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La semaine commence lundi 20 juin par l’audition de Monsieur Japhet Gatazire, ancien secrétaire du préfet de Gikongoro. Ce dernier, cité par la défense, ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et préférera répondre aux questions de la Cour. Le témoin ayant travaillé avec Laurent Bucyibaruta de 1992 à 1994, le Président commence tout naturellement par l’interroger sur ses relations avec le préfet. Il expliquera qu’en 1992, la situation étant déjà tendue, « les gens ne se fréquentaient pas beaucoup ». Questionné ensuite sur les fonctions précises qu’il occupait à la préfecture, ce dernier explique qu’il était en charge du courrier et de la gestion des archives. Il précise cependant qu’il n’avait pas accès aux éléments confidentiels, tant entrants que sortants. Le Président le questionne ensuite sur la personnalité de différents subalternes du préfet. Il poursuit en lui demandant si l’administration avait donné les moyens pour l’ensevelissement des corps, si c’est effectivement la préfecture qui a sollicité et organisé l’envoi des engins du ministère des Travaux publics. Ce dernier dira : « Le préfet était supérieur, il pouvait le demander et on ne pouvait pas le refuser car le chef du service du ministère des Travaux publics avait pour supérieur hiérarchique le préfet ».
Enfin, après avoir relu plusieurs déclarations faites devant les enquêteurs du TPIR et avoir questionné Monsieur Gatazire dessus, le Président lui demande des renseignements sur les autorités de gendarmerie présentes. Ce dernier confirmera les dires de beaucoup de témoins rescapés, qui soutiennent que c’est un capitaine extrémiste, Sebuhura, qui avait en réalité pris les rênes de la gendarmerie locale, procédant à l’organisation des massacres. Cette affirmation n’est pas de bon augure pour l’accusé, ce dernier soutient qu’il a toujours été en contact avec un major modéré, Bizimungu, et qu’en ce sens, il ne relevait pas de sa compétence de sanctionner Sebuhura, mais que c’était de la responsabilité du supérieur hiérarchique de la gendarmerie, Bizimungu. Par la suite, la première juge assesseure questionnera plus en détail le témoin sur la présence ou non d’une ligne téléphonique à la préfecture. Ce dernier confirmera que le préfet possédait son propre téléphone et que ce dernier n’a pas cessé de fonctionner pendant toute la période du génocide. La parole est enfin donnée aux conseils des parties civiles. Seul Maître Gisagara souhaitera interroger Monsieur Gatazire. Il lui demandera notamment si le sort des quelques fonctionnaires tutsi de la préfecture de Gikongoro a été évoqué lors d’une réunion privée. Le témoin déclare que non, les autorités préfectorales n’ont jamais essayé de leur accorder une protection particulière. C’est ensuite le Ministère Public qui lui pose quelques courtes questions. La défense termine le tour d’interrogations et demande à l’ancien secrétaire de s’exprimer sur les deux épisodes où Monsieur Bucyibaruta aurait aidé des réfugiés tutsi à s’échapper. La déposition se termine à 12h15.
Quinze minutes plus tard, Monsieur Dominique Nsabimana est invité par le Président à se présenter avant de pouvoir être auditionné. Cet ancien secrétaire de la préfecture de Gikongoro ne souhaitera pas faire de déposition spontanée. Les questions qui lui sont posées sont très similaires à celles de l’audition précédente. Les deux témoins occupant le même poste durant la même période, l’objectif est surtout d’essayer de faire ressortir les similitudes entre chaque version. Monsieur Nsabimana confirmera ainsi que si les secrétaires se chargent effectivement du courrier du préfet, les documents confidentiels ne passent pas entre leurs mains. Quand il lui sera finalement demandé son avis sur le préfet Bucyibaruta, ce dernier dira « je ne dirais pas que le préfet se serait rendu coupable de tels faits de génocide et de ségrégation et je ne dirais pas qu’il y aurait des preuves tangibles ». Après deux questions de Me Tapi et Me Gisagara, conseils de parties civiles, le Ministère Public et la défense sont invités à poser leurs questions. Ces dernières porteront sur un point similaire, souvent évoqué lors de ce procès, la direction effective de la gendarmerie. En effet, deux personnalités sont souvent évoquées par les témoins et par Monsieur Bucyibaruta. Le premier, le capitaine Sebuhura, est particulièrement connu pour sa position extrémiste et ses agissements criminels lors du génocide. Le second, le major Bizimungu, responsable officiel de ces forces de l’ordre, ne s’est pas vu reprocher de participation quelconque au génocide. La question de savoir de qui était accompagné le préfet est particulièrement importante car elle permet de montrer avec quelle autorité ce dernier échangeait et à qui il confiait les responsabilités, tout en connaissant les positions de chacun. Sur ce point, le témoin confirmera l’omniprésence de Sebuhura auprès du préfet Bucyibaruta. Il est 13h20, la déposition se termine et l’audition est suspendue pour une pause méridienne.
