Bernard CUSSAC nous a quittés dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2020, après ce qu’il est coutume d’appeler une longue maladie.
Attaché de Défense près l’Ambassade de France à Kigali de 1991 à 1994, il était mon chef. Il est devenu mon ami.
Je n’avais pas l’intention de me livrer à cette exercice [sic] rituel très convenu, dithyrambique à souhait, qu’on prononce en guise d’adieu et que peu écoutent en tentant de discerner, entre les défaillances du micro et celles de leurs vieilles oreilles, quelques bribes de la vie du défunt qu’ils connaissent mal.
Mais, j’ai révisé ma position à la réception du mail par lequel un ami rwandais a répondu à l’annonce du décès. Comme Bernard, cet ami avait vécu les trois années de l’irrésistible descente du Rwanda vers l’horreur. Il écrivait : « Merci de m’ informer de cette triste nouvelle et je te demande de bien vouloir présenter mes sincères condoléances à la famille du Colonel Cussac. Nous avons travaillé ensemble au Rwanda pendant les moments difficiles de mon pays. J’ai connu en lui un homme qui a tout donné pour nous aider à sortir de l’enfer, mais Dieu en a décidé autrement. Nous ne l’oublierons jamais. Que son âme repose en paix ( requiescat in pace). »
Oui, Bernard CUSSAC a tout donné, et au-delà encore !
Il est arrivé à l’été 1991 dans ce pays en guerre depuis une année. Il ne connaissait pas le Rwanda et ses expériences africaines précédentes, au Tchad et au Sénégal, ne lui étaient d’aucune aide dans cette région des Grands Lacs si particulière. Mais il eut la sagesse, en suivant la ligne tracée par son prédécesseur, d’apprendre, d’écouter et surtout d’entendre.
Pendant les deux années (1991-93) passées à ses côtés, j’assistai à ses efforts constants pour éviter l’inévitable. Chacun des ordres donnés marquait la volonté de la France de ramener la paix sans s’impliquer dans le conflit rwando-rwandais : interdiction de dispenser quelque formation que ce soit ou quelque matériel que ce soit aux milices, souci constant de marquer notre réprobation à chaque dérapage, condamnation sans appel des massacres du Bugesera et du laxisme qui les avait accompagnés, etc. etc.
Bernard CUSSAC avait gagné la confiance des tutsi et hutu modérés formant, à partir du printemps 1992, le gouvernement rwandais de cohabitation. En 1993, certains d’entre eux, se sentant menacés, quittaient le pays subrepticement pour se mettre à l’abri. Le ministre de la Justice s’était déjà enfui lorsque, en fin d’après-midi, Bernard, revenant d’une audience chez le Ministre de la Défense, me dit : « Le ministre vient de me dire qu’il partait demain matin ». En disant cela à l’Attaché de défense français, le ministre savait qu’une indiscrétion pourrait lui être très préjudiciable. Mais il avait confiance. Un peu plus tard, le 31 juillet 93, lorsque le premier ministre sortant a souhaité lui aussi se mettre à l’abri, c’est à un officier français qu’il a demandé d’assurer sa sécurité jusqu’à l’aéroport puis jusqu’à l’avion. Lui aussi avait confiance. Aujourd’hui, les rwandais s’en souviennent.
Et encore, ceux qui rendent hommage à Bernard CUSSAC ne savent-ils pas combien il a insisté, méprisant le risque de se rendre importun à Paris, pour que la France n’abandonne pas le Rwanda en décembre 1993, comme l’avait enfin obtenu le FPR lors des accords d’Arusha.
Mais, même sans savoir cela, ils disent « Nous ne l’oublierons jamais. Que son âme repose en paix (requiescat in pace). »