective. Afin qu’un objet historique - personnalité, évènement, période, conflit - devienne un lieu
de mémoire, une collectivité doit l’investir de « son affect et de ses émotions » selon l’historien
Pierre NORA. Aussi, la coordination des communautés et des individus est nécessaire pour faire
ériger et vivre un lieu de mémoire.
L’objectif d’un lieu de mémoire est d’être un lieu de vie et de rencontre, de recueillement et
de témoignage, d’éducation et de mémoire. Si les bénéfices semblent être directs pour les
communautés concernées, l’apport à la société dans son ensemble est également considérable.
Édifier des lieux de mémoire permet d’augmenter le champ de connaissances et de représentation
des conflits, crimes contre l’humanité, génocides, auxquels ont été directement confrontés des
communautés, et indirectement, la France.
1. Caractéristiques du parc mémoriel français
La France compte 10 hauts lieux de la mémoire nationale et 275 nécropoles du ministère des
Armées afin d’entretenir la mémoire des conflits contemporains (postérieurs à 1870), dont la
répartition géographique est la suivante : 7
L’Enquête de Fréquentation des Lieux de
Mémoire s’intéresse à 227 lieux de mémoire de
conflits contemporains auxquels la France a pris
part, en France métropolitaine. Sur ces 227 lieux,
32,2% sont dédiés à des multi-conflits, et 67%
sont traités de manière individuelle. Sur ces 67%
de mono-conflits, la Seconde guerre mondiale est
la plus représentée, à hauteur de 73%, la
Première guerre mondiale à 23% , enfin 1870 et
les conflits postérieurs à 1945 sont représentés
à hauteur de 2%.8
Office national des anciens combattants et victimes de guerre, Hauts-lieux et 7 nécropoles. https://www.onacvg.
fr/hauts-lieux-memoire-necropoles
8 Bulletin de l’Observatoire économique de la Défense, chute de la fréquentation des lieux de mémoire des
conflits contemporains en 2020, juillet 2021.
Figure 6. Répartition géographique des hauts lieux
de la mémoire nationale et nécropoles
La très faible proportion de lieux mémoriels sur des événements postérieurs à 1945 soulève
la question du degré de considération des drames extra-européens en France. Par extension, cela
pose d’autres interrogations essentielles dans les politiques mémorielles : y a-t-il une légitimité à
avoir pour s’emparer de sujets mémoriels ? Si oui, laquelle ? Peut-on uniquement se concentrer sur
la portée universelle des crimes contre l’humanité, ou faut-il les enseigner dans leurs particularités ?
2. Lieux mémoriels du génocide des Tutsi
Les lieux de mémoire du génocide des Tutsi sont au nombre de 11 en France métropolitaine en
2022.
- 2011 : stèle inaugurée à Cluny.
- 2013 : stèles inaugurées à Dieulefit et à Bègles.
- 2014 : monument commémoratif à Châlette-sur-Loing, stèles inaugurées à Toulouse et à Paris
(Père Lachaise).
- 2016 : inauguration d’un jardin dans le parc de Choisy (Paris 13ème).
- 2017 : stèle inaugurée à Garges-lès-Gonesse en hommage des victimes du génocide arménien, du
génocide des Tutsi et de la Shoah.
- 2018 : mémorial inauguré à Lutterbach en hommage aux Arméniens, Juifs, Tziganes, Tutsi et
Bosniaques.
- 2020 : stèle commémorative à Strasbourg.
- 2022 : inauguration de la place Aminadabu Birara, héros de la résistance à Bisesero, dans le
18ème arrondissement de Paris.
Figure 7. Lieux mémoriels du génocide des Tutsi
au Rwanda en France
La première rescapée avec laquelle je me suis entretenue souligne d’abord dans son récit la
distinction qu’il convient de faire entre l’attribution d’un lieu de mémoire pour le génocide au
Rwanda et en France. Elle explique qu’au Rwanda, l’obtention de lieux de mémoire est presque
automatique, notamment là où il y a eu des massacres, souvent matérialisés par la présence de
fosses. « C’est une évidence d’avoir des lieux mémoriels à ces endroits, pour marquer ce qui s’est
passé. »
En France, obtenir un lieu de mémoire pour le génocide des Tutsi est le résultat d’un long
processus et s’inscrit dans le cadre d’un combat vers la reconnaissance, surtout des relations que
l’État français entretenait avec les génocidaires au Rwanda. Le symbole est fort car le lieu de
mémoire est issu d’un long cheminement, mais surtout parce qu’il engage tous les citoyens.
