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Lundi dernier 30 mai, le procès de Laurent Bucyibaruta, aujourd’hui âgé de 78 ans, préfet de Gikongoro (sud du Rwanda) en 1994, est entré dans sa quatrième semaine devant la cour d’assises de Paris. L’accusé y répète jour après jour qu’il avait tenté de protéger les Tutsi en ordonnant leur rassemblement sous la protection des gendarmes. Notamment sur le campus de l’Ecole Technique de Murambi, où environ 50 000 hommes, femmes et enfants ont été exterminés, presque tous en une seule journée, le 21 avril 1994. Tués par ces mêmes gendarmes chargés de leur « protection », accompagnés de militaires et de miliciens. Les autres massacres de masse commis dans la préfecture dirigée par Laurent Bucyibaruta ont suivi un scénario identique : les Tutsi sont forcés de se regrouper « pour assurer leur protection », puis massacrés en masse.
Les Tutsi forcés de se regrouper puis massacrés en masse
Devant des rescapés qui, audience après audience, mettent en cause sa responsabilité, l’ancien préfet de Gikongoro reprend la même explication : il avait la responsabilité d’envoyer les gendarmes « garantir la sécurité publique », mais la suite échappait à ses compétences. Mercredi 25 mai, Laurent Bucyibaruta l’a de nouveau répété, à peine embarrassé par les questions insistantes de l’avocate générale : « Quand on appelle [les gendarmes], cela ne veut pas dire que le préfet doit être au lieu où il y a la gendarmerie. Quand le commandant réquisitionne, c’est lui qui décide d’envoyer ses effectifs comme il le sent. Le préfet ne contrôle pas les actions de la gendarmerie ». Des propos qui ont fait une fois de plus réagir l’avocate générale.
Le ministère public : – Vous êtes appelé pour la commission d’un crime, vous êtes préfet […]. Vous êtes allé avec les gendarmes, cela laisse entendre que vous avez un rôle opérationnel en cas de troubles, vous n’êtes pas enfermé dans votre bureau.
Laurent Bucyibaruta : – Je pense que vous avez votre opinion, moi la mienne, c’est votre droit. Dans ma fonction, j’avais des compétences étendues ou limitées, je connaissais ces limites.
Le ministère public : – Donc, quand il y a la commission d’un crime, vous vous déplacez sur site ?
Laurent Bucyibaruta : – Si un crime est commis, il doit être poursuivi par les autorités judiciaires, pas par les autorités civiles.
Le préfet, aucun rôle opérationnel de protection des Tutsi ?
En résumé, l’ancien préfet affirme qu’il n’avait aucun rôle opérationnel de protection des Tutsi de sa préfecture et nie s’être rendu sur place pour constater les tueries. Cette ligne de défense semble de plus en plus fragile devant la multiplicité des témoignages de rescapés, dont beaucoup se sont constitués partie civile. Parmi ces derniers, Philippe Ntete raconte : « Les Tutsi […] affluaient sur le camp de Murambi. À ce moment-là, les massacres ont redoublé d’intensité. Ils ont tué les gens, les Tutsi de tout âge : les vieux, les adultes, les femmes, les enfants et même les bébés, sans épargner personne. Ils éventraient et tuaient aussi les femmes enceintes. […] Les trois dirigeants suprêmes de ces massacres étaient ceux qui dirigeaient à la préfecture. Je parle du préfet Laurent Bucyibaruta, du bourgmestre Semakwavu, ainsi que du chef de la gendarmerie, Sebuhura ».
Un duo constitué par le préfet Bucyibaruta et le colonel Aloys Simba
Plusieurs témoins mettent cause un duo constitué par le préfet Bucyibaruta et le colonel Aloys Simba, génocidaire avéré. Une des curiosités judiciaire du procès qui se poursuit à Paris est qu’il se greffe sur le procès d’Aloys Simba devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui s’est tenu à Arusha en première instance en 2005 et en appel en 2007, s’achevant chaque fois par une condamnation de l’accusé pour génocide et extermination, à 25 ans de prison, en signalant à de nombreuses reprises le rôle du préfet Bucyibaruta dans les tueries.
