Citation
Le sort des Tutsis de Bisesero a été scellé à Paris
Le 11 mai 2022
Quand le génocide contre Tutsis commence, en avril 1994, des dizaines de milliers d’entre eux se
regroupent sur les hauteurs de Bisesero, à l’ouest du Rwanda, non loin de Kibuye. Ils résistent
efficacement aux génocidaires, sous la conduite notamment d’Aminadabu Birara, jusqu’à ce qu’une
grande offensive des Forces armées rwandaises (FAR) et des milices Interahamwe cause la mort de
la plupart d’entre eux, les 13 et 14 mai. Les Tutsis ayant survécu à cette attaque massive se terrent,
affamés, pourchassés quotidiennement par les milices et la population hutue, encadrée par les
militaires rwandais et les autorités civiles.
Le 26 juin 1994, des journalistes informent des militaires français de l’opération Turquoise (22 juin
– 22 août 1994), dont le mandat au Rwanda est de mettre fin aux massacres des populations civiles,
que le génocide se poursuit non loin de là, à Bisesero. Le 27 juin, un détachement aux ordres du
capitaine de frégate Marin Gillier prend position à Gishyita, à quelques kilomètres à vol d’oiseau de
Bisesero. En fin de matinée, Gillier observe le départ d’une centaine d’hommes armés vers
Bisesero, puis l’attaque qu’ils mènent à cet endroit. Dans son compte rendu quotidien à son
supérieur, le colonel Jacques Rosier, chef des forces spéciales de Turquoise, Gillier parle de
« combats » et non de massacres, malgré les informations reçues la veille de la part des reporters.
Au début de l’après-midi du 27 juin, une patrouille commandée par le lieutenant-colonel Jean-Rémi
Duval se rend à Bisesero, apparemment sans en informer Gillier. Un survivant tutsi, Éric
Nzabihimana, force les Français à s’arrêter. Une centaine de Tutsis dans un état de dénuement
extrême, certains blessés, viennent alors à leur rencontre. Ils disent être deux mille, disséminés sur
les collines. Duval repart en les laissant sans protection, leur conseillant de retourner se cacher en
attendant le retour des Français « dans deux ou trois jours ». Le soir, il rend compte à sa hiérarchie,
mais durant trois jours, rien n’est mis en œuvre pour secourir ces survivants dont la situation est
pourtant relatée dans les documents militaires français et dans la presse (RFI le 28 juin, Le Figaro et
Libération le 29 juin).
Le 30 juin, les commandos de marine de Gillier traversent Bisesero, mais sans instructions de
sauver les Tutsis. C’est l’élément de queue de ce détachement, formé de militaires du 13ème
Régiment de Dragons Parachutistes et de gendarmes du GIGN – dont l’adjudant-chef Thierry
1
Prungnaud – et commandé par le capitaine Olivier Dunant, qui, alerté par des journalistes de Paris
Match, prend l’initiative d’aller à leur rencontre. Cette fois, les Français restent avec les survivants
tutsis et déclenchent leur sauvetage. Gillier revient sur les lieux et découvre la réalité du génocide.
Entre le 27 et le 30 juin, des centaines de Tutsis ont été exterminés à Bisesero, alors que les troupes
françaises, informées, se trouvaient à quelques kilomètres à vol d’oiseau. Cette inaction délibérée a
eu pour conséquence de laisser le champ libre aux tueurs. L’instruction ouverte par la justice
française en 2005 est en cours de clôture, alors que des questions cruciales sont toujours sans
réponse : pourquoi aucun ordre de secourir les Tutsis de Bisesero n’a-t-il été donné par la hiérarchie
militaire, sur place et à Paris, et surtout quelles sont les personnes qui ont décidé de cette
abstention ?
La publication du rapport de la commission Duclert au printemps 2021 aurait dû amener les juges
d’instruction en charge du dossier à tenir compte des informations mises au jour. Cela n’a pas été le
cas, malgré les demandes en ce sens des parties civiles (I). Le rapport Duclert a pourtant confirmé le
rôle décisionnel de l’état-major des armées lors de l’opération Turquoise, le commandant de la
Force Turquoise, le général Lafourcade, n’ayant à l’évidence pas l’autonomie opérationnelle que lui
prête les magistrats pour ne pas avoir à remonter plus haut dans la chaine hiérarchique (II). Le
rapport insiste aussi sur le rôle de l’état-major particulier du président Mitterrand dans la conduite
de la politique menée au Rwanda (III). L’audition par les juges des plus hauts responsables de
l’armée en 1994 s’impose d’autant plus que des militaires français ont facilité la commission du
crime de génocide du 27 au 30 juin 1994 (IV).
Plan
I. Le rapport Duclert ne peut pas être ignoré par l’institution judiciaire ………………………… p. 3
I. A. - Le rapport n’a pas conclu de manière définitive et juridique à l’absence de toute
complicité de génocide ………………………………….……………………….…… p. 3
I. B. - Une critique accablante de l’opération Turquoise et des décisions prises au plus haut
niveau hiérarchique …………………………………………………………………..…… p. 4
I. C. - Le rapport Duclert confirme l’existence d’un choix de ne pas secourir les Tutsis de
Bisesero ………………………………. p. 5
II. Le rapport Duclert établit clairement que le commandant de la Force Turquoise recevait ses
instructions de Paris et ne jouissait pas de l’autonomie opérationnelle que lui reconnaissent les
magistrats instructeurs et le parquet ……………………………………………………... p. 6
II. A. - Selon le rapport Duclert, le général Lafourcade reçoit des instructions opérationnelles de
l’état-major des armées ………………………………………………….………… p. 7
II. B. - L’amiral Lanxade a lui-même expliqué que l’opération Turquoise comme d’autres, était
sous son autorité et que les ordres n’émanaient que de lui …………………..……...……... p. 9
III. L’état-major particulier du président de la République est-il intervenu à Bisesero ? …...... p. 9
II. A. - L´état-major particulier, acteur direct du dossier rwandais ………...………..… p. 9
2
III. B. - Le général Quesnot suit personnellement la situation à Bisesero ………………. p. 10
1) Le général Quesnot est informé dès le 27 juin 1994 dans l'après-midi que des Tutsis sont
attaqués et menacés d'extermination dans la région de Kibuye …………………………. p. 10
2) La DGSE informe le général Quesnot, le 29 juin 1994, de la présence à Bisesero de
« 10 000 Tutsis traqués par les milices Hutus ……… p. 11
3) Le général Quesnot a connaissance de la presse écrite et audiovisuelle, qui relate en détails,
les 28 et 29 juin 1994, la situation dramatique des survivants tutsis de Bisesero .….. p. 12
4) Le 29 juin 1994, le général Quesnot suit de très près l’action du détachement COS de
Turquoise …………. p. 12
IV. Les actes positifs qui ont permis de faciliter la commission du crime de génocide du 27 au 30
juin 1994 ………………...…………… p. 12
IV. A. – Les militaires sur le terrain ne recoivent pas l´ordre de secourir les Tutsis …….. p. 13
1) Les ordres de ne pas intervenir à Bisesero …………………………..………… p. 13
2) Aucun ordre de porter secours aux Tutsis de Bisesero n´a éte retrouvé …………… p. 14
IV. B. - Le groupe COS commandé par Marin Gillier et basé à Gishyita a laissé partir les miliciens vers le lieu des tueries ………………………………………………….. p. 15
IV. C- Jean-Rémi Duval et ses hommes n'ont pas protégé les Tutsi de Bisesero après leur
découverte ………………………………………………….. p. 15
IV. D. - Jacques Rosier et Marin Gillier ont relayé aux médias, du 27 au 29 juin 1994,
l’information qu’ils savaient fausse, selon laquelle 1000 à 2000 hommes du FPR se trouvaient à
Bisesero et s’affrontaient avec les FAR et milices locales………………………… p. 16
I - Le rapport Duclert ne peut pas être ignoré par l’institution judiciaire
Le rapport Duclert se fonde exclusivement sur les archives militaires ou civiles qui lui ont été rendu
accessibles et dont un certain nombre ne sont pas connues de l’institution judiciaire, notamment
parce que les juges n’ont pas pu obtenir leur communication. Ce rapport met en lumière les
responsabilités des plus hautes autorités françaises tant dans la période de préparation et de mise en
œuvre du génocide qu’à la fin de celui-ci lors de l’opération Turquoise.