À 14h35, l’audience reprend avec l’audition, depuis la Belgique, de Monsieur Nyangezi Masabo. Ce troisième témoin de la journée est cité par la défense. Lorsqu’il est invité par le Président à s’exprimer spontanément, ce dernier déclarera simplement qu’à l’origine il ne souhaitait pas intervenir dans ce procès mais qu’il a finalement accepté afin de ne pas « faire de difficultés ». Monsieur Masabo est hutu et il a fui sa résidence de Kigali avec sa famille aux alentours du 10 avril pour se réfugier dans sa région d’origine, la préfecture de Gikongoro. Comme il le déclare à la Cour, il verra plusieurs fois le préfet, se rendant chez lui pour avoir des facilités (utilisation du téléphone, cartes pour l’essence, etc.). Il explique qu’il a vu un préfet « impuissant », que « les cartes étaient redistribuées par d’autres gens, notamment les gendarmes ». Encore une fois, comme d’autres témoins cités par la défense, Monsieur Masabo va décrire Laurent Bucyibaruta comme « un ancien séminariste, comme un prêtre » parce qu’il avait beaucoup de calme. Quand le Président essaye ensuite de l’interroger sur les évènements qui se sont déroulés dans l’aire géographique ici pertinente, le témoin déclarera toujours qu’il n’avait pas connaissance de tels faits, qu’« il restait auprès de sa famille » et ne pouvait donc pas voir ce qu’il se passait. Il confirmera également, comme les témoins précédents, que l’ancien préfet Bucyibaruta était très fréquemment accompagné dans ses déplacements du capitaine de gendarmerie Sebuhura, dont il se rappelle du surnom, « Satan ». L’audition se poursuit avec la lecture d’extraits du livre d’Alison Des Forges, une historienne américaine spécialiste du génocide des Tutsi, tout en demandant au témoin de faire des observations. Ce dernier restera très concis, niant avoir été témoin de quoi que ce soit. Lorsque la parole est donnée aux conseils des parties civiles, Me Tapi demande à Monsieur Masabo si la maison du préfet était protégée par des gardes, ce à quoi il répondra que non, tout le monde pouvait avoir accès à son domicile. Ici la réponse est intéressante car, plusieurs fois depuis le début de procès, l’accusé a déclaré ne pas être en sécurité et devoir être protégé, présentant cela comme une des raisons pour lesquelles il n’a pas pu réagir aux massacres ayant lieu dans sa préfecture. Après que le Ministère Public ait demandé à l’intéressé s’il était membre de l’Akazu, (littéralement « petite maison » en Kinyarwanda), petit groupe très soudé proche du couple présidentiel, particulièrement d’Agathe Kanziga (femme de Juvénal Habyarimana), et que ce dernier ait répondu non, l’audition se clôture.
Après une courte suspension d’audience, c’est Monsieur Fidèle Uwizeye, fils de Laurent Bucyibaruta, qui s’approche de la barre. Convoqué par le Président, ce dernier est un témoin clé. Ne souhaitant pas faire de déclaration spontanée, il est directement interrogé. Les premières questions portent naturellement sur sa situation familiale, et notamment sur ses frères et sœurs, et les relations qu’ils entretiennent entre eux et avec leurs parents. L’audience comprend assez rapidement que les membres de la famille ne se parlent que très peu. Quand le Président Lavergne l’interroge sur sa mère, la réponse que Monsieur Uwizeye donnera interpelle l’ensemble de l’audience : « Votre mère est tutsi et sa famille a été décimée, c’est une famille qui a connu plusieurs fois des situations difficiles, confrontée à la mort des siens ? – Je ne l’avais jamais entendu ». Le Président continue ses questions sur ce sujet, essayant de mieux comprendre la situation. Le fils de l’accusé ne pourra pas développer davantage, ne se souvenant pas ou ne souhaitant pas s’exprimer. La Cour et les parties comprennent assez rapidement que, malheureusement, il ne ressortira sûrement pas beaucoup de détails de la bouche de ce témoin. Lorsque les questions se concentrent sur la période du génocide, il lui est demandé s’il y avait beaucoup de passage dans leur résidence, si effectivement le préfet a pu cacher beaucoup de monde et, si oui, qui étaient ces personnes et notamment à quelle ethnie elles appartenaient. Fidèle Uwizeye dira que « c’était beaucoup de gens, c’était [leur ethnie] mélangé ». Toujours interrogé sur des éléments de vie quotidienne pendant le génocide, il déclarera que la radio écoutée dans leur domicile était la RTLM. Peu avant la fin de l’audition, lorsqu’il est interrogé sur l’état de santé de sa mère, le témoin déclare que « le fait que mon père soit accusé de choses qu’il n’a pas commis […] qu’on dise qu’il ait participé aux tueries alors qu’il a essayé de faire tout son possible pour sauver ceux qu’il a pu et qu’il a risqué sa vie », aggrave sa santé. Finalement, c’est au tour des avocats des parties civiles de s’adresser au témoin. Me Philippart sera la seule à poser des questions. Elle lui demande pourquoi, si le site de l’ETO de Murambi était un lieu sûr pour protéger les Tutsi de la région, son père a décidé de ne pas les envoyer là-bas, lui et ses frères et sœurs, avec leur mère, pour les mettre en sécurité car leur domicile n’était pas gardé et que son père était soupçonné d’être un « complice des Inkotanyi » ? Il lui répond tout simplement que son père étant le chef de famille, il lui revenait d’évaluer la situation et d’agir en conséquence. A ce titre, il ne s’est jamais interrogé sur les décisions prises. Le Ministère Public continue en posant de nombreuses questions. Notamment, les avocates générales lui demandent si leur maison est grande, ce dernier répétant souvent qu’il n’était pas au courant de qui son père voyait et des moments où il était présent au domicile. Le témoin confirmera qu’effectivement « c’est très grand, quelqu’un pouvait arriver à la maison sans que je ne le sache ». La défense ne posera aucune question, l’audience se termine donc à 18h16.