Aloys Simba, une célébrité à Gikongoro
A l’époque du génocide, Aloys Simba était une célébrité à Gikongoro. Il avait participé en 1973, au coup d’État ayant porté au pouvoir Juvénal Habyarimana, aussitôt récompensé par le poste de ministre de l’information. En 1989 ce « compagnon d’armes » était élu député du Mouvement révolutionnaire national pour la démocratie et le développement [MRND, alors parti unique] à Gikongoro, sa préfecture d’origine. En mai 1994, le colonel Simba fut nommé conseiller à la défense civile [responsable de la défense civile] dans les préfectures de Gikongoro et de Butare. La défense civile était un mouvement de mobilisation et d’armement de toute la population destiné à achever le génocide des Tutsi. Aloys Simba y a joué un rôle de premier plan.
Qui a coordonné le massacre de Murambi ?
Concernant le gigantesque massacre de Murambi, on lit dans le jugement de 2005 du TPIR [version française, page 34, § 40] : « Le 19 et le 20 avril 1994 ou vers ces dates, Aloys Simba, le capitaine de gendarmerie Sebuhura, le préfet Bucyibaruta, le sous-préfet Biniga et le bourgmestre Munyaneza, entre autres personnes, ont pris les dispositions nécessaires et ordonné aux forces armées gouvernementales, aux miliciens et aux civils hutus d’encercler et d’attaquer les personnes déplacées qui avaient trouvé refuge au collège technique de Murambi. Au cours d’une réunion tenue à la caserne de la gendarmerie juste avant l’attaque, Aloys Simba a exhorté le capitaine Sebuhura, le préfet Bucyibaruta et le sous-préfet Biniga à attaquer les déplacés tutsis qui s’étaient réfugiés au collège technique de Murambi ».
Les extrémises aux commandes
Au moment du génocide, le capitaine Sebuhura avait évincé son supérieur du groupement de gendarmerie de Gikongoro pour prendre sa place. Sebuhura s’est vite acquis une réputation d’extrême cruauté. Dans le jugement du TPIR de 2005, on lit [§ 41, 42, 43] : « L’après-midi du 20 avril 1994 ou vers ce moment, Bucyibaruta s’est entretenu avec le capitaine Sebuhura dans les locaux de la brigade de gendarmerie. Il a informé Sebuhura du plan prévu pour attaquer Murambi aux premières heures du 21 avril 1994. Il lui a en outre ordonné de libérer ses gendarmes, vers 1 heure le 21 avril 1994, afin qu’ils se joignent aux Interahamwe pour lancer l’attaque contre Murambi et veiller à ce qu’aucun Tutsi n’échappe au massacre ».
Le TPIR relate qu’Aloys Simba s’est rendu à Murambi en uniforme militaire. Il est arrivé à bord d’un camion chargé de machettes. Il a ensuite distribué celles-ci aux Interahamwe.
« Laurent Bucyibaruta, Aloys Simba et Faustin Sebuhura ont examiné les lieux du massacre »
« Vers 3 heures le 21 avril 1994, sur les ordres de Bucyibaruta, un important groupe d’assaillants comprenant des militaires, des gendarmes, des Interahamwe et des civils armés ont encerclé et attaqué Murambi. Ces assaillants se sont servis d’armes à feu lourdes, d’armes légères, de grenades, de machettes, de gourdins et d’autres armes traditionnelles. Selon le témoin, Laurent Bucyibaruta et Faustin Sebuhura ont tous deux tiré sur les réfugiés ».
Selon le Parquet du TPIR [§ 45], « vers 7 heures le 21 avril 1994, Laurent Bucyibaruta, Aloys Simba et Faustin Sebuhura ont examiné les lieux du massacre. Aloys Simba s’est déclaré satisfait des résultats de la campagne meurtrière, tandis que Laurent Bucyibaruta a récompensé ceux qui y avaient participé activement en leur donnant des vaches appartenant aux victimes ».
