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L'histoire du Rwanda bascule le 6 avril 1994 à 20 h 23, lorsque l'avion
Falcon qui ramène de Dar es Salaam le président Habyarimana et son
collègue burundais est abattu par deux missiles tirés coup sur coup.
Depuis quatre ans, le secret de cette tragédie pèse sur le destin du
Rwanda. En France cependant, la mission d'information pourrait bien
être amenée à se saisir du dossier et, en Belgique, certaines pistes
mériteraient d'être à nouveau suivies.
En effet, le Belge Christian Tavernier, connu comme le chef des
mercenaires à Kisangani en 1997 mais qui fut aussi, durant longtemps,
membre du Conseil de Sécurité de Mobutu, nous a confié les résultats
d'une investigation interne menée à l'époque par le SARM zaïrois,
(service d'action et de renseignement militaire).
Selon cette enquête, un lot de six missiles sol-air aurait été
acheminé vers Goma à la veille du 6 avril au départ d'Ostende, après
avoir transité à Bruxelles par... le garage situé au dessous de
l'ambassade du Zaïre, rue Marie de Bourgogne!
Les engins auraient été fournis et transportés par un marchand d'armes
très connu en Afrique centrale, M. H., qui aurait exécuté une
commande. Tavernier assure ignorer l'identité du destinataire final,
les représentants zaïrois en Belgique s'étant contentés de fournir une
déclaration de complaisance.
Au vu de la personnalité et des relations de M. H., les commanditaires
potentiels sont nombreux: H. a travaillé pour les services français et
a gardé de nombreux contacts à Paris; il approvisionne régulièrement
les milices armées du Burundi; il a soutenu le président ougandais
Museveni, fourni des armes au Front patriotique rwandais et connaît
personnellement le vice-président Paul Kagame. Last but not least,
très bien introduit auprès du président Mobutu, il est aussi en
relations d'affaires avec les généraux Nzimbi et Baramoto, ainsi
qu'avec Kongulu Mobutu, le fils du président.
Selon Tavernier, Mobutu aurait été averti, après coup, de ce transport
impliquant certains de ses proches, et aurait ordonné le silence sur
cette affaire, assurant que son ambassadeur ignorait l'utilisation
finale des engins. Il n'empêche que le 6 avril 1994, Mobutu, qui était
lui aussi attendu à Dar Es-Salaam, se décommanda en dernière minute,
et aurait tenté de dissuader Habyarimana de faire le voyage.
Le témoignage de Tavernier aurait pu n'être qu'une pièce de plus au
dossier, un point d'interrogation teinté d'une nuance de doute, s'il
ne recoupait curieusement, et de manière très précise, une note
secrète sur le Rwanda qui fut communiquée le 22 avril 1994 par le SGR
(service de renseignements de l'armée belge) à l'Etat-major, aux
Affaires étrangères, à la Défense et à la Sûreté de l'Etat, sur base
d'informations livrées par une source
du SGR qui mentionne aussi un
projet d'attentat contre Tshisekedi.
A l'époque, même si cette note circule dans plusieurs milieux, les
ministères concernés ne réagissent pas, la Sûreté de l'Etat est
sceptique (et l'est encore aujourd'hui!). Huit mois plus tard, Mme
Véronique Paulus de Châtelet, qui vient d'être nommée à la tête du
comité R, découvre une copie de cette note secrète et s'insurge contre
la Sûreté qui a gardé cette information sous le boisseau, ce qui fera
d'ailleurs l'objet d'un incident entre le Comité R, qui contrôle les
services de renseignement, et la Sûreté, qui s'occupe du renseignement
civil. (Le Soir
du 26 octobre 1995).
Il faut noter que le transit belge
des fameux missiles ne dément en
rien les hypothèses déjà formulées à propos de leur provenance (des
stocks irakiens saisis par les Français pendant la guerre du Golfe),
de leurs utilisateurs (une équipe de tireurs européens, sans doute de
nationalité française) et de leurs commanditaires présumés, les
milieux extrémistes hutus. Si M. H. est bien le transporteur, on ne
peut cependant exclure qu'il ait informé ses autres relations
d'affaires, Museveni et Kagame, ce qui pourrait expliquer le fait que
le FPR n'ait jamais éprouvé le besoin de mener l'enquête à propos de
l'attentat qui déclencha le génocide.