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A la lecture du jugement, il n’a esquissé aucun mouvement, aucune réaction. Mardi 12 juillet, après environ onze heures de délibérations, la cour d’assises de Paris a condamné Laurent Bucyibaruta, préfet rwandais pendant le génocide des Tutsi, à vingt ans de prison. L’ancien haut fonctionnaire, contre lequel le ministère public avait requis la réclusion à perpétuité, a été acquitté en tant qu’auteur de génocide mais reconnu coupable de « complicité de génocide et de crimes contre l’humanité », notamment pour les massacres de l’école de Murambi et les paroisses de Cyanika et Kaduha, le 21 avril 1994. Sur l’ensemble de sa préfecture de Gikongoro, située dans le sud-ouest du Rwanda, 125 000 Tutsi furent exterminés au cours du printemps 1994.
« C’est une relative déception », a déclaré Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), à la sortie du tribunal : « Le fait que l’accusé ne soit condamné que pour des faits de complicité n’est pas satisfaisant. » « C’est un soulagement, mais il laisse un goût amer », a déploré Etienne Nsanzimana, président d’Ibuka France, l’une des principales associations de victimes du génocide, également partie civile : « A l’heure de ce verdict, j’ai une pensée pour tous les nôtres qui, au cours des massacres, ont été condamnés à mort et sans aucun jugement. » La défense, qui avait demandé l’acquittement, a refusé de commenter le jugement.
Voix faible et monocorde
Commencé le 9 mai, ce procès était le quatrième en France en lien avec le génocide des Tutsi, le premier pour un haut responsable. C’est un homme affaibli de 78 ans qui s’est présenté chaque jour dans la salle d’audience, suite à une plainte déposée en 2000 par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’association Survie. Après avoir invariablement rangé sa canne sous le bureau de ses avocats, Laurent Bucyibaruta, réfugié en France depuis 1997, s’asseyait et écoutait les débats, s’assoupissant parfois. Lors de ses auditions, du lundi 4 au mercredi 6 juillet, il s’est exprimé d’une voix faible et monocorde.
Mais le temps n’a pas effacé les souvenirs de l’ancien fonctionnaire. Il a décrit ses réunions et ses déplacements vingt-huit ans plus tôt en fournissant moult détails sur son agenda. Il s’est par exemple rappelé ce 21 avril 1994, quand, quelques heures après le massacre de 40 000 Tutsi à Murambi, il était arrivé à la préfecture pour faire ses « correspondances » et son « courrier ». Au fil des quarante-et-un jours d’audience qui ont vu défiler 115 témoins, experts et parties civiles, il est apparu que Laurent Bucyibaruta n’avait rien perdu de ses facultés intellectuelles et qu’il avait affûté sa défense.
Alors que le Rwanda était plongé dans la nuit du génocide, l’ancien préfet a donné l’impression d’avancer sur une ligne de crête étroite et périlleuse. Sans doute éprouvait-il de la honte et du dégoût de devoir adhérer à cette machine génocidaire qui a fait un million de morts en trois mois. Il avait la possibilité de s’opposer à ce régime apocalyptique. Mais cette décision l’aurait alors fait passer, lui le haut fonctionnaire hutu marié à une femme tutsi, pour « un agent du Front patriotique rwandais », un mouvement politico-militaire composé de Tutsi.
Hanté par les « remords »
« Que vouliez-vous que je fasse ?, a-t-il martelé durant le procès. Que pouvais-je faire ? » En 1994, Laurent Bucyibaruta s’est probablement posé cette question cruciale. Il a finalement fait le choix de ne pas choisir. Sa préfecture, dont 75 % des résidents tutsi ont été exterminés, a reçu les félicitations du premier ministre de l’époque, Jean Kambanda – condamné depuis à la réclusion à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) –, pour son « efficacité » pendant les tueries de masse. Mais lui, le haut fonctionnaire, n’est jamais apparu comme un donneur d’ordre et n’a jamais appelé à la haine.
La solution aurait peut-être été de quitter ses fonctions et de fuir vers le Burundi, tout proche, ou le Zaïre (devenu la République démocratique du Congo). Plusieurs parties civiles lui ont reproché de ne pas l’avoir fait. « La voie de la désobéissance était possible, a plaidé Domitille Philippart, avocate du CPCR. Fidèle Uwizeye, préfet en poste à Gitarama, s’est opposé aux tueries avant de prendre la fuite. » Laurent Bucyibaruta a conservé son poste de préfet à Gikongoro : il n’a pas encouragé les tueurs, mais il n’a pas non plus regardé vers les collines où des dizaines de milliers de victimes agonisaient.
Dans ses derniers mots à la cour, il a exprimé pour la première fois des regrets et de l’empathie : « Je voudrais m’adresser aux rescapés du génocide et leur dire qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit de les abandonner aux tueurs… Est-ce que j’ai eu un manque de courage ? Est-ce que je pouvais les sauver ? Ce sont des questions, des remords, qui me hantent depuis plus de vingt-huit ans. Jamais je n’ai voulu la souffrance de ma population… A aucun moment je n’ai été dans le camp des tueurs. Je n’ai jamais accepté ces atrocités. »
Escorté par des gendarmes après l’énoncé du verdict, il a été incarcéré. L’ancien préfet de Gikongoro a dix jours pour faire appel de sa condamnation.