Fiche du document numéro 30451

Num
30451
Date
Samedi 9 juillet 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
64667
Pages
12
Urlorg
Titre
Procès Laurent Bucyibaruta aux Assises de Paris. Semaine 8 : Lundi 27 juin – Jeudi 30 juin 2022
Sous titre
Ibuka France vous propose un « bulletin » hebdomadaire sur le déroulé du procès de Bucyibaruta du 9 mai au 12 juillet 2022 aux Assises de Paris.
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le lundi 27 juin, à 9h30, la Cour entre dans la salle Vedel du palais de justice de Paris et ouvre la huitième semaine du procès de Laurent Bucyibaruta. Lors de ce premier jour, deux témoins cités par la défense doivent être entendus par visioconférence. Le premier d’entre eux, Paul Kadogi a été condamné à la réclusion à perpétuité pour sa participation au génocide. Il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et préférera répondre directement aux questions de la Cour. Dans un premier temps, le Président lui demande de présenter à la Cour son parcours professionnel. Monsieur Kadogi ayant été bourgmestre d’une commune appartenant à la préfecture de Gikongoro durant un certain temps, et notamment pendant la période du génocide, il lui pose quelques questions sur cette fonction. Il revient également sur la période ayant précédé le génocide et interroge le témoin sur la montée des violences politiques dues au multipartisme et la multiplication des actes et des propos anti-tutsi. Le Président Lavergne lui pose par la suite plusieurs questions sur le déroulé du génocide et sur ce qu’il a fait durant cette période, tant dans sa fonction de bourgmestre qu’en tant que citoyen lambda. Plusieurs incohérences ressortent des propos de Monsieur Kadogi. De même, comme beaucoup de témoins condamnés par les juridictions rwandaises pour participation au génocide, ce dernier essaye de se réhabiliter aux yeux de la Cour en décrivant des actes héroïques. Il a notamment déclaré avoir escorté quelques 3 500 personnes vers le Burundi, parfois en empêchant physiquement des miliciens Interahamwe ou des gendarmes de les tuer. Aussi, il poursuit en décrivant une réunion à laquelle il a assisté le 26 avril 1994, conférence préfectorale convoquée par Monsieur Bucyibaruta, portant sur le retour de la sécurité au niveau de l’ensemble de la préfecture.

La parole est ensuite donnée aux parties. Me Foreman interroge le témoin sur un extrait du livre d’Alison Des Forges décrivant notamment que « les bourgmestres étaient simplement livrés à eux-mêmes ». Il lui demande si c’est là effectivement la sensation qu’il a eue en tant que bourgmestre. Monsieur Kadogi ne répondra pas clairement et déclarera : « j’aurais aimé que des instructions me soient données bien avant pour que nous puissions faire face à ces tueries. Mais même si je n’en avais pas eues, suivant la voix de ma conscience et suivant l’amour que j’éprouverais à l’égard de tout être humain, j’aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour venir en aide à des personnes ». Après quelques questions de Me Gisagara et Me Tapi, c’est finalement au tour du Ministère Public d’interroger le témoin. L’avocate générale revient sur une de ses déclarations faites à propos de la réunion du 26 avril. Monsieur Kadogi avait en effet déclaré que, lors de cette conférence, le préfet Bucyibaruta avait invité ses subordonnés à faire cesser les massacres, notamment parce que cela « salissait l’image » du pays devant la communauté internationale. Elle demande donc au témoin si des décisions ont été prises justement pour essayer d’effacer cette mauvaise image du pays et non pas simplement pour faire cesser les massacres ou pour sauver des rescapés. L’ancien bourgmestre répond que « lui [le préfet] disait que si les choses qui s’étaient passées et qui donnaient une mauvaise image du pays continuaient, cela allait empirer ». Après quelques questions de la défense, la déposition se termine à 16h et l’audience est suspendue pour quarante minutes.

