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"Tant que toutes les parties prenantes, et notamment l’Eglise catholique, ne reconnaîtront pas pleinement la réalité du génocide contre les Tutsis et leur responsabilité, on ne pourra pas parler des crimes de guerre commis par le FPR", affirme Philippe Denis, un frère dominicain et professeur d’histoire à l’université du KwaZulu-Natal, qui vient d’écrire un livre The genocide against the Tutsi, and the Rwandan churches (éditions James Currey, non traduit). Denis s’est rendu huit fois au Rwanda, entre 2014 et 2020. Il a interviewé 90 témoins de tout bord. "J’ai pu travailler librement, explique-t-il. Ce fut éprouvant et difficile, tant le sujet est controversé".
Pendant le génocide, une centaine de prêtres tutsis et autant de religieux et religieuses ont été tués. "Seule une minorité d’hommes d’Eglise ont prêté main-forte aux tueurs. La grande majorité a assisté passivement aux massacres, explique Denis. Quelques-uns ont cependant sauvé des vies. Le clergé catholique exerce une influence énorme au Rwanda. Or, les autorités ecclésiastiques, tant catholique que protestante, se sont contentées de lancer un appel au cessez-le-feu. Si elles avaient dénoncé le programme d’extermination systématique des Tutsis, elles auraient peut-être pu mettre fin au génocide, ou, au moins, diminuer son ampleur. Trois quarts des Tutsis présents au Rwanda ont été tués en 1994".
Deux ans après le génocide, l’Eglise protestante presbytérienne (la seconde Eglise la plus ancienne du pays) a fait son mea culpa. Par contre, l’Eglise catholique n’a condamné, en 2000 et 2018, que ceux qui, en son sein, ont participé au génocide. "Ce n’est pas suffisant, estime Denis. Elle aurait dû reconnaître sa responsabilité institutionnelle dans le génocide, comme l’Eglise de France l’a fait récemment pour les actes de pédophilie des prêtres. Le clergé du Rwanda et Rome sont restés silencieux pendant le génocide, en raison de leur proximité – personnelles, politiques et idéologiques – avec le pouvoir hutu, depuis l’indépendance du pays. Par la suite, un certain nombre de prêtres et laïcs catholiques ont repris à leur compte la théorie du 'double génocide', comme s’il pouvait être question d’un génocide hutu au Rwanda ou ailleurs, et cela a envenimé les relations avec le gouvernement du FPR, empêchant l’Eglise de faire une vraie demande de pardon". Des relations envenimées aussi par l’assassinat de 3 évêques par l’armée du FPR et la disparition d’un quatrième, en 1996, dans des circonstances obscures. Denis a, lui-même, enquêté sur les circonstances du meurtre du missionnaire espagnol Joachim Navarro, tué par le FPR en avril 1994.
Deux chapitres sont consacrés à Gabriel Maindron, un prêtre français, qui officie en Vendée, alors qu’il a été inculpé au Rwanda pour crimes de génocide. D’abord célébré comme un héros pour avoir soi-disant sauvé des Tutsis, un tribunal de "gacaca" l’a condamné in absentia, en 2010, pour avoir aidé des Hutus à "planifier" le massacre des Tutsis de sa paroisse de Nyundo, près de Kibuye. Interviewé par Denis, Maindron a reconnu avoir manqué de courage. Pas plus. Or selon l’auteur, Maindron était proche des extrémistes et des autorités locales. Il devait se douter du sort réservé aux réfugiés tutsis, qu’il ne voulait pas garder dans sa mission. Il avait ainsi suivi en voiture un convoi transportant 200 réfugiés vers Kibuye, ou ils furent peu après massacrés. "Maindron était présent à la maison communale de Rutsiro où ma famille a été brûlée vive avec d’autres réfugiés tutsis le 11 avril, raconte Marcel Kabanda, un historien rwandais, ex-président de l’association "Ibuka" en France. Venu présenter le livre de Denis, à Johannesburg, il a raconté que Maindron, qui connaissait sa famille, avait refusé de le rencontrer, pour répondre à ses questions. "Le silence de l’Eglise catholique ne date pas de 1994. Elle n’a rien fait pour dénoncer les discriminations contre les Tutsis depuis l’indépendance. Après 1994, elle a préféré passer le génocide sous silence pour pouvoir se reconstruire. Mais on ne peut pas vivre dans le silence et le déni".