Le lendemain, le mardi 21 juin, la journée d’audience commence par l’audition de Monsieur Juvénal Muhitira, ancien bourgmestre de Kivu, actuellement détenu à la prison de Nyamagabe, cité par le Ministère Public. Le témoin ne souhaite pas faire de déclaration spontanée, le Président procède donc directement à l’interrogatoire. Dans un premier temps, il l’interroge sur la situation dans la commune qu’il dirigeait, Kivu. Ces questions permettent de mieux analyser les déclarations de l’intéressé et de comprendre le fonctionnement administratif général du Rwanda durant les mois d’avril, mai et juin 1994. Monsieur Muhitira va notamment parler des « tensions politiques » existantes avant le génocide, tensions dues à la mise en place du multipartisme. Par la suite, le témoin est invité par le Président à s’exprimer sur le déroulement des premiers jours du mois d’avril 1994, juste après l’attentat sur l’avion du Président Habyarimana, sur son vécu personnel et sur la façon dont les violences se sont accélérées dans sa commune de Kivu et dans les localités avoisinantes. Un peu avant midi, la visioconférence est interrompue à cause de problèmes de connexion à Kigali. Le Président décide de suspendre l’audience pour leur permettre de régler ces contretemps. À 13h15, la caméra s’allume sur Monsieur Muhitira, permettant à la Cour de reprendre son audition. Ce dernier est toujours interrogé sur le déroulement des évènements durant le génocide. Il explique et décrit les tueries qui ont eu lieu dans sa commune, massacres ne faisant pas partie des faits étudiés dans le cadre du procès et reprochés à Monsieur Laurent Bucyibaruta. Cependant, cette présentation permet de comprendre la logique génocidaire et de démontrer aux jurés, n’étant pas des juristes ou des spécialistes du génocide des Tutsi, qu’il ne s’agissait pas de vagues de violences sporadiques, mais qu’il y avait véritablement une organisation minutieuse. Finalement, la parole est donnée à Me Karongozi et Me Quinquis qui posent quelques questions afin d’avoir certaines précisions sur ces déclarations. S’ensuivent quelques interrogations du Ministère Public qui souhaite apporter des éclaircissements sur les rencontres entre Monsieur Muhitira et l’ancien préfet de Gikongoro. Le témoin déclarera qu’ils ne se sont en effet pas vus souvent, la situation ne le permettant pas et que les trois seules fois où ils ont eu l’occasion d’échanger, le préfet était très occupé, ne pouvant ainsi pas lui accorder tout le temps nécessaire pour l’aider dans la gestion des massacres passés ou à venir. À 15h50, la déposition se termine et l’audience est suspendue pour une courte pause de 10 minutes.
C’est ensuite Monsieur Jérémiah Kamana qui est entendu depuis les Etats-Unis. Cet ancien employé de la banque commerciale de Gikongoro est cité par la défense. Comme les autres témoins cités par la défense, il se présente avec des feuilles devant lui. Il ne fera pas de déclaration spontanée et commencera directement à répondre aux questions du Président Lavergne. Quand ce dernier lui demande ce qu’il peut dire du caractère de Laurent Bucyibaruta, Monsieur Kamana répondra, sans grande surprise, que c’était quelqu’un qu’on désignait « comme ‘prêtre’ ou ‘abbé’, il se comportait vraiment comme un prêtre ». Plus personne, au sein de la salle Vedel, n’est étonné par cette déclaration. En effet, cet ancien employé bancaire est le troisième témoin de la défense à utiliser ce terme pour parler du préfet. A chaque fois, le vocable est le même et il n’est jamais utilisé par d’autres témoins. Le doute commence à s’installer sur la véracité de ces propos et ainsi sur la crédibilité à accorder à ces témoignages. Le Président Lavergne ne relève pas cette curieuse coïncidence et poursuit son interrogatoire, laissant le soin aux conseils des parties civiles de l’évoquer par la suite. Lorsqu’il interroge Monsieur Kamana sur ses rencontres avec le préfet, ce dernier va évoquer une réunion et, tout ce qu’il dira sur celle-ci, c’est que le préfet a été victime « de propos méchants, ce qui a fait que de toute ma vie je n’ai pas oublié cette réunion ». Le schéma des déclarations des témoins de la défense commence à apparaître assez clairement. Ceux-ci positionnent Laurent Bucyibaruta comme un homme bon et comme une victime. Il n’a pas pu participer de quelque façon que ce soit au génocide car il était « sage et calme » et s’il n’a pas pu agir, c’est parce qu’il était lui aussi en danger de mort. Le Président Lavergne laisse ensuite la parole aux parties. Me Quinquis prend la parole en premier. Il ne fait pas durer le suspense et demande directement au témoin : « Quels sont les documents que vous avez devant vous ? ». Ce dernier répondra que c’est sa convocation et un papier pour prendre des notes. L’avocat de la Licra poursuit en lui demandant si la comparaison avec un « prêtre » est courante au Rwanda pour désigner quelqu’un de sage. Le témoin hausse un peu le ton et déclare que non, « ce n’est pas un terme utilisé pour qualifier n’importe qui » et cela permet de décrire une « personne réfléchie, posée qui ne peut pas parler avec colère ». Après quelques questions de Me Gisagara et Me Karongozi, la déposition se termine finalement à 17h10.
C’est donc Jean-Marie Vianney Kabandana, dernier témoin de la journée, qui entre dans la salle d’audience. Cet ancien secrétaire de la commune de Gikongoro, cité par la défense, ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée. Il commencera par décrire des scènes de persécutions qu’il a pu observer avant le génocide et confirmera le caractère discriminatoire de ces dernières : « Oui, bien sûr qu’on arrêtait les Tutsi et qu’on laissait tranquille les Hutu ». Il poursuit ensuite en décrivant le déroulement des trois mois de génocide et particulièrement, les massacres de l’ETO de Murambi. Alors qu’il décrit le comportement des gendarmes, faisant des rondes dans les quartiers de Gikongoro pour appeler la population à dénoncer les « ennemis », le Président lui demande qui était le commandant de la gendarmerie locale. Ce dernier déclarera que c’est le capitaine Sebuhura, « je le connais, je l’ai vu maintes fois ». Par la suite, Monsieur Kabandana est invité à exposer à la Cour comment il a sauvé une jeune fille, Chantal Mukamana (rescapée entendue le 25 mai). Me Gisagara posera plusieurs questions au témoin. Celui-ci éclate en sanglot après que le Président lui ait souhaité un bon retour au Rwanda, l’audience est suspendue à 18h55.