Au TPIR, des tueurs repentis et des rescapés mettent en cause Bucyibaruta
Lors d’une des audiences du TPIR [jugement, page 38, § 97] de nombreux témoins, aussi bien rescapés que tueurs repentis, ont mis en cause Laurent Bucyibaruta. Le témoin désigné sous les initiales de KEI [un tueur aujourd’hui repenti] a déclaré que « le 20 avril vers 23 heures, [Laurent Bucyibaruta] avait accompagné Simba, le capitaine Sebuhura, le préfet Bucyibaruta, le bourgmestre Semakwavu de la commune de Nyamagabe ainsi que plusieurs gendarmes au collège technique de Murambi, qui se trouvait à environ cinq à 10 minutes du camp de la gendarmerie ».
« Le témoin avait fait ce déplacement avec Simba et Sebuhura à bord d’une camionnette de type pick-up et de couleur grise qui était chargée de machettes et de coupe-coupe. Bucyibaruta les suivait à bord d’une camionnette bleue de type pick-up et Semakwavu était à bord d’une camionnette Hilux, également de type pick-up, avec deux policiers communaux. À leur arrivée, ils avaient distribué les machettes et coupe-coupe aux miliciens de la CDR de la commune de Mudasomwa. Simba avait remis des fusils et des grenades à des personnes dont il avait lu les noms sur une liste. Il avait déclaré qu’il reviendrait avec davantage d’armes et que les assaillants devraient s’assurer qu’aucun Tutsi ne soit épargné. Les miliciens de la CDR étaient passés à l’attaque et avaient tué des personnes sur-le-champ, à l’aide de machettes. Le témoin, qui a décrit la scène en parlant de bain de sang, avait quitté les lieux vers 23 h 30 et était retourné à la gendarmerie ».
Le tueur avait accompagné Simba, Bucyibaruta, Sebuhura et Semakwavu
Quelques heures plus tard, le 21 avril vers 3 heures, le témoin KEI avait accompagné Simba, Bucyibaruta, Sebuhura et Semakwavu au collège technique de Murambi, toujours à bord des trois véhicules susvisés, pour distribuer les armes restantes laissées au camp de la gendarmerie. « Simba s’était adressé aux assaillants à l’aide d’un mégaphone et avait distribué des grenades et six fusils ; quant au témoin, il avait distribué les machettes et les coupe-coupe. Simba avait promis à la foule que le groupe qui tuerait le plus de réfugiés serait récompensé. Il avait encore dit aux assaillants qu’il reviendrait plus tard dans la matinée récupérer les armes parce que l’ennemi avait également encerclé Kaduha. Il avait ensuite demandé aux gendarmes d’encercler le bâtiment et d’ouvrir le feu, ce qu’ils avaient fait. Le témoin étaient resté au collège technique de Murambi pendant une trentaine de minutes et était retourné ensuite au camp de la gendarmerie avec Simba, Bucyibaruta et Sebuhura. Semakwavu était resté en arrière pour essayer de recruter d’autres miliciens membres de la CDR de la commune de Mudasomwa et les transporter sur les lieux » [2].
« Il avait ensuite demandé aux gendarmes d’encercler le bâtiment et d’ouvrir le feu »
Le 21 avril, vers 8 heures, le témoin KEI était retourné au collège technique de Murambi avec Simba, Bucyibaruta, Sebuhura et Semakwavu et y était resté une vingtaine de minutes. Il a affirmé que tous les Tutsis avaient été tués et que plus de 10 000 cadavres y étaient entassés. Selon lui, « Bucyibaruta avait demandé qu’on fasse venir une pelleteuse pour enterrer les morts. Simba avait félicité les assaillants et leur avait dit qu’ils avaient bien agi. Il avait annoncé qu’il avait besoin des fusils qu’il avait distribués parce qu’ils seraient nécessaires pour attaquer la paroisse de Kaduha. Les assaillants avaient remis les fusils et les grenades non utilisées ».