À 16h45, la caméra s’ouvre sur Xavéra Iyakaremye, citée par la défense et entendue depuis les Etats-Unis. Cette dernière souhaite témoigner en faveur de l’ancien préfet, ce dernier lui ayant sauvé la vie pendant le génocide. Elle commence ainsi par raconter comment, sur demande de son mari qu’il connaissait depuis longtemps, Laurent Bucyibaruta a demandé aux gendarmes d’aller récupérer Madame Iyakaremye et de les conduire dans une école de Gikongoro pour les cacher jusqu’à l’arrivée des militaires français de l’opération Turquoise. Elle raconte que, pour passer une barrière, les gendarmes ont négocié avec les miliciens et se sont notamment recommandés du préfet, ce qui a permis au témoin de passer saine et sauve. Elle déclare que le préfet a sauvé beaucoup de Tutsi. Le Président lui demandera quelques éclaircissements. Sur la pacification, Madame Iyakaremye déclarera que si c’était effectivement un appel à retourner au travail, c’était également « un piège ». Lorsque la parole sera donnée aux parties civiles, Me Gisagara reviendra sur cette réponse et demandera à l’intéressée si « c’était un piège tendu par les autorités », ce à quoi elle répondra « bien sûr, comment appeler à travailler pour un travail qui ne sera pas fait ? Il paraît qu’il y avait des gens en cachette et ils voulaient les voir ». Les avocates générales poursuivent ensuite en demandant au témoin si elle peut préciser ce que les militaires ont dit aux personnes présentes aux barrières pour leur permettre de passer en sécurité. Cette dernière dira qu’elle n’a pas entendu exactement la conversation et ne peut donc pas l’assurer totalement. Finalement, la défense prend la parole. Me Levy demande à Mme Iyakaremye pourquoi elle a décidé de quitter le Rwanda. Cette dernière explique qu’à la fin du génocide, son mari est parti à Kigali afin de travailler, mais, étant hutu, il a été emprisonné pour participation au génocide. Fatiguée de cet enchaînement d’événement, elle préfère demander l’asile aux Etats-Unis. L’accusé va réagir brièvement à cette audition en disant qu’il connaissait effectivement le mari de le témoin et qu’il a donc demandé au Major Bizimungu de la faire accompagner par des gendarmes pour lui permettre de se déplacer jusqu’à Gikongoro. Le Président lui demande donc de confirmer que le Major avait suffisamment d’autorité dans la préfecture pour envoyer ses hommes dans une opération plutôt périlleuse. Monsieur Bucyibaruta confirme. Suite à ces déclarations, une discussion commence entre les différentes parties pour savoir qui de Bizimungu ou Sebuhura était présent sur les sites et comment le préfet choisissait. Aucune réponse claire ne sera donnée à cette question. L’audience est finalement suspendue à 19h.

Le lendemain, le mardi 28 juin, quatre témoins doivent être entendus. Tout d’abord, Monsieur Juvénal Rutebuka, ancien secrétaire de la commune de Nyamagabe, cité par la défense. Ce dernier ne fera pas de déclaration spontanée et préférera répondre directement aux questions de la Cour et des parties. C’est dont le Président qui commence en demandant plusieurs éclaircissements au témoin. Il commence à l’interroger sur son parcours professionnel. Durant le génocide, ce dernier n’occupait aucune fonction administrative ou représentative, il était agriculteur et a donc connu Laurent Bucyibaruta comme membre de la population civile. Il parle des réunions auxquelles il a pu assister durant les mois d’avril, mai et juin 1994 et reviendra notamment sur celle qui s’est tenue sur la place du marché. Il décrira les propos qui ont été prononcés par Gasana, alias « Bihehe », à l’encontre du préfet, confirmant les déclarations qui avaient été faites par les témoins précédents. Finalement, Monsieur Rutebuka n’apportera pas d’éléments nouveaux.

Les parties civiles et le Ministère Public ne poseront aucune question et la parole est donc laissée à la défense. Me Biju-Duval demandera seulement au témoin de préciser l’époque à laquelle il a entendu des rumeurs selon lesquelles l’accusé était présent aux paroisses de Murambi, Cyanika et Kaduha. L’intéressé déclarera que c’était après sa première audition par les enquêteurs français, en 2013. À 10h30, l’audience est suspendue pour une pause d’une vingtaine de minutes.

La caméra s’ouvre ensuite sur Immaculée Mukamana, rescapée citée par la CRF, dont l’audition n’avait pas pu être terminée le 24 mai 2022. Le Président commence ainsi par lui poser des questions. Le témoin parlera d’une liste sur laquelle figurait son frère, ainsi que d’autres personnalités tutsi ou hutu opposantes à l’idéologie « Power ». Madame Mukamana dira que toutes les personnes présentes sur cette liste ont été tuées ou obligées de fuir et qu’il était de notoriété publique que figurer parmi ces noms n’était pas un bon signe. Le Président Lavergne l’interroge ensuite sur sa situation plus personnelle.

