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Au Rwanda a lieu actuellement une véritable campagne diffamatoire à l’égard de l’Eglise catholique, visant à la faire apparaître responsable du génocide de l’ethnie tutsie, qui a bouleversé le pays en 1994. La première victime publique de cette campagne est Mgr Augustin Misago, Evêque de Gikongoro depuis 1992, arrêté le 14 avril dernier sur la route de Kigali. L’Evêque est accusé d’avoir participé au meurtre de 150.000 Tutsis dans son diocèse; il est tenu pour responsable en particulier du meurtre de 30 étudiantes qui auraient demandé sa protection.
L’accusation portée contre l’Evêque émane d’une très haute instance, c’est-à-dire du Président de la République du Rwanda lui-même, Pasteur Bizimungu qui, le 7 avril dernier, au cours des célébrations pour le cinquième anniversaire du génocide, a publiquement dénoncé la complicité du prélat. Les attaques contre l’Evêque et l’Eglise ont déjà suscité diverses réactions de la part de l’opinion publique mondiale. Ou côté ecclésiastique, les épiscopats du Burundi, de Tanzanie, de France et l’Archevêque de Bukavu (République démocratique du Congo) etc. ont déjà exprimé leur solidarité à Mgr Misago. Tous expriment leur préoccupation pour l’attaque massive qui risque de mettre en crise l’avenir de la coexistence sur tout le continent africain.
Une arrestation selon un scénario établi
L’arrestation de Mgr Misago a été précédée par une dure campagne de presse. Les journaux du régime le voient même condamné avant même que le procès ait eu lieu: le journal progouvernemental The New Times du 12 avril (avant son arrestation) le représentait sur un dessin humoristique, entouré de crânes qui le regardaient, stupéfaits; l’Evêque ceint de cartouchières et armé de machettes, la tête coiffée d’une mitre marquée d’une croix nazie.
Le déroulement de l’arrestation de Mgr Misago est une sorte de modèle. Le 18 avril, l’Archevêque de Kigali lui-même, Mgr Thaddée Ntihinyurwa a été accusé -cette fois-ci par de simples “rescapés”, ayant échappé au génocide - d’avoir participé au génocide. Tout a eu lieu selon un scénario établi: au cours des jours précédents, une série d’articles dans les journaux - tous contrôlés par le gouvernement - accusent l’Archevêque; une célébration est organisée en mémoire du génocide, à laquelle l’Evêque est prié de participer; au cours de la cérémonie religieuse, les accusateurs se lèvent, les journalistes et les médias sont prêts à immortaliser l’événement.
Même scénario pour Mgr André Perraudin, un Père Blanc, Evéque émérite de Kabgayi. Le 4 avril dernier, à l’occasion de la fête pour le soixantième anniversaire de son sacerdoce à Veyras (Suisse), un groupe ethnique de Rwandais émigrés a manifesté aux portes de l’église, distribuant des illustrations et des polycopiés, l’accusant de “génocide”. Le génocide tutsi a eu lieu en 1994. Mgr Perraudin, qui est resté au Rwanda pendant 38 ans, s’est retiré en Suisse depuis le 15 septembre 1993. Mais cela ne suffit pas à ne pas le considérer comme responsable. Le groupe l’accuse d’avoir écrit une lettre pastorale en 1959 (!) dans laquelle, au nom de la charité, il demande que cessent les privilèges d’une ethnie sur l’autre, suggérant des réformes sociales et une plus grande démocratie. A cette époque, le Rwanda, qui n’était pas encore une monarchie, était gouverné par l’ethnie tutsie, tandis que les Hutus, majoritaires, étaient considérés comme des esclaves.
Campagne diffamatoire des médias progouvernementaux
Le 26 avril dernier, a eu lieu une rencontre entre les évêques rwandais et le Président de la République. Selon l’édition de Radio Rwanda du lendemain, le Président Bizimungu a voulu préciser que Mgr Misago a été arrêté «en tant qu’individu, non pas en tant que membre de l’Eglise catholique».
L’impression qui ressort est en revanche l’inverse: dans le cadre des tentatives visant à faire éclater les procès contre les évêques et les missionnaires, se déroule un projet pour rendre l’Eglise catholique responsable in toto du génocide contre les Tutsis.
L’arrestation de Mgr Misago, cinq ans exactement après les massacres, doit être considérée comme le dernier acte d’une stratégie du gouvernement rwandais visant à réduire ou à éliminer le rôle de réconciliateur qu’a joué l’Eglise dans l’histoire du Rwanda, dans le passé et aujourd’hui encore, cherchant de toutes les façons possibles d’en ternir l’image.
Pourtant, parmi les victimes, figurent 3 évêques, 123 prêtres et plus de 300 sœurs. La police a fait disparaître un autre évêque, Mgr Fokas de Ruhengeri, il y a deux ans, à son retour de l’étranger. On n’a plus de nouvelles de lui. Récemment encore, des hommes et femmes missionnaires ont été tués précisément parce qu’ils voulaient contribuer à la réconciliation au Rwanda, mais qu’ils étaient des témoins gênants des abus.
La campagne diffamatoire a commencé il y a quelques années. Parmi les principaux instigateurs figure Privat Rutazibwa, un ancien prêtre directeur d’une agence de presse gouvernementale. Il soutient que «l’Eglise catholique est trop dépendante de Rome» et qu’il est nécessaire de «créer une Eglise nationale rwandaise». D’autres organes d’information — comme la revue La Nouvelle Relève — ont affirmé que les missionnaires ne sont plus nécessaires au Rwanda et souhaitent la naissance d’une Eglise nationale. Privat Rutazibwa lui-même, dans une lettre ouverte, a défini les missionnaires «apôtres de la haine».