Le troisième jour de la semaine, mercredi 22 juin, deux témoins cités par la défense doivent être entendus le matin. C’est tout d’abord Monsieur Venant Gakwaya, entendu par visioconférence, qui se présente à la Cour. Ce dernier a été juge au Tribunal de première instance pendant plusieurs années et a ensuite été commerçant pendant le génocide. Il commence par une courte déclaration spontanée afin d’expliquer comment il a pu rencontrer Laurent Bucyibaruta. Le Président Lavergne prend ensuite la parole afin d’interroger le témoin. Ce dernier a été condamné par les juridictions Gacaca à une peine d’emprisonnement à perpétuité, mais ne l’a jamais exécutée, étant en Belgique. Monsieur Gakwaya déclare n’avoir jamais participé au génocide et avoir, au contraire, caché environ 35 Tutsi dans son domicile à Butare. Sur ce point, il ajoute que les militaires des Forces armées rwandaises sont venus chez lui faire une fouille et que « par chance », ils n’ont trouvé personne. Cette déclaration laisse l’ensemble de la Cour et des parties assez perplexe, les militaires et les gendarmes étant plutôt connus pour leur zèle à cette époque. De telles déclarations remettent automatiquement en cause la crédibilité du témoin. Le Président ne posera pas beaucoup de questions, laissant rapidement la parole aux autres membres de la Cour et aux parties. Les conseils des parties civiles et le Ministère Public s’abstiendront d’interroger le témoin. Me Levy et Me Biju-Duval prennent donc finalement la parole. Après avoir demandé quelques précisions sur l’état de la procédure judiciaire à l’encontre de Monsieur Gakwaya, sur son appartenance au parti MDR Hutu Power en 1994, ils l’interrogent sur les observations de Monsieur André Guichaoua à son encontre. En effet, ce dernier présente le témoin comme un extrémiste MDR-Power qui aurait financé les Interahamwe et aurait tenu un rôle actif dans la mise en place et l’organisation de l’auto-défense civile. Monsieur Gakwaya nie ces déclarations. La déposition se termine sur ces questions.
C’est au tour de Madame Béatrice Kampirwa de venir répondre aux questions de la Cour. Cette dernière ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée. Ce témoin ayant travaillé comme secrétaire au Parquet de Gikongoro, le Président lui pose plusieurs questions sur les personnalités avec lesquelles elle a travaillé et sur l’état de fonctionnement du Tribunal et du Parquet durant les trois mois de génocide. Elle déclare que « quand cela s’est passé, beaucoup de bureaux ont fermé. Le travail s’est arrêté donc il n’y avait pas moyen d’aller travailler ». Plusieurs questions porteront ensuite sur des membres de sa famille, notamment sur sa sœur qui a fait le voyage de Butare jusqu’à Gikongoro pour la rejoindre. Les avocats des parties civiles ne poseront aucune question. Le Ministère Public lui demandera si sa sœur a pu lui raconter comment s’était déroulé son voyage, si elle a vu des barrières, si elle a été contrôlée, etc. Elle dira à chaque fois qu’elle ne sait pas. Enfin, la défense ne posera pas de question, la parole est donc donnée à l’accusé pour qu’il puisse s’exprimer. Ce dernier confirme effectivement avoir contacté plusieurs personnes, tous officiers de gendarmerie, pour pouvoir aider cette jeune femme et ses enfants et faire en sorte de les transporter jusqu’à Gikongoro. Cependant, il déclare que la mise en place d’une escorte de gendarmes ne ressort pas ici d’une réquisition de sa part en tant que préfet mais d’un arrangement entre personnes privées. Le Ministère Public prend ensuite la parole et demande à Monsieur Bucyibaruta pourquoi il a accepté de faire venir la sœur du témoin mais a refusé d’aider les personnes que Monsieur Gakwaya (premier témoin de la matinée) cachait chez lui. L’avocate générale lui rappelle que la différence principale qu’il y a entre ces deux sollicitations porte sur l’ethnie des bénéficiaires. La première est hutu et les seconds sont tutsi. L’ancien préfet réfute que la différence de réaction ait été influencée de quelconque manière par l’appartenance ethnique des intéressés. L’audience est finalement suspendue à 12h30.
L’après-midi est entièrement consacrée à l’audition de Monsieur Eric Gillet. Ancien avocat au barreau de Bruxelles, il a beaucoup travaillé sur les dossiers historiques de compétence universelle et intervient donc pour apporter son expertise sur le déroulé du génocide et sur l’analyse de l’autorité préfectorale dans l’organisation administrative du Rwanda à cette époque. Il commence sa déclaration spontanée à 14h15. Cette dernière visera majoritairement à présenter la situation au Rwanda durant les années ayant précédé le génocide, permettant de comprendre l’articulation entre les différents acteurs de ces crimes et la montée de la violence. Il se rend au Rwanda pour la première fois en 1991 à la demande de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme afin d’enquêter sur les massacres de Bagogwe. Monsieur Gillet est donc un témoin direct de la tension interethnique présente au Rwanda à cette époque et des persécutions subies par les Tutsi, déjà trois ans avant le génocide. Le Président lui demande ensuite s’il pense que les préfets en place en avril 1994 avaient réellement d’autres choix que coopérer ou fuir. S’ils ne risquaient pas de se faire tuer dans le cas où ils allaient à l’encontre de la machine génocidaire. L’ancien avocat lui répond que si effectivement un préfet tutsi a été tué à Butare, il existe des exemples de responsables administratifs qui ont refusé de coopérer. Par conséquent, il n’est « pas du tout sûr que si celui de Gikongoro avait refusé de coopérer, il aurait fini sans vie ». Quand la parole est donnée aux membres de la Cour, la première juge assesseure prend la parole et demande notamment au témoin s’il ne faut pas apprécier l’opposition au crime selon deux angles : l’utilité de cette dernière et le prix à payer pour cette résistance. Elle