La première assesseure prend la parole et demande à l’intéressée s’il était possible de s’adresser aux autorités durant le génocide. Elle répondra que, pour les Tutsi, il n’était pas possible, ni avant, ni pendant le génocide de se confier aux autorités pour leur demander de l’aide car ils étaient massacrés et persécutés sous les yeux de ces dernières, qui ne réagissaient pas. Le Président donne ensuite la parole aux conseils des parties civiles. Après que Maître Gisagara ait remercié sa cliente, Me Karongozi demande à Madame Mukamana comment les autorités étaient impliquées dans cette organisation. Elle lui dit que ces dernières nourrissaient le sentiment d’impunité de la population : « il n’y a pas un citoyen qui peut s’en prendre à un autre citoyen, voisin, alors qu’il y a les autorités. Les autorités ne faisaient rien pour rendre justice à ceux menacés, ceux qui avaient tué n’avaient pas peur des autorités et cela prouve qu’elles étaient d’accord avec ce plan ». Les avocates générales n’ayant aucune question, la défense prend la suite. Me Biju-Duval fait lecture d’un compte rendu de réunion. La déposition se termine à midi et l’audience est suspendue jusqu’à 14h15.

Le troisième témoin de la journée a confirmé durant la suspension ne pas être en état de témoigner, le Président déclare qu’il sera donc passé outre son absence. Le premier témoin de l’après-midi est Monsieur Jonas Kanyarutoki et il est cité par Monsieur Jean-Damascène Bizimana. Il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et répondra directement aux questions de la Cour. Le Président lui demande comment il connaît Laurent Bucyibaruta. Le témoin dit qu’il a pu le rencontrer dans des réunions. Le Président l’invite donc à apporter plus de précisions sur ces dernières. Il n’apportera pas beaucoup d’éléments probants, ses déclarations étant très similaires à celles des témoins entendus précédemment. Il dira tout de même qu’il est allé aux réunions et sur les lieux des massacres « par contrainte » de la part des autorités. Le Président poursuit ensuite en demandant au témoin quelle était sa situation professionnelle et son engagement politique en 1994. Monsieur Kanyarutoki confirme avoir été « membre du mouvement qui a exterminé », membre du MRND. La parole est finalement donnée aux parties. Me Karongozi posera plusieurs questions sur l’organisation des attaques et des réunions. Le Ministère Public lui demandera simplement de préciser quel représentant de la gendarmerie était le plus présent pendant le génocide. Le témoin ne citera pas le nom de Bizimungu mais dira, à propos du supérieur de Sebuhura qu’« on n’en parlait même pas ». Me Biju-Duval prend la suite et demande au témoin s’il connaît personnellement Monsieur Bizimana qui est à l’origine de sa citation. L’intéressé répond par la négative, il déclare témoigner « sur des choses qu’il a vues et sur des choses pour lesquelles il a plaidé-coupable ». Aussi, l’avocat de Monsieur Bucyibaruta l’interroge ensuite sur des déclarations qu’il a faites à une association venue le voir en prison à propos de l’implication des militaires français sur les collines de Bisesero. Me Biju-Duval procède à la lecture de ces déclarations dans lesquelles Monsieur Kanyarutoki soutient que les soldats de Turquoise ont « jeté par avion et hélicoptère des rescapés du génocide ». Le témoin confirmera ses dires. Assez logiquement, cette version amène à considérer différemment les propos tenus avant, son témoignage étant fortement décrédibilisé par ces nouveaux éléments. La déposition se termine finalement à 16h et l’audience est suspendue durant quarante minutes.