Selon le jugement initial du TPIR de 2005 [confirmé en 2007], ce scénario s’est reproduit dans la paroisse de Kaduha. « Lors de l’attaque lancée contre la paroisse de Kaduha, Bucyibaruta a transporté un groupe de gendarmes sur les lieux du massacre pour prêter main forte aux assaillants. Ces gendarmes se sont joints aux assaillants et ont pris part au massacre. Cette attaque s’est soldée par le massacre de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à la paroisse de Kaduha, dans la préfecture de Gikongoro, le 21 avril 1994 ou vers cette date. La plupart des victimes étaient des Tutsi. Bon nombre des personnes décédées ont été enterrées entre le 23 et le 26 avril 1994 à Kaduha et dans ses environs » [3].
« Bucyibaruta a transporté un groupe de gendarmes sur les lieux du massacre pour prêter main forte aux assaillants »
Désignée sous les initiales KSK, une agricultrice tutsie réfugiée à la paroisse de Kaduha a déclaré que du promontoire où elle se trouvait, elle « pouvait voir les nombreuses personnalités qui venaient à la paroisse, notamment Simba, Laurent Bucyibaruta (préfet de Gikongoro), Joachim Hategikimana (sous-préfet de Kaduha), Faustin Sebuhura (capitaine de gendarmerie) et le major Habyarabatuma. Bucyibaruta venait souvent avec Hategekimana et Sebuhura » [4].
Alors que l’agricultrice s’échappait de la paroisse à la fin de la première attaque, vers 11 h 30, elle avait entendu plusieurs assaillants dire qu’ils arrivaient de la commune de Mwendo (préfecture de Kibuye). Dans le chaos causé par l’attaque, alors qu’elle était poursuivie, elle avait entendu les assaillants dire que « sans les grenades apportées par Simba et Habyarabatuma, et sans l’intervention de Bucyibaruta, ils n’auraient jamais réussi ».
« Sans l’intervention de Bucyibaruta, ils n’auraient jamais réussi »
Selon les juges du TPIR, « la relation de première main que le témoin a faite de ce qui s’était passé à la paroisse est dans l’ensemble crédible et fiable. [Mais] la Chambre relève que la déposition comme telle ne permet pas de situer Simba ou Bucyibaruta à la paroisse pendant l’attaque du 21 avril […] il ne ressort pas vraiment du dossier que le témoin connaissait suffisamment les intéressés ou avait des éléments suffisants lui permettant d’identifier Simba, Bucyibaruta, Hategekimana et Sebuhura dans les circonstances difficiles où se situent les faits survenus à la paroisse. […] Par conséquent, la Chambre est peu disposée à se fier à cette déposition pour ce qui est de l’identification des différents responsables qui sont venus à la paroisse ».
La doctrine de « l’entreprise criminelle commune »
Les magistrats du Tribunal pénal international pour le Rwanda se sont montrés très prudents sur les témoignages mettant nommément en cause Laurent Bucyibaruta. Mais le nombre de ces accusations a fini par faire sens.
En 2005, le Procureur entendait établir, en s’appuyant sur la doctrine de « l’entreprise criminelle commune », que Simba était responsable pénalement des massacres perpétrés à la paroisse de Kibeho, au collège technique de Murambi, dans les paroisses de Cyanika et de Kaduha et dans la commune de Ruhashya [5]. Le Parquet projetait alors de poursuivre Laurent Bucyibaruta au même titre, avant de renoncer à demander à la France son extradition, en raison de à la promesse de Paris de le juger dans un délai raisonnable devant une cour d’assises française.
« Trois massacres comme les éléments d’une seule et même opération étroitement coordonnée »
Aux yeux de la Chambre du TPIR, « les trois massacres perpétrés le 21 avril (au collège technique de Murambi et aux paroisses de Cyanika et de Kaduha) ne peuvent se concevoir que comme les éléments d’une seule et même opération étroitement coordonnée, mettant à contribution des miliciens locaux appuyés par des gendarmes armés de fusils et de grenades, et bénéficiant, au niveau de l’organisation et de la logistique, du soutien des autorités locales et de personnalités telles que Simba, dont les assaillants ont reçu encouragements, directives et munitions. L’opération, qui s’est déroulée sur une période d’environ douze heures, en un seul jour, a consisté à tuer des milliers de Tutsi concentrés en trois lieux proches les uns des autres ».