I. A - Le rapport n’a pas conclu de manière définitive et juridique à l’absence de toute
complicité de génocide
Dans ses conclusions, le rapport ne se prononce pas sur l’existence ou non d’actes pouvant revêtir la
qualification juridique de complicité de génocide, car cette question ne relève pas de son mandat,
mais estime que les archives consultées ne permettent pas de considérer la France (et non des
personnes physiques) comme complice du génocide des Tutsis, dans la mesure où il n’a pas été
relevé de volonté de l’État français de s’associer à un tel crime. Il est ainsi exactement écrit : « La
3
France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsis ? Si l’on entend par là une volonté de
s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer ».
Le rapport expose ainsi clairement avoir enfermé la notion de complicité de génocide dans une
définition restrictive (voir infra), sans faire de distinction entre ce qui peut relever d’une complicité
générale de génocide, d’actes pouvant être qualifiés de complicité dans le génocide. Le président de
la commission reconnaît d’ailleurs ne pas avoir cherché à « prendre la place des juges » ni avoir
procédé à l’analyse juridique de la notion de complicité de génocide
Les historiens de la Commission, dont ce n’est pas le mandat, n’ont donc pas cherché à savoir si les
responsabilités « lourdes et accablantes » qu’ils exposent pouvaient être juridiquement qualifiés de
complicité de génocide
Les éléments du rapport tendant à démontrer que les décisions relatives à la conduite des opérations
au Rwanda et en particulier celles liées à l’opération Turquoise et ayant pu avoir des incidences
directes sur la situation des civils tutsis de Bisesero devaient conduire le parquet à prendre des
réquisitions de reprise des investigations et inciter les juges d’instruction à intégrer le rapport dans
le dossier d’instruction, aux fins de procéder à son analyse et à de nouveaux actes d’enquête.
I. B - Une critique accablante de l’opération Turquoise et des décisions prises au plus haut
niveau hiérarchique
Les conclusions du rapport sont en effet édifiantes sur l’existence d’une responsabilité étatique, au
plus haut sommet de l’État. Le constat opéré sur la nature de l’opération Turquoise, est ainsi
rédigé (p. 971-974, souligné par nous) :
« Alors que la Résolution 929 des Nations unies, largement inspirée par la France, n’utilise
pas le terme de génocide, la mission des militaires est l’objet d’injonctions difficiles à mettre
en œuvre : agir dans une perspective humanitaire, « arrêter les massacres », stabiliser la
situation militaire. Il est indéniable qu’il y a eu, à partir de la mi-juin, au sein du
gouvernement français et de la part de François Mitterrand, un sursaut volontariste face aux
massacres et à la crise humanitaire. Il apparaît aussi que l’opération Turquoise intervient à
un moment où le gouvernement français table encore sur un retour à une négociation qui
permettrait le partage du pouvoir entre le FPR et ce qui peut rester de l’ancien régime.
Domine encore, chez certains, le schéma intellectuel qui tend à séparer, quand il s’agit du
Rwanda, les questions humanitaires et la logique de relations internationales où
l’hypothèse de la prise totale du pouvoir par le FPR est perçue comme une menace
existentielle.
Si l’opération Turquoise commence avec des consignes très strictes de neutralité vis-à-vis des
belligérants, la première source de menace qui est identifiée est néanmoins celle que
constituerait le FPR.
[...]
Ainsi, le drame humain de Bisesero et l’échec profond qu’il constitue pour la France ne
résultent pas seulement de responsabilités de terrain mais découlent en grande partie de la
volonté de maintenir un équilibre entre les parties, de la crainte qu’ont les forces françaises
de se trouver confrontées au FPR et à une réaction violente de sa part.
Selon le rapport, certains décideurs tenteront, du fait de la poursuite de cette doctrine, de loger dans
cette opération « humanitaire » que doit être Turquoise, une opération militaire visant à s’opposer
au FPR et à maintenir un équilibre entre ces derniers et le pouvoir agonisant.
4
I. C. - Le rapport Duclert confirme l’existence d’un choix de ne pas secourir les Tutsis de
Bisesero
Le rapport et son président, l’historien Vincent Duclert, font état de l’existence d’un choix délibéré
de ne pas intervenir pour porter secours aux Tutsis de Bisesero.
L’absence d’ordre de faire intervenir à Bisesero les militaires de Turquoise pour mettre fin aux
tueries en cours qui ont été constatées sans ambiguïté par les éléments du COS dès le 27 juin 1994
(voir infra), pourrait ainsi trouver son origine dans les dissensions profondes entre les différents
protagonistes, militaires et civils, sur la nature même de l’opération Turquoise.
Interrogé spécifiquement par le magazine Jeune Afrique à propos des événements de Bisesero,
Vincent Duclert expose :
-
-
« On sait que le chef de ce détachement, le lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval, prévient
par téléphone le colonel Rosier [qui commande les troupes du Commandement des
opérations spéciales (COS)] de la situation. Mais ce dernier choisit de privilégier d’autres
opérations, jugées prioritaires, au détriment de Bisesero.
Bisesero représente une terrible erreur d’appréciation.
Et il faudra effectivement attendre qu’une nouvelle équipe de commandos de marine,
accompagnés par l’adjudant-chef Thierry Prungnaud, du GIGN, découvre à nouveau ces
rescapés le 30 juin, trois jours plus tard, pour que le colonel Rosier décide d’une véritable
opération de sauvetage à Bisesero, de nuit, avec une armada d’hélicoptères, pour secourir
les blessés et sécuriser la zone. Entre-temps, plusieurs centaines d’entre eux ont été tués.
Ces trois jours représentent une terrible erreur d’appréciation, sans volonté toutefois de
laisser exterminer les Tutsi menacés »1.
Le président de la commission confirme, en ce qui concerne les faits, que le colonel Rosier,
commandant du COS, témoin assisté dans la procédure, a été informé, a minima par téléphone, par
son subalterne le lieutenant-colonel Duval, de sa découverte des rescapés de Bisesero nécessitant
une assistance immédiate. Ce dernier a d’ailleurs toujours soutenu avec une grande fermeté avoir
prévenu le colonel Rosier par téléphone et avoir transmis son compte rendu quotidien (CRQ) le 27
juin au soir par télécopie, car la transmission quotidienne du CRQ est une obligation2.