interroge donc Monsieur Gillet : « Sur le cas de Laurent Bucyibaruta, êtes-vous d’accord ou pas pour dire que, s’il s’était opposé frontalement aux massacres, est-ce qu’il y aurait eu un risque de mettre sa vie et celle de sa famille en danger et est-ce que cela aurait pu servir à quelque chose ? ». La question provoque un certain choc parmi les parties civiles. Le témoin répond que, dans un premier temps, l’implication de quelqu’un contre son gré est un élément qui « se lit dans le dossier ». La différence entre une action positive et une participation subie pour donner des gages est, dans un dossier aussi complet, généralement visible. C’est ensuite aux conseils des parties civiles de s’exprimer. Me Gisagara demande à Monsieur Gillet d’expliquer à la Cour comment l’analyse des récits des témoins a été réalisée dans les procès qu’il a pu suivre. Comment les juges arrivent à surmonter la difficulté de crédibilité causée par l’éloignement temporel entre les faits et le procès. Monsieur Gillet confie à la Cour qu’en réalité, alors qu’il était assez inquiet en tant qu’avocat des parties civiles, pensant que le jury ne croirait pas les témoins, que ce dernier « n’a pas été dupe en réalité […] il faut être conscient du processus qui amène ces victimes à modifier leur témoignage à la longueur du temps ». Par la suite, Me Foreman procède à la lecture d’un message adressé par le Premier ministre, Jean Kambanda, condamné à perpétuité par le TPIR le 4 septembre 1998 suite à un plaider-coupable, aux préfets fin avril 1994 et au courrier communiqué ensuite par le préfet Laurent Bucyibaruta à la population de sa préfecture pour transmettre les directives ministérielles. L’avocat demande ensuite à Monsieur Gillet de réagir aux termes de ce second document. Ce dernier déclarera qu’« il va dans la droite ligne de l’appel du Premier ministre […] Cela semble être une contribution très active au génocide. Un préfet n’était pas obligé de relayer de cette manière le discours, cela peut donc être considéré comme une contribution très active. Ce n’est pas une circulaire et une lettre de quelqu’un qui fait de l’obstruction ». La parole est ensuite donnée au Ministère Public qui lui pose plusieurs questions sur l’existence de « réseaux parallèles », souvent soulevée par la défense pour nourrir l’argumentaire de perte de pouvoir effectif de la part du préfet. L’ancien avocat répond qu’il n’est pas particulièrement expert sur ces questions mais que, selon lui, si les réseaux parallèles existaient effectivement avant le génocide, durant les trois mois de massacres, il est difficile d’utiliser cette notion. S’ensuivent des questions sur le rôle actif de Laurent Bucyibaruta, sur lesquelles Monsieur Gillet réitérera ses propos et répondra : « Ce que j’ai entendu dans cette audience, c’est qu’il était actif car il transmettait les ordres du gouvernement en disant de finir le travail, ce qui est contradictoire avec l’idée d’une fuite ». Enfin, c’est au tour de la défense de pouvoir s’adresser au témoin. Me Biju-Duval invite directement ce dernier à approfondir la « complexité rwandaise ». Il rappelle notamment que le TPIR n’a jamais retenu l’existence d’une entente en vue de commettre un génocide avant le 6 avril 1994 et que donc, il convient de relativiser l’idée selon laquelle la machine génocidaire a commencé à se mettre en place avant la chute de l’avion présidentiel. Monsieur Gillet lui rétorque que si c’est effectivement une vérité juridique, « le TPIR n’est qu’une juridiction et il s’est fondé sur les dossiers qui lui avaient été soumis ». Me Biju-Duval poursuit ensuite en proposant la lecture de plusieurs extraits du livre d’Alison Des Forges afin de contester la participation active de son client et de s’opposer aux affirmations tenues par le témoin plus tôt dans son audition. Finalement, à 18h30 l’audience est suspendue par le Président.
Le jeudi 23 juin, trentième jour d’audience, quatre témoins doivent être entendus par la Cour d’Assises de Paris. Tout d’abord, à 9h30, c’est Monsieur Claver Nkezabera, cité par le Ministère Public, qui viendra déposer. Il commencera par une déclaration spontanée très courte, présentant très rapidement son histoire. Ce dernier a été entendu plusieurs fois par les enquêteurs du TPIR et à deux reprises par les gendarmes français. Le Président Lavergne reprend ses différentes dépositions et demande au témoin d’expliquer dans quelles circonstances il a pu rencontrer le bourgmestre Semakwavu, bourgmestre ayant participé activement aux tueries. Ce dernier expliquera qu’il était venu pour lui décrire la montée de violence qu’il avait pu observer dans sa localité et pour lui demander d’agir afin de faire cesser ces crimes. Semakwavu lui répondra que ce sont les Tutsi qui les ont « provoqués en tentant de les tuer [les Hutu] ». Peu après, alors que les déclarations de témoins ne correspondent pas aux dépositions devant les enquêteurs, le Président lui demande s’il a des problèmes de mémoire. Ce à quoi Monsieur Nkezabera répond : « Oui et cela fait longtemps », donnant une clé de lecture à la Cour et aux parties sur la crédibilité à accorder à ses témoignages. S’ensuivent plusieurs questions du Président portant sur le parcours du témoin durant le génocide. Finalement, il laisse la parole aux conseils des parties civiles. Seul Me Foreman, avocat du CPCR, prendra la parole pour demander au témoin s’il était possible de prévoir l’attaque à Murambi, un des attaquants lui ayant conseillé de ne pas y aller car les réfugiés allaient être tués. Etonnamment, Monsieur Nkezabera répond que non, qu’ils pensaient vraiment pouvoir être protégés, mais qu’effectivement, peut-être que les attaquants savaient déjà qu’ils feraient un assaut sur le site de l’ETO. Le Ministère Public ne posera aucune question et la défense ne demandera qu’un petit éclaircissement. La déposition se termine et l’audience est suspendue pour une dizaine de minutes.
