Fiche du document numéro 29820

Num
29820
Date
Jeudi 19 août 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
242614
Pages
3
Urlorg
Titre
Au jardin de Nyanza, « on n’est pas là pour enterrer les gens mais pour les commémorer »
Sous titre
Témoignage. Toute la semaine, des gardiens du souvenir témoignent d’un lieu de mémoire. Aujourd’hui, Bruce Clarke, artiste plasticien, créateur du jardin de la mémoire du génocide des Tutsis de Nyanza. Un été au jardin : jardins de la mémoire. Recueilli par Laurent Larcher (envoyé spécial à Kigali).
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le jardin de la mémoire du génocide des Tutsis de Nyanza. YASUYOSHI CHIBA/AFP

« Nous prenons à contre-pied les lieux de mémoire du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda. Ils sont construits autour des ossements. Ce jardin est un lieu de recueillement, c’est un lieu de renaissance, ce n’est pas un cimetière. Il n’y a pas de croix, de tombes, ni de corps inhumés. On n’est pas là pour enterrer les gens mais pour les commémorer. Ici, les visiteurs peuvent déposer une pierre en mémoire d’une victime, de toutes les victimes. Un million de pierres pour un million de Tutsis victimes du génocide. »

La puissance du symbole



« C’est symbolique ! Mais nous avons besoin de symboles pour être plus humains. Ainsi, tout est symbolique dans ce jardin. Les pierres pour les victimes, des plantes et des arbres pour rappeler la diversité du Rwanda et sa culture ancienne : comme Ficus thonningii, symbole de la famille, Erythrina abyssinica, symbole de la protection et de la beauté et Acacia abyssinica, symbole de résilience et de résistance.

Nous avons élevé des monticules pour évoquer les collines, creusé des canaux pour rappeler les marais : les lieux de l’extermination et de la survie des Tutsis. Si le symbolique est central dans ce jardin, c’est qu’il nous introduit dans l’universel. Car ce qui s’est passé au Rwanda concerne toute l’humanité. Le symbolique, aussi, nous permet de sortir le génocide du piège ethnique dans lequel certains veulent l’enfermer. »

Le Rwanda parle à l’humanité



« Je suis d’origine sud-africaine, j’ai combattu l’apartheid dans mon pays. J’ai reconnu dans le Rwanda du début des années 1990 le même système d’oppression qu’en Afrique du Sud. C’est contre ce système structurel que je me suis levé.

Nous avons essayé, à l’époque, avec tout un réseau d’associations de défense des droits de l’homme – comme la FIDH – de mobiliser l’opinion publique sur ce qui était en train de se jouer au Rwanda. Mais nous n’avons pas fait le poids face aux politiques et au système autoritaire rwandais. Après le génocide, en 1994, nous n’avons pas abandonné notre lutte. Je l’ai poursuivie en tant que plasticien.

C’est en 2000 que j’ai commencé à travailler sur ce jardin de mémoire de Kigali avec les Rwandais. Le jardin est en face du Mémorial du génocide de Nyanza-Kicukiro : des milliers de Tutsis réfugiés dans l’école ETO de Kigali ont été conduits et tués dans ce lieu après le retrait des casques bleus qui les protégeaient. Le jardin est le prolongement de ce mémorial. Nous y avons aussi élevé un amphithéâtre où nous pouvons nous réunir, nous recueillir ensemble. C’est important. »

La dignité des êtres humains confrontés à cette déshumanisation



« Et adossé à lui, de gigantesques peintures murales de 10 mètres de hauteur : des silhouettes esquissées d’un homme et d’une femme debout. Ils regardent droit devant eux, ils sont les gardiens de la mémoire. Le projet génocidaire était de déshumaniser les personnes, de leur enlever toute dignité. Les Hommes debout symbolisent la dignité des êtres humains confrontés à cette déshumanisation.

Dans ce jardin comme dans tous les lieux de mémoires où je les installe, ils sont les témoins d’une histoire douloureuse et ils prouvent que le projet génocidaire a été un échec, puisqu’ils sont là, puisqu’il y a des survivants, puisque le pays est debout. »

Le dernier génocide du XXe siècle



Entre avril et juillet 1994, environ un million de Tutsis ont été exterminés au Rwanda par les Hutus extrémistes, les forces de l’ordre et une immense partie de la population. Le génocide des Tutsis est le dernier du XXe siècle.

Plasticien et photographe britannique d’origine sud-africaine installé en France, Bruce Clarke travaille sur l’histoire contemporaine, l’écriture et la transmission de cette histoire. Il a posé la première pierre du jardin de la mémoire de Kigali en février 2000.

Son projet Les Hommes debout (Abantu Bahagaze Bemye en langue kinyarwanda et Upright Men en anglais) s’inscrit dans le cadre d’une longue réflexion sur le génocide des Tutsis. Il s’agit de peindre des hommes, des femmes et des enfants, debout et dignes, sur l’extérieur des lieux de mémoire au Rwanda et ailleurs dans le monde.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024