« Quand les politiques se décident à attribuer un lieu de mémoire, c’est toute la société qui
s’engage ».
Quant à la nature de ces lieux de mémoire, l’expertise de Laurence PATRICE permet de
réfléchir sur les objets mémoriels les plus pertinents. Elle explique ainsi qu’en France, il n’est pas
dans les idées de dénommer des rues, d’enlever des plaques ou des noms de places pour en mettre
d’autres. Il s’agit plutôt d’apposer des stèles à de nouveaux endroits ou de nommer des nouveaux
lieux, en sachant que l’espace urbain est limité - et son expansion tout autant. L’adjointe à la Maire
de Paris insiste sur le fait que ces lieux de mémoire sont des supports, objectifs et légitimes, à
partir desquels les communautés et les associations peuvent organiser des événements ainsi que
faire de la médiation avec différents publics. Le type de support impacte donc les relations que vont
entretenir les citoyens avec ces lieux de mémoire, au premier rang desquels, les rescapés. Un
parcours mémoriel urbain a une visée différente qu’une stèle commémorative ou qu’un jardin du
souvenir. Il est donc nécessaire de définir en amont une stratégie mémorielle afin de proposer le lieu
de mémoire le plus adéquat possible avec les attentes de chaque groupe et les objectifs fixés.
L’accessibilité de ces lieux, leur visibilité dans l’espace public, leur médiatisation ou encore leur
architecture sont autant de points à définir dans cette stratégie, en plus de leur visée et des publics
concernés.
III. La lutte contre le négationnisme
1. La France et le négationnisme : pénalisation ou liberté d’expression ?
2. Caractéristiques du négationnisme du génocide contre les Tutsi
3. Moyens de lutte contre le négationnisme
1. La France et le négationnisme : pénalisation ou liberté d’expression ?
Le négationnisme consiste en la tenue de propos minorant, banalisant, niant le crime de
génocide. Commun à tous les génocides, il se déploie sous diverses formes : révision du nombre de
morts, négation de la planification, de l’intention d’exterminer, de la nature du drame etc.
Article 24 bis de la loi relative à la liberté de la presse du 29 juillet 1881 :
« Seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende ceux qui auront contesté,
par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre
l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international
annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945. […]
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon
outrancière, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un crime de génocide
autre que ceux mentionnés au premier alinéa du présent article, d’un autre crime contre
l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite
en esclavage ou d’un crime de guerre […]. »
Figure 8. Opinions sur les propos négationnistes
Dans l’enquête Ifop pour le Journal du Dimanche et l’Union des étudiants juifs de France de
septembre 2020 , la figure 8 montre que si les déclarations négationnistes 9 sont majoritairement
considérés comme des délits devant être sanctionnés pénalement (65%), 35% des sondés estiment
que ces propos relèvent de la liberté d’expression et sont des opinions politiques.
Déjà dans une enquête en 199310, les Français étaient partagés sur la question de la
pénalisation de discours négationnistes, à raison de 54% pour l’interdiction et 43% pour la liberté
d’expression. Les opinions varient selon les sondages et les époques, mais la préférence pour la
liberté d’expression oscille généralement entre 20 et 40%.
Pourtant, il ne s’agit nullement d’affirmations factuelles qui contribuent à la formation d’une
opinion, mais bien de déclarations erronées qui instillent un doute inutile sur des savoirs historiques
avérés, et jouent sur l’ambiguïté pour alimenter ou créer la confusion. Dans le même temps, les
propos négationnistes portent directement atteinte aux rescapés et à leur famille. Pénaliser la
négation d’un génocide permet de préserver un cadre de recherche pour produire des connaissances,
et d’éviter tout recommencement historique.
Pour Aymeric GIVORD, le plus important est de présenter les faits, d’informer et d’éviter
de dialoguer avec les négationnistes pour ne pas les mettre au même niveau que des chercheurs. Il
s’agit aussi d’informer les médias qui s’apprêtent à recevoir des négationnistes de leurs prises de
position, afin d’éviter de mettre en face d’eux des journalistes inexpérimentés ; l’idéal étant de ne
pas les recevoir.
