Fiche du document numéro 3028

Num
3028
Date
Samedi 2 juin 2012
Amj
Auteur
Fichier
Taille
228490
Pages
1
Sur titre
Rwanda / L'armée possédait les missiles qui ont abattu l'avion d'Habyarimana
Titre
De mystérieux Mistral français
Sous titre
Rwanda L'armée possédait les missiles qui ont abattu l'avion de Habyarimana
Mot-clé
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
DÉCODAGE

C'est l'une des grandes énigmes de la fin du XXe siècle : qui a, le 6
avril 1994, abattu l'avion qui transportait le président rwandais
Juvenal Habyarimana (et son collègue du Burundi Cyprien Ntaryiamira,
souvent oublié) ?

Sachant que cet attentat a été le déclencheur du génocide qui a coûté
la vie à 800.000 Tutsis et de Hutus modérés, la réponse à cette
question a un réel poids politique et historique. Depuis 18 ans,
plusieurs théories s'affrontent, à coups de (faux) témoignages,
d'expertises et de rapports.

Le quotidien français Libération vient d'ajouter une pièce à ce
volumineux dossier : il publie l'article d'une journaliste
britannique, Linda Melvern qui, au détour d'une recherche historique
dans les archives de l'ONU, est tombée sur un document inédit : une
liste des stocks d'armement détenus par l'armée rwandaise à la veille
du génocide. Et dans cette liste figurent « une quantité indéterminée
de missiles sol-air de type SA-7 » et « 15 missiles sol-air Mistral ».


Contradiction flagrante
« Même si rien ne permet à ce jour d'attester que ce sont ces
missiles-là qui ont servi à l'attentat, écrit Linda Melvern,
l'information est en contradiction flagrante avec les nombreux
démentis et déclarations officielles qui se sont succédé depuis
plusieurs années, affirmant que "le camp hutu n'avait pas de
missiles", ainsi que l'a encore répété en janvier le socialiste Hubert
Védrine, secrétaire général de la présidence de la République au
moment du génocide. »

Depuis l'attentat, deux thèses principales s'affrontent : selon la
première, les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais, et donc
l'actuel président rwandais Paul Kagame, auraient organisé l'attentat
pour en finir une bonne fois avec Habyarimana. Le FPR détenait en
effet des missiles semblables à ceux qui ont été utilisés pour abattre
l'avion.

Selon la deuxième thèse, c'est l'entourage même de Habyarimana qui
aurait organisé l'attentat, car il jugeait que le président faisait
trop de concessions au FPR.

Alors que deux chefs d'Etat ont été tués ce fameux 6 avril, aucune
enquête internationale n'a jamais été lancée. En avril 1998, une
information judiciaire est ouverte en France : les familles des trois
membres d'équipage français de l'avion abattu ont porté plainte pour «
assassinats en relation avec une entreprise terroriste ».

C'est le juge Jean-Louis Bruguière qui est chargé du dossier et, sans
quitter la France, il privilégie la piste de la responsabilité du
FPR. En 2006, il délivre des mandats d'arrêt contre neuf hauts
responsables rwandais soupçonnés d'être impliqués dans cet attentat.

En 2007, les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux reprennent le
dossier, se rendent sur place et lancent des missions d'expertise
techniques, qui montrent que les missiles tirés contre l'avion sont
partis d'un camp militaire présidentiel. Mais les officiers rwandais
n'ont cessé de répéter qu'ils ne disposaient pas de missile...

L'extrait des archives de l'ONU prouve que ce n'était pas vrai. Mais
qui a fourni ces missiles à l'armée rwandaise ? Selon Libération, cela
ne peut être que la France, qui a joué un rôle plus que trouble avant,
pendant et après le génocide rwandais. « La première commande à
l'export de missile Mistral date de 1996, explique le quotidien, avant
cela, la France n'était pas autorisée à exporter ces armes. Les
missiles auraient-ils été fournis en dépit de l'interdiction
officielle ? » Et Libé de mettre au défi François Hollande, « qu'il
exerce un véritable droit d'inventaire. Afin que nous prenions toute
la mesure de la responsabilité de son prédécesseur socialiste,
François Mitterrand, et donc de notre pays dans ce génocide ».

Les missiles auraient transité par Goma
GOMA
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Le procès du colonel Bagosora, au Tribunal pénal international
d'Arusha, avait déjà établi que les Forces armées rwandaises, à
plusieurs reprises, avaient tenté d'acheter à l'étranger des missiles
sol-air, et cela en dépit du fait qu'à l'époque, aucun des militaires
de l'armée du président Habyarimana n'avait été formé au maniement de
ces armes antiaériennes.

Le document des Nations unies confirme que le 6 avril au matin, les
Forces armées rwandaises se trouvaient bien en possession de missiles
d'origine russe et surtout de quinze missiles français Mistral,
arrivés au Rwanda peu de temps avant l'attentat.

Ces informations coïncident avec le fait que des observateurs
militaires belges qui se trouvaient au Rwanda à la veille du génocide,
dont un certain D., coopérant militaire, avaient constaté le passage
d'un étrange convoi en provenance de Goma, la capitale du Nord-Kivu.

Rappelons qu'à cette époque, le maréchal Mobutu, en délicatesse avec
les Belges et les Américains, ne pouvait rien refuser aux Français qui
représentaient ses derniers soutiens. Si les militaires français
s'étaient faits moins nombreux et moins visibles au Rwanda, qu'ils
avaient officiellement quitté en novembre 1993, la ville de Goma leur
servait de base arrière.

A la veille du 6 avril déjà, des témoins avaient observé la forte
présence de militaires français à Goma, qui fréquentaient entre autres
l'hôtel des Grands Lacs.

Camions bâchés

Quant à l'observateur militaire belge, basé à Gisenyi, ville jumelle
de Goma du côté rwandais, il avait vu passer, dans les premiers jours
d'avril, un convoi de camions bâchés, leur contenu soigneusement
dissimulé aux regards, et avait communiqué à ses supérieurs qu'il
s'agissait peut-être de missiles. Quant à Mobutu, très lié au
président Habyarimana, il avait été informé de la préparation de
l'attentat.

C'est pour cette raison qu'il avait lui-même refusé de participer au
sommet de Dar es Salaam (à l'issue duquel fut abattu l'avion
présidentiel) et que, le week-end précédent l'attentat, il avait
prévenu Habyarimana des menaces qui pesaient sur lui.

Sans réussir à le dissuader de se rendre en Tanzanie où le président
rwandais devait annoncer sa décision de mettre en oeuvre les accords
de paix, scellant ainsi sa rupture avec les extrémistes de son clan...


QUI A LIVRÉ ?

Les premières commandes remontent à 1989
Spécialiste français de l'aéronautique militaire, Guillaume Steuer a
immédiatement réagi aux informations publiées ce vendredi par
Libération. Selon lui, il faut nuancer l'affirmation selon laquelle le
missile Mistral était « interdit d'exportation jusqu'en 1996 ». «
Entré en production dès 1989 dans sa version Mistral 1, le missile
sol-air à très courte portée de MBDA (alors Matra) aurait, selon les
registres de l'institut suédois SIPRI, déjà été vendu à des clients
internationaux avant 1996 et même avant 1994 », écrit-il sur le site
Air et Cosmos. Le Chili aurait ainsi passé commande de 750 missiles dès
1989, tout comme Chypre et l'Arabie Saoudite, le Qatar en 1990, le
Brésil et le Pakistan en 1994 et le Gabon à une date incertaine. «
Certains missiles auraient donc alors déjà rejoint la péninsule
arabique », précise le spécialiste. Il n'est donc pas absolument sûr
que ce soit la France qui ait livré ces missiles Mistral à l'armée
rwandaise. Mais il n'est pas sûr non plus que ce ne soit pas elle...
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024