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Comme une partie de la presse française, Le Canard enchaîné a pris l’habitude de diaboliser le président de la République rwandaise. Il est présenté comme le deus ex machina d’une conspiration pour le pouvoir absolu. La condamnation, en septembre dernier, par la Haute Cour rwandaise de l’ancien gérant de l’hôtel des Mille Collines nous en offre une nouvelle illustration. En conséquence, on ne peut pas prendre au sérieux le billet venimeux (23/09/21) de Jérôme Canard qui, à partir de la condamnation de Paul Rusesabagina, le 19 septembre, par la Haute Cour de Kigali, accuse le président de la République rwandaise de l’avoir « d’emblée déclaré coupable de terrorisme ». Son article, truffé d’inventions, est un tissu de gros mensonges.
L’enquête rigoureuse du journaliste-écrivain, Jean-François Dupaquier (1), parue, le 11 mars 2021, dans une chronique de 9 pages, d’afrikarabia, intitulée « Paul Rusesabagina, splendeur et déchéance d’un "héros de Hollywood" », puis dans un deuxième article, le 21 septembre dernier, nous éclaire sur ce gérant d’un hôtel 4 étoiles, de Kigali où s’étaient réfugiés des Tutsi réputés et des opposants démocrates recherchés par les forces génocidaires du Rwanda. Tout en défendant âprement la sécurité de l’hôtel des Mille Collines, face aux menaces d’extermination que faisaient peser les miliciens, dans cet établissement « aux mille combines, aux mille copines », il est apparu surtout occupé à faire du business. Le réceptionniste de l’hôtel le décrit comme un manager « qui profite de la situation, occupe la suite présidentielle, consomme prostituées et champagne à gogo ». Cyril Ntagamira, un rescapé, se rappelle : « Tous les jours, on attendait la mort. Dans l’hôtel, on ne criait pas, on ne pleurait pas, ça sentait la mort ». Le procureur Nsanzuwera ne considère pas Paul Rusesabagina comme un héros : « Il ne prenait aucun risque, il faisait son petit business, il était protégé, il m’a menacé de m’expulser de ma chambre avec ma femme pour non-paiement du loyer. J’ai dû signer une lourde reconnaissance de dettes ». Jean-François Dupaquier constate qu’à la fin du génocide « il est très isolé pour prétendre qu’il a sauvé de nombreux Tutsi ». Marion Van Renterghem, dans Le Monde, au terme de son enquête, le qualifie ainsi : « Gestionnaire sans âme, vantard ».
L’ex-gérant des « Mille Collines », en l’an 2000, lors de la rencontre du cinéaste irlandais Terry Georges, lui raconte son histoire à sa façon. « La machine à légendes était en route, et elle avait trouvé son scénariste » (Jean-François Dupaquier). Et, dans le film « Hôtel Rwanda », de 2004, Don Cheadle incarne un directeur d’hôtel « d’un courage fou, prêt à tout pour sauver des vies ». Dix ans après la fin du génocide, Paul Rusesabagina est soudain « magnifié par le cinéaste en un héros absolu » qui se joue des tueurs dans Kigali, à feu et à sang. Reçu à la Maison blanche, il devient un homme riche et une gloire mondiale. « La tête lui tourne, il se voit président du Rwanda ».
Jérôme Canard n’a pas daigné s’informer sur le véritable comportement de Paul Rusesabagina. Plutôt que d’examiner les faits, dans son entrefilet du 23 septembre, il ose répéter la légende d’Hollywood : « RECONNU comme Juste, pour avoir sauvé quelque 1 000 Tutsis réfugiés dans son hôtel lors du génocide de 1994 » alors qu’il sait que, le 3 mai 1994, c’est Bruno Delaye, chef de la cellule africaine de l’Élysée, qui téléphona au chef d’état-major Bizimungu afin d’arrêter les gardes présidentiels, prêts à massacrer une centaine de Tutsi. Il y eut d’autres tentatives de miliciens pour donner l’assaut à l’hôtel des Mille Collines et assassiner aussi des opposants démocrates. Le gérant appelait certes, comme des réfugiés de l’hôtel, les personnes influentes de l’étranger, tout en étant ami des génocidaires. Mais ce fut surtout les transferts de prisonniers opérés par le général Dallaire et le chef d’état-major rwandais Bizimungu, qui permirent d’éviter les massacres dans l’hôtel de luxe. Il était évident que Rusesabagina n’avait pas le pouvoir de sauver des Tutsi.
