Fiche du document numéro 30306

Num
30306
Date
Vendredi 24 juin 2022
Amj
Fichier
Taille
26352
Pages
2
Urlorg
Titre
Un témoin doublement capital au procès du plus haut responsable rwandais jamais jugé en France pour génocide
Sous titre
C'était ce mardi 21 juin 2022, après 5 semaines d'audience et alors que le verdict est attendu le 12 juillet prochain. A la barre ou en visio, des témoins en défense de l’accusé, l'ancien préfet Laurent Bucyibaruta.
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L’un des témoins cités en ce début de semaine se révèle être un personnage clé, et ce à plusieurs titres, de ces assises qui se tiennent à Paris. Son nom : Muhitira Juvénal.

Un début d’audience perturbée



Les magistrats, les jurés, toutes celles et ceux qui suivent ce procès ont dû s'accrocher lors de cette audition en visio-conférence,qui a duré plus de 5 heures. Muhitira Juvénal est apparu vêtu d’une chemise rose, tenue habituelle des prisonniers au Rwanda. Ce témoin-détenu a été condamné pour sa participation au génocide des Tutsis en 1994, ce qu'il conteste encore aujourd’hui, et ce depuis le début. Il dit qu'il a été condamné « pour ne pas avoir su protéger sa population », qu'il n'a jamais tué ou fait tuer la moindre personne. Mais cette fois, l'ex-bourgmestre rwandais n'est pas entendu pour ça. C’est sa position d'ancien maire de ville de Kivu qui intéresse la cour, afin qu’il s’explique sur la relation qu’il a entretenue durant le génocide avec le préfet Bucyibaruta.

Mais dès le milieu de la matinée, une coupure de la liaison internet interrompt l’audition. Ce n’est que la première d’une série… A la quatrième interruption, le président de la cour d'assises exprime tout haut son désarroi. Il faudra attendre le milieu d'après-midi pour que tout fonctionne correctement. Muhitira Juvénal, âgé aujourd'hui de 61 ans, raconte alors comment en avril 1994, au plus fort des tueries, il n'avait plus de policiers municipaux à sa disposition pour tenter de ramener un semblant de calme dans sa commune ; et comment il s’est rendu, à plusieurs reprises et à ses risques et péril, à la préfecture de Gikongoro. Il dit y avoir rencontré Laurent Bucyibaruta qui lui semblait « préoccupé » par les massacres en cours. Il considère avoir alors vu un préfet « plein de sagesse » mais « impuissant » qui a appelé personnellement un commandant de la gendarmerie pour tenter d'envoyer des renforts. A chaque nouvelle tentative du Préfet, l’ex-maire rapporte avoir entendu la même réponse : « les gendarmes sont au front » ; des gendarmes qui dépendaient du ministère de la Défense lors de cette période de guerre.

Un témoignage à décharge pour l'accusé, mais jusqu'à quel point ?



Selon un des avocats de la défense, qu’un ancien maire emprisonné au Rwanda ose ainsi ouvertement défendre un ancien préfet poursuivi pour génocide et complicité de génocide -- en l’occurrence, son client Laurent Bucyibaruta --, est un acte rare qu’il interprète comme une preuve de courage et de « sincérité », 28 ans après les faits.

Une représentante des parties civiles pense logiquement tout le contraire… mais trouve ce témoignage « capital », elle aussi. On voit bien, dit-elle, « comment un bourgmestre, au péril de sa vie, vient le voir à plusieurs reprises, en plein génocide », ce qui est la preuve que la préfecture était bien le cœur du pouvoir local et donc de la « machine à tuer » hutu…

Comme l'ont souligné plusieurs témoins cités par les parties civiles ces dernières semaines, le préfet Bucyibaruta a en effet su, par moment, envoyer des gendarmes en renfort. Ce fut le cas à l'école Marie Merci à Kibeho notamment. Mais au lieu de sécuriser et protéger, ils ont participé à l'exécution de 90 élèves. Certes, le préfet n’était pas sur place.

De sa voix chevrotante et éraillée mais à l'expression très précise, Laurent Bucyibaruta, 78 ans, marié à une tutsie, père de 8 enfants, déclare qu'il ne se sentait pas à l'époque la « force de protéger » les gens comme il l'aurait voulu. Il y a dix jours, l'accusé a souhaité du « bonheur » à une rescapée des massacres. Mais à aucun moment, l'ancien préfet n'a condamné les bourreaux, à commencer par les gendarmes qui étaient en partie sous ses ordres...
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024