Fiche du document numéro 30305

Num
30305
Date
Jeudi 23 juin 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
83761
Pages
18
Urlorg
Titre
Procès Laurent Bucyibaruta aux Assises de Paris. Semaine 6 : Lundi 13 juin – Vendredi 17 juin 2022
Sous titre
Ibuka France vous propose un « bulletin » hebdomadaire sur le déroulé du procès de Bucyibaruta du 9 mai au 12 juillet 2022 aux Assises de Paris.
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le lundi 13 juin est la dernière journée consacrée à l’étude des faits commis à la paroisse de Kaduha.

À 9h30, la première des quatre auditions de la journée a lieu en visioconférence depuis le Rwanda. Madame Véréna Mukaremera, témoin et partie civile citée par la CRF, commence son audition par une déclaration spontanée assez conséquente. Elle raconte les déferlements de violence qui ont suivi la mort du président Habyarimana, les conditions de vie au camp de réfugiés de la paroisse et, enfin, l’attaque du 21 avril. Durant cette nuit, elle a perdu ses huit enfants et son mari. Laissée pour morte par les attaquants, elle a observé les tâches d’enfouissement des corps dans les grandes fosses communes qui avaient été creusées pour cela en amont de l’attaque. Plusieurs jours après, elle réussit finalement à quitter Kaduha pour se réfugier dans les bois. Des Interahamwe finissent par la retrouver et décident de l’enterrer vivante. Grâce à sa force d’esprit elle parvient à rassembler les forces nécessaires pour sortir de ce trou. Elle essaye finalement de se rendre chez Sœur Milgitha, manœuvre rendue impossible par des gardes postés à l’entrée de la maison de la religieuse. Madame Mukaremera repart donc pour plusieurs jours d’errance dans les bois de Kaduha à se cacher. Enfin, ne pouvant plus survivre dans les collines, et ayant besoin de soins pour ses blessures, elle retourne chez Milgitha. Cette fois-ci, un des employés s’est interposé face aux autres pour qu’ils la laissent entrer. Quelques jours plus tard, des soldats de la MINUAR arrivent à la paroisse et conduisent les rescapés à Murambi. Finalement, d’autres véhicules arrivent afin de les emmener à Butare, zone sous le contrôle des Inkotanyi. Le Président Lavergne prend donc la parole et interroge le témoin. Comme à son habitude, il commence par poser quelques questions sur sa situation personnelle, sur Laurent Bucyibaruta et sur les autres personnalités de la province de Gikongoro. Les conseils des parties civiles prennent la suite. Me Gisagara demande à l’intéressée pourquoi elle n’est jamais retournée vivre à Kaduha après 1994. Cette dernière lui explique qu’après 1994, des Tutsi ont continué de se faire tuer, les obligeant à fuir dans des pays ou des préfectures où on ne les connaissait pas. Comme le dit l’avocat de la CRF « vous êtes survivant-es du génocide mais vous avez aussi failli vous faire tuer après 1994. C’est vous qui fuyez et pas les tueurs ». La parole est ensuite donnée au Ministère Public qui pose plusieurs questions sur un piège à l’encontre des Tutsi mis en place à la sous-préfecture de Kaduha, permettant ainsi de montrer l’implication des autorités. Finalement, c’est à la défense de poser ses questions. L’audition se termine.

Le second témoin de la matinée, Ignace Musangamfura, également témoin et partie civile, entre dans la salle d’audience. Tout comme madame Mukaremera, il commencera en exposant une déclaration spontanée. Le témoin n’était pas avec sa famille au début du génocide. Interne dans une école, il n’a pas pu retourner chez lui au début du mois d’avril. Il a donc vu sa famille fuir et se rendre à la paroisse sans pouvoir les rejoindre. Le 21 avril, il a entendu le bruit des balles et a vu une partie de l’attaque, « c’était apocalyptique ». Finalement, le 26 avril, cinq jours plus tard, alors que les relations entre élèves et avec les professeurs se dégradent fortement, Monsieur Musangmfura et sept de ses camarades décident de s’enfuir de l’école afin de se rendre au Burundi. Après plusieurs péripéties, ils arrivent à Murambi début juillet, et ils finissent par monter dans un camion pour Butare, afin de rejoindre la zone tenue pas les Inkotanyi. Comme pour beaucoup d’enfants qui se sont retrouvés orphelins en 1994, le calvaire ne s’arrête pas avec la fin du génocide. Le Président l’interroge ensuite sur plusieurs points, toujours majoritairement sur les personnalités de la région et les différents rapports de force entre eux, afin de recouper toutes les dépositions. Me Gisagara et Me Karongozi poseront quelques questions à Monsieur Musangamfura afin d’apporter des éclaircissements sur plusieurs points. Le Ministère Public et la défense s’abstiendront d’intervenir. La matinée se termine et l’audience est suspendue pour la pause méridienne.

En début d’après-midi, elle se réouvre sur l'audition de Monsieur Alphonse Gahunzire, également témoin et partie civile dans ce procès. Comme les témoins du matin, Monsieur Gahunzire commence sa déposition par une déclaration spontanée. Dès le 9 avril, il se réfugie à la paroisse de Kaduha avec toute sa famille. Il décrit le manque de nourriture et d’eau qu’ont subi les réfugiés, et l’inaction des autorités locales et préfectorales. Il précise que le 18 avril, il a été ordonné aux Tutsi de creuser des trous pour en faire des latrines. En réalité, ces dernières ne seront jamais utilisées à cette fin, ils serviront de fosses pour enfouir les cadavres après la grande attaque. Il a réussi à s’échapper de la paroisse et, comme beaucoup d’autres, il a erré et s’est caché pendant les semaines qui ont suivi, trouvant finalement les soldats du FPR qui le sauvèrent. Le témoin termine sa prise de parole en déclarant qu’il ne connaît rien des circonstances de la mort des membres de sa famille, qu’il n’a pu enterrer les siens dignement, ce qui l’amène aujourd’hui à témoigner, pour apporter des éclaircissements à ce qu’il s’est passé à Kaduha. Le Président Lavergne commence ensuite son interrogatoire. Il demande notamment à Monsieur Gahunzire si ce dernier a pu voir le préfet Bucyibaruta pendant le génocide. Ce dernier évoque une réunion que l’accusé a tenue un ou deux jours avant la grande attaque, sans pour autant pouvoir donner beaucoup de détail car il n’était pas personnellement présent, il l’a appris de la bouche d’autres réfugiés. C’est ensuite à Me Gisagara que la parole est donnée. Après quelques questions, le Président se tourne vers le Ministère Public pour qu’il puisse poser ses questions, portant notamment sur l’identification du nombre de réfugiés présents à la paroisse, interrogation à laquelle le témoin déclarera ne pas pouvoir répondre, ils étaient trop nombreux. Enfin, la défense ne souhaitera pas poser de questions au témoin. L’audition se termine ainsi et c’est finalement au tour de l’ultime citation de la journée d’être entendue par la Cour d’Assises.

Madame Azena Ibyimana Kabirigi est auditionnée par visioconférence depuis les Pays-Bas. Elle est la première rescapée à s’exprimer sur les faits survenus à l’école Marie-Merci de Kibeho, où environ 90 élèves ont été tués. Sa déclaration spontanée sera très courte, elle ne rentrera pas dans la description de l’attaque sur l’école, mais racontera uniquement comment et quand elle a été amenée à voir le préfet Bucyibaruta. Le Président Lavergne prend ainsi le relai pour approfondir les déclarations de Madame Ibyimana Kabirigi. Il demande notamment de décrire les tensions qui pouvaient exister entre les élèves hutu et tutsi avant et pendant le génocide. Pour appuyer ces précisions, le Président procède à la lecture d’extraits de pièces du dossier. Le témoin dira « les élèves [hutu] ont joué un rôle. Parmi eux, il y avait des externes, ceux-là allaient tuer et après quoi ils venaient au sein de l’école et sensibilisaient ceux qui étaient à l’école ». La participation de ces élèves était bien connue de tous et aucune sanction n’a été prise à leur encontre. Le Président lui demande également de donner des précisions sur la personnalité des autorités religieuses et professorales présentes à l’école Marie-Merci, sur le déroulé exact des jours ayant suivi la mort d’Habyarimana, avant la grande attaque, afin de permettre à toute la Cour de bien comprendre le contexte.

Enfin, le Président revient sur l’arrivée de Laurent Bucyibaruta à l’école et sur les propos qu’il a pu tenir à ce moment. Madame Ibyimana Kabirigi déclare qu’il aurait répondu aux élèves ne pas pouvoir apporter de solutions aux mauvaises conditions de vie car « il avait été démontré que nous collaborions avec les Inyenzi ». Le Président procède à la lecture de l’audition du témoin par les enquêteurs du TPIR afin de permettre à cette dernière de pouvoir s’exprimer sur les réponses qu’elle avait données. Enfin, la parole est donnée aux parties civiles. Me Gisagara, mis en garde par le Président qui lui précise que ses questions doivent être courtes et sans commentaires, demande à l’intéressée d’apporter des éclaircissements sur les persécutions subies par les élèves tutsi. Le Ministère Public prend le relai posant également des questions sur la situation avant le génocide. Enfin, c’est Maître Levy, conseil de la défense, qui sera invité à s’adresser au témoin. Il commence par lire une déclaration de Madame Raffin portant sur les tensions entre les élèves hutu et tutsi et demande à l’intéressée de réagir à ces propos. Le témoin s’oppose formellement à ces propos et les dément.

Le lendemain, le mardi 14 juin, trois témoins seront entendus par visioconférence à propos des faits s’étant déroulés à l’école Marie-Merci de Kibeho. Tout d’abord, la Cour entendra Pascal Rwayitare, dont la citation est demandée par le Ministère Public. Ce premier témoin ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée. Le Président Lavergne entame donc son interrogatoire dès 9h30. Il pose plusieurs questions sur les fonctions occupées par Monsieur Rwayitare durant le génocide. Ce dernier travaillait dans le service préfectoral chargé de l’éducation, ses bureaux étaient donc voisins de celui de Monsieur Bucyibaruta. Il poursuit en lui posant des questions de contexte afin de pouvoir confirmer les propos des précédents témoins et permettre à la Cour de mieux saisir la localisation spatio-temporelle des évènements de Marie-Merci. Le Président demande également au témoin si ce dernier peut qualifier les massacres et s’il peut désigner la population qu’ils visaient. Ce dernier lui répond que, si en avril 1994, on ne parle pas encore de génocide, « par après, on nous a expliqué que de tels massacres qui visaient un groupe déterminé, c’est un génocide ». Il poursuit en disant que « ceux qui étaient visés à ce moment-là, dans ce but, étaient connus de ceux qui commettaient les massacres [tensions de voisinage], mais par après, il a été constaté que ce qu’ils visaient, c’était leur extermination ». En continuant sur l’ampleur des massacres, le témoin finit par dire que les massacres de Murambi, Cyanika et Kaduha étaient « prévisibles puisque si les gens s’étaient réfugiés à Cyanika et avaient été tués, puis à Kaduha et également tués, on ne pourrait pas ne pas penser que d’autres s’étaient également réfugiés à Kibeho pour être tués ». Cette réponse est particulièrement importante dans ce procès, un des arguments de la défense reposant sur l’imprévisibilité de ces massacres, sur l’impossibilité pour le préfet Bucyibaruta, ne faisant pas partie des organisateurs, de savoir que de telles tueries allaient avoir lieu. Le Président poursuit en centrant ses questions sur l’école Marie-Merci. Monsieur Rwayitare est interrogé sur la réunion qui s’est tenue sur le site de l’école, en présence des autorités administratives et religieuses locales, dont le préfet Bucyibaruta. Il déclare que l’accusé avait pour volonté que les élèves hutu et tutsi de l’établissement recommencent à « vivre-ensemble » et que les étudiants tutsi devaient être « protégés ». Cependant, face à l’inquiétude des élèves hutu, persuadés que leurs camarades tutsi voulaient les empoisonner, c’est à leur protection que les gendarmes ont été affectés. Pour permettre au témoin de se prononcer sur ses dépositions précédentes, devant les enquêteurs français, le Président procède à la lecture des procès-verbaux de ces dernières. À la fin de celle-ci, la parole est donnée aux parties afin qu’elles puissent, à leur tour, poser leurs questions. Tout d’abord, la première juge assesseur interroge Monsieur Rwayitare plus précisément sur la réunion en présence de l’ancien préfet, sur les moyens de déplacements des différents protagonistes, sur les solutions trouvées avec les élèves hutu, etc. Ensuite, c’est Me Gisagara qui s’approche du micro pour questionner le témoin. Il lui demande notamment s’il pense que les massacres étaient « le fruit du hasard ou si c’était quelque chose d’organisé ». Ce à quoi l’intéressé répond : « oui si on analyse et qu’on essaie de remettre les choses ensemble, on voit bien que c’était organisé ». Il poursuit en lui demandant si, selon lui, le préfet Bucyibaruta pouvait ignorer ce plan, notamment avec à sa disposition un service de renseignement préfectoral. Monsieur Rwayitare reconnaît que « sûrement qu’il avait les informations, […] parce que vous ne pouvez pas être préfet et avoir tous ces services qui vous donnent des rapports et ne pas avoir ces informations ». Le Ministère Public prend la suite et pose quelques questions à l’intéressé. Enfin, la défense prend le relai. Sur des interrogations de Me Biju-Duval, le témoin termine son audition en soutenant que « je pense toujours que s’il [Laurent Bucyibaruta] a pu emmener cette personne de la gendarmerie jusqu’à ce qu’il accepte d’assurer la sécurité de ces élèves, c’est parce que c’étaient les moyens qu’il avait. Pour moi, il a fait ce qu’il a pu ». Il est 13h24, la matinée se termine et le Président suspend l’audience.

En début d’après-midi, c’est Monsieur Silas Nsanzabagangwa qui est entendu par la Cour d’Assises. Ce témoin, cité par le Ministère Public, souhaitera commencer par une déclaration spontanée. Il s’exprimera beaucoup sur Monsieur Innocent Bakundukize, ancien agronome devenu ensuite bourgmestre pendant le génocide ayant participé très activement au génocide des Tutsi dans la préfecture de Gikongoro. Il développe une longue présentation des faits, réussissant à nommer bon nombre de protagonistes. Malheureusement, le prochain témoin devant être entendu depuis l’Italie, le Président est dans l’obligation d’interrompre la déposition et reporter son audition à une date ultérieure. Après une longue suspension d’audience due aux problèmes de connexion avec la Cour italienne, la caméra s’allume finalement sur Emmanuel Uwayezu, témoin d’importance dans ce procès puisqu’il était le directeur de l’école Marie-Merci aux mois d’avril, mai et juin 1994. Il fera une déclaration spontanée très courte, se contentant de dire que « Monsieur Bucyibaruta […] était intègre et pas caractérisé par la méchanceté. Chaque fois que je le voyais, je n’ai pas vu qu’il était animé par une haine des Tutsi ». Le Président poursuit donc avec l’interrogatoire du témoin. Il lui pose beaucoup de questions sur la situation à l’école Marie-Merci avant le génocide et sur l’attaque à l’église de Kibeho, adjacente à l’école. Il lui demande notamment comment ont agi le préfet Bucyibaruta et les personnes qui l’accompagnaient lorsqu’ils se sont rendus sur place après le massacre. Monsieur Uwayezu rétorque que « quand ils [les attaquants] constataient la compassion dont faisaient preuve le préfet et l’évêque, les autres les traitaient d’inyenzi ». Le Président poursuit en interrogeant le témoin sur le déroulement des évènements à l’école, la montée des tensions entre élèves hutu et tutsi, la fuite des étudiants tutsi dans l’école adjacente, la participation des élèves et professeurs hutu aux différentes attaques, etc. Le prêtre soutiendra tout au long de l’interrogatoire que jamais un élève de Marie-Merci n’a participé aux attaques et que personnellement, il a toujours tout mis en œuvre pour protéger ses « enfants ». Le Président Lavergne l’interroge donc longuement sur ses différentes tentatives d’amélioration de la situation. Si les propos de Monsieur Uwayezu ne semblent pas totalement incohérents, certaines affirmations semblent difficilement crédibles et ne seront effectivement pas corroborée par les témoins entendus les jours suivants. Finalement, le Président laisse la parole aux autres membres de la Cour et aux parties. Me Tapi et Me Karongozi poseront plusieurs questions au témoin, soulevant les incohérences de son propos. Enfin, alors que Me Gisagara s’approche du micro, le Président lui demande de se limiter à une unique question, ce qui provoque une réaction chez les avocats, tant de la défense que des parties civiles. Le manque de temps étant souvent soulevé dans ce procès, Me Foreman, appuyé par Me Biju-Duval, rappelle que cela pose de sérieux problèmes en matière de respect du contradictoire. Monsieur le Président déclare qu’il essaiera autant que possible de faire revenir le témoin postérieurement afin de pouvoir poursuivre son audition et laisser plus de temps pour les questions des parties. L’audience est finalement suspendue.

Le mercredi 15 juin, troisième jour de la semaine, quatre témoins doivent être entendus. À 9h30, c’est Monsieur Védaste Habimana, témoin cité par le CPCR, qui s’avance vers la barre. Ce rescapé de l’école Marie-Merci souhaitera commencer son audition par une déposition spontanée. Il explique son parcours depuis l’année 1992, lors de laquelle les premières tensions ont commencé à se faire sentir entre élèves hutu et tutsi de l’école Marie-Merci. Arrivé au début de l’année 1994, il décrit à la Cour l’arrivée des réfugiés, la montée fulgurante de la haine des Hutu, tant professeurs qu’élèves, envers les étudiants tutsi, la séparation entre les deux groupes, l’attaque sur les réfugiés de Kibeho, le massacre des élèves tutsi de l’école et enfin la fuite d’à peine une dizaine d’entre eux vers le Burundi. Le Président Lavergne prend ensuite la parole pour interroger le témoin. En tant que doyen des élèves, il a pu observer de près les négociations entre les différents groupes et les alertes lancées aux autorités religieuses et administratives, en vain. L’interrogatoire de la Cour sera assez court, le témoin ayant été tout particulièrement clair. Les conseils des parties civiles prennent la suite. Tout d’abord, c’est Me Philippart, avocate du CPCR, qui prend la parole. Elle demande dans un premier temps que des photos soient diffusées à la Cour, puis elle interroge le témoin sur les déclarations faites par le père Uwayezu la veille. Monsieur Habimana viendra démentir une grande partie des allégations de ce dernier, soutenant qu’il ne s’était jamais occupé de leur sort et qu’il avait notamment déménagé dans une maison plus éloignée de l’école. Me Karongozi prend le relai et pose quelques questions à l’intéressé. Enfin, c’est l’avocat de la défense, Me Levy qui s’adresse à Monsieur Habimana. Après quelques questions de contexte, il lui demande si ce dernier a rencontré les époux Gauthier, fondateurs du CPCR, à Kibeho. Après une réponse affirmative de la part de Monsieur Habimana, l’avocat continue et lui demande si Monsieur Gauthier lui a fait une liste des personnes présentes à la réunion à l’école Marie-Merci, sous-entendant que le témoin ne les aurait pas vus de ses yeux, mais qu’il répéterait simplement ce qu’on lui a demandé de dire devant la Cour. Le témoin démentira cette version. Enfin, Me Levy demande à l’intéressé, qui a réussi à s’enfuir de l’école, échappant ainsi à une mort certaine, pourquoi, en tant que doyen des élèves, il n’a pas informé tous les élèves tutsi des attaques qui se préparaient et leur permettre ainsi de survivre également. Monsieur Habimana, un peu étonné et choqué par cette question, lui explique que ce n’était pas possible de communiquer, qu’il ne pouvait raisonnablement pas convoquer une réunion avec les autres élèves tutsi, au nombre de 100, pour s’adresser à eux. L’audition de ce témoin se terminer sur ces propos.

C’est ensuite Monsieur Théophile Zigirumugabe, deuxième témoin cité par le CPCR, qui s’approche de la barre. Il fera une déclaration spontanée très longue et très précise. Monsieur Zigirumugabe a en effet une mémoire tout particulière bien conservée sur le génocide de 1994. Il commence par raconter le déroulé des évènements avant avril 1994, la montée des tensions entre les étudiants… Finalement, il fait un récit très précis de son parcours durant les trois mois de génocide, permettant à la Cour de bien saisir la nature des violences perpétrées au Rwanda à cette période. Monsieur Zigirumugabe a été victime de plusieurs attaques extrêmement violentes, le laissant aujourd’hui énormément marqué tant psychologiquement que physiquement. Il sera ensuite interrogé dans un premier temps par le président Lavergne. Tout comme pour le témoin précédent, il lui pose des questions sur le comportement du père Uwayezu, afin d’infirmer ou non les déclarations faites la veille par ce dernier. Tout comme le témoin précédent, il démentira grand nombre de ces propos. Enfin, le Président lui pose plusieurs questions sur la fin de son errance. En effet, Monsieur Zigirumugabe a fini par se réfugier à l’école des Lettres, établissement adjacent à Marie-Merci, duquel il sera finalement évacué pour être amené à la préfecture. C’est là qu’il rencontrera le préfet qui déclarera qu’il s’occuperait personnellement de lui. Après quelques questions des juges assesseurs, ce sont les conseils des parties civiles qui prennent la parole. Me Gisagara demande à l’intéressé s’il a compris pourquoi le préfet souhaitait s’occuper de lui personnellement et le remettre aux troupes françaises de Turquoise. Ce dernier répond que oui, il avait compris que c’était pour montrer aux français que des Tutsi avaient été sauvés et qu’ils avaient été protégés par les autorités. La défense déclarera ne pas souhaiter poser de questions mais demande si l’accusé peut réagir à ce qu’il a entendu. La demande est acceptée par le Président. Monsieur Bucyibaruta déclare avoir réellement voulu aider le témoin et avoir tout mis en place pour le sauver, sans aucune arrière-pensée. Il explique à la Cour comment cela s’est passé, ce qui amène des questions de la part du Président, afin d’apporter des éclaircissements et de mettre en relation les différentes versions de ces faits. En réaction aux réponses de l’accusé, ce dernier déclare : « je ne peux pas m’empêcher de faire une observation. Parfois, quand on vous entend, on a l’impression de quelque chose d’un peu lunaire, un peu extraordinaire. Vous nous dites que vous avez discuté du sort de cet enfant avec la Sœur et le bourgmestre. Mais vous ne vous êtes jamais posé la question que ce bourgmestre pouvait être un des meneurs des massacres contre les Tutsi ? ». Alors que l’accusé lui répond qu’il n’était pas informé des activités de celui-ci, le Président lui fait remarquer que tous les habitants de Kibeho étaient au courant, mais pas lui. L’audition se termine sur cet échange.