Vincent Duclert confirme également par les archives consultées, que le sauvetage du 30 juin ne
résulte pas de l’exécution d’un ordre d’intervenir à Bisesero pris le 29 juin 1994, mais d’une
« nouvelle découverte » par Thierry Prugnaud et des soldats placés sous le commandement de
Marin Gillier.
Il estime que le colonel Rosier « choisit de privilégier d’autres opérations, jugées prioritaires »,
sans pour autant révéler lesquelles de ces opérations seraient plus urgentes et importantes que de
sauver des Tutsis en cours d’extermination.
1
2
Idem. Souligné par nous.
Il a été constaté que l’entête de la télécopie permettant de connaître la date et l’heure de transmission ne figurait sur
aucune des copies cotées au dossier. Saisi par les juges d’instruction d’une demande de transmission de l’original, le
Service Historique de la Défense n’a pas été en mesure de transmettre l’original ou une copie complète de l’original.
5
Enfin, seules les suites de l’instruction permettront de déterminer si ce choix de privilégier d’autres
actions relève d’une « terrible erreur d’appréciation sans volonté de laisser exterminer les Tutsi »
ou bien de faits susceptibles d’être qualifiés pénalement.
En définitive, le rapport Duclert permet de confirmer que les autorités françaises, militaires et /ou
civiles, ont donc pris le parti, entre le 27 et le 30 juin 1994 de ne pas secourir les survivants de
Bisesero, qui ont continué d’être tués à ces dates, et de privilégier d’autres actions jugées plus
urgentes pour des motifs qui semblent relever d’une volonté de maintenir le FPR à distance et tenter
de préserver les possibilités d’un maintien du gouvernement génocidaire.
Il reste néanmoins à déterminer par qui cette décision aux conséquences dramatiques et pénalement
répréhensible a été prise.
II. Le rapport Duclert établit clairement que le commandant de la Force Turquoise recevait
ses instructions de Paris et ne jouissait pas de l’autonomie opérationnelle que lui
reconnaissent les magistrats instructeurs et le parquet
Les magistrats instructeurs ont rejeté le 28 août 2017 les demandes d’audition de l’amiral Jacques
Lanxade, à l’époque chef d’état-major des armées, et de son adjoint le général Raymond Germanos.
Examinant l’appel interjeté par les parties civiles contre cette décision, le président de la chambre
de l’instruction considérait, par une ordonnance rendue le 31 octobre 2017, « que c'est par une
ordonnance précise et complètement motivée, dont [il] adopt[ait] les motifs, que le magistrat
instructeur a[vait] répondu à la demande de mesure d'instruction complémentaire et l'a[vait]
rejetée » et disait n’y avoir lieu à saisine de la chambre de l’instruction.
Les motifs des magistrats instructeurs adoptés par le président de la chambre de l’instruction étaient
essentiellement
qu'il résultait des investigations qu'au sein de la chaîne de commandement existant au sein de
l'opération "Turquoise", le détail d'un ordre opérationnel donné à un chef de détachement du
COS n'était pas du ressort de l'État-Major des Armées, et ce nonobstant la création des
conseils restreints mis en exergue par les parties civiles ; que l'État-Major des Armées se
concentrait sur les décisions stratégiques telles que l'évolution des règles de comportement et
d'engagement ou l'interprétation du mandat d'intervention ; que le Général Raymond
GERMANOS, Chef d'État-Major des Armées adjoint au moment des faits, avait ainsi fait
remonter la question du désarmement des milices à sa hiérarchie ; que si le message de ce
dernier expédié au Général Jean-Claude LAFOURCADE le 27 juin au soir, constituait bien
une implication de l'État-Major dans les opérations de terrains, ceci ne modifiait en rien le
cadre d'intervention de l'opération "Turquoise" et les responsabilités de chacun établis
notamment par les ordres d'opération du Général Raymond GERMANOS en date du 22 juin
1994, qui soulignaient que le premier objectif de l'opération était de « mettre fin aux
massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force » et que le
Général Jean-Claude LAFOURCADE assurait le contrôle opérationnel de l'opération ;
Il n’est pas possible d’affirmer que le général Lafourcade avait seul le contrôle opérationnel de la
Force Turquoise. En effet, le message du général Germanos expédié au général Lafourcade le 27
juin au soir ne constitue de loin pas la seule « implication de l’état-major dans les opérations de
terrain ».
6
Tout d’abord, dans son point de situation daté du « 28 juin 1994 à 21h00 », faxé au « chef CCR » à
21h18, le commandant de la Force Turquoise écrit qu’il demande l’autorisation de l’amiral Lanxade
pour exécuter les opérations qu’il prévoit pour le 30 juin :
« Activités opérationnelles : Les activités seront réduites demain à cause de la visite du
Ministre. En revanche, le 30 juin, j’envisage, au sud, de pousser une reconnaissance vers
GIKONGORO où il y aurait de nombreux camps de réfugiés et une importante demande
humanitaire. Au nord, j’envisage de reconnaître le secteur de KABAYA où il y aurait 3
camps de réfugiés sans présence d’ONG. Je demande l’autorisation du CEMA [chef d’étatmajor des armées] pour exécuter ces opérations vers l’Est ».
Surtout, le rapport Duclert démontre que le commandant de la force Turquoise demande et reçoit
constamment ses instructions de Paris.
II. A - Selon le rapport Duclert, le général Lafourcade reçoit des instructions opérationnelles
de l’état-major des armées
Le rapport Duclert donne plusieurs exemples de la subordination opérationnelle du général
Lafourcade à l’état-major des armées :
* « [L]e général Lafourcade transpose en ordre pour ses hommes les consignes qui ont été
envoyées la veille de Paris par le général Germanos », écrit ainsi la commission Duclert dans son
récit de la réaction française à la chute de Butare, le 4 juillet 1994 :
Dans l’ordre donné par le sous-chef opérations de l’EMA à Paris, la défense d’une ligne pour
empêcher le FPR de passer est explicitement liée à l’exécution de la mission humanitaire de
protection des réfugiés. « Je vous confirme l’accord pour tenir la ligne Gikongoro-Kibuye et
de rester notamment à Gikongoro pour protéger les réfugiés conformément à la mission
humanitaire qui vous a été confiée ». […] La chute, dans la nuit [du 3 au 4 juillet], des deux
villes de Kigali et de Butare, confirme l’incapacité des FAR à faire face aux troupes du FPR,
et transforme les forces françaises en principal obstacle à sa progression vers le sud-ouest.
En effet, Butare étant tombée, cela conduit à un renforcement considérable des moyens
français sur place, à Gikongoro, plus menacée. Le général Lafourcade donne des ordres en
ce sens : « groupement COS : poursuivre la présence sur zone en mesure de s’opposer à la
progression du FPR dans la région de Gikongoro ».