Le jugement de 2005 énonce encore : « La grande échelle à laquelle ces trois assauts ont été exécutés ne peut raisonnablement s’expliquer que par une planification et une coordination préalables. La Chambre relève en outre qu’avant le 21 avril, des Interahamwe ne disposant pour ainsi dire que d’armes traditionnelles avaient tenté, mais en vain, de s’en prendre aux réfugiés rassemblés dans ces mêmes lieux. La coordination des attaques, les encouragements officiels reçus par les assaillants, la présence parmi ceux-ci de gendarmes bien armés et l’utilisation de fusils et de grenades sont autant de facteurs nouveaux qui se sont avérés décisifs ».
« Il existait un dessein criminel commun de tuer les Tutsi présents dans les trois lieux visés »
Dans le jugement Simba, « la Chambre considère que la preuve produite ne peut raisonnablement emporter qu’une seule conclusion raisonnable, à savoir qu’il existait un dessein criminel commun de tuer les Tutsi présents dans les trois lieux visés ».
La Chambre « estime que l’ampleur de l’opération et le carnage qui en est résulté supposent nécessairement qu’une pluralité de personnes ont concouru à son exécution, chacune ayant eu un rôle précis à jouer dans au moins un des massacres. Simba, le préfet Bucyibaruta, le capitaine Sebuhura et le bourgmestre Semakwavu, tout comme les auteurs matériels des crimes, comptaient parmi les protagonistes de cette entreprise criminelle commune. À cela s’ajoute qu’en raison du statut dont jouissait Simba, sa participation à l’entreprise criminelle commune a dû avoir un effet comparable sur les autres autorités impliquées, notamment le préfet Bucyibaruta, le capitaine Sebuhura et le bourgmestre Semakwavu » [§ 404].
« Tous les participants adhéraient à ce dessein [de] génocide »
« Une seule conclusion raisonnable ressort de la preuve produite : les actions de l’accusé et des autres parties à l’entreprise ont été coordonnées préalablement aux attaques. […] Selon d’abondants témoignages retenus par la Chambre, les civils tutsis ont été visés immédiatement après la mort du Président. Ils ont été une multitude, après l’incendie et le pillage de leurs maisons par des miliciens hutus, à chercher refuge au collège technique de Murambi et à la paroisse de Kaduha, où ils ont été massacrés par milliers, en un seul jour, sur une période de douze heures environ. Étant donné l’ampleur de ces massacres et le contexte dans lequel ils ont été perpétrés, une seule conclusion raisonnable est permise : les assaillants, auteurs matériels des crimes commis, étaient animés de l’intention de détruire, en tout ou en partie, une partie substantielle du groupe tutsi. Tous les participants à l’entreprise criminelle commune, Simba y compris, adhéraient à ce dessein [de] génocide ».
« Il est inconcevable que Simba et les autres membres de l’entreprise criminelle commune aient pu ne pas savoir… »
Les magistrats de première instance du TPIR écrivent encore : « Il est inconcevable, aux yeux de la Chambre, que Simba et les autres membres de l’entreprise criminelle commune aient pu ne pas savoir, au moment où se déroulaient les massacres du 21 avril, que leurs actes s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée visant la population civile tutsie. Simba, qui avait passé un certain temps à Kigali et à Gitarama, n’était pas sans savoir la situation qui régnait au Rwanda : les personnes réfugiées chez lui, à Kigali, avaient rapporté que des soldats recherchaient les Tutsi ; lorsqu’il avait lui-même franchi des barrages routiers pour se rendre de la capitale à Gitarama, ses passagers tutsis avaient été menacés ; et le témoin MIB l’avait prévenu que la route de Gikongoro n’était pas sûre et que des assaillants y tuaient les Tutsi ».