Enfin, c’est Norman Kayumba, ancien évêque de l’église anglicane, qui est entendu par la Cour d’Assises, sur demande la défense. Ce dernier souhaitera commencer par une déclaration spontanée dans laquelle il confirme, qu’en tant que représentant de l’Eglise, il avait recours aux autorités présentes sur la préfecture, qui fonctionnaient parfaitement. Le Président Lavergne prend ensuite la parole et commence par interroger le témoin sur ses fonctions ecclésiastiques et sur les écoles et hôpitaux qui dépendaient de son Eglise. Il lui pose ensuite des questions sur les barrières présentes à Kigeme et sur leur mode de fonctionnement. Monsieur Kayumba confirme les descriptions des précédents témoins, relatant que ces dernières servaient à contrôler les papiers d’identité des personnes en exil et qu’une carte portant la mention « Tutsi » amenait directement à l’assassinat de son détenteur. Ensuite, le Président Lavergne lui demande de citer toutes les autorités qu’il a prévenues lorsque la situation a commencé à se dégrader et que des Tutsi sont venus se réfugier dans les églises, des écoles et des hôpitaux. Il déclinera le nombre de toutes les personnes déjà mentionnées lors des auditions précédentes : le bourgmestre Semakwavu, le capitaine Sebuhura, le colonel Simba et Laurent Bucyibaruta. Il déclarera au Président que le préfet est même la première personne qu’il a contactée, au lendemain de la chute de l’avion du président Habyarimana, afin d’avoir une autorisation de circulation. Aussi, il précisera qu’à son avis, les réunions du conseil de sécurité étaient nées de la volonté du préfet de « regrouper, d’associer ceux qui voulaient remettre les choses dans le droit chemin ». Par la suite, il reconnaît tout de même, sur le regroupement des réfugiés à Murambi, « que les autorités n’auraient pas pu le décider sans Bucyibaruta, il faisait partie de ceux-là qui ont pris cette décision ». Le Président poursuit et le témoin dit que les réfugiés ont été obligés de se rendre à Murambi, qu’« aucun autre choix ne leur a été accordé ». Enfin, il terminera en expliquant à la Cour qu’en réalité, le préfet n’avait plus de pouvoir et que les organisateurs et les auteurs de ces attaques agissaient contre sa volonté, le menaçant de s’en prendre à sa femme et à son chauffeur tutsi. Finalement, la parole est laissée aux parties. Maître Gisagara prend la parole et pose une question au témoin. Lorsqu’il répond, ce dernier est interrompu par le Président. Ce dernier redonne la parole à Me Gisagara qui renonce à continuer d’interroger Monsieur Kayumba, exprimant ainsi son désaccord avec le Président. Le Ministère Public prend la suite et porte à la connaissance de la Cour que le témoin et Monsieur Bucyibaruta sont restés en contact téléphonique après le génocide, y compris après la mise en accusation de l’accusé. La défense demandera seulement une précision au témoin. L’audience est suspendue à 19h40.

Le mercredi 29 juin, trois témoins doivent encore être entendus par la Cour d’Assises de Paris. Tout d’abord, Monsieur Augustin Ndindiliyimana, cité par la défense. Il souhaite commencer son audition par une déclaration spontanée qu’il débute en confirmant connaître Laurent Bucyibaruta comme « haute autorité politique ». Il poursuit en déclarant que la situation était très difficile et totalement hors de contrôle. Pour illustrer ses propos, il évoque le fait que des réfugiés avaient désarmé et tué des gendarmes à au moins un endroit. Le Président prend ensuite la parole et pose plusieurs questions au témoin sur sa longue carrière au sein de plusieurs ministères lors du mandat de Juvénal Habyarimana. Lors de sa déclaration, il dira que « dès le 11 avril, des barrières ont été mises en place, tenues par des Hutu et des Tutsi pour s’opposer aux infiltrés ».

L’audience est interrompue par les gendarmes du Palais, une alerte ayant été donnée, toutes les personnes présentes sont rassemblées dans la cour du Palais.