En affirmant explicitement qu’il faut pouvoir s’opposer à la progression du FPR vers l’ouest,
le général Lafourcade transpose en ordre pour ses hommes les consignes qui ont été envoyées
la veille de Paris par le général Germanos, ce qui donne au groupement du colonel Rosier et
des forces spéciales, des moyens qui sont, à l’origine éloignés des missions de reconnaissance
[...]3 »
* Le 7 juillet 1994, le général Germanos donne à nouveau des instructions au général Lafourcade,
au moment où « le FPR lance ce qui apparaît rapidement comme un test du dispositif français et
des principes de la ZHS. Dans ce cadre, le sous-chef opération, le général Germanos, donne des
instructions afin qu’une dissuasion soit mise en place, se refuse à donner des ordres qui
conduiraient à une escalade trop rapide entre les deux forces. Le 12 juillet, l’EMA réaffirme les
consignes données au général Lafourcade : aucune force ne peut pénétrer en ZHS pour ne pas
porter atteinte aux populations4 ».
3
4
p. 585 du rapport Duclert.
p. 570 du rapport Duclert.
7
* Le 8 juillet, le général Germanos donne au général Lafourcade un ordre opérationnel très précis
tout à fait comparable à celui qu’il lui avait donné le 27 juin au soir, allant jusqu’à lui indiquer les
actions à mener :
La recherche de la dissuasion comme instrument de gain de temps apparaît comme la
stratégie dictée au général Lafourcade par Paris. Ainsi, le 8 juillet, alors que des unités du
FPR passent la ZHS vers l’ouest, il reçoit cette instruction : « Les consignes données par le
sous-chef OPS sont les suivantes : Préciser le renseignement. Marquer notre volonté et les
dissuader en avançant un élément français sur l’axe de progression FPR. Mettre en alerte les
moyens aériens au-dessus du Zaïre5 ».
* Le 8 juillet encore, la demande du général Lafourcade de neutralisation des radios reçoit une
réponse de l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées, qui en fait étudier la possibilité par la
cellule de crise Rwanda (CCR). Une action de force du COS est envisagée, « mise en œuvre
directement avec les moyens présents sur le théâtre ses opérations », action qui dépend à l’évidence
de la décision du chef d’état-major des armées, et non de celle du général Lafourcade :
À Goma, le commandant de Turquoise a bien conscience du rôle des radios qui lancent « des
appels aux massacres du type de ceux du mois d’avril » et en fait part à l’EMA pour pouvoir
agir. En même temps, la France est saisie d’une demande d’aide du gouvernement du
Burundi pour mettre la fin à une radio extrémiste. L’analyse du chef d’état-major des Armées,
l’amiral Lanxade, est beaucoup plus prudente, puisqu’en marge du message du général
Lafourcade, il note que « la destruction est difficile car elle semble mobile. À voir aussi ».
Cependant, à sa demande, une fiche d’analyse est préparée le 8 juillet dont l’objet est la
neutralisation de la Radio des Mille Collines. La cellule de crise sur le Rwanda à l’EMA
signale qu’en plus du brouillage, une action de force du COS est envisagée, et pourrait être
mise en œuvre directement avec les moyens présents sur le théâtre des opérations :
Proposition CCR : Cette solution pourrait être intéressante en cas d’urgence,
notamment tant que nous ne disposons pas des moyens de brouillage sur le terrain. Il
est proposé d’agréer la demande du général Lafourcade [concernant cette action de
force du COS] et de faire étudier au plus cette hypothèse par le COS6.
* Le 23 juillet, la recherche et l’interpellation de meurtriers par « les équipiers de recherche
aéroportée du 13e RDP et les gendarmes de l’EPIGN », sous les ordres de Marin Gillier, suscite
une réaction immédiate de Paris adressée par téléphone au général Lafourcade. La commission
Duclert indique en effet que le rapport de Gillier « fait l’objet d’un suivi attentif à l’état-major à
Paris qui le juge défavorablement, considérant qu’il entraîne la mission française en dehors de ses
cadres. Il fait l’objet, par le COIA et la cellule suivant le Rwanda, d’un commentaire marginal et
manuscrit : "Ne pas diffuser. Tel Lafourcade. Nous n’avons pas à faire ce genre d’opération qui
plus est sur demande du bourgmestre"7 »
* Le général Germanos « prescrit le 25 juillet une escorte pour les convois humanitaires » en raison
des « violences exercées [qui] visent en particulier les camions humanitaires chargés de
ravitaillement et obligent à des réactions structurées8 ». (p. 575)
5
6
7
8
p. 587 du rapport Duclert.
p. 578 du rapport Duclert.
p. 575-576 du rapport Duclert.
p. 575 du rapport Duclert.
8
Il est hors de doute que l’état-major des armées exerce un contrôle étroit sur le général Lafourcade.
II. B - L’amiral Lanxade a lui-même expliqué que l’opération Turquoise comme d’autres,
était sous son autorité et que les ordres n’émanaient que de lui, par l'intermédiaire du Centre
Opérationnel Inter Armées (COIA) qu’il avait lui-même contribué à créer.
Lors de son audition par la mission d’information parlementaire en 1998, Jacques Lanxade a
clairement affirmé qu’il était celui qui prenait les décisions. Le compte rendu de son audition note
ainsi à ce propos qu’« il n'y avait aucun doute à avoir sur les auteurs des instructions que reçoivent
les chefs d'opération sur le terrain : c'est le chef d'état-major des armées qui en est l'auteur, il est
celui par qui l'on doit passer si l'on veut que des ordres leur soient donnés sur le terrain et il ne
saurait accepter que d'autres que lui leur donnent des directives. L'Amiral Jacques Lanxade a
ajouté que lui-même ne s'était jamais trouvé en difficulté de ce point de vue, les commandants
d'opérations sachant très bien que c'est du chef d'état-major des armées qu'ils relevaient et que les
ordres qu'ils recevaient ne pouvaient venir que du COIA. »
III. L’état-major particulier du président de la République intervient directement au Rwanda
Le rapport Duclert mentionne le rôle très important joué par l’état-major particulier du président de
la République au Rwanda, dès 1990. Dirigé par l’amiral Lanxade lors de l’offensive du FPR
d’octobre 1990, l’état-major particulier est placé sous les ordres du général Quesnot à partir du mois
d’avril 1991.
III. A - L´état-major particulier, acteur direct du dossier rwandais
Le rapport Duclert évoque un « service [qui] semble s’être transformé en acteur direct du dossier
rwandais, au moyen de pratiques irrégulières » :
L’intervention régulière voire permanente de la présidence de la République dans le soutien
militaire au président Habyarimana est attestée par de nombreux documents officiels ou
officieux d’origine variée. Y est mentionné explicitement le rôle, suivant les cas, du président
de la République, de l’Élysée, du général Quesnot, du général Huchon qui agissent en son
nom et qui amènent sur le terrain l’entité « l’Élysée ». Cette capacité d’intervention, concrète
et puissante, qu’une série de sources mentionne précisément, doit sa force à l’organisation de
l’état-major particulier sur lequel il est nécessaire de s’arrêter. Ce service semble s’être
transformé en acteur direct du dossier rwandais, au moyen de pratiques irrégulières. Mais il
ne s’agit pas d’un système factieux au sein de la présidence, mettant en question un
fonctionnement démocratique, avec des officiers qui prendraient le contrôle de la décision
politique sur un champ d’intervention, tel le Rwanda. Ils obéissent au premier élu de la
République. Aucun document ne montre ainsi une volonté du chef de l’État de sanctionner ces
militaires ou de les retenir dans leurs initiatives9.