À 11h15, c’est Monsieur Pilote Nteziryayo, détenu à la prison de Nyamagabe, qui est entendu par le Cour, en visioconférence depuis le Rwanda. Il ne fera pas de déclaration spontanée, se soumettant ainsi directement aux questions de la Cour. Après avoir demandé à l’intéressé de se présenter plus précisément et de décliner sa situation en 1994, le Président lui demande s’il a pu assister à des réunions avec des autorités. Ce dernier confirme en disant qu’il est allé à une réunion à Nyamagabe le 20 avril et que cette dernière avait pour ordre du jour de préparer l’attaque du site de Murambi. Il ajoute également qu’à ce moment, il a été décidé de tuer une famille de Tutsi, accusée d’être complice des « Inkotanyi ». Enfin, il termine par présenter les personnalités présentes et confirme que le préfet Laurent Bucyibaruta était assis au podium. Il précisera cependant que ce dernier n’a pas pris la parole mais qu’il a été témoin auditif de tout ce qui s’est dit et témoin oculaire du meurtre d’une personne soupçonnée de complicité avec l’ennemi, sans jamais réagir. Par la suite, il parle d’une seconde réunion avec le Premier ministre, Jean Kambanda, lors de laquelle les autorités ont demandé à la population « de prendre des machettes et de débroussailler les lieux ». Suite à une incompréhension de la Cour sur la chronologie de tous les faits évoqués par le témoin, s’ensuit un échange afin d’arriver à éclaircir les déclarations. Enfin, il termine par évoquer une troisième et ultime réunion dont la Cour a souvent entendu parler. C’est un rassemblement de la population sur le marché, rassemblement lors duquel des menaces auraient été proférées à l’encontre de Laurent Bucyibaruta, l’accusant d’être un complice du FPR. Le témoin précise que ces propos ont été tenus après une collecte d’argent visant à financer et organiser la lutte contre l’avancée des « Inkotanyi ». L’ancien préfet n’aurait en effet donné que très peu d’argent par rapport à d’autres contributeurs, ce qui aurait provoqué la colère de certains membres de l’assemblée, prononçant ainsi des propos violents à son encontre. La parole est enfin donnée aux parties. Me Gisagara posera deux courtes questions sur les pressions que Monsieur Nteziryayo a subies au Rwanda. Ce dernier précisera que l’éloignement géographique de Monsieur Bucyibaruta ne l’empêche pas de garder beaucoup de pouvoir au Rwanda et de persécuter les témoins subtilement. Finalement, Me Biju-Duval demande à l’intéressé s’il a tué de ses mains pendant le génocide, ce que Monsieur Nteziryayo niera. L’audience est suspendue à 13h.
Après une pause méridienne d’une heure vingt, c’est Monsieur Emmanuel Habyarimana qui sera entendu, en visioconférence depuis la Suisse. Cet ancien général des Forces armées rwandaises (FAR) a connu Laurent Bucyibaruta lorsqu’il était en poste à l’Ecole Supérieure Militaire (ESM) à Kigeme. Le Président commence par lui poser plusieurs questions sur son parcours professionnel dans l’armée rwandaise. Petit à petit, en avançant dans les questions, le Président arrive à la date du 6 avril 1994 et interroge le témoin à ce sujet. Monsieur Habyarimana déclare : « Je suis convaincu que l’attentat a été commis par le FPR et j’ai des éléments qui permettent de le dire ». Cette affirmation vient donner le ton de la suite de la déposition. Le Président lit les déclarations faites précédemment par le témoin et lui demande s’il veut « dire qu’indirectement le FPR est responsable des massacres perpétrés par la suite ? », ce à quoi ce dernier répond « non, je ne sous-entends pas, je suis sûr qu’ils le voulaient comme ça ». Il précisera que si effectivement les Interahamwe et les tueurs possèdent aussi une responsabilité, pour lui, « la responsabilité suprême, c’est celui qui a envahi le pays ». Par la suite, le Président poursuit ses questions en se concentrant sur le moment où cet ancien militaire s’est rendu dans la préfecture de Gikongoro, à Kigeme. Il explique la complexité de la situation, l’impossibilité d’agir pour le préfet, la présence des militaires français de l’opération Turquoise, etc. Finalement, le Président procède à la lecture de la Déclaration des officiers des FAR du 7 juillet 1994 à Kigeme, document dont le témoin est l’un des signataires, et qui appelle notamment à la cessation des affrontements et à la création d’un Tribunal Pénal International. Monsieur Habyarimana déclare que c’est notamment à cause de ce document qu’il a été forcé de quitter le Rwanda, parce qu’il était alors considéré comme un traître. Lorsque le Président demandera au témoin s’il souhaite ajouter quelque chose avant de laisser la parole aux parties, ce dernier déclarera que « Monsieur Laurent Bucyibaruta est quelqu’un de bien […] la Cour devrait dire qu’il est innocent, qu’il n’a rien fait de mal ». Me Gisagara prend la parole et demande à Monsieur Habyarimana de rappeler la date à laquelle il est arrivé dans la préfecture de Gikongoro. Ce dernier ne peut pas dater précisément mais confirme que c’est environ à la fin du mois de mai. L’avocat lui demande alors s’il est vrai qu’il n’était pas présent dans les environs au moment des massacres de Kibeho, Cyanika, Murambi et Kaduha et qu’il ne peut donc pas attester du comportement du préfet lors de ces évènements. L’ancien militaire lui répond par l’affirmative, il n’était pas présent auprès du préfet. L’avocat des parties civiles poursuit et demande au témoin ce qu’il pense de la qualification de génocide. Ce dernier déclare, encore une fois à la grande stupeur de l’ensemble de l’audience, qu’« un génocide rwandais a été planifié et préparé pour permettre une prise totale du pouvoir par le FPR ». Le Ministère Public prend la suite mais l’avocate générale n’arrive pas à obtenir de réponse de la part de Monsieur Habyarimana, ce dernier répondant toujours à coté, allant même jusqu’à dire à l’avocate générale qu’elle devrait poser d’autres questions. Enfin, Me Biju-Duval est invité à pouvoir interroger le témoin. Celui-ci lui demande de décrire plus précisément comment l’ESM a collaboré avec le préfet Bucyibaruta et les militaires de la MINUAR et de l’opération Turquoise pour protéger les civils. L’audience est suspendue à 17h45 pour une courte pause de 10 minutes avant d’entendre le dernier témoin de la journée.