Quand elle reprend, le témoin est interrogé sur sa rencontre avec le préfet Bucyibaruta à la fin du mois de mai 1994, lors de laquelle aucun massacre ne sera évoqué, et encore moins l’implication des gendarmes dans ces attaques. Monsieur Ndindiliyimana évoquera ensuite les auditions du TPIR, où il a été jugé puis acquitté, lors de laquelle il a entendu pour la première fois les rescapés des sites de Murambi, Cyanika et Kaduha. Il les qualifiera de « témoins pas fiables », ce qui permet de saisir son positionnement sur le génocide. La Cour continuera d’être éclairée sur ce point quand l’intéressé sera interrogé sur la visite du Président Sindikubwabo. Il dira à ce propos que ce dernier voulait arrêter les massacres et qu’il ne faut en aucun cas voir dans son discours un « double langage ». Enfin, il évoque son parcours depuis le TPIR à Arusha jusqu’en Belgique. La parole est finalement donnée aux avocats des parties civiles. Me Tapi lui demande qui il entend viser lorsqu’il utilise le terme « ennemi ». Le témoin lui répond avec une définition du ministère de la Défense : « C’est quelqu’un qui mène des actes hostiles ». Sur les questions qui s’ensuivent, Monsieur Ndindiliyimana remettra la responsabilité sur les épaules du FPR, disant que c’est Radio Muhabura qui encourageait les Tutsi à se regrouper, que le FPR massacrait les Hutu sur les barrages et, enfin, que les Tutsi se regroupaient pour s’organiser et attaquer les Hutu. À ces réponses, Me Gisagara lui oppose le plaider-coupable de Jean Kambanda, qui reconnaît l’existence d’une entente afin de commettre le génocide à l’encontre des Tutsi. L’intéressé lui rétorquera qu’« il a été induit en erreur par son propre avocat ». Enfin, sur une dernière question des parties civiles, il dira : « c’est plutôt du côté du FPR qu’il faut chercher une stratégie en abattant l’avion ». Le Ministère Public lui posera quelques questions puis laissera finalement la parole à la défense. Me Biju-Duval demande au témoin de confirmer que Monsieur Bagambiki, le préfet de Cyangugu, avait pris l’initiative de regrouper les Tutsi et de les faire garder par des gendarmes, initiative pour laquelle il a été poursuivi, jugé et finalement acquitté. Monsieur Ndindiliyimana confirme cette information. L’audience est ensuite suspendue.

C’est ensuite Monsieur André Sibomana, cité par la défense, qui est entendu par la Cour en visioconférence depuis le Cameroun. Ce dernier ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et répondra directement aux questions de la Cour. Comme souvent, le Président commence par l’interroger sur son parcours professionnel. Monsieur Sibomana était opérateur radio dans le service de renseignement de la Présidence de la République. Le Président Lavergne l’interroge ensuite sur les échanges que le service de renseignement et le préfet pouvaient avoir. Ce dernier déclare que des rapports étaient effectivement transmis et qu’ils « pouvaient être quotidiens ou davantage, selon l’urgence ». Répondant toujours aux questions, le témoin déclare que le service de renseignement avait des informateurs dans beaucoup d’endroits, notamment les hôpitaux et les mairies. Il précisera tout de même que, durant les trois mois du génocide, les échanges ne fonctionnaient pas très bien, notamment les communications téléphoniques. Il poursuit en disant qu’à propos de Murambi, aucun rapport n’a été transmis car ce n’étaient que des rumeurs et que le service était très sollicité. Cependant, il confirme que le préfet était au courant de ces ouïes-dires, qu’il ne pouvait pas les ignorer. Quand le Président lui demande s’il souhaite ajouter quelque chose à propos de Laurent Bucyibaruta, ce dernier rappelle, comme beaucoup de témoins (notamment de la défense), qu’il était menacé car sa femme était tutsi et qu’il avait protégé des réfugiés tutsi. Enfin, il termine en disant que le FPR a une part de responsabilité dans les massacres des Tutsi : « il y avait des agitateurs du FPR qui incitaient les Interahamwe à aller tuer les Tutsi ». Les avocats des parties civiles poseront ensuite plusieurs questions et la parole sera donnée au Ministère Public. Quelques précisions seront demandées à Monsieur Sibomana, puis l’audition sera suspendue, la défense ne souhaitant pas interroger le témoin. Finalement, la journée sera clôturée par l’audition Monsieur Venant Ndamage, cité par la défense, qui sera très courte, ni la Cour, ni les parties ne souhaitant réellement interroger ce témoin. Le Président posera uniquement quelques questions sur la rencontre entre Monsieur Ndamage et Laurent Bucyibaruta, sur le parcours professionnel du témoin et sur son parcours jusqu’en France. Les avocates générales lui demanderont tout de même son avis personnel sur le discours du Président Sindikubwabo. Il dira que le langage imagé utilisé à cette occasion « donnera une autre tournure aux massacres ». Le témoin confirme ensuite avoir gardé des contacts avec Laurent Bucyibaruta en France.