Les Eglises, mémoriaux du génocide
Ce projet est lié à la volonté exprimée par les Autorités de transformer un certain nombre d’églises catholiques en mausolées du génocide. L’intention qui transparaît est de relier dans la mémoire des citoyens rwandais le binôme génocide-Eglise. Le Saint-Siège s’est opposé à cette intention, en soulignant que les églises sont un lieu de culte et de réconciliation pour toute la communauté (Tutsis et Hutus) et qu’elles ne peuvent être monopolisées comme ossuaires par une partie de la population. En juillet 1997, le gouvernement a cependant réquisitionné l’église de Nyamata, obligeant à ce que chaque célébration ayant lieu dans le sanctuaire soit une célébration pour les défunts et uniquement pour les défunts tutsis massacrés en 1994.
Aux racines du conflit
Dans un conflit ethnique comme celui qui se déroule au Rwanda, la première victime est la vérité. Avant tout en ce qui concerne les accusés. Le Président Bizimungu a dit que Mgr Misago «ne s’est jamais justifié» face aux accusations portées contre lui. Au contraire, de 1996 à aujourd’hui, l’Evêque a subi divers interrogatoires, a accordé des interviews et a écrit des pétitions qui n’ont trouvé aucun écho dans la presse locale et internationale. Le 23 avril dernier, l’Agence Internationale Fides a publié des extraits d’une pétition écrite par Mgr Misago dans laquelle il démontre son innocence. Par exemple, il est accusé d’avoir refusé d’accueillir, le 11 avril 1994, des réfugiés chez lui et de les avoir abandonnés à la merci des tueurs. En réalité, les réfugiés avaient été accueillis par le directeur de la Caritas dans des locaux adéquats (une école proche de la cathédrale), alors que Mgr Misago était absent du diocèse. Le massacre des trente étudiantes dans l’école de Kibeho qui lui est imputé, a été perpétré par des «groupes de génocide» infiltrés dans la police, alors que l’Évêque demandait précisément des renforts aux Autorités, afin qu’elles augmentent le personnel de sécurité et de surveillance. «La responsabilité de ces morts, — affirme Mgr Misago — revient à ceux qui étaient investis de l’autorité, aux forces de sécurité et aux assassins».
Les accusations portées contre Mgr Perraudin sont encore plus invraisemblables. Sa lettre pastorale du 11 février 1959 (de la «haine» selon les accusateurs) est en réalité une lettre qui demande la justice et la charité. On y lit: «Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont en grande partie liées aux différences de race, dans le sens où la richesse, le pouvoir politique et également judiciaire sont en réalité - dans des proportions considérables - entre les mains de personnes d’une même race». Il soulignait donc le problème de la marginalisation sociale subie par la population hutue, qui constituait la majorité. Il ajoute que «cet état de choses est l’héritage d’un passé que nous ne devons pas juger»; dans le même temps, il demande que soient assurés «à tous les habitants et à tous les groupes sociaux légitimes les mêmes droits fondamentaux». Il apparaît clairement que la propagande politique contre l’Evêque et les missionnaires tente de faire retomber sur l’Eglise (comme une faute) l’œuvre de «politisation des Hutus» (environ 85% de la population) qui aurait conduit à l’écroulement de la monarchie tutsie (environ 12%) à l’époque de l’indépendance, à leur exclusion du pouvoir jusqu’en 1994 et au génocide.
Un aspect inexploré de l’affaire: le double génocide
Actuellement, l’attention de la population est concentrée sur le génocide de 1994. En réalité, il faut constamment préciser qu’il y a eu un double génocide au Rwanda: celui contre les Tutsis (et certains Hutus modérés), perpétré après le 6 avril 1994, qui a provoqué plus de 500 000 victimes, et celui envers les Hutus, à partir d’octobre 1990 jusqu’à la prise de pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR) tutsi en juillet 1994. Ce génocide des Hutus s’est poursuivi ensuite dans la forêt zaïroise, où les fugitifs hutus ont été massacrés pendant des mois, sans même bénéficier de la protection de la Communauté internationale. Le nombre des victimes hutues s’élève à environ un million. Les deux génocides ont été horribles et doivent être tous deux rappelés, sous peine de risquer une propagande unilatérale.
Une justice unilatérale
Aujourd’hui encore, on ne cherche les coupables que de l’un des deux génocides. Les tribunaux ont déjà jugé pour génocide plus de 300 personnes, les condamnant à mort (parmi lesquelles également deux prêtres). De nombreuses sentences et l’administration de la justice en général ont soulevé des critiques de la part d’organisations internationales comme Amnesty International, en raison du manque de garanties accordées aux accusés et des exécutions spectaculaires des condamnations à mort. L’ombre de procès politiques tristement célèbres de certains régimes européens se profile à nouveau à l’horizon, mais cette fois-ci sur le sol africain. Entretemps, les prisons du Rwanda regorgent de détenus: leur nombre s’élève à plus de 130.000. De nombreux détenus meurent des privations ou de l’entassement dans les prisons.
La façon unilatérale dont on œuvre risque d’accroître non seulement la division, mais aussi la destruction du pays. Si la focalisation ethnique croît, après des décennies de focalisation idéologique, non seulement le Rwanda, mais toute l’Afrique risque d’être détruite. Ou mieux: les Africains. Car le continent ses richesses, ses matières premières sont exploités par d’autres, tandis que les peuples africains gaspillent du temps et des vies à se faire la guerre avec des armes fournies par des puissances et des personnes dont les intérêts sont très éloignés de ceux de l’Afrique.