. Il porte sur les « écrits et rapports » du fondateur de la toute première mission catholique au Rwanda, celle de Save en 1900. Le livre s’intitule « Le Rwanda vu par le père Brard » et les documents qui y sont présentés ont été produits entre 1898 et 1906.[1] Le père Minnaert compte déjà à son actif 24 publications dont huit livres qui presque tous portent sur l’évangélisation (par les Pères Blancs essentiellement) et la colonisation du Rwanda.
Sur l’ensemble des 36 documents que comporte ce volume de 324 pages, la « lettre du père Brard du 8 février 1902 à Monseigneur Livinhac » est le document que l’auteur considère comme « le plus important et le plus intéressant ». Selon Minnaert, cette lettre « contient entre autres une description détaillée de la société rwandaise à partir de données que le P. Brard avait récoltées avec l’aide de ses informateurs rwandais ». Et il ajoute : « Une analyse sérieuse de ce document, jusqu’à maintenant jamais faite, est un grand défi à relever pour les historiens rwandais ; ils ont la compétence et la connaissance de leur société d’une manière privilégiée » (p.4).
Cet extrait dénote l’approche et la méthodologie particulière de cet auteur par rapport à l’histoire du Rwanda. Depuis quelques années déjà, il publie des documents rares et inédits sur l’histoire du pays, afin de les rendre plus accessibles au grand public et aux historiens rwandais en particulier. C’est le cas du livre qu’il a publié en 2017 intitulé « Histoire de l’évangélisation du Rwanda. Recueil d’articles et documents concernant le Cardinal Lavigerie, Mgr Hirth, le Dr Kandt, le P. Brard, le P. Classe, le P. Loupias, le chef Rukara, Mgr Perraudin, etc., ». Après plusieurs années de travail comme missionnaire Père Blanc au Rwanda en effet, le père Minnaert a eu le privilège d’officier comme responsable des Archives Générales des Missionnaires d’Afrique (A.G.M.Afr.) à Rome. Ceci lui a sans doute permis d’accéder à un certain nombre de ces documents, même si sa curiosité d’historien lui permet d’explorer d’autres sources.
Il privilégie donc une posture de modestie en apportant des matériaux précieux à l’historiographie du Rwanda tout en laissant le soin aux historiens rwandais de les analyser et les interpréter. Un défi de taille quand on sait que la bonne majorité de quelques brillants historiens rwandais est déjà passé à l’autre monde ou est à la retraite, et qu’une nouvelle génération peine à se dessiner et à prendre la relève. Le père Minnaert ferait donc mieux de prendre part tout aussi à cette œuvre d’analyse, non seulement pour suppléer à cette carence d’historiens locaux, mais aussi parce qu’il a des clefs d’interprétation dont ils ne disposent pas. En effet, il connait de l’intérieur la congrégation des Missionnaires d’Afrique (alias Pères Blancs) pour en avoir été membre avant de décider de la quitter pour devenir prêtre diocésain en Belgique où il exerce sa pastorale actuellement. Rappelons que les écrits et l’action des Pères Blancs sont pour une large part responsables de l’idéologie ethniste et raciste à la base des violences (1959, 1973,…) et du génocide (1994) contre les Tutsi au Rwanda.