À 9h30, jeudi 30 juin, dernier jour de cette huitième semaine, l’audience est ouverte. Ce sont des représentants de parties civiles ou des parties civiles elles-mêmes qui seront entendues aujourd’hui. Tout d’abord, la Cour écoute la déclaration spontanée de Monsieur François Graner venant présenter Survie et son travail personnel sur la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Il organisera sa présentation en plusieurs points. Tout d’abord, il parlera de l’action de la France au Rwanda, disant que cette dernière n’était pas teintée d’intention génocidaire, mais plutôt d’une volonté coûte que coûte de préserver sa zone d’influence en Afrique. Il poursuivra en abordant les différentes alertes sur le génocide et sa préparation, listant notamment les nombreux meurtres et citant Jean Carbonare, au Journal TV de 20h sur France 2 : « On sent que derrière tout cela, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’Humanité dans le pré-rapport que notre Commission a établi ». Ensuite, il décrira le début du génocide, qu’il aborde logiquement par l’attentat sur l’avion du Président Juvénal Habyarimana. Il ne reviendra pas sur les détails du génocide et sur son fonctionnement, passant directement à la description de l’opération Turquoise à partir du mois de juin 1994. Il poursuivra ensuite avec le second point de son exposé sur les relations entre les militaires français et les autorités locales rwandaises, notamment les préfets. Monsieur Graner soutiendra que l’état-major français avait connaissance du rôle des autorités dans le génocide, mais qu’il n’en a pas informé les militaires sur place, procédant plutôt à la minimisation de la situation et préférant au génocide la présentation d’affrontements interethniques. Finalement, les militaires sur place finiront par se rendre compte de l’implication de ces autorités. Pour autant, ayant besoin de l’appui des préfets, des bourgmestres et de toutes les autres autorités administratives, ils continuent de travailler avec eux. Cette politique aboutira, fin juin 1994, au « scandale français de Bisesero ». Le 27 juin 1994, les 2 000 survivants tutsi des collines de Bisesero (où s’étaient réfugiées environ 50 000 personnes) reprennent espoir lorsqu’ils voient arriver un détachement de militaires de l’opération Turquoise. Malheureusement, les soldats repartent, laissant les rescapés épuisés à la vue des Interahamwe. Ce n’est que trois jours plus tard, alors que l’information était déjà remontée à l’état-major de l’armée française, qu’un ordre de sauvetage est finalement donné et qu’une faction de Turquoise reprend le chemin de Bisesero pour évacuer les rescapés. Il est trop tard, il reste à peine 800 survivants. Monsieur Graner poursuit en développant la seconde conséquence de cette politique française : la zone Turquoise sert de refuge aux génocidaires et les autorités françaises permettent leur fuite du Rwanda, souvent vers la France. Le 7 juillet, le FPR fournit à l’armée française un document listant les 220 noms des responsables de génocide, parmi lesquels figure, au numéro 71, celui de Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro. Malgré des demandes du Quai d’Orsay visant à l’arrestation ou au moins à la mise sous surveillance de ces personnalités, l’Elysée s’obstine à refuser et les anciens préfets, sous-préfets, bourgmestres, etc., entrent en France sans être inquiétés. Il n’y aura aucune question, tant de la Cour que des parties civiles.

C’est donc au tour de Monsieur Jean-Damascène Bizimana d’être entendu. Actuellement, ce témoin est ministre de l’Unité nationale et de l’Engagement civique. Il commence naturellement par une déclaration spontanée. Tout d’abord, il souhaitera exposer son histoire à la Cour et notamment les différentes persécutions que sa famille et lui-même ont pu subir avant le génocide. A la fin de l’année 1991, il quittera le Rwanda pour poursuivre ses études en Europe. Durant les mois d’avril, mai, juin et juillet 1994, il ne sera pas au Rwanda mais au Burkina Faso, ce qui lui sauvera la vie. Monsieur Bizimana reste néanmoins en contact fréquent avec ses connaissances sur place, lui permettant de se tenir informé de l’évolution de la situation pour ses proches et des différentes décisions prises alors par les autorités locales, notamment le préfet. Le Président Lavergne prend ensuite la parole afin d’interroger le témoin. Il commencera par lui demander des précisions sur sa famille et sur le parcours de la seule rescapée, sa sœur Thérèse. Le Président l’interroge ensuite sur son implication dans le dossier d’espèce. Monsieur Bizimana confirme qu’il est effectivement à la genèse de la plainte à l’encontre de Monsieur Bucyibaruta, ayant rédigé un papier documentant l’implication du préfet et l’ayant déposé auprès de la FIDH en 1999. Tout naturellement, il est questionné sur les sources l’ayant permis de rédiger cette note, les récits de témoins oculaires, les informations obtenues au téléphone au moment du génocide et l’étude de plusieurs archives qu’il a pu consulter. En effet, en plus d’avoir été particulièrement actif au sein de la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, Monsieur Bizimana a pour cousin Aloys Gatabarwa, protagoniste souvent mentionné dans ce procès car il était le chauffeur du préfet Bucyibaruta et qu’il a donc côtoyé l’accusé pendant une grande partie du génocide. En ce sens, il évoque une conversation téléphonique que son cousin lui a rapportée entre le préfet et une tierce personne, conversation qui a amené Monsieur Gatabarwa à fuir de la maison du préfet. Depuis le début des audiences, l’accusé utilise l’histoire de son chauffeur comme une carte prouvant son innocence. En effet, il ne peut pas être coupable de génocide ou de complicité de génocide s’il a caché des Tutsi. L’intéressé étant décédé depuis, il ne peut pas participer aux débats et l’intervention de Monsieur Bizimana est importante en ce sens, car elle permet de révéler une autre version de l’histoire, version dans laquelle Laurent Bucyibaruta aurait tenté de livrer son chauffeur à la population locale et aux Interahamwe. Après quelques questions supplémentaires du Président, la parole est donnée aux avocats des parties civiles. Dans un premier temps, il lui est demandé de décrire le « petit génocide » de 1963 et notamment de préciser le rôle des paroisses comme lieux de refuges.