Le rapport Duclert fait plus précisément état à une occasion de l’intervention de l’état-major
particulier du président de la République, dirigé par le général Christian Quesnot. Après avoir
évoqué la position stratégique de la ville et les sollicitations reçues d’étudiants et de religieux pour
s’y rendre, le rapport note :
Mais aller à Butare répond aussi à des demandes plus spécifiques. À l’Élysée le dossier est
9
p. 761 du rapport Duclert.
9
suivi de près – cette attention au plus haut niveau se traduit par les félicitations personnelles
que l’amiral Lanxade adresse aux personnels des forces spéciales. Ainsi, déjà, le 24 juin,
Louis Joinet, chargé de mission à l’Élysée, est alerté par une supérieure bénédictine de la
situation du monastère de Sovu à Butare. La conséquence écrite de la supplique est une note
adressée par Louis Joinet à l’état-major particulier du président de la République le 6
juillet10. (souligné par nous)
III. B - Le général Quesnot suit personnellement la situation à Bisesero
Le général Quesnot est informé dès l'après-midi du 27 juin 1994 que des Tutsis sont attaqués et
menacés d'extermination dans la région de Kibuye (1). La Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE), dont il reçoit quotidiennement les fiches, l’informe le 29 juin 1994 de la
présence à Bisesero de « plus de 10 000 Tutsis traqués par les milices Hutu » (2). Le général
Quesnot a connaissance de la presse écrite et audiovisuelle, qui relate en détails, les 28 et 29 juin
1994, la situation dramatique des survivants tutsis de Bisesero (3). Le 29 juin 1994, il suit de très
près l’action du détachement COS de Turquoise (4).
1) Le général Quesnot est informé dès le 27 juin 1994 dans l'après-midi que des Tutsis sont
attaqués et menacés d'extermination dans la région de Kibuye
a) C’est la Direction du renseignement militaire (DRM) qui donne cette information au général
Quesnot. La DRM reprend le contenu d’un fax envoyé à Paris par le bureau « renseignement » du
poste de commandement du général Lafourcade à Goma. Expédié le 27 juin à 14 h 38 et intitulé
« PCIAT GOMA à RENS DEFENSE PARIS, 27 juin 15 h », ce message indique :
« Le 27 vers 11 heures, un élément, fort d'une centaine de miliciens armés encadré par des
militaires, a attaqué une colline dans la région de GISOVU (25 Sud KIVUYE [sic]) ; 200
TUTSI, [3 mots rayés] originaires de la commune, étaient regroupés dans le secteur et
faisaient l'objet de menaces de la part des Hutu. »
Ce fax fait clairement allusion à l’attaque menée depuis Gishyita et rapportée par Marin Gillier dans
son compte rendu quotidien du 27 juin 1994. La localisation (« dans la région de Gisovu ») et
l'heure de l'attaque (« vers 11h00 ») ne laissent aucun doute sur le fait que la DRM fait allusion aux
événements dont a été témoin le commando Trépel aux ordres de Marin Gillier.
b) La DRM, à qui le message du bureau « renseignement » du général Lafourcade a notamment été
adressé, mentionne cette attaque dans son point de situation du 27 juin à 17 heures :
« Au plan militaire [...]
En zone gouvernementale, Kibouyé [sic] reste toujours un point principal de tensions interethniques où patrouillent les troupes françaises ; plusieurs centaines de Tutsis sont réfugiés
autour de cette ville. Vers 11h00, un élément fort d'une centaine de miliciens armés encadré
par des militaires a attaqué une colline dans la région de Gisovu (25 km Sud Kibuyé) ;
200 Tutsis, originaires de la commune, étaient regroupés dans le secteur et faisaient l'objet de
menaces de la part des Hutus. »
Ce même 27 juin, le général Quesnot adresse à François Mitterrand une « note à l'attention du
Président de la République » dont l'objet est : « Votre entretien avec M. Léotard le 27 juin 1994 à
10
p. 535 du rapport Duclert.
10
17 heures. Situation. » Dans cette note, le chef de l’état-major particulier reprend plusieurs des
termes du point de situation de la DRM :
2. - RWANDA.
Situation. […]
Sur le plan militaire,
[…]
La situation est très tendue à Kibuye où nos patrouilles ont été renforcées.
La mention d'une « situation très tendue à Kibuye » et l’allusion aux « patrouilles » démontre que le
général Quesnot avait connaissance des informations contenues dans le point de situation de la
DRM au moment où il rédigeait sa propre note. Or, ce point de situation est clair quant au fait que
des « réfugiés » tutsis ont été attaqués par des miliciens encadrés par des militaires.
2) La DGSE informe le général Quesnot, le 29 juin 1994, de la présence à Bisesero de « 10 000
Tutsis traqués par les milices Hutu »
a) Le général Quesnot reçoit quotidiennement les fiches de la DGSE
Au moment de la découverte des survivants tutsi de Bisesero par les militaires français (27 – 30 juin
1994), le général Christian Quesnot était chef de l’état-major particulier du président de la
République François Mitterrand. A ce titre, il était l’un des destinataires des fiches de la DGSE,
comme en témoigne le bordereau joint à la « fiche particulière » 18771/N du 22 juin 1994 qui en
donne la liste :
DESTINATAIRES :
Présidence de la République
(1101)- Etat-Major Particulier
(1102) - Cabinet
(1105) - Conseiller pour les Affaires Africaines et Malgaches
b) La DGSE informe le général Quesnot, le 29 juin 1994, de la présence à Bisesero de « plus de
10 000 Tutsi traqués par les milices Hutu »
La DGSE a édité et transmis, en particulier au général Quesnot, des « cartes de situation
quotidienne » dont plusieurs concernent les événements de Bisesero :
- La carte « RWANDA – 28 JUIN 1994 » porte la mention : « 100 Hutu attaquent des Tutsi »
avec comme localisation : « Gishyita ». Il ne fait pas de doute qu’il est fait ici allusion à
l’expédition meurtrière menée la veille depuis Gishyita contre les survivants tutsis de
Bisesero, expédition dont a été témoin le capitaine de frégate Marin Gillier.
- La carte « RWANDA – OUEST - 29 juin 1994 » porte la mention : « Bisesero Plus de 10 000
Tutsi traqués par les milices Hutu ».
- La carte « RWANDA – OUEST - 30 juin 1994 » porte la même mention : « Bisesero Plus de
10 000 Tutsi traqués par les milices Hutu ».
- Cette mention se retrouve à l’identique sur la carte « RWANDA - 1er JUILLET 1994 ».
11
Le général Christian Quesnot était donc parfaitement informé par la DRM, dès le 27 juin, de
l’extermination en cours sur les hauteurs de Bisesero, une information qui lui a été confirmée les
jours suivants par la DGSE.
3) Le général Quesnot a connaissance de la presse écrite et audiovisuelle, qui relate en détails,
les 28 et 29 juin 1994, la situation dramatique des survivants tutsis de Bisesero
La découverte à Bisesero, le 27 juin 1994, d’une centaine de survivants tutsis par le détachement
conduit par le lieutenant-colonel Duval est relatée par Christophe Boisbouvier sur RFI dès le 28
juin, dans les émissions « Afrique Midi » et « Afrique Soir ». Le 29 juin au matin paraissent les
reportages de Patrick de Saint-Exupéry dans Le Figaro et de Dominique Garraud dans Libération.