Le père Minnaert me rétorquera, comme à son habitude, que c’est un étranger et que pour cette raison, il devrait s’effacer, évoquant pour conforter son argument, ce rôle funeste de ses anciens coreligionnaires et autres Européens qui ont écrit une histoire tendancieuse et divisionniste du Rwanda. Mais je voudrais le rassurer sur ce point en disant qu’il fait partie de rares et bonnes exceptions de par sa lucidité intellectuelle, là où d’autres Occidentaux qui se disent spécialistes du Rwanda préfèrent entretenir l’ethnisme et la confusion. Je me rappelle de sa présentation lors d’un colloque de 2008 organisé conjointement par l’Université du Rwanda et l’Université Libre de Bruxelles sur « les religions au Rwanda ». Parlant des Pères Blancs et de la société rwandaise sous la colonisation allemande, il avait fait l’observation suivante : ‘Une fois installés au Rwanda, ils approfondissent leurs connaissances du pays. … Les Pères Blancs voient qu’il y a des pauvres et des riches parmi les Bahutu et les Batutsi. Dans leurs écrits, ils entretiennent une confusion à propos de la masse de la population et de l’élite politique. Ils désignent cette masse (composée de pauvres Tutsi et Hutu) par « les Bahutu » ; et l’élite politique et économique (composée de riches Tutsi et Hutu), par le terme « les Batutsi »’.[2]
Minnaert était encore à l’époque membre de la congrégation des Pères Blancs, et son analyse faisait preuve de courage intellectuel là où ses confrères préféraient et préfèrent toujours s’enfermer dans l’apologie, le déni et l’impénitence. Je ne lui ai pas encore demandé ses motivations, mais je présume que c’est principalement ce regard très différent sur l’histoire qui l’a poussé à quitter la congrégation pour devenir prêtre diocésain. Minnaert et moi avons fait connaissance dans des circonstances un peu particulières. C’est lui « l’un des trois missionnaires de la paroisse de Nyamirambo » que j’évoque sans le nommer, dans mon livre « Rwanda : contre l’ethnisme » publié en 2017. Au départ, je ne pouvais pas le distinguer de ses confrères. Ensuite nous avons eu une longue discussion très enrichissante, et plus tard, j’ai découvert qu’il était historien et qu’il écrivait des choses intéressantes sur le Rwanda !
Cette dimension intellectuelle du personnage a certainement été ma plus grande surprise, parce que les Pères Blancs ne brillent pas spécialement par ce coté là parmi la multitude de congrégations religieuses au sein de l’Eglise catholique. C’est peut-être un préjugé négatif ou une méconnaissance de ma part, mais je l’assume ! Quand j’étais étudiant en théologie, un collègue nous faisait souvent rire par cette boutade : « il y a trois choses que même l’Esprit-Saint ignore dans l’Eglise catholique: le nombre de congrégations religieuses, l’orgueil des Jésuites et la fortune des Scheutistes » ! S’il y a donc dans l’Eglise des choses sur lesquelles même l’Esprit de Dieu peut avoir des connaissances approximatives, souffrez qu’un simple mortel puisse se faire une idée, si inadéquate soit-elle, sur les Pères Blancs !
Le père Minnaert n’en fait plus partie, mais il continue de visiter régulièrement le Rwanda qu’il a découvert grâce à cette congrégation. Il a également donné jusqu’à présent une contribution appréciable pour une meilleure connaissance de l’histoire de notre pays. Tout récemment, il m’a confié qu’il souhaitait léguer sa riche documentation au Rwanda, en se demandant comment, le moment venu, sa famille saura s’y prendre ! Je lui ai demandé de ne pas déjà penser à sa mort parce qu’il lui reste encore environ 33 ans pour être centenaire ! Mais j’espère que les autorités compétentes sauront saisir son offre généreuse.
Rutazibwa R. Privat
*Article initialement publié par IGIHE.com le 8 Octobre 2021.
[1] Minnaert Stefaan (Père). 2021. Contribution à l’histoire de l’évangélisation du Rwanda. Le Rwanda vu par le Père Brard : 1898-1906. Ecrits et rapports du fondateur de la mission catholique de Save. Kigali.
[2] Minnaert Stefaan. 2009. « Les Pères Blancs et la société rwandaise durant l’époque coloniale allemande (1900-1916) : Une rencontre entre cultures et religions », in Pr. Paul Rutayisire, Pr. Jean-Philippe Schreiber & Pr. Deo Byanafashe (sous la direction de), Les religions au Rwanda : défis, convergences et compétitions. Actes du colloque international du 18-19 septembre 2008 à Butare/Huye. Butare : Editions de l’Université Nationale du Rwanda, pp 53-101.
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