9 IFOP, Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission. Septembre 2020,
disponible sur : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/09/11756220-20Rapport.pdf
10 HARRIS, Cinquante ans après, ce que les Français savent de l’Holocauste. Décembre 1993.
Figure 9. Opinion des Français sur les écrits révisionnistes
Dans L’état de l’opinion de 1999 publié par la SOFRES, le chapitre « Une opinion
philosémite » s’intéresse à la considération de la Shoah en France et aux opinions notamment sur le
négationnisme. Aussi, le tableau ci-dessus témoigne du soutien aux lois contre le négationnisme, au
motif qu’il ne faut pas laisser n’importe quoi être dit à propos de l’extermination des Juifs.11
Le constat est le même pour les propos négationnistes visant le génocide arménien. Dans un
rapport Harris sur la mémoire française du génocide arménien 12, 69% des sondés ont entendu parler
du génocide arménien et parmi elles, 79% estiment que les déclarations mettant en cause la réalité
du génocide contre les arméniens devraient être sanctionnées.
2. Caractéristiques du négationnisme du génocide contre les Tutsi
La mémoire du génocide contre les Tutsi est confrontée à la négation directe du génocide, à
la contestation de l’intention génocidaire, à l’inversion des responsabilités, à la négation des
complicités, à la propagation de la thèse du double génocide, à la minimisation du génocide et à
sa dérision. Il est également possible de parler d’un « ensemble d’attitudes et de stratégies
rhétoriques vouées à nier la réalité génocidaire de manière moins frontale » que la négation pure et
simple. Aux maux déjà cités s’ajoutent la relativisation, la requalification (parler de « massacres
interethniques », de « guerre civile » ou « d’auto-défense »), l’édulcoration de la gravité de la
situation, l’instillation du doute par la diffusion d’un discours visant à perturber la compréhension
des événements. 13
11 DUHAMEL Olivier, Une opinion philosémite dans L’état de l’opinion en 1999. SOFRES. Sondage issu
des enquêtes de la SOFRES pour la CRIF d’octobre 1998.
12 HARRIS. Mémoire française du génocide arménien, sondage réalisé par Les nouvelles d’Arménie en mars
1996, sur un échantillon national représentatif de 1002 personnes âgées de plus de dix-huit ans.
13 DORIDANT Raphaël, LACOSTE Charlotte, Peut-on parler d’un négationnisme d’Etat? In Génocide des
Tutsi du Rwanda : un négationnisme français ? Cités, 2014, numéro 57, pages 91-110.
Figure 10. Opinion sur les lois contre les propos négationnistes
À l’image du négationnisme de la Shoah, celui du génocide des Tutsi émane de figures
d’autorité variées : personnalités politiques au pouvoir dans les années 1990 en France, journalistes,
essayistes et écrivains, universitaires… Henry ROUSSO a enquêté sur les origines du
négationnisme de la Shoah en France et soulignait que « les premières formes de négation se
développent au sein d’une minorité d’intellectuels dont la plupart n’ont pas eu d’implication directe
dans les crimes, même s’ils gravitent dans les cercles issus de la Collaboration. Ces derniers ont
tenté, pour des raisons essentiellement idéologiques et postérieures à la guerre, d’élaborer un récit
fondé sur l’idée que l’extermination des Juifs était un ‘mensonge’ propagé par les Juifs euxmêmes.
» ROUSSO précise que la négation du génocide n’est pas utilisée 14 comme moyen défensif
par les principaux chefs nazis lorsqu’ils sont jugés, mais que des journalistes l’utilisent dans « le
registre de la déculpabilisation ».15 Une similitude s’observe ici, avec la propagation de la thèse du
double génocide au sujet du Rwanda par les autorités françaises.
Patrick DE SAINT-EXUPÉRY, journaliste reporter au Rwanda durant le génocide, revient
dans une entrevue avec Mediapart16 sur sa question posée au président MITTERRAND, au sommet
franco-africain à Biarritz du 7 au 9 novembre 1994, et souligne la confusion dans les discours
officiels de l’époque, propageant ainsi la thèse du double génocide.
« Question : Monsieur le Président, dans la version écrite de votre discours, il est fait
mention à propos du Rwanda de la guerre civile et des génocides qui s’en sont suivis. Quels
sont ces génocides ? Les génocides au pluriel ?
Le Président : Par écrit, c’était au pluriel et oralement c’était au singulier. Ce sont les
mystères de l’éloquence. Vous voulez dire qu’il y avait un génocide qui s’est subitement
arrêté avec la victoire des Tutsis…
Question : Je m’interroge sur la bonne version ?
Le Président : Je m’interroge aussi. » 17
14 ROUSSO Henry, Les racines du négationnisme en France, Cités n°36, 2008, pp 51-62. Disponible sur :
https://www.cairn.info/revue-cites-2008-4-page-51.htm.
