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« RIP papa. » Samedi 25 septembre, Achille Bagosora vient d’annoncer sur sa page Facebook la mort de son père, Théoneste Bagosora, l’un des responsables les plus importants du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 au Rwanda.
Enfermé dans la prison de Koulikoro, à 57 km de Bamako (Mali) où des génocidaires condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) purgent leur peine en toute discrétion, Bagosora a succombé à un problème cardiaque à l’âge de 80 ans. Loin de sa famille, de ses enfants, dont Achille qui vit en France.
« Cet homme a orchestré notre destruction en 1994 et il a tout perdu. Même les tueurs meurent ! Cela me fait bizarre », nous confiait, samedi soir, Jeanne, une rescapée du génocide des Tutsis.
Un militaire formé en France
Surnommé « le colonel de l’apocalypse », Théoneste Bagosora purgeait une peine de 35 ans de prison pour crime de génocide. Si, en 2011, la chambre d’appel du TPIR n’avait pas conclu qu’il avait ordonné les crimes dont il était accusé – contrairement au jugