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Alors que les tensions entre Kinshasa et Kigali ne cessent de s'envenimer dans l'est de la RDC, une rencontre confidentielle entre les présidents français et rwandais s'est tenue à Paris début juin. Emmanuel Macron prévoit de s'entretenir par téléphone, dans les prochains jours, avec Félix Tshisekedi.
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La rencontre n'a fait l'objet d'aucune communication officielle. Selon les informations d'Africa Intelligence, Emmanuel Macron s'est entretenu en toute discrétion à l'Elysée, début juin, avec le chef de l'Etat rwandais Paul Kagame. Ce dernier avait fait une halte à Paris dans le cadre d'un séjour privé en France.
Tensions palpables
La dégradation de la situation dans l'est de la RDC a été au centre des échanges. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) affrontent depuis plusieurs semaines le groupe armé M23 dans la province du Nord-Kivu. Le pouvoir de Félix Tshisekedi multiplie les accusations de "soutien militaire" de Kigali au mouvement rebelle. De leur côté, les responsables rwandais pointent une coopération entre les FARDC et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé constitué par d'anciens génocidaires hutus. Dans la nuit du 12 au 13 juin, la tension est encore montée d'un cran avec la prise par le M23 de la ville de Bunagana. Les violents affrontements en cours et les discours de haine -- tenus notamment par des responsables des FARDC, des organisations de la société civile et des militants du parti présidentiel, l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) -- ravivent les souvenirs des guerres passées et les craintes d'une nouvelle crise régionale.
Emmanuel Macron, qui a tissé depuis deux ans une relation de confiance avec Paul Kagame, a tenté de jouer l'apaisement. Le président français a ainsi réaffirmé à son homologue rwandais qu'il soutenait la médiation angolaise menée par le président João Lourenço à la demande du président de l'Union africaine (UA), le Sénégalais Macky Sall. Il a également appelé de ses vœux l'organisation d'une rencontre "de la réconciliation" entre Paul Kagame et Félix Tshisekedi, à laquelle travaille la diplomatie angolaise. Pour le moment, les émissaires des deux chefs d'Etat se succèdent à Luanda.
Médiation angolaise
Soucieuse de ne pas apparaître en première ligne, Paris préfère s'appuyer sur Luanda. La doctrine Macron privilégie le soutien aux initiatives menées par les organisations régionales africaines. A la tête de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), João Lourenço apparaît comme un partenaire fiable. La France soutient de longue date les efforts diplomatiques angolais dans la sous-région, notamment en RCA. Elle s'était aussi largement appuyée sur le chef d'Etat angolais pour convaincre Joseph Kabila de ne pas briguer un troisième mandat en RDC, lors des élections organisées tardivement en décembre 2018.
Préoccupé par l'escalade verbale en cours dans l'est de la RDC, le président français prévoit par ailleurs de s'entretenir dans les prochains jours avec Félix Tshisekedi par téléphone. Tout comme auprès de Paul Kagame, il devrait réitérer son appel au dialogue et à l'organisation d'une rencontre entre les deux dirigeants.
Paris sur le fil
Le délicat activisme diplomatique français est facilité par les bonnes relations entretenues par Emmanuel Macron avec ses homologues rwandais et congolais. Durant son premier mandat, le président français avait considérablement resserré ses liens avec Kinshasa comme avec Kigali. Et ce alors que Félix Tshisekedi, à peine élu, avait entamé un rapprochement diplomatique, économique et sécuritaire avec Paul Kagame. Avec le regain des tensions entre les deux voisins, la France se retrouve à devoir mettre en œuvre une diplomatie d'équilibriste.
Une visite d'Emmanuel Macron en RDC et en Angola, dans les prochains mois, reste à l'étude à l'Elysée. Celle-ci demeure toutefois tributaire de l'évolution de la situation régionale. Le rapprochement entre Paris et Kinshasa contient également un volet sécuritaire. La coopération en matière de renseignement entre les services français et congolais a été renforcée. Paris a par ailleurs déployé plusieurs modules de formation en faveur des FARDC, notamment dans l'Est, où sévissent toujours plus d'une centaine de groupes armés. Ces entraînements sont assurés par les Eléments français du Gabon (EGF), présents au camp de Gaulle de Libreville.
Dans le même temps, l'Ouganda du président Yoweri Museveni a dépêché fin 2021 quelques milliers d'éléments des Uganda People Defence Forces (UPDF) dans le septentrion du Nord-Kivu pour combattre, aux côtés des FARDC, le groupe armé islamiste des Allied Democratic Forces (ADF). Le président rwandais, qui entretient des relations tendues avec son homologue ougandais, n'a pas apprécié d'être tenu à l'écart de cette opération. Ces dernières années, les desseins d'influence de Kampala et de Kigali dans l'est de la RDC ont paralysé les projets sécuritaires régionaux.
Dans ce jeu régional, Paris a cherché à maintenir ses bonnes relations avec Kampala, tout en initiant dès 2017 un processus de normalisation avec Kigali. Ce qui a donné lieu, il y a un an, à la visite "historique" d'Emmanuel Macron au Rwanda. Dans la foulée, l'Elysée a nommé son premier ambassadeur dans le pays depuis six ans. Sur le plan sécuritaire, plusieurs pistes de coopération sont en discussion : le chef d'état-major rwandais, le général Jean-Bosco Kazura, s'est ainsi rendu en visite officielle à Paris au mois de mars pour évoquer le sujet. Sans attaché de défense à l'ambassade France à Kigali, c'est la mission militaire tricolore disposée au Burundi qui est chargée de suivre le dossier.