15 Ibid.
16 MEDIAPART. Patrick de Saint-Exupéry : « Sur le Rwanda, Hubert Védrine est un négationniste ». Mise
en ligne le 3 mars 2021, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=olpIIyudwD8
17 VIE PUBLIQUE, Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la
République, et Omar Bongo, Président de la République du Gabon, sur le bilan de la politique de coopération
française en Afrique et sur la prévention des conflits interafricains, Biarritz le 9 novembre 1994. Disponible
sur : https://www.vie-publique.fr/discours/128040-conference-de-presse-conjointe-de-mm-francoismitterrand-
president-de
Patrick DE SAINT-EXUPÉRY qualifie aussi Hubert VÉDRINE, Secrétaire général de
l’Élysée durant le génocide, de « petit propagandiste » de la théorie du double génocide et le
compare à Robert FAURISSON, négationniste de la Shoah, mettant ainsi en parallèle les logiques
de négation communes à ces génocides. Enfin, si la thèse du double génocide ne permet pas
entièrement de justifier l’action menée par la France, elle permet surtout de la déculpabiliser aux
yeux de l’opinion.
3. Moyens de lutte contre le négationnisme
« Il faut recommencer à chaque fois, être pédagogue, ne pas se décourager » Serge
Klarsfeld, interrogé lors d’un colloque au Sénat en janvier 2022, qui accueillait les Assises
nationales de la lutte contre le négationnisme. 18
Dans le premier entretien, la rescapée appuie sur le rôle qu’ont les génocidaires qui vivent
en France dans la diffusion de propos négationnistes. « Il ne doit pas y avoir d’impunité, même s’ils
ont obtenu la nationalité. Moins de génocidaires libres, c’est moins de négationnisme. » Elle insiste
sur l’importance des procès, qui, même s’ils ne débouchent pas systématiquement sur une
condamnation, envoient toujours un signal. Il faut être vigilant, quelle que soit la personne, pour
qu’aucun propos négationniste ne passe à la trappe, et ne pas hésiter à saisir la justice.
Elle ajoute à la vigilance la nécessité d’informer sans relâche la population. « C’est aussi
aux associations comme nous [Ibuka] de réfléchir à informer tout le monde, de se demander
comment le faire. Et pas juste de façon ponctuelle, c’est un combat de tous les jours, de tout le
temps. »
PUBLIC SÉNAT, Lutte contre le négationnisme. Janvier 2022, disponible sur 18 : https://www.publicsenat.fr/
article/societe/lutte-contre-le-negationnisme-il-faut-recommencer-a-chaque-fois-etre-pedagogue-ne
La figure ci-dessus présente l’utilité présumée de juger des anciens collaborateurs, nazis ou
des miliciens du régime de Vichy. Une majorité des sondés considère ces procès utiles, avec 40%
qui les estime « très utiles ». Les procès permettent à la fois de juger des coupables, des
négationnistes, des responsables divers, mais aussi de produire des connaissances, et donc de lutter
doublement contre le négationnisme. Par exemple, 59% des Français estimaient que le procès de
Maurice PAPON était utile car il permettait d’apprendre des choses nouvelles sur la collaboration.19
Aymeric GIVORD regrette quant à lui le décalage entre la vérité historique et la vérité
juridique, qui ne permet pas d’apprécier à leur juste impact les propos négationnistes. La lutte
juridique est ainsi plus difficile selon lui, car le droit ne prend pas en compte le sentiment moral
d’avoir été insulté par des propos négationnistes. Il juge aussi la recherche essentielle pour
déconstruire les propos négationnistes. La multiplication des supports artistiques et numériques est
cruciale pour diffuser des messages qui ont peu d’audience aujourd’hui.
Atif KHALID présente quatre instruments pour lutter contre le négationnisme :
1. L’antenne locale Ibuka France doit être visible et prendre une part importante dans le tissu
associatif, les municipalités doivent faciliter ses interventions et renforcer les liens.
2. Des approches plus innovantes doivent être développées dans les écoles primaires, collèges et
lycées à l’échelle de la ville, pour s’adresser directement aux jeunes de l’agglomération.
3. Il est nécessaire de promouvoir la découverte du Rwanda, de sa culture, de ses artistes… La
culture étant un bon vecteur pour expliquer des faits à un public jeune.