Monsieur Léonidas Nyilingoga, rescapé s’étant constitué partie civile, cité par l’association Survie, s’avance vers la barre. Il débute par une courte déclaration spontanée présentant brièvement son parcours durant les trois mois de génocide. Monsieur Nyilingoga connaît l’accusé depuis les années 1980 et a même invité ce dernier à son mariage. Le Président lui posera plusieurs questions afin de préciser le déroulement des évènements, particulièrement durant le mois d’avril 1994, ce dernier ayant été un témoin direct de l’attaque de Kaduha. Finalement, le Président déclare qu’au vu de l’heure, il est préférable de donner directement la parole à l’accusé. Les parties ne s’y opposent pas, Monsieur Bucyibaruta est donc invité à réagir. Il déclare de nouveau qu’il aurait bien voulu pouvoir aider le témoin et protéger sa famille mais que, malheureusement, « les circonstances étaient telles que je n’avais pas de moyen ni de pouvoir pour secourir les gens individuellement, ni à titre collectif ». Après que Monsieur Nyilingoga lui ai répondu que cela ne permettait pas de tout justifier et qu’il aurait pu agir en donnant des indications aux bourgmestres ou aux sous-préfets, l’accusé se contentera de répéter le même argument : « Les circonstances étaient telles que je ne pouvais pas affronter les forces du mal alors que je n’avais pas les moyens nécessaires pour les combattre ». Finalement, parmi les parties, seul Me Bernardini posera une question. L’audience est ainsi suspendue à 19h25.
Enfin, le vendredi 24 juin, dernier jour de cette septième semaine de procès, quatre témoins doivent être entendus par la Cour d’Assises. Le Président précise que l’un d’entre eux, Ildephonse Gasana, dont l’audition est demandée par la Licra, ne pourra pas se présenter à l’audience, son état de santé ne lui permettant pas. C’est donc Anastase Twagirashema, cité par le Ministère Public, qui viendra déposer en premier. Il commencera par une déclaration spontanée présentant comment il a pu assister à une réunion en présence de plusieurs autorités, notamment Laurent Bucyibaruta. Il déclare que, alors que le rassemblement avait commencé en présence de la population locale, au bout d’un certain temps, le préfet a demandé à tout le monde de sortir, afin qu’il ne reste que les représentants politiques et les responsables administratifs. Le témoin a attendu la fin de cette réunion, étant venu à l’origine pour procéder à un changement d’ethnie sur sa carte d’identité. Cette requête lui a finalement été refusée et il a été reconduit chez lui par un ami, un certain François Gasana, chef du MDR-Power. Ce dernier lui dit qu’il doit absolument se cacher car « il en est fini pour les Tutsi ». Le Président commence par interroger le témoin sur sa situation en avril 1994. Par la suite, il revient sur le déroulé des réunions évoquées par Monsieur Twagirashema, lui demandant de détailler qui était présent, ce qu’il s’était dit précisément. Ce dernier déclarera que si effectivement le préfet a invité les personnes réfugiées dans les églises, dans les écoles, etc., à se rassembler en un seul et même endroit pour assurer leur sécurité, ce dernier n’a jamais désigné nommément les Tutsi et a utilisé le terme de « réfugiés ». Il réfute avoir entendu Monsieur Bucyibaruta avoir des propos visant à tuer les Tutsi. Au moment où la population locale était présente, il s’est contenté de sécurité de façon globale. Ce n’est qu’après, selon ce que Monsieur Gasana lui a confié par la suite, que le préfet a incité les dirigeants politiques et administratifs locaux à tuer des Tutsi, ces derniers constituant une menace. En réaction à ces déclarations, le Président demande à l’accusé s’il se rappelle avoir présidé cette réunion. Monsieur Bucyibaruta nie avoir organisé ou participé à un tel évènement. Enfin, la parole est donnée aux autres membres de la Cour. Seule la première assesseure posera une question, demandant à l’accusé pourquoi la décision de rassembler les réfugiés à Murambi n’a pas été retranscrite dans un communiqué de Radio Rwanda alors que c’est une décision particulièrement importante. L’ancien préfet ne répondra pas clairement à la question, détournant chacune de ses réponses. Les avocats des parties civiles essaieront ensuite de revenir sur cette interrogation, sans grand succès. Le Ministère Public est ensuite invité à questionner le témoin et l’accusé. L’avocate générale lui demandera s’il était au courant de tentatives de modification de la mention ethnique sur les documents d’identité. Il répondra que non, il n’a jamais été confronté à de telles demandes, que dans tous les cas elles ne rentrent pas dans ses prérogatives mais dans celles des bourgmestres et, enfin, que la mention ethnique n’a pas été mise en place dans « l’objectif de faire du mal à qui que ce soit ». Le Président reprend la parole et demande à l’accusé s’il était au courant du fait que les cartes d’identité devaient être présentées aux barrières et que l’identification de l’appartenance ethnique permettait aux tueurs de sélectionner leurs victimes et ainsi de massacrer les Tutsi. Monsieur Bucyibaruta répétera qu’il l’ignorait. La défense prend enfin la parole et rappellera à la Cour que le témoignage de ce témoin dans le cadre du procès d’Aloys Simba devant le TPIR a été jugé non fiable par les juges. Me Foreman prend la parole et déclare que la non-fiabilité ne concernait qu’un élément particulier qui n’est pas celui qui intéresse la Cour en l’espèce. L’audience est suspendue et elle reprend une dizaine de minutes plus tard afin d’entendre Monsieur Marcel Bangagatare, en visioconférence depuis la Belgique. Cet autre témoin cité par la défense ne fera pas de déclaration spontanée et préférera répondre directement aux questions de la Cour