Après la suspension d’audience méridienne, la caméra de la visioconférence s’ouvre sur Madame Thérèse Nduwayezu, ancienne directrice de l’école des Lettres de Kibeho, établissement dans lequel les élèves tutsi de Marie-Merci se sont réfugiés. Ce témoin, dont la citation est demandée par la défense et le Ministère Public, est entendue depuis le Tribunal judiciaire de Lisieux. Elle commencera sa déposition par un récit assez court des évènements survenus dans son établissement entre avril et mai 1994. Le Président Lavergne poursuit l’audition en interrogeant la religieuse sur le contexte de son arrivée à l’école des Lettres. Cette dernière est arrivée dans l’établissement au début des années 1990, alors que les tensions ethniques commençaient à monter. Les questions s’enchaînent pour aborder chronologiquement les évènements survenus lors du génocide. Elle est notamment interrogée sur le père Uwayezu et, à son tour, dément ses propos. S’en suivent de longs échanges en réaction aux déclarations faites par Monsieur Théophile Zigirumugabe. Ce dernier avait déclaré plus tôt dans la journée s’être réfugié à l’école des Lettres à la fin du génocide, avant d’être conduit à la préfecture de Gikongoro. Le Président demande donc à Madame Nduwayezu si elle se rappelle de lui et si elle se souvient l’avoir emmenée voir le préfet pour trouver de l’aide. La religieuse ne se rappelle pas de ces évènements et les dément entièrement. C’est à présent au tour des conseils des parties civiles de poser leurs questions au témoin. Me Tapi lui demande de s’exprimer sur l’argument fréquemment soulevé par la défense selon lequel, parce qu’il y est marié à une Tutsi, il semble tout à fait déraisonnable de considérer que Monsieur Bucyibaruta ait pu développer une haine à l’encontre de cette ethnie et donc participer au génocide. Cette dernière déclare que c’est effectivement ce qu’elle a pensé pendant un certain temps mais que, finalement, au regard de la complexité de la situation de l’époque, « tout le monde pouvait tuer tout le monde » et qu’ainsi rien ne permet d’assurer que le préfet n’a pas pu faire cela. Après quelques questions de Me Gisagara et Me Philippart, c’est Me Aublé, conseil d’Ibuka France et de Monsieur Jean-Damascène Bizimana, qui prend la parole pour demander à Madame Nduwayezu si elle été en contact avec Laurent Bucyibaruta après l’année 1994. Elle lui répond positivement. Me Aublé rappelle ce que cette dernière a déclaré aux gendarmes lorsqu’elle a été entendue. Elle leur avait effectivement indiqué cet appel de la part de l’accusé et avait précisé qu’à ce moment, celui-ci lui avait demandé de « rentrer dans sa défense sans le dire clairement ». Le Ministère Public prend le relai et pose plusieurs questions à l’intéressée sur l’organisation de la sécurité, par les militaires, à l’école des Lettres. En effet, lors des deux attaques sur les élèves, Madame Nduwayezu et ses consœurs ont été enfermées dans le couvent par ces derniers, pour « les protéger ». L’avocate générale lui demande donc si le but de cette manœuvre n’était pas de les « mettre à part parce que ce sont les élèves qui étaient visés ? ». La religieuse soutient cette version. Enfin, les avocats de la défense prennent la parole. Me Levy procède à la lecture d’un extrait de son entretien avec les gendarmes français afin d’essayer de raviver ses souvenirs à propos de ses contacts avec le préfet, et notamment lorsqu’elle lui aurait remis un élève afin qu’il le sauve. En vain, Madame Nduwayezu ne se rappelle pas de cet épisode. Le Président appelle Monsieur Zigirumugabe à revenir dans la salle afin d’essayer de faire corroborer les versions de tous ces témoins. Madame Nduwayezu et le préfet Bucyibaruta ne se mettront pas d’accord sur leurs versions. L’audition se termine et l’audience est suspendue.

Quelques dizaines de minutes plus tard, Monsieur Nyemana, le dernier témoin de la journée, rescapé partie civile dont l’audition est demandée par l’association Survie, s’approche de la barre. Il commence sa déposition par une déclaration spontanée durant laquelle il explique son parcours. Ce dernier témoin de la journée était élève dans la même classe que les deux rescapés entendus ce matin, leurs discours se recoupent donc très bien et le Président ne posera pas énormément de questions. Me Bernardini, avocat de l’association Survie, posera ensuite quelques questions. Il redonnera le déroulement de l’attaque sur l’église de Kibeho, venue de plusieurs directions, et demandera au témoin si on peut considérer que ce massacre est le résultat d’une « action coordonnée et organisée ». Ce dernier lui répondra que c’est effectivement ce qu’il se dit aujourd’hui, qu’il pense que « c’était quelque chose de planifié ». Trois questions seront ensuite posées par le Ministère Public et une seule par Me Levy, conseil de la défense. Il est 18h, l’audience est suspendue pour cette journée. Le Président annonce que la journée du lendemain commencera un quart d’heure plus tôt, à 9h15.