4. S’interroger sur les possibilités de jumelage entre la France et le Rwanda pour établir des liens
concrets entre les populations civiles.
19 Sondoscope numéro 135, publié en octobre 1997, d’après un sondage réalisé sur un échantillon de 1000
personnes majeures.
Figure 11. Utilité présumée des procès des anciens collaborateurs, des nazis ou des
miliciens du régime de Vichy
Un sondage réalisé sur le campus franco-allemand de Sciences-Po Paris en 2022 a conclu à
la hiérarchie suivante des moyens pour lutter contre le négationnisme : 20
1. Étude dans les programmes scolaires
2. Édification de lieux mémoriels
3. Procès contre les auteurs / complices de génocide
4. Production d’ouvrages universitaires basés sur des archives
5. Participation à des concours (CNRD, concours du Mémorial de Caen), jeux, journées
6. Cérémonies officielles de commémoration
Ces six moyens de lutter contre le négationnisme représentent trois domaines d’actions :
production et transmission de connaissances (étude dans les programmes scolaires et production
d’ouvrages universitaires basés sur des archives), organisation d’événements mémoriels
(concours, jeux, journées ; cérémonies officielles de commémoration), justice et mémoire des
rescapés (édification de lieux mémoriels et procès contre les auteurs / complices de génocide). Non
exhaustive, cette liste de moyens d’action et de domaines permet néanmoins de visualiser l’impact
présumé de certaines mesures par rapport à d’autres.
Lutter contre le négationnisme induit d’en identifier les responsables et de les traduire en
justice. Il est également nécessaire que la population globale soit mieux au fait du génocide contre
les Tutsi, afin de se prémunir des discours négationnistes, puisque les citoyens mieux informés
seront plus aptes à identifier les propos remettant en cause le savoir historique. L’ambiguïté réside
donc dans la production de connaissance sur le génocide, alors même que les discours
négationnistes sont tenus par des figures d’autorités de production de connaissance : journalistes,
universitaires, personnalités politiques, écrivains.
Il s’agit à la fois d’informer et de sensibiliser la population pour qu’elle soit plus à même de
détecter les discours négationnistes, et de condamner les personnes tenant de tels propos.
Néanmoins, les moyens d’action de ces deux dimensions sont différents : si l’édification de lieux
mémoriels permet d’agir sur la première dimension (information et sensibilisation), elle ne permet
pas de lutter contre le négationnisme en termes d’identification de responsables et de justice. Les
lieux mémoriels ont davantage un rôle préventif dans la lutte contre le négationnisme que répressif.
La méthode du sondage et du classement est 20 détaillée en annexe de ce rapport.
Les lieux mémoriels sont utiles pour d’autres segments de la population dans la lutte contre
le négationnisme, en ce qu’ils permettent d’informer sur le génocide. Ils n’impactent pas
directement les sphères de production de propos négationnistes, mais permettent aux citoyens de
s’en prémunir.
Recommandations pour Ibuka France :
1. Production et transmission de connaissances
- Suivre avec attention l’évolution du niveau de connaissance du génocide des Tutsi chez les
jeunes générations, depuis l’entrée du génocide dans les programmes d’histoire de terminale
générale.
- Travailler sur l’entrée du génocide dans les programmes d’histoire plus tôt dans le cursus scolaire
ainsi que dans les filières technologique et professionnelle.
- Travailler à l’augmentation du nombre d’ouvrages destinés aux jeunes enfants sur le génocide
des Tutsi.
- Poursuivre et approfondir les partenariats d’interventions en milieu scolaire.
- Continuer à étudier les possibilités d’avoir un lieu pédagogique ouvert au public (musée,
exposition permanente…)
- Investir davantage les réseaux sociaux et le numérique, qui sont des nouveaux moyens de
communications que la recherche historique doit mobiliser pour diffuser ses informations et
résultats.
2. Organisation d’événements mémoriels et Justice et mémoire des rescapés
- Étudier les possibilités d’organiser un événement à l’image du CNRD ou du concours du
Mémorial de Caen pour sensibiliser les jeunes à l’histoire du génocide et à des aspects de celuici,
méconnus du grand public.
- Poursuivre dans la démarche d’augmentation de lieux et parcours mémoriels en France.
Proposition de projet mémoriel à Rouen
Mise en place d’un espace littéraire partagé
L’objectif serait de travailler avec une des bibliothèques municipales de Rouen (parmi :
bibliothèque de la Grand’Mare, bibliothèque patrimoniale Villon, bibliothèque Simone de Beauvoir,
bibliothèque des Capucins, bibliothèque du Châtelet) afin de proposer un espace de lecture et
d’information sur le génocide des Tutsi.