4) Le 29 juin 1994, le général Quesnot suit de très près l’action du détachement COS de
Turquoise
Jean-Claude Lafourcade déclare en effet aux magistrats instructeurs que le 29 juin 1994, le colonel
Rosier « a le Président de la République sur le dos » :
« Je précise que le 29 [juin] à midi, la majorité des responsables du PC, le ministre 11, Rosier, moi, les officiers de mon état-major sont surpris par l’ampleur du drame possible tel
qu’il est décrit par les journalistes ce qui incite M. Léotard d’aller voir le lendemain. Pour
nous, à cet instant, nous découvrons la dimension du drame de Bisesero… Rosier a une
lourde responsabilité politico-diplomatique et militaire. Il a le Président de la République
sur le dos. Il est convaincu que le FPR progresse vers Kibuyé, qu’il n’est pas loin… c’est
pourquoi je comprends que les informations sur les menaces sur les réfugiés Tutsi de la région de Bisesero, n’ayant pas été précises jusqu’au 29 à midi, son attention n’ait pas été focalisée sur cette région. En revanche, ce que je peux dire, c’est qu’à partir du moment où
l’information est devenue plus précise, le 29, il a immédiatement réagi, par des ordres et en
mettant en œuvre les moyens pour accorder la priorité de son action sur Bisesero. » (souligné par nous)
L’expression utilisée par Jean-Claude Lafourcade « avoir le président de la République sur le dos »
ne renvoie à l’évidence pas à un contact avec François Mitterrand en personne, mais avec l’état-major particulier du chef de l’État dirigé par le général Christian Quesnot.
IV. Les militaires français ont facilité la commission du crime de génocide du 27 au 30 juin
1994
La hiérarchie militaire est informée du génocide en cours à Bisesero, au plus haut niveau. Pourtant
les ordres reçus par les officiers des forces spéciales sur le terrain ne sont pas de porter secours aux
Tutsis de Bisesero (A). Des témoins indiquent au contraire que les militaires français ont laissé
partir les miliciens vers le lieu des tueries (B). Le 27 juin, Jean-Rémi Duval n’a pas assuré la
protection de la centaine de Tutsis qu’il avait découverts (C). Jacques Rosier et Marin Gillier ont
relayé aux médias, du 27 au 29 juin 1994, l’information qu’ils savaient fausse, selon laquelle 1000 à
2000 hommes du FPR se trouvaient à Bisesero et s’affrontaient avec les FAR et les milices
locales (D).
11
Le 29 juin 1994, le ministre de la défense, François Léotard, rend visite au Rwanda aux troupes françaises de
Turquoise.
12
IV. A. Les militaires sur le terrain ne reçoivent pas l’ordre de secourir les Tutsis
1) Duval et Gillier ont ordre de ne pas se rendre à Bisesero
a) Jean-Rémi Duval a toujours affirmé que son supérieur le colonel Rosier lui avait interdit de
retourner porter secours aux survivants tutsi de Bisesero.
Il a affirmé aux magistrats :
« Je lui demande l'autorisation d'y retourner le lendemain matin [du 27 juin] avec un
effectif supérieur et des renforts, en hommes et en matériel, qu'il est censé me fournir. Il me
répond non. Il me donne deux raisons : l'évacuation des sœurs qui a lieu le lendemain donc
il m'envoie des hélicoptères pour les évacuer puis il faut ensuite préparer la venue du
ministre prévue le 29. »
Il expliquait déjà devant la brigade criminelle :
« Arrivé au camp, j'ai téléphoné au Colonel ROSIER pour lui rendre compte de ma journée,
et que ce que j'estimais qu'il fallait faire. Le Colonel ROSIER m'a répondu qu'il était hors de
question que je retourne le lendemain à Bisesero, et ce pour deux raisons : la première étant
qu'il ne s'agissait pas de mon secteur mais de celui de GILLIER, et la seconde étant que je
devais préparer la visite du ministre LEOTARD, prévue le lendemain ou le surlendemain.
Cette conversation a eu lieu par téléphone satellite, ce que l'on nomme la valise. J'ai cessé
la conversation et j'ai effectué un compte rendu écrit par fax, toujours par le biais de ce que
l'on nomme la valise. De fait, je ne suis pas retourné sur la colline de Bisesero. Et je précise
à ce stade que le compte rendu, par fax, est obligatoire dans ce type d'opération et ce au
quotidien ».
b) Marin Gillier avait-il l’interdiction de se rendre à Bisesero ?
* C’est ce qu’affirme l’adjudant-chef Thierry Prungnaud, présent à Gishyita sous les ordres du
capitaine de frégate Marin Gillier, et selon qui ce dernier a interdit à ses hommes d’aller à Bisesero :
« Quand on était à Gishyita, il nous avait interdit d'aller voir dans la montagne alors que l'on
observait des gens qui se faisaient tirer dessus à la kalachnikov, on voyait que c'était des
civils. Ils tiraient sur des gens qui couraient. On en avait fait état au débriefing. On pensait
que c'était des rebelles du FPR qui tiraient et qui lançaient des grenades. Et chaque fois
Marin Gillier a dit « On ne bouge pas, pas de contact ». C'était soit-disant les ordres de
Rosier. La veille au soir, j'avais à nouveau fait état des renseignements obtenus la journée
dans la population sur la présence de soit-disant rebelles et Marin Gillier avait réitéré son
interdiction absolue d'y aller. »
* Marin Gillier évoque pour sa part avoir demandé l’autorisation d’intervenir à Bisesero :
« J’ai demandé à trois reprises à aller investiguer la zone de Bisesero. Il me semble que
l’ordre de le faire m’est arrivé le 29 juin au soir… J’ai donc rendu compte au commandement
de ce qui pouvait être une attaque du FPR, en précisant que je n’avais pas les moyens de le
vérifier. A partir de ce moment, je n’ai eu de cesse de demander au commandement
l’autorisation d’aller sur place pour vérifier ce qu’il en était. Il me paraissait essentiel de ne
13
pas en rester à une simple perception mais d’aller recouper les éléments donnés par la
population et les autorités, notamment le bourgmestre de Gishyita ».
Si Marin Gillier faisait état lors de cet interrogatoire, pour la première fois dans l’instruction
judiciaire, et avec une incertitude, de l’existence d’un ordre d’intervenir à Bisesero le 29 juin au
soir, il se contredisait aussitôt en affirmant :
« Nous partons avec l’idée qu’il est possible que nous soyons attaqués par des éléments du
FPR en transitant par Bisesero. Nous traversons donc la zone de Bisesero et poursuivons vers
ce village à une vingtaine de kilomètres plus à l’est. Il s’agit en effet pour nous d’y retrouver
un père blanc français susceptible de nous éclairer sur la situation dans la région et lui offrir
notre protection s’il le souhaite ».
Marin Gillier explique très clairement qu’il n’a pas reçu l’ordre d’intervenir dans les collines de
Bisesero, mais seulement de traverser la zone pour se rendre dans un village à l’est de Bisesero y
rencontrer un prêtre français, ce qui correspond à ce qu´il avait relaté devant la mission
d’information parlementaire en 1998.
