C'est l'événement déclencheur du génocide des Tutsis au Rwanda. Le 6 avril 1994, l'avion Falcon qui transporte le président rwandais est touché par deux missiles alors qu'il s'apprête à atterrir à Kigali. Il n'y a aucun survivant. Avec la mort de Juvénal Habyarimana s'envolent aussi les espoirs de paix et l'effroyable mécanique du génocide s'enclenche.
Saisie en 1998 par les familles des trois membres d'équipage français également tués dans cet attentat, la justice française a enquêté et tâtonné, jusqu’à ce que la Cour de cassation mette fin à la procédure ce mardi en confirmant le non-lieu prononcé en 2018. La plus haute juridiction française ne conclut pas sur le fond. Elle se contente de valider le processus judiciaire qui a mené les juges d'instructions à décider d'un non-lieu «
en l'absence d'éléments matériels indiscutables ».
Dans un premier temps, les enquêteurs français avaient privilégié la thèse d'une attaque des rebelles tutsis menée par Paul Kagame. L'affaire a longtemps empoisonné les relations entre Paris et Kigali, où l'ancien rebelle est au pouvoir depuis plus de 20 ans. L'enquête a ensuite suivi la piste d'extrémistes hutus, soucieux de se débarrasser d'un président trop modéré à leurs yeux. Une enquête, ont souligné les juges, qui s'est déroulée dans un climat délétère, plusieurs témoins ont disparu ou ont été assassinés.
Faute de pouvoir rassembler des preuves permettant d'étayer l'une ou l'autre hypothèse, les poursuites contre neuf membres ou anciens membres de l'entourage de Paul Kagame ont été levées. La décision de la Cour de Cassation met donc un point final aux investigations. Le dossier français se referme donc et il reste désormais très peu d’espoir pour les familles des victimes, de connaître la vérité.
La déception des parties civiles
À ce stade, il n'y a plus de recours possible pour les parties civiles qui ressentent « beaucoup de déception », selon leur avocat. Pour M
e Philippe Meilhac, «
cet événement majeur à l'origine du génocide reste sans explication réelle, sans auteur connu, au bout d’un processus d’instruction opaque et sans qu’on ait eu un procès ». Car c'était l’objectif principal des familles, qu’un procès fasse peut-être éclater la vérité.
Elles ont néanmoins quatre mois pour saisir la Cour européenne des droits de l’homme. « Ce qui sera fait », promet leur avocat, même si ce n’est pas la CEDH qui permettra la réouverture du dossier.
L’autre option est que des éléments inédits apparaissent, comme de nouveaux témoignages. Dans ce cas, le parquet pourrait décider de relancer la procédure. Mais dans le contexte actuel, les parties civiles n’y croient pas, tant que, selon elles, l’affaire sera liée aux bonnes relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.
De leur côté, les avocats de la défense, M
e Léon-Lef Forster et M
e Bernard Maingain, saluent une «
victoire judiciaire définitive des militaires rwandais injustement accusés par Jean-Louis Bruguière », le juge d'instruction qui avait signé des mandats d'arrêt à leur encontre et qui avait en 2006 recommandé des poursuites contre le président Kagame devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
«
Au terme de cette procédure à relent politique manifeste, la défense espère que le combat mené sur le front judiciaire contribuera aussi à rendre justice au million de victimes du génocide des Tutsi », ont déclaré les deux avocats, dénonçant de «
multiples manipulations et falsifications » lors de l'enquête « d'une coalition d'intérêts hétéroclites motivés par des considérations étrangères à la recherche de la vérité judiciaire ».
Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement
La décision de la cour de cassation est également bien accueillie par le gouvernement rwandais.
Le mètre étalon des relations franco-rwandaises
La relation était déjà tendue, mais c'est l’affaire des mandats d’arrêts de 2006 qui a déclenché la rupture entre Paris et Kigali. Ce 17 novembre, le juge français Jean-Louis Bruguière accuse neuf Rwandais, dont des proches de Paul Kagame, d’avoir participé à l’attentat.
La réaction du président rwandais est immédiate : il rompt les relations diplomatiques avec la France. L’affaire plane ensuite durant des années au-dessus des liens entre les deux pays. Pour les parties civiles, le dossier sera même sacrifié, au nom de la réconciliation diplomatique.
Il n’empêche, le dossier Bruguière se fragilise. Un témoin clé, l’ancien opérateur radio Richard Mugenzi, se rétracte affirmant que le message qu’il avait intercepté, accusant les rebelles tutsis de Paul Kagame, aurait en fait été fabriqué.
Couplé avec les efforts politiques, ce développement entraîne un début de détente avec, quelques mois plus tard début 2010, un déplacement de Nicolas Sarkozy à Kigali. Le président français y reconnaît «
de graves erreurs d’appréciation », «
des erreurs politiques », «
une forme d’aveuglement » de la France durant le génocide. D’autres avancées permettent le réchauffement : la déclassification d’archives, des visites présidentielles, Paul Kagame à Paris en 2011 et 2018, des rapports indépendants.
Fin 2018, Louise Mushikiwabo, fidèle de Paul Kagamé, prend la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie, avec justement le soutien français. Hasard ou non, quasi le même jour, le dossier des neufs mandats d’arrêts subit un nouveau coup, lorsque le vice-procureur demande un non-lieu. Un abandon des poursuites qui a connu hier son épilogue.