Ibuka France pourrait prêter certains de ses livres disponible en consultation pour les mettre
à disposition dans la bibliothèque rouennaise choisie. Il est également possible de dresser une liste
d’ouvrages que la bibliothèque de Rouen pourrait commander, d’après recommandations d’Ibuka.
De fait, ce projet pourra aussi commencer à tisser un réseau de partenaires pour la bibliothèque /
libraire d’Ibuka.
Un tel projet peut en outre être mené à bien sans que des membres d’Ibuka doivent se
déplacer à Rouen, puisque c’est surtout la médiathèque partenaire qui va organiser l’espace.
En parallèle de cette mise à disposition d’ouvrages, une exposition pourrait être présentée,
basée sur les productions artistiques des classes rencontrées par Ibuka et la Ligue de
l’enseignement, ou à partir de l’exposition d’Ibuka (panneaux), ou d’autres supports.
- Reprise de contact avec la Mairie de Rouen puis avec la bibliothèque choisie ; élaboration d’un
calendrier ; définition d’un référent Ibuka et d’un référent à la bibliothèque de Rouen.
- Choix des livres à envoyer / conseiller à la commande pour la bibliothèque choisie.
- Réalisation de visuels de présentation, pour le site d’Ibuka, de la Mairie de Rouen, de la
bibliothèque et pour les réseaux sociaux etc.
- Mise en place de l’exposition. Prise de contact avec la presse pour un article au sujet de
l’exposition.
Note de synthèse
Lieux de mémoire et négationnisme
Seuls 51% des jeunes ont déjà entendu parler du génocide des Tutsi, qui est seulement étudié en
classe de terminale générale (tronc commun histoire ou spécialité HGGSP). Il faut accompagner le
devoir de mémoire d’un devoir d’alerte, de vigilance et d’esprit critique face aux propos
négationnistes.
Pourtant, les Français sont attachés aux commémorations, à l’entretien de la mémoire collective, à
la production et transmission des connaissances du passé.
3 domaines d’action contre le négationnisme :
- Production et transmission de connaissances : programmes scolaires, ouvrages universitaires…
- Justice et mémoire des rescapés : procès, lieux mémoriels…
- Événements mémoriels : concours / jeux / journées, cérémonies officielles de commémoration…
Les lieux mémoriels sont préventifs contre le négationnisme, car ils permettent d’élever le niveau
de connaissance de la population générale, et de la rendre moins sensible aux discours niant le
savoir historique.
Recommandations principales :
- Programmes scolaires : étudier l’avancée du degré de connaissance du génocide depuis l’entrée
dans le programme, étendre l’enseignement du génocide à toutes les filières et le commencer plus
tôt dans la scolarité. Poursuivre et approfondir les dispositifs d’intervention dans les classes.
- Lieu pédagogique : musée, exposition permanente dans un musée déjà existant.
- Investir davantage les réseaux sociaux et le numérique, plateformes essentielles pour diffuser
des informations, qui sont aussi utilisées pour propager des discours négationnistes.
- Poursuivre dans les démarches juridiques et d’augmentation de lieux mémoriels.
- Organiser un événement liant commémoration, éducation, production d’informations.
Opinions sur la mémoire collective en France
ANNEXE
Bibliographie
Bulletin de l’Observatoire économique de la Défense, chute de la fréquentation des lieux de
mémoire des conflits contemporains en 2020, juillet 2021.
DORIDANT Raphaël, LACOSTE Charlotte, Peut-on parler d’un négationnisme d’Etat? In
Génocide des Tutsi du Rwanda : un négationnisme français ? Cités, 2014, numéro 57, pages 91-110.
DUHAMEL Olivier, Une opinion philosémite dans L’état de l’opinion en 1999. SOFRES. Sondage
issu des enquêtes de la SOFRES pour la CRIF d’octobre 1998.
HARRIS. Mémoire française du génocide arménien, sondage réalisé par Les nouvelles d’Arménie
en mars 1996, sur un échantillon national représentatif de 1002 personnes âgées de plus de dix-huit
ans.
HARRIS, Cinquante ans après, ce que les Français savent de l’Holocauste. Décembre 1993.