Le jeudi 16 juin sera consacré à l’audition de quatre témoins, concernant l’étude des faits survenus à la prison de Gikongoro, où, après qu’ils aient été réquisitionnés pour ensevelir les corps à Murambi et Cyanika, les prisonniers hutu ont massacré leurs codétenus tutsi. Le premier témoin de la journée, Aloys Musabyimana, cité par le Ministère Public, est entendu en visioconférence depuis le Rwanda puisqu’il est actuellement détenu à la prison de Gikongoro pour sa participation au génocide. Il ne fera pas de déclaration spontanée, mais s’exprimera très rapidement sur ses conditions d’incarcération au Rwanda. Au moment du génocide, Monsieur Musabyimana était déjà détenu dans ce même établissement, pour des faits tout à fait extérieurs. Lors du génocide, les détenus hutu ont assassiné méthodiquement les détenus tutsi. Selon le témoin, ce sont les autorités pénitentiaires, sur directive des autorités préfectorales, dont le préfet Bucyibaruta, qui ont donné l’ordre aux prisonniers hutu de tuer leurs codétenus. Afin de replacer le contexte et de pouvoir questionner le témoin plus précisément, le Président procède à la lecture des procès-verbaux de ses précédentes auditions devant les enquêteurs du TPIR, devant la juge d’instruction et enfin devant les gendarmes français. Le Président souligne notamment que la Cour a à sa disposition plusieurs témoignages de prisonniers et que ces deniers sont très divers, les versions ne se recoupant pas et étant dans certains cas totalement opposées les unes aux autres, mettant ainsi en question la crédibilité de ses propos. En effet, Monsieur Musabyimana affirme avoir vu le préfet à la prison la veille de l’attaque et il soutient que c’est ce dernier qui a directement donné l’ordre de procéder à un tri entre les prisonniers et d’assassiner les détenus tutsi. La parole est ensuite laissée aux parties. Côté parties civiles, Me Karongozi et Me Gisagara poseront plusieurs questions sur la corruption lors des procès rwandais. Ils soulèvent l’existence d’une pratique de paiement de pots de vin à un accusé pour que ce dernier prenne toute la responsabilité personnellement et permette ainsi aux autres suspects d’être acquittés et libérés. Ce dernier déclare qu’il a effectivement entendu dire que cela avait existé. Enfin, après quelques questions du Ministère Public, Me Levy prend la parole et, sans grande surprise, met la lumière sur les contradictions présentes entre les déclarations d’aujourd’hui, celles des entretiens précédents et celles des autres détenus, remettant donc en cause la crédibilité des allégations de Monsieur Musabyimana, notamment lorsqu’il affirme avoir vu le préfet Bucyibaruta et lui fait porter la responsabilité du massacre de la prison de Gikongoro. Enfin, Me Levy termine en demandant au témoin si sa déclaration du début portant sur ses conditions de détention a été faite en vue d’obtenir une contrepartie à son témoignage à charge. L’intéressé lui répond par la négative. Il est 11h20, la première audition de la matinée se termine.

Après une courte suspension d’audience, c’est au tour de Félicien Murengerantwari. Ancien chargé de la jeunesse dans la préfecture de Gikongoro, ce témoin cité par la défense commencera son audition par une déclaration spontanée. S’en suivent les questions du Président Lavergne. Il l’interroge sur plusieurs points, notamment sur sa participation à certaines réunions, sur sa détention provisoire et sa comparution devant un tribunal Gacaca, etc. Après des réponses très controversées de l’intéressé, déclarant notamment que des réfugiés tutsi auraient agressé des Hutu à Murambi lorsqu’ils allaient puiser de l’eau, le Président laisse la parole aux juges assesseurs. Le témoin étant également membre de la Croix-Rouge rwandaise, ces derniers lui posent des questions sur l’aide humanitaire qui a pu être apportée aux réfugiés, autant tutsi que les déplacés de guerre hutu, pendant les trois mois de génocide. Les conseils des parties civiles prennent le relai et interrogent à leur tour Monsieur Murengerantwari sur cette aide. Après quelques questions du Ministère Public, Me Biju-Duval prend la parole pour la défense. Il lui demande notamment de confirmer ses déclarations face aux gendarmes français, où il affirme que le pouvoir du préfet Bucyibaruta était affaibli et que d’autres autorités administratives comme les bourgmestres ou les sous-préfets avaient pris plus de pouvoir, prenant parfois des décisions sans s’en référer à leur supérieur. Le témoin réitère ses propos. L’audition se termine sur ces questions.

En début d’après-midi, c’est Monsieur Innocent Mutiganda qui est entendu par la Cour d’Assises. Ce témoin devait normalement être entendu le 14 juin, mais son audition avait dû être reportée à plus tard. Il ne s’exprime donc pas sur les faits commis à la prison de Gikongoro, mais sur ceux survenus à l’école Marie-Merci de Kibeho. Il commence donc par une déclaration spontanée retraçant son parcours avant, pendant et après le génocide. Suite à ce récit, le Président Lavergne prend la parole afin d’interroger le témoin. Les questions du Président viseront majoritairement à procéder au recoupement avec les déclarations des témoins entendus les jours précédents. De manière générale, les allégations de Monsieur Mutiganda viennent confirmer celles de ses anciens camarades de classe. Finalement, quand le Président lui demandera s’il souhaite ajouter quelque chose, ce dernier répondra que « parler à la Cour, je considère cela comme un remède, un médicament je dirais. Je suis vraiment content de raconter cela ». La parole est ensuite donnée aux conseils des parties civiles qui poseront plusieurs questions. Le Ministère Public et la défense s’abstiendront. Après avoir souhaité au témoin un bon retour au Rwanda, le Président suspend l’audience.

Le dernier témoin de la journée n’est pas un rescapé, c’est un médecin militaire qui a participé à l’opération Turquoise. Son identité n’est pas dévoilée en raison de son appartenance à des forces spéciales. Son visage est donc flouté sur l’écran de la visioconférence et il est désigné par le pseudonyme « Capitaine Éric ». Ce dernier ne fera pas de déclaration spontanée et répondra directement aux questions de la Cour et des parties. Quand le Président lui demande « qui sont les réfugiés dans le camp ? », ce dernier répond que « c’étaient des réfugiés rwandais, peut-être des Hutu ». À la demande du Président, il confirme malgré tout connaître la différence entre Hutu et Tutsi, laissant l’assemblée assez étonnée. Il est ensuite questionné sur les conditions d’intervention de l’opération Turquoise et il s’exprime donc sur le chaos présent et la difficulté pour les militaires français de comprendre ce qui se déroulait sous leurs yeux. Afin d’appuyer ses propos et de procéder à une mise en contexte pour les membres de la Cour, le Président procède à la lecture d’extraits du rapport Duclert, précédemment versés au dossier. La parole est ensuite donnée aux avocats des parties civiles. Me Bernardini et Simon lui poseront plusieurs questions sur les soins qu’il a pu prodiguer durant cette période et à qui. Le témoin répond qu’effectivement, il a pu être amené à soigner des criminels lorsqu’il était dans le camp de réfugiés protégé par l’opération Turquoise, cependant, en tant que médecin, il ne saurait choisir ses patients et il se doit d’aider tout le monde. Plusieurs questions portent ensuite sur le refus de l’ancien préfet de délivrer un passeport à une infirmière tutsi ayant beaucoup aidé les médecins de Turquoise. La défense prend ensuite la relève et interroge le témoin sans grand succès, ce dernier répondant majoritairement que sa position de l’époque ne lui permet pas de s’exprimer. Finalement, Me Biju-Duval demande au Président que l’accusé, Laurent Bucyibaruta, puisse s’exprimer. Ce dernier réfute avoir refusé de délivrer un passeport à cette infirmière, il soutient que c’était simplement impossible à cette époque d’obtenir de tels papiers d’identité. Suite à cette prise de parole, le Président remercie le témoin et met fin à la visioconférence. Cette vingt-cinquième journée de procès se clôture, l’audience est suspendue.