Jérôme Canard veut également ignorer son ambition de déstabiliser le régime rwandais et la guerre secrète qu’il engage pour cela. En 2010, Paul Rusesabagina « crée la Hotel Rwanda Rusesabagina Foundation aux États-Unis et le mouvement des Rwandais pour le changement démocratique (MRCD) ». Ce n’est pas un simple « parti d’opposition », mais une organisation dotée d’une branche militaire, les Forces de libération nationale, qui, dans la forêt de Nyungwe, sous la direction de Callixte Nsabimana, mène des embuscades contre des véhicules militaires, attaque « des bureaux du gouvernement, ainsi que la police et des camps militaires ». L’analyste Michaël Rubin (2), qui ne ménage pas ses critiques à l’égard de la ligne politique de Paul Kagame, est catégorique : « Les accusations de terrorisme et de meurtre contre Rusesabagina sont réelles, et ses propres paroles sont la preuve la plus accablante ».
La livraison au Rwanda de Paul Rusesabagina a été parfaitement racontée par Libération (3) et par Jeune Afrique (4). Cela n’a pourtant pas entraîné, comme le dit le journaliste du Canard, « un procès inique ». Bien au contraire. « Le nouveau procureur général du Rwanda, Aimable Havugiyaremye, […] a amené des preuves scientifiques en montant d’un sérieux cran le niveau de professionnalisme de ses équipes, et a voulu un procès qui réponde aux standards les plus pointilleux de la justice internationale. Les accusés ont choisi des avocats -- rwandais -- et les débats sont diffusés sur Youtube en Kinyarwanda et en traduction simultanée en anglais. L’acte d’accusation, que nous avons pu consulter en anglais, est un modèle du genre » (Jean-François Dupaquier, 11 mars 2021).
Le 20 septembre, la Haute Cour de Kigali a « conclu que le rôle de Rusesabagina dans la création du FLN, la fourniture de fonds aux rebelles et l’achat de moyens de communication pour les rebelles constituent tous le crime de commission de terrorisme ». On l’a condamné à 25 ans d’emprisonnement.
Selon la journaliste Maria Malagardis : « Côté occidental, nombreux sont ceux qui ont dénoncé les conditions de l’arrestation de Rusesabagina et ont interprété le procès comme celui d’un opposant aux prises avec un régime accusé de non-respect des droits de l’homme. Pourtant, diffusées en direct à la télévision pour la première fois, les audiences ne semblent pas avoir dérogé aux standards internationaux ».
Dans la reconstruction du pays, le pouvoir rwandais entend suivre sa voie et s’oppose à une « reconstruction libérale » dont les exigences sont toujours de pactiser avec les forces génocidaires. S’il apparaît nécessaire de protester contre les restrictions de liberté et d’association inscrites dans les lois et les pratiques de l’État rwandais, il est néanmoins indispensable que la direction du Canard enchaîné abandonne son parti-pris dénonciateur pour reconnaître la vérité des faits.
Notes
(1) Jean-François Dupaquier, Afrikarabia, « Rwanda : Paul Rusesabagina, Splendeur et déchéance d’un "héros de Hollywood" » (11 mars 2021). « Rwanda : Paul Rusesabagina, la chute d’un "héros de Hollywood" » (21 septembre 2021).
(2) Michael Rubin est un contributeur au blog confidentiel de Beltway du Washington Examiner. Il est chercheur résident à l’American Enterprise Institute et ancien fonctionnaire du Pentagone.
(3) Mehdi Ba, « Rwanda : comment Paul Rusesabagina a été piégé », Jeune Afrique, 16 février 2021.
(4) Maria Malagardis. « Comment le Rwanda a piégé un héros de Hollywood, » Libération, 16 février 2021.