IBUKA FRANCE, Le génocide des Tutsi en 1994. Disponible sur : https://www.ibuka-france.org/
genocide-des-tutsi-en-1994/
IFOP, Les Français et la mémoire collective. Février 2016, disponible sur : https://www.ifop.com/
publication/les-francais-et-la-memoire-collective/
IFOP, Ampleur et limites de la « zemmourisation » des esprits. Novembre 2021, disponible sur :
https://www.ifop.com/publication/observatoire-du-zemmourisme-volet-2-ampleur-et-limites-de-lazemmourisation-
des-esprits/
IFOP, Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission. Septembre
2020, disponible sur : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/09/11756220-20Rapport.pdf
IFOP, Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission. Septembre
2020, disponible sur : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/09/11756220-20Rapport.pdf
MEDIAPART. Patrick de Saint-Exupéry : « Sur le Rwanda, Hubert Védrine est un négationniste ».
Mise en ligne le 3 mars 2021, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=olpIIyudwD8
MINISTÈRE DES ARMÉES, Chemins de mémoire : 50 ans d’OPEX. Disponible sur : https://
www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/50-ans-dopex
Office national des anciens combattants et victimes de guerre, Hauts-lieux et nécropoles. https://
www.onac-vg.fr/hauts-lieux-memoire-necropoles
PUBLIC SÉNAT, Lutte contre le négationnisme. Janvier 2022, disponible sur : https://
www.publicsenat.fr/article/societe/lutte-contre-le-negationnisme-il-faut-recommencer-a-chaquefois-
etre-pedagogue-ne
ROUSSO Henry, Les racines du négationnisme en France, Cités n°36, 2008, pp 51-62. Disponible
sur : https://www.cairn.info/revue-cites-2008-4-page-51.htm.
Sondoscope numéro 135, publié en octobre 1997, d’après un sondage réalisé sur un échantillon de
1000 personnes majeures.
SOFRES, L’état de l’opinion, 1998.
VIE PUBLIQUE, Lois mémorielles : la loi, le politique et l’Histoire. Dernière modification :
03/05/2021, disponible sur : https://www.vie-publique.fr/eclairage/18617-lois-memorielles-la-loi-lepolitique-
et-lhistoire
VIE PUBLIQUE, Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la
République, et Omar Bongo, Président de la République du Gabon, sur le bilan de la politique de
coopération française en Afrique et sur la prévention des conflits interafricains, Biarritz le 9
novembre 1994. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/discours/128040-conference-depresse-
conjointe-de-mm-francois-mitterrand-president-de
Sondage réalisé sur le campus franco-allemand de Sciences-Po Paris
- Échantillon de 80 étudiants et étudiantes, sondage réalisé au moyen d’un formulaire web
en juin 2022.
NB : les propositions « Livre », « Centres de mises à mort », « Lieu historique du
génocide », « Anciens camps de concentration » ont été ajoutés par des sondés.
Dans le rapport, le classement des actions contre le négationnisme présenté dans la partie 3 « La
lutte contre le négationnisme » sous-partie « Moyens de lutte contre le négationnisme » est le
suivant :
1. Étude dans les programmes scolaires
2. Édification de lieux mémoriels
3. Procès contre les auteurs / complices de génocide
4. Production d’ouvrages universitaires basés sur des archives
5. Participation à des concours (CNRD, concours du Mémorial de Caen), jeux, journées
6. Cérémonies officielles de commémoration
NB : les réponses « blagues de mauvais goût » et « Génocide des Ouighours » ont été ajoutées par des
sondés et ne faisaient pas partie des propositions initiales.
Ce classement est le résultat d’un calcul à partir des votes du sondage.
Pour calculer l’utilité présumée des actions proposées, le nombre de votes est multiplié par le
nombre de points correspondant à la position attribuée. Ainsi, être placé en premier rapporte 6
points, en deuxième en rapporte 5, troisième 4, quatrième 3, avant-dernier 2 et dernier 1. Les points
des différentes positions sont additionnés puis divisés par le nombre de votants (80) pour obtenir
une efficacité moyenne, comprise entre 3 et 5.
Action Nombre de points Moyenne Classement
Cérémonies 11*6+22*5+16*4+10*3+8*2+13*1 = 299 3,7375 6
Lieux mémoriels 13*6+30*5+15*4+9*3+10*2+3*1 = 338 4,225 2
Concours 15*6+14*5+26*4+8*3+5*2+12*1 = 310 3,875 5
Programmes scolaires 34*6+9*5+18*4+2*3+4*4+13*1 = 356 4,45 1
Ouvrages universitaires 16*6+25*5+14*4+4*3+11*2+10*1 = 321 4,0125 4
Procès 21*6+16*5+24*4+3*3+5*2+11*1 = 332 4,15 3
Entretiens réalisés :
Personne rencontrée Date Sujets abordés
Delphine, rescapée et membre
de l’association Ibuka France
24/06/2022 - Apports des lieux de mémoire pour la société
en général et pour des cercles plus restreints :
amis, famille, communauté de rescapés.