Enfin, le vendredi 17 juin, la Cour d’Assises de Paris doit entendre un dernier témoin sur les faits commis à la prison de Gikongoro et deux autres témoins qui viendront éclairer la formation sur le rôle du préfet, son pouvoir effectif, sa personnalité et les différentes réunions qu’il a pu convoquer.

Monsieur Jean de Dieu Habinshuti, cité par le Ministère Public, vient témoigner en personne. Ce dernier a été condamné pour sa participation au génocide et détenu à la prison de Gikongoro. Il commencera par une courte déclaration spontanée expliquant comment les détenus hutu de la prison du chef-lieu de la préfecture ont été amenés à participer au génocide. Il dit que, dans un premier temps, certains d’entre eux ont été amenés à Murambi afin de nettoyer les lieux des massacres et d’ensevelir les corps. Après cela, quand ils ont été ramenés à la prison, les autorités pénitentiaires et de gendarmerie leur ont donné des armes traditionnelles en les enjoignant de tuer leurs codétenus tutsi. Ces derniers ont été appelés tour à tour et assassinés. Le Président commence ensuite à interroger Monsieur Habinshuti, tout d’abord sur sa situation personnelle avant d’être détenu à Gikongoro, puis sur l’organisation de la prison et enfin sur le massacre des Tutsi au sein de cet établissement et sur les travaux d’ensevelissement des corps à l’ETO de Murambi. Si le témoin décrira précisément les faits, il confirmera à plusieurs reprises n’avoir jamais vu l’ancien préfet Bucyibaruta à la prison. Si les ordres venaient effectivement de la gendarmerie et d’autres autorités administratives, ce n’est le préfet qui les a directement donnés sur place. Les conseils des parties civiles ne souhaiteront pas poser de questions à l’intéressé, la parole est donc directement donnée au Ministère Public. Tout d’abord, la Procureure Générale demande à ce que soit projetée à la Cour une carte de Gikongoro afin que l’ensemble de ses membres puisse visualiser la localisation de chaque site : la prison, l’ETO de Murambi, la préfecture et le domicile de Monsieur Bucyibaruta, tous très proches les uns des autres. Enfin, Me Levy se lève vers le micro pour interroger le témoin. Il soulève notamment le fait qu’aujourd’hui, le témoin affirme qu’on avait dit aux détenus que l’ordre de tuer les détenus tutsi provenait du préfet, alors que, devant les enquêteurs du TPIR, ce dernier avait affirmé que la directive provenait d’un capitaine de gendarmerie. Il demande au témoin pourquoi ce dernier a changé de version, ce à quoi il répond qu’il en avait déjà parlé auparavant mais que cela n’avait pas été noté. Cette première audition de la journée se termine ici. Restant du temps avant la fin de la matinée, le Président Lavergne propose aux parties de continuer l’audition de l’accusé sur son curriculum vitae et sa personnalité.

Me Quinquis commence par demander à Laurent Bucyibaruta pourquoi ce dernier souhaite quitter le Rwanda en 1994, alors que la veille il avait déclaré que l’arrivée de l’opération Turquoise et de la MINUAR était « au bénéfice de tous », permettant ainsi d’assurer sa sécurité ainsi que celle de sa famille. L’ancien préfet change de version pour déclarer que « dès lors que les conflits au Rwanda ont éclaté, toutes ces organisations internationales ont préféré plier bagage, nous étions laissés à nous même ». Me Gisagara prend la relève et commence à poser une question. Il se fait interrompre par Me Biju-Duval qui soutient qu’il aborde là la période du génocide lors de laquelle les faits reprochés à l’accusé se sont produits. Le Président demande à ce que l’on n’évoque pas les faits mais que l’on se concentre sur la personnalité. Me Karongozi interroge à son tour l’ancien préfet. De même, il se fait couper par l’avocat de la défense qui déclare que la question est « complètement en dehors d’une question de CV ». Finalement, le Président autorise l’avocat des parties civiles à poser sa question soutenant que si la différence entre l’interrogatoire de personnalité et l’interrogatoire portant sur les faits est une pratique fréquente afin d’organiser les audiences, elle ne résulte pas d’une règle de droit, Me Karongozi peut donc poser sa question, même s’il l’enjoint à éviter d’aborder les faits. Finalement, Laurent Bucyibaruta ne répondra pas à cette question, l’avocat abandonne donc. Me Tapi s’approche à son tour du micro et demande à l’intéressé si « lorsqu’on est face à une injustice aussi grave, observer une position de neutralité, ce n’est pas cautionner l’oppresseur ». L’accusé ne répondra pas à la question, se contentant de rappeler certaines choses qu’il avait pu faire qui ne pourraient pas être regardées comme un cautionnement de ce qu’il se passait. Le Président rappelle encore une fois que ce sujet fera l’objet de discussions dans l’interrogatoire ultérieur sur les faits. Enfin, Me Philippart termine le tour des parties civiles en demandant à Laurent Bucyibaruta si les mariages mixtes étaient fréquents dans la préfecture de Gikongoro. Ce dernier étant marié à une Tutsi et utilisant très souvent cet argument pour éteindre tout soupçon à son encontre, il semble important de rappeler que cette situation est loin d’être exceptionnelle et ne saurait en aucun cas servir de justification à l’accusé. Il répond par la positive à l’avocate, disant qu’effectivement les couples mixtes n’étaient pas rares dans la préfecture de Gikongoro. La matinée se termine sur cette information, l’audience est suspendue.

