Citation
République française
[logo]
DELEGATION
AUX AFFAIRES
STRATEGIQUES
Paris, le 10 avril 1993 [la mention italique est manuscrite]
N° 171 [la mention italique est manuscrite] DEF/DAS/SDQR/PC/C9 [la mention italique est manuscrite]
Annexe 4 [la mention italique est manuscrite]
[document classé CONFIDENTIEL DEFENSE]
N O T E
OBJET Plaidoyer pour un réexamen de la politique française au Rwanda.
1. - Crise ?
Placé à la limite de la zone de colonisation allemande (Tanganyika), et de la zone britannique (Ouganda), le Rwanda passe sous mandat belge par extension après la guerre de 1914, par mandat de la SDN. Le pays est gouverné en s’appuyant sur la minorité traditionnellement dominante des Tutsi (également présente au Burundi voisin dont le Rwanda ne s’est séparé qu’en 1963).
La marche vers la décolonisation et l’indépendance marquent le réveil des rivalités tribales entre Tutsi et Hutu (massacres de novembre 1959, décembre 1963, de février 1973, et automne 1988 au Burundi) entrecoupées de régimes autoritaires (dictature Kayibanda 1962-1973, puis Habyarimana 1973-?). L’état de crise est une constante de la vie politique locale.
On ne peut méconnaître, dans la crise rwandaise la dimension intérieure qui fait que le Président en place, malgré les efforts d’ouverture vers le multipartisme, n’est que faiblement représentatif et a accumulé les motifs de critiques des organisations de défense des droits de l’homme. De plus, la responsabilité de la rupture du cessez-le-feu en février 1993 semble assez équitablement partagée. Aujourd’hui la reprise des hostilités peut être le fait de l’un ou l’autre des protagonistes. On peut donc s’interroger sur le refus français de discuter avec le FPR, alors que la Belgique n’a pas les mêmes réticences.
2. - Crise internationale ?
Le FPR bénéficie d’un soutien de l’Ouganda. Les 200.000 Tutsis, peuple de guerriers, réfugiés en Ouganda après les persécutions au Rwanda, ont aidé Museveni à accéder au pouvoir. Le régime de Kampala retourne le service, sans que l’on puisse parler de solidarité ethnique (Museveni lui-même est un Bahima), ni plus largement de visée géopolitique dont la logique est loin d’être évidente, l’Ouganda étant un état pluriethnique (TD Kampala du 31 mars 1993).
L’OUA marque sa volonté de participer au règlement de la crise à partir de l’accord de en janvier 1993, et déploie les observateurs du Groupe des Observateurs Militaires Neutres (GOMN) sans grande efficacité.
Le Conseil de sécurité de l’ONU est saisi par la France, et adopte à l’unanimité la résolution 812 le 12 mars 1993. La difficulté principale maintenant est de répartir les rôles : l’OUA veut une force sous commandement africain (et financement ONU).
Deux lectures de la crise rwandaise sont possibles :
- la crise intérieure « à l’africaine », c’est-à-dire une révolte à base ethnique avec un sanctuaire dans un Etat frontalier, et bénéficiant d’une aide militaire (à lire peut-être autant dans le système du don et du contre don que dans celui des relations internationales).
Le régime en place n’est pas plus représentatif que le FPR, et la France peut valablement considérer que le scénario n’entre pas dans le cadre de l’accord de l’assistance militaire de 1975. Les troupes françaises sont là exclusivement pour protéger les ressortissants. De plus, deux instances internationales sont saisies du règlement du conflit : l’ONU et l’OUA. La France peut prendre ses distances.
- La lecture internationale : l’Ouganda interfère dans la crise rwandaise, et la France protège l’intégrité territoriale et politique du Rwanda. Cette logique oblige à défendre le régime en place à Kigali qui devrait représenter 90 % de la population du Rwanda (les Hutus). On sait qu’il n’en est rien.
La décision de mise en place de « l’opération Noroît » avait refusé de se référer à cette lecture de la crise puisqu’officiellement les troupes déployées en octobre 1990 avaient pour seule mission d’assurer la protection1 des ressortissants. Plus l’effectif déployé dépasse le nombre des 400 ressortissants français (et environ 1 500 doubles nationaux), moins cette thèse est crédible.
Le scénario de renforcement opte définitivement pour cette interprétation, et donc revient à conforter le régime Museveni Habyarimana [correction manuscrite].
3. – La crise rwandaise : crise nouvelle, ou crise traditionnelle ?
La crise rwandaise présente quelques caractères de nouveautés qu’il importe de conserver en mémoire.
- C’est une crise sans dimension extra-continentale. Première crise africaine de l’après disparition de l’URSS, elle n’intéresse aucune grande puissance sauf la France. Les Américains ont opté pour le traitement de la crise soudanaise et ne veulent pas porter préjudice à leurs relations avec l’Ouganda. La France n’intervient donc pas comme garante de la stabilité du Continent mais dans une fonction de simple police, mi-intérieure, mi-extérieure. L’engrenage qui a amené la présence militaire française, va devenir de plus en plus banal. L’appel à l’aide d’un dictateur en perte de vitesse, contesté par la démocratisation, et qui voit dans ses opposants des suppôts d’une puissance étrangère, s’est déjà produit au Togo et au Zaïre. Eyadema et Mobutu font école. Dans ces deux cas, la France a refusé son assistance. Si le retrait français peut être interprété comme un signe d’abandon par nos alliés traditionnels, notre maintien peut aussi l’être comme une garantie offerte aux dictateurs en place.
- C’est une crise qu’on pourrait qualifier d’infra-médiatique. En d’autres termes, l’opinion publique s’en désintéresse, et les médias qui n’en parlent que rarement et souvent avec une grande distance par rapport à la thèse officielle, n’y trouveront probablement un intérêt nouveau que si des soldats français s’y font tuer. L’explication de la politique française souffrirait alors d’un certain handicap de communication.
- Le Rwanda se localise sur un arc de crise qui va de Khartoum à Luanda. La proximité du Zaïre en décomposition, le Sud Soudan en révolte, l’Angola en guerre… L’aire des crises en Afrique s’élargit, et l’argument classique consistant à ne pas se retirer pour ne pas donner l’impression à nos amis africains que la France les abandonne, est en porte à faux : qu’en sera-t-il lorsque des Etats alliés confrontés à des problèmes de même nature mi-internes mi externes nous appelleront à l’aide, pour la Casamance, les Touaregs… ?
La crise rwandaise constitue effectivement un test, mais probablement plus de notre capacité à repenser notre politique en Afrique que de notre volonté de soutenir nos alliés traditionnels. / [signature manuscrite].