2) Aucun ordre de porter secours aux Tutsis de Bisesero n’a été retrouvé
Les témoignages de Jean-Rémi Duval, Thierry Prungnaud et Marin Gillier sont confortés par le fait
qu’aucun ordre de secourir les Tutsis de Bisesero n’a été retrouvé, ni mentionné par les officiers
entendus, ni inclus par le Service Historique de la Défense dans les dizaines de milliers de pages
fournies aux juges d'instruction.
Le sauvetage des derniers Tutsis de Bisesero le 30 juin résulte de l’initiative de l’élément de queue
du convoi de Marin Gillier. Celui-ci avait reçu pour ordre ce jour-là de traverser Bisesero pour aller
prendre contact bien plus loin avec un prêtre français. C’est alerté par des journalistes de Paris
Match que le capitaine Olivier Dunant, commandant l’arrière-garde de Gillier, s’est arrêté avec ses
hommes et a redécouvert les survivants tutsis déjà rencontrés par Duval trois jours plus tôt.
Ceci contredit totalement le dernier récit fait par le général Lafourcade aux magistrats instructeurs,
selon lequel le colonel Rosier aurait, dès qu’il aurait eu, le 29 juin à midi, des informations précises
sur les menaces pesant sur les Tutsis de Bisesero, immédiatement réagi « pour accorder la priorité
de son action sur Bisesero » :
« Je précise que le 29 à midi, la majorité des responsables du PC, le ministre, Rosier, moi,
les officiers de mon état-major sont surpris par l’ampleur du drame possible tel qu’il est décrit par les journalistes ce qui incite M. Léotard d’aller voir le lendemain. Pour nous, à cet
instant, nous découvrons la dimension du drame de Bisesero… Rosier a une lourde responsabilité politico-diplomatique et militaire. Il a le Président de la République sur le dos. Il est
convaincu que le FPR progresse vers Kibuyé, qu’il n’est pas loin… c’est pourquoi je comprends que les informations sur les menaces sur les réfugiés Tutsi de la région de Bisesero,
n’ayant pas été précises jusqu’au 29 à midi, son attention n’ait pas été focalisée sur cette
région. En revanche, ce que je peux dire, c’est qu’à partir du moment où l’information est
devenue plus précise, le 29, il a immédiatement réagi, par des ordres et en mettant en œuvre
les moyens pour accorder la priorité de son action sur Bisesero.
14
Selon l’instruction judiciaire et le rapport Duclert, pas plus le colonel Rosier que le général
Lafourcade n’ont donné l’ordre, le 30 juin, de porter secours aux survivants tutsis de Bisesero.
IV. B. Le groupe COS commandé par Marin Gillier et basé à Gishyita a laissé partir les miliciens vers le lieu des tueries
Marin Gillier a, selon ses propres comptes rendus quotidiens, constaté la présence de civils armés
effectuant des « raids de vengeance ». Un compte rendu décrit en particulier, le 28 juin 1994, une
action de ces hommes en civils à l’encontre de Tutsi cachés dans des mines d’étain. Les militaires
du COS basé à Gishyita sous le commandement de Marin Gillier ne sont pourtant jamais intervenus
durant ces trois jours pour empêcher ces hommes en civil et armés de partir effectuer leurs « raids
de vengeance ».
Selon plusieurs témoins rwandais, les tueurs ont passé des points de contrôle tenus par les soldats
français à Gishyita, entre le 28 juin et le 30 juin.
Non seulement ils auraient laissé les miliciens de Gishyita partir armés vers les collines, ce qui
résulte de comptes rendus militaires, mais ils auraient également, selon des témoins rwandais, laissé
passer à Gishyita des miliciens d’autres localités, leur permettant d’accéder à Bisesero, en
particulier les miliciens de John Yusuf Munyakazi venus de Cyangugu à travers la zone Turquoise.
IV. C. Jean-Rémi Duval et ses hommes n'ont pas protégé les Tutsis de Bisesero après leur
découverte
Le groupe conduit par le lieutenant-colonel Duval a fait, l’après-midi du 27 juin 1994, le constat des
tueries quotidiennes.
Pourtant, les militaires du CPA 10 n’ont pas placé les survivants en sécurité, malgré les
supplications de ces derniers, et ont, selon Jean-Rémi Duval, attendu leur retour à Kibuye pour
prévenir la hiérarchie, et ce alors que le groupe COS commandé par Marin Gillier se trouvait à
proximité et aurait pu intervenir et prêter son concours très rapidement si Duval estimait être mal
équipé ou en nombre insuffisant pour faire face à des miliciens ou à des militaires des FAR.
En délaissant ostensiblement, sous les yeux de leurs tueurs, la centaine de Tutsis rencontrés, les
militaires français ont contribué à ce qui est précisément arrivé pendant les trois jours qui ont suivi,
à savoir la mort de plusieurs centaines d’entre eux puisqu’ils étaient environ 2000 selon des
documents militaires français et qu’ils seront 800 à être secourus. Les soldats du détachement mené
par le lieutenant-colonel Duval ont manifesté leur volonté de ne pas agir à la façon d’un acte positif.
Outre que leur retraite est un agissement volontaire, il s’agit d’une retraite approbatrice,
nécessairement perçue par les tueurs comme un blanc-seing de « poursuivre leur travail ». Le
message reçu par les tueurs constituait immanquablement une « promesse de ne pas s’opposer », de
« laisser faire ». Les génocidaires ne pouvaient que déduire qu’ils ne seraient empêchés en rien de
continuer le massacre.
Nul ne saurait faire croire à une impossibilité matérielle de mettre à l’abri les Tutsis de Bisesero
puisque le 30 juin, le groupe de forces spéciales de Marin Gillier met immédiatement en sécurité les
800 survivants. De plus, le 27 juin, le groupe de Gillier se trouve au même moment à quelques
kilomètres du lieu de rencontre entre Duval et les survivants. S’il est clair que, le 27 juin, une fois
rentré à Kibuye, le lieutenant-colonel Duval alerte sa hiérarchie (le colonel Rosier) sur la situation
d’urgence qu’il avait découverte, il n’en reste pas moins que le détachement sous ses ordres a
15
clairement pris le risque de laisser se perpétrer un massacre en abandonnant les Tutsis : cette
abstention a en effet permis aux tueurs de poursuivre leur crime entre le 27 et le 30 juin 1994.
IV. D. Jacques Rosier et Marin Gillier ont relayé aux médias, du 27 au 29 juin 1994,
l’information qu’ils savaient fausse, selon laquelle 1000 à 2000 hommes du FPR se trouvaient
à Bisesero et s’affrontaient avec les FAR et milices locales
Dans le journal télévisé de France 2, dernière édition du 28 juin 1994, est diffusé un reportage
d’Isabelle Staes et Pascal Pons qui se sont rendus à Gishyita la veille, le 27 juin 1994, et y ont filmé
le détachement français commandé par Marin Gillier. Ce reportage est introduit par une affirmation
de Paul Amar, selon laquelle des combats ont eu lieu le 27 juin entre le FPR et les forces
gouvernementales. Interrogé par les journalistes, on y voit et entend Marin Gillier évoquer des
« affrontements de type infanterie » alors que son compte rendu quotidien du même jour décrit une
attaque menée par une majorité d'hommes armés en civil, c'est-à-dire des miliciens 12. Dans ses
auditions par les policiers et les magistrats, Marin Gillier ne parle pas non plus de combats, mais
d' « une situation très confuse avec des personnes courant dans tous les sens. » ; « ce n’était pas des
blocs qui manœuvraient mais des gens qui couraient. Nous n’étions pas en mesure de déterminer à
cette distance, s’ils portaient des uniformes et quelles étaient les armes ». Pourtant, le 29 juin,
devant la presse, il évoque à nouveau les combats qui se seraient déroulés le 27 : « Nous avons vu
des hommes envahir la colline. Les combats ont duré plusieurs heures. On entendait les grenades et
les mitrailleuses. Plusieurs centaines de combattants se sont affrontés et nous avons entendu dire
qu'il y avait 25 morts dont 5 parmi les villageois13 » .