- Processus d’obtention d’un lieu de mémoire
au Rwanda et en France.
- Importance pour la mémoire collective
française d’avoir des lieux de mémoire du
génocide contre les Tutsi.
- Lien entre les citoyens et l’État, engagement
sur les sujets de droits humains.
- Rôle des génocidaires réfugiés en France dans
la diffusion de propos négationnistes.
- Importance des procès dans la lutte contre le
négationnisme.
- Nécessité de combattre tous les jours pour
informer les citoyens.
Laurence PATRICE, adjointe à
la maire de Paris en charge de
la mémoire et du monde
combattant
01/07/2022 - Réflexion autour de la nature des lieux de
mémoire, de leur emplacement, accessibilité,
du public visé.
- Considération des lieux mémoriels comme
des supports à partir desquels se construisent
des événements et médiations.
- Les dispositifs intelligents, éducatifs, dans la
discussion entre les publics doivent être
privilégiés.
- La Ville de Paris montre son soutien à la lutte
contre le négationnisme en mettant en place
des lieux de mémoire. Rayonnement
international de Paris, grande visibilité.
- Objectif de faire vivre les mémoires
ensemble, pas en concurrence.
Aymeric GIVORD, membre de
Conseil d'administration
d'Ibuka France et coadministrateur
du site : https://
francegenocidetutsi.org
18/08/2022 - Hiérarchie des mémoires et des crimes contre
l’humanité, rôle du Mémorial de la Shoah.
- Déconstruire le négationnisme par la
recherche, la production d’ouvrages et de sites
internet. Difficulté de la diffusion de ces
informations, nécessité d’investir le
numérique.
- Responsabilité politique, frein à la recherche
historique.
- Difficulté des procès, différence entre la vérité
historique et juridique.
Atif KHALID, adjoint aux
actions culturelles et aux
jumelages de Châlette-sur-
Loing
Espérance PATUREAU,
responsable de la section
d’Ibuka France à Châlette-sur-
Loing
20/08/2022 - Devoir d’alerte
- Difficulté de mobilisation des jeunes de
l’agglomération de Châlette
- Actions culturelles et associatives de Châlette
- Instruments pour lutter contre le
négationnisme
- Impact de la culture
- Lieu de mémoire à Châlette
Personne rencontrée Date Sujets abordés
Communication autour du rapport
Madame, Monsieur,
Un rapport sur l’utilité des lieux mémoriels dans la lutte contre le négationnisme nous a été
remis récemment et ses conclusions nous encouragent à vous contacter pour définir une stratégie
mémorielle dans votre municipalité. Ce rapport est construit autour d’entretiens avec des rescapées
du génocide contre les Tutsi, avec des responsables municipaux en charge de la mémoire (Ville de
Paris, ville de Châlette-sur-Loing), et à partir d’enquêtes d’opinions et d’archives issus de différents
fonds historiques, notamment celui de la Fondation nationale des sciences politiques.
Il met en lumière le rôle proactif et de prévention qu’ont les lieux de mémoire dans la lutte
contre le négationnisme. Ainsi, ces lieux permettent de produire de l’information à destination des
citoyens, qui peuvent alors se prémunir contre les propos négationnistes émanant de figures
d’autorité.
En outre, si les lieux mémoriels sont cruciaux dans la lutte contre le négationnisme car ils
permettent à la société de s’engager pour la reconnaissance d’un crime contre l’humanité, d’un acte
de bravoure, d’un massacre ; ils sont aussi des lieux de recueillement essentiels pour les
communautés de rescapés. Ils permettent de construire notre mémoire collective et renforcent le
vivre-ensemble.
La mémoire du génocide des Tutsi est un sujet majeur pour la France, et ces dernières
années ont été marquées par une politique volontariste de l’État dans la reconnaissance de ses
responsabilités au sujet du génocide. C’est aussi dans cette perspective de reconnaissance, de
relations particulières entre la France et le Rwanda ainsi que de soutien aux rescapés en France, que
s’inscrit notre proposition de projet mémoriel dans votre municipalité.