« Le préfet Bucyibaruta, le capitaine Sebuhura et le bourgmestre Semakwavu, ces personnes étaient présentes lors des massacres »
« La Chambre de première instance du TPIR a conclu à la présence de l’accusé [Aloys Simba] le 21 avril dans deux des lieux de massacre. Il y distribuait des armes et s’était adressé aux assaillants. En outre, d’autres protagonistes de l’entreprise criminelle commune, tels que le préfet Bucyibaruta, le capitaine Sebuhura et le bourgmestre Semakwavu, s’étaient réunis à plusieurs reprises avec les autorités locales pour examiner la question de l’insécurité dans la région. Ces personnes étaient présentes lors des massacres et avaient envoyé des assaillants du collège technique de Murambi à la paroisse de Cyanika. Vu notamment l’ampleur des atrocités commises, les assaillants, auteurs matériels des crimes visés, devaient eux aussi être conscients du contexte général dans lequel ils agissaient [6] ».
Pensant pouvoir juger plus tard l’ex-préfet Bucyibaruta, la Chambre de première instance du TPIR, statuant à l’unanimité, déclara Aloys Simba coupable de génocide, et coupable d’extermination constitutive de crime contre l’humanité. La Chambre d’appel donna à cet arrêt un caractère définitif.
[Notes :]
[1] The Prosecutor v. Aloys Simba , Case No. ICTR-01-76-T, Judgement and Sentence (Trial Chamber), 13 December 2005. En français : Aloys Simba, affaire n° ICTR-2001-76-T. Jugement portant condamnation, 13 décembre 2005 CI05-0064 (F). Traduction certifiée par la SSL du TPIR. A noter que cette condamnation ne se limitait qu’à deux des cinq massacres, à savoir ceux survenus à la paroisse de Kaduha et à l’école technique de Murambi. Pour les trois autres massacres, la Chambre de première instance a estimé que la participation de l’accusé à une entreprise criminelle conjointe n’était pas établie ou que ces faits ne participaient pas de l’entreprise criminelle conjointe initiale et mise en œuvre à Kaduha et Murambi. Voir : https://www.refworld.org/cases,ICTR,48abd516d.html.
Le 27 novembre 2007, la Chambre d’appel a rendu un arrêt, rejetant l’ensemble des moyens d’appel des deux parties.
[2] Compte rendu de l’audience du 25 octobre 2004, p. 7 à 10, 18 et 19 ; compte rendu de l’audience du 26 octobre 2004, p. 39 et 40. Compte rendu de l’audience du 25 octobre 2004, p. 9 à 11. Le Procureur c. Aloys Simba, affaire n° ICTR-2001-76-T. Jugement portant condamnation, 13 décembre 2005 CI05-0064 (F).
[3] Page 51, § 33.
[4] Le Procureur c. Aloys Simba, affaire n° ICTR-2001-76-T. Jugement portant condamnation, 13 décembre 2005 CI05-0064 (F). Traduction certifiée par la SSL du TPIR. Page 55 § 153. Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2004, p. 48 à 50 ; compte rendu de l’audience du 24 septembre 2004, p. 6, 7, 45 à 48, 67 et 68. Compte rendu de l’audience du 24 septembre 2004, p. 1 à 3, 54 à 56, 67 et 68. Ibid., p. 6 à 8.
[5] L’article 6.1 du Statut du TPIR énonce certaines formes de responsabilité pénale individuelle applicables aux crimes relevant de la compétence du Tribunal, mais ne fait pas explicitement référence à l’« entreprise criminelle commune ». Toutefois, la Chambre d’appel a déjà conclu que la participation à une entreprise criminelle commune était une forme de responsabilité qui existe en droit international coutumier, et qu’une telle participation constituait une forme de « commission » au sens de l’article 6.1 du Statut.
[6] « Bon nombre des assaillants ont participé aux tueries du 21 avril dans plusieurs des lieux visés ». Ntakirutimana, Chambre d’appel, Jugement, 13 décembre 2004, par. 516. Ntagerura et consorts, Jugement et sentence, 25 février 2004, par. 701. Voir aussi Ntakirutimana, Chambre d’appel, Jugement, 13 décembre 2004, par. 522. Le Procureur c. Aloys Simba, affaire n° ICTR-2001-76-T. Jugement portant condamnation, 13 décembre 2005 CI05-0064 (F). Traduction certifiée par la SSL du TPIR.