Le 27 juin au soir, TF1 et France 2 relaient l'information donnée par le colonel Rosier sur la
présence de forces du FPR à 5 km de Gishyita. Au journal de 20 heures de TF1, la journaliste
Catherine Jentile, citant le colonel Rosier, annonce que 1 000 à 2 000 hommes du FPR ont effectué
une percée et sont en train de couper en deux la zone gouvernementale 14. Le journal télévisé de
France 2 ne dit pas autre chose. L’envoyé spécial Benoit Duquesne citant lui aussi le nom du
colonel Rosier, évoque les affrontements avec le FPR infiltré à 5 km des Français15.
Cette désinformation se poursuit le 29 juin puisque les « officiers supérieurs des forces spéciales »
rencontrés par le journaliste de l'AFP Christian Millet à l'occasion de la visite sur place du ministre
de la défense François Léotard, insistent sur les « incursions » d'éléments supposés du FPR sans
mentionner la présence, constatée par le détachement Duval le 27 juin, de survivants tutsi à
Bisesero. S'ils évoquent des « Tutsis qui ont fui les massacres », les militaires français les situent
12
13
« Ce sont des informations encore à prendre avec précaution que nous a livrées le colonel Rosier qui est responsable du
dispositif ici dans le sud. Et plus précisément c’est à 15 km de la ville de Kibuye que s’est déroulé cet accrochage qui a
commencé ce matin à onze heures et demie et s’est terminé en début d’après-midi. Alors il aurait opposé d’un côté les forces du
FPR et de l’autre les milices hutu, appuyées par l’armée rwandaise. Ce qui est spectaculaire dans cette affaire, c’est donc
l’endroit où s’est déroulé l’affrontement. C’est-à-dire qu’on avait toujours parlé depuis longtemps d’infiltrations des hommes du
FPR, mais si le chiffre dont on dispose actuellement de 1 000 à 2 000 hommes du FPR présents dans cette région, et bien
évidemment on ne peut plus parler d’infiltrations mais d’une véritable percée du Front patriotique rwandais. Alors résultat, il
pourrait ainsi couper en deux la zone gouvernementale d’est en ouest mais également couper en deux le dispositif français qui,
lui, se déploie du nord au sud. Alors qu’est-ce qui peut se passer maintenant ? Les Français nous ont confirmé ce soir que leurs
ordres étaient toujours les mêmes, c’est-à-dire d’éviter le contact avec les hommes du FPR mais la distance la plus courte entre
les hommes du FPR et les troupes françaises est de 5 km. Evidemment dès lors, on ne peut plus exclure aucune hypothèse. »
Dépêche Reuters, 29 juin 1994, 15 h 42 GMT, signée par Michela Wrong.
14
« Spéciale Rwanda », TF1, 27 juin 1994, 20 heures.
15
« Oui, bien écoutez, ces accrochages ont beaucoup surpris les militaires français, le colonel Rosier ici qui nous en parlait tout à
l’heure. C’est vrai qu’il y a donc eu des affrontements en fin de matinée et tout l’après-midi près de la ville de Kibuye, là où se
trouve un détachement français permanent. A environ 5 km des Français les plus proches du lieu où ont eu lieu ces affrontements
entre des gens du FPR infiltrés et puis ce qu’on appelle la défense civile ici ». France 2, 27 juin 1994, Dernière.
16
sur le mont Karongi, et non à Bisesero. La dépêche Reuters du 29 juin 1994 est encore plus
significative des effets de la désinformation de l'armée française. Dans cet article de Michela
Wrong, intitulé « Présence FPR près du camp français à Gishyita », la seule information donnée est
celle des infiltrations et des attaques du FPR. Le colonel Rosier, qui accompagnait le ministre de la
défense, n'a à l'évidence nullement communiqué aux journalistes l'information en sa possession de
la présence à Bisesero de Tutsis menacés quotidiennement d'être massacrés.
Quand les médias font état de la présence de civils tutsis cachés dans ces collines et qui font encore
l’objet de massacres, ce n'est pas sur la foi d'informations transmises par Jacques Rosier ou Marin
Gillier, mais à la suite de leurs propres investigations.
Quel est le sens de cette désinformation volontaire à destination de la presse ?
***
Les magistrats instructeurs n’ont pas enquêté aux fins de déterminer plus précisément le nombre de
personnes tuées ou blessées entre le 27 et le 30 juin 1994. Une telle enquête sur les victimes tuées à
Bisesero durant l’opération Turquoise a été réalisée en 2013 par Jacques Morel et Vénuste Kayimahe. Leur rapport d’enquête conclu à l’assassinat d’au moins 248 personnes entre les 27 et le 30
juin 1994 dans la région de Bisesero16.
Sur un plan strictement juridique, on rappellera que si la complicité ne peut en principe s’induire
d’une inaction, la jurisprudence fixe une exception majeure liée aux fonctions. L’impunité ne
s’applique donc pas à la personne dont c’est précisément la fonction d’empêcher la commission de
certaines infractions et qui n’en fait rien. Elle se rend ainsi complice du fait principal (Crim. 28 mai
1980. D 1981, IR 137).
La Chambre Criminelle admet que « la personne dont c’est précisément la fonction d’empêcher [la
commission de certaines infractions] qui néglige ce devoir peut être condamnée comme complice
du fait que son abstention a permis ». La complicité est alors constituée par le fait de fermer les
yeux, libérant ainsi l’auteur et permettant son passage à l’acte.
L’abstention révèle en réalité un acte positif de complicité.
Du haut en bas de la chaine hiérarchique, l’amiral Jacques Lanxade, le général Christian Quesnot, le
général Raymond Germanos, le général Jean-Claude Lafourcade, le colonel Jacques Rosier, le
lieutenant-colonel Jean-Rémi Duval et le capitaine de frégate Marin Gillier se sont, pour des raisons
restant à éclaircir, abstenu d’intervenir, permettant de ce fait la poursuite du génocide en cours à
Bisesero.
Mais il apparaît clairement à la lecture du rapport Duclert que c’est à Paris que cette décision de ne
rien faire a été prise. Il est donc indispensable à la manifestation de la vérité que les juges
d’instruction entendent les plus hauts responsables militaires de l’époque : l’amiral Lanxade, le
général Quesnot, le général Germanos. Refuser de le faire serait renoncer à notre devoir de justice
envers les rescapés et les victimes du génocide perpétré contre les Tutsis.
16
Le rapport d’enquête accessible sur les liens suivant http://francegenocidetutsi.org/BiseseroEnquete2013Analyse.pdf et http://
francegenocidetutsi.org/BiseseroEnquete2013.html
17