[Article initialement publié dans
Aujourd'hui au Faso - Ouagadougou]
Pourquoi, sur les collines de Bisesero, le groupe de Tutsis qui appelait à l’aide a attendu trois jours avant d’être secouru par des militaires français qui ne se trouvaient pas loin ? [En juin 1994, les soldats de l’opération Turquoise, présents sur place, ont attendu avant d’intervenir, laissant les massacres se perpétuer. Leur attitude à Bisesero constitue l’une des accusations majeures contre la France durant le génocide des Tutsis.] Pourquoi n’évoque-t-on pas la présence des mercenaires Bob Denard et Paul Barril dans la zone des massacres ?… C’est avec une plume trempée dans le vitriol de la responsabilité française que s’est écrit le rapport de ces 14 historiens conduits par Vincent Duclert.
Un vrai brûlot de 1 200 pages qui cite la France dans l’abjection survenue au Rwanda en 1994. Commandité par Emmanuel Macron, qui l’a réceptionné ce 26 mars 2021, c’est un document “explosif” qui n’est pas sans rappeler le livre à charge de Pierre Péan,
Noires fureurs, blancs menteurs, et qui conclut à la “faillite de la France au Rwanda” entre 1990 et 1994.
La “dette” française
“Responsabilité et non complicité”, telle est la précision de taille que mentionne également ce document fouillé et circonstancié. C’est un draft qui vient rappeler crûment que, vingt-sept ans après le génocide rwandais, rien n’est réglé entre les deux pays, dont les relations évoluent en dents de scie, même si avec Macron l’épaisse atmosphère polaire s’est un peu dissipée. Néanmoins, le génocide rwandais gagnerait à être exorcisé une bonne fois pour toutes diplomatiquement et politiquement. Par des actes forts, tels qu’une demande de pardon pour cette responsabilité au “pays des mille collines”.
Et dans cette optique, Macron est dans une bonne dynamique, lui qui multiplie les commandes de rapports d’historiens et les sorties qui s’approchent au peu plus de l’acte de contrition. Rapport mémoriel Stora sur l’Algérie, à la suite duquel Alger réclame elle aussi la “reconnaissance des crimes coloniaux”, [reconnaissance de la] responsabilité de la France dans l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel en 1957…
Avant-hier l’Algérie, hier la Libye, où la France reconnaît une “dette” pour le “désordre” causé par elle, aujourd’hui le Rwanda. Et si Jupiter avait l’intention de franchir le Rubicon ? C’est-à-dire de demander pardon ?
Séisme diplomatique
Ce serait certes un séisme diplomatique que ne dédaignerait pas apprécier à sa juste valeur son homologue d’Urugwiro Village, [le président rwandais] Paul Kagame. Cette guerre mémorielle et politique doit être soldée un jour par un armistice, qui passe par cette réconciliation entre la France et le Rwanda.
Cela passera nécessairement par ce pardon qui libère, qui n’est point un aveu de faiblesse, mais grandit, apaise de part et d’autre, surtout si au fil des rapports, enquêtes, procès, la responsabilité de la France est reconnue. Qu’elle ne soit pas coupable ou complice n’empêche pas de battre sa coulpe pour tourner cette page douloureuse, qui empoisonne ses relations avec le Rwanda depuis plus de vingt-cinq ans.