L’après-midi commence avec l’audition de Didace Hategekimana, témoin cité par la défense et actuellement détenu à la prison de Mpanga, au Rwanda. Monsieur Hategekimana est l’ancien bourgmestre de la commune de Rukondo. Il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée, et préférera répondre directement aux questions de la Cour et des parties. Monsieur le Président Lavergne commence par lui poser plusieurs questions sur l’organisation de l’administration au niveau préfectoral et sur la personnalité des différentes autorités dans la préfecture de Gikongoro. Ensuite, il l’interroge sur le poids des différents partis politiques et sur leur représentation à compter du 7 avril 1994. Si Monsieur Hategekimana a pu rencontrer le préfet à deux reprises, il ne dévoilera rien de nouveau sur les propos tenus dans cette réunion, soutenant que Laurent Bucyibaruta a simplement déclaré qu’il fallait ramener la sécurité dans la préfecture et réprimander ceux qui tuaient. Finalement, la parole est donnée aux parties civiles. Seuls Me Gisagara et Me Tapi interrogeront l’accusé. Le premier lui demandera comment il est possible d’être étonné des tueries de Tutsi, alors que ces dernières étaient répétitives. Il déclare qu’il n’a pas été surpris par les attaques mais qu’il a surtout été étonné que les gens « s’entretuent ». Le Ministère Public prendra ensuite la parole et commencera par demander des précisions au témoin sur l’organisation hiérarchique de l’administration au niveau préfectoral. Ce dernier confirmera que le préfet « était à la tête de la préfecture et donc c’était l’autorité suprême », le supérieur hiérarchique des bourgmestres. Quand l’avocate générale poursuit en demandant à Monsieur Hategekimana si, en tant que bourgmestre et donc officier de police judiciaire, il pouvait recevoir des ordres de la part du préfet afin de procéder à des arrestations, ce dernier répond qu’il pouvait effectivement le faire en tant que responsable hiérarchique mais « qu’il ne m’a jamais demandé d’arrêter qui que ce soit et que j’aurais désobéit », confirmant ainsi que le préfet, alors en capacité d’assurer la sécurité par l’interpellation des criminels, n’a jamais fait usage de cette prérogative. L’avocate générale poursuit en lui demandant si le préfet avait également la possibilité d’imposer des sanctions administratives et de mettre en place des commissions d’enquête à l’encontre de subordonnés ne respectant pas leur cadre de mission. L’intéressé répond qu’effectivement, il lui semble que cela entrait dans ses prérogatives. Enfin, le Ministère Public procède à la lecture du jugement de Monsieur Kambanda, Premier ministre du Gouvernement intérimaire rwandais. Dans ce document, Jean Kambanda « s’est dit fier de la préfecture de Gikongoro puisqu’elle s’est appliquée à mettre en pratique le programme du gouvernement ». Le témoin déclarera que l’ancien Premier ministre, n’ayant « pas peur de la lourdeur de la peine qu’il encourait », avait pu déclarer ces choses-là, alors que lui-même n’a pas observé ce phénomène. Enfin, la parole est donnée aux conseils de la défense. Me Biju-Duval pose plusieurs questions au témoin afin de démontrer que, même si le préfet, les sous-préfets et les bourgmestres avaient effectivement la compétence de procéder à des arrestations, les moyens humains étaient trop faibles pour pouvoir effectivement interpeller, arrêter et emprisonner les responsables des tueries. Le Président met un terme à cette longue audition et libère le témoin.

La journée se termine avec la citation, demandée par la défense, de Monsieur Pascal Habufite, ancien directeur des recherches pédagogiques au ministère de l’Éducation nationale au Rwanda. Ce dernier commencera par une déclaration spontanée. Il souhaite d’abord parler de Monsieur Bucyibaruta en déclarant que c’était quelqu’un de très sage, très réfléchi, à tel point que parfois, « les gens se demandaient s’il n’avait pas été prêtre, les prêtres avaient une très bonne réputation, cela voulait dire sage ». Il insiste également beaucoup sur le fait que « le pouvoir ça n’existait plus, le pouvoir était dans la rue. Préfet, sous-préfet, cela ne voulait plus rien dire ». S’en suivent les questions du Président Lavergne qui demande quelques précisions sur les fonctions du témoin, sur les différentes autorités qu’il a pu rencontrer ou dont il a pu entendre parler, sur les réunions qui ont pu se tenir dans la préfecture de Gikongoro, etc. Ce sont ensuite les conseils des parties civiles qui sont invités à interroger le témoin. Me Berrahou s’approche du micro et demande à l’intéressé de confirmer que, selon lui, il n’y a pas eu de réunion organisée par le préfet Bucyibaruta dans la préfecture de Gikongoro entre la mi-avril et la mi-août 1994. Monsieur Habufite répond par l’affirmative : « je peux donner ma tête à couper que pendant cette période, il n’y a pas eu de réunion organisée par Laurent Bucyibaruta, ou alors c’était une réunion secrète, mais pas publique en tout cas ». Me Karongozi prend le relai et demande notamment au témoin s’il pense qu’il y a eu un génocide commis contre les Tutsi, un génocide planifié. L’intéressé lui répondra que le caractère planifié n’a même pas été reconnu par le TPIR mais que, selon lui, « il y a certainement des gens qui ont planifié ça ». Ce sont finalement les questions du Ministère Public qui viendront clôturer cette déposition. Il sera notamment demandé à Monsieur Habufite si, actuellement, il est en contact fréquent avec Monsieur Bucyibaruta. Il répond qu’effectivement ils se sont vus à plusieurs reprises, qu’il a notamment été invité au mariage de son fils, mais qu’il qualifierait leur relation de simples « connaissances ». Sur ces propos, l’audience est suspendue et la sixième semaine de procès se clôture. La Cour se réunira de nouveau le lundi 20 juin à 9h30.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024