Le témoin déclare, comme plusieurs autres témoins avant lui que « ceux qui survivent dans les années 60 le doivent aux paroisses ». Maître Gisagara l’interroge ensuite sur le vocabulaire du génocide, afin de donner davantage de clés de lecture à la Cour sur les documents officiels qui lui sont présentés. Finalement, la parole est donnée à la défense. Me Biju-Duval demande à Monsieur Bizimana si, en sa qualité de Ministre, il se rend aux commémorations du génocide dans la préfecture de Gikongoro. Ce dernier répond par l’affirmative. L’avocat lui demande alors si, à ces occasions, il évoque ses considérations sur la responsabilité de Laurent Bucyibaruta. Le témoin lui répond qu’il n’a pas besoin de le faire car les témoins directs sont les premiers à soulever cette implication. Par la suite, Me Biju-Duval lui pose plusieurs questions sur la procédure qu’il a suivie pour obtenir les documents et les témoignages qui lui ont permis de construire sa note d’information sur le préfet à la fin des années 1990. Il soutient notamment que les propos qu’il a attribués à certains témoins ont ensuite été démentis par ces deniers. Monsieur Bizimana écarte ces insinuations en soutenant qu’il « rapporte les faits tels qu’ils ont été dits à ce moment-là », que le témoin est décédé et qu’« il n’est donc pas là pour évoquer ces souvenirs ». L’audition de ce témoin se termine finalement. Le Président Lavergne procède ensuite à la lecture des dépositions de plusieurs témoins qui n’ont pas pu être entendus afin de les verser aux débats.

Enfin, la journée se clôturera sur l’audition de Madame Laurence Dawidowicz, représentante de Survie. Cette dernière présentera l’association qu’elle représente, les raisons de sa création et les combats qui sont menés en son sein depuis plus de trente ans. Survie existait déjà en 1994, au moment du génocide et avait pour président Monsieur Jean Carbonare. Ainsi, dès le début des années 1990, l’association s’est investie dans le lancement d’alertes concernant les faits au Rwanda, parlant déjà de génocide, tant dans les sphères politiques et diplomatiques que sur les ondes publiques avec l’intervention de son président au journal de 20h sur France 2. Madame Dawidowicz présente donc l’évolution de l’implication de Survie dans la lutte contre l’impunité. Elle conclut en déclarant que « notre présence à ce procès n’est ni une revanche ni une vengeance. C’est une étape nécessaire pour faire avancer la vérité, pour obtenir la justice. Pour que les enfants des victimes ne tremblent plus en entendant les sifflets comme ceux des Interahamwe, pour que les enfants des tueurs sachent que le cycle s’est arrêté là ». L’audience est suspendue sur ces propos.

Le lendemain, le vendredi 1er juillet, la journée est banalisée pour le suivi médical de l’accusé. La Cour et les parties se réuniront donc de nouveau la semaine d’après afin d’entendre les derniers représentants d’associations parties civiles, de poursuivre l’interrogatoire du témoin et, enfin, de débuter les plaidoiries des avocats et les réquisitions du Ministère Public.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024