et des parties. Le Président lui demande s’il a pu voir Laurent Bucyibaruta durant le génocide. Ce dernier explique qu’il est arrivé à Gikongoro depuis Kigali le 13 avril, fuyant car il faisait partie de l’opposition politique à cette époque. Il déclarera que « Laurent Bucyibaruta était dépouillé de toute autorité », que c’est le « comité de défense qui décidait de la vie ou de la mort des présumés complices du FPR ». Le Président lui posera de nombreuses questions sur ces organisations qui possèderaient, selon le témoin, l’autorité effective. Monsieur Bangagatare évoque notamment un certain « Comité du Salut ». Quand le tour de parole commence, c’est Me Foreman qui s’approche du micro en premier. Il décrit au témoin le refus de Monsieur Bucyibaruta d’aider un de ses sous-préfets, tutsi, et de donner suite à ses alertes sur les massacres dans les collines, allant même jusqu’à prononcer un blâme à l’encontre de ce dernier. Il demande ensuite à Monsieur Bangagatare de réagir à cette attitude. Celui-ci se dit étonné par cette information. Me Gisagara prend la suite et demande au témoin de confirmer qu’il n’est arrivé à Gikongoro qu’à la fin du mois de mai 1994, et que, par conséquent, il n’était pas présent lors des différentes attaques majeures, ne pouvant pas attester du comportement du préfet à ces moments. Ce dernier déclarera que « le connaissant, Bucyibaruta ne pouvait pas cautionner cela », et finira finalement par acquiescer quand l’avocat lui opposera que c’est son opinion mais qu’en réalité, il ne peut pas savoir. Le Ministère Public demande ensuite si le préfet possédait, lors du génocide, une escorte tant lors de ses déplacements qu’à son domicile. Monsieur Bangagatare répond par la négative. L’avocate générale souligne alors la contradiction de cette situation : « Un préfet qui n’a pas d’autorité peut être menacé et nécessiter une escorte ». Pour la défense, Me Biju-Duval procédera à la lecture d’un document présent au dossier et interrogera le préfet sur ce dernier. La déposition se termine à 13h15 et l’audience est suspendue.
À 14h34, le Président Lavergne décide de poursuivre l’interrogatoire de personnalité de l’accusé. Une des avocates générales fait lecture d’une déclaration d’André Guichaoua concernant Monsieur Bucyibaruta, « la vertu qu’on apprécie chez lui à mon avis, c’est le service », et demande à ce dernier ce qu’il pense de ces dires. Il dira qu’effectivement, il « était au service de tout ce qu’il pouvait faire ». Ensuite, le Ministère Public lui demande également d’éclairer la Cour sur une note qui a été trouvé dans son journal : « Samedi 4 septembre 1999. Mr Xavier Verschave, Président de Survie, et un Rwandais exilé en Ouganda dans les années 60 ont donné une conférence ‘Rwanda : un génocide sur la conscience’. Ils ont surtout insisté sur la responsabilité de la France et de l’église catholique, ne parlant bien évidemment que du seul génocide des Tutsi ». L’accusé ne répondra pas à la question. Enfin, l’avocate générale lui demande de préciser la nature de ses relations avec Aloys Simba qu’il a recontacté quand il était en France et sur une phrase qu’il a rédigée dans une ses lettres : « Dis-lui qu’il n’y a aucun arbre ici et que j’en suis étonné ». Monsieur Bucyibaruta dira que le terme d’arbre est utilisé fréquemment en Centrafrique pour désigner les lieux depuis lesquels ils pouvaient envoyer des courriers et téléphoner. Le Président reprend finalement la parole et demande à l’accusé de décrire les liens qu’il entretient avec ses enfants. En effet, pendant la déposition de son fils, il était perceptible que les échanges entre les membres de cette famille étaient assez rares et que beaucoup de sujets n’étaient pas abordés, tout particulièrement celui du génocide. L’interrogatoire se termine à 15h32 et le Président décide de procéder au visionnage du documentaire « Tuez-les tous ! ». Aucune observation ne sera faite, les images de ce film ayant choqué l’ensemble des membres de la Cour et des parties.
Enfin, à 17h25, après dix minutes de pause, le dernier témoin de la semaine Pierre-Damien Nzabakira, cité par la défense, est invité à s’avancer au milieu de la salle d’audience. Après avoir prêté serment, il fera une courte déclaration spontanée. Le Président lui demandera directement de décrire ses relations avec Laurent Bucyibaruta en détaillant la façon dont ils se sont rencontrés. Monsieur Nzabakira était responsable d’un centre d’accueil de la Croix-Rouge et il était chargé de l’encadrement des jeunes adolescents. Il explique plus précisément le déroulement des jours ayant suivi la chute de l’avion présidentiel, le 6 avril 1994. Son récit ressemble à celui de beaucoup d’autres témoins. Il décrit ensuite comment il est allé voir le préfet pour lui demander de l’aider à procéder à l’évacuation de ces enfants. Ce dernier mettra à sa disposition un camion et une escorte de quelques gendarmes. Il souligne que c’est grâce à cette intervention que les enfants, tous hutu, ont pu rejoindre le Burundi en vie. Le Président termine son interrogatoire en rappelant que le préfet Bucyibaruta a fait une attestation en faveur de l’accusé pour l’OFPRA, déclarant que ce dernier n’avait jamais été impliqué dans le génocide. Lorsque la parole leur est donnée, les parties civiles décideront de ne pas poser de question. Le Ministère Public demandera au témoin si cette aide apportée par le préfet n’était pas, en réalité, réalisée afin de redorer son image, comme il a été fait à de nombreuses reprises au Rwanda, à partir du moment où la communauté internationale a commencé à poser les yeux sur cette partie du globe. Finalement, la défense prendra la parole et demandera quelques précisions sur l’évacuation des enfants. L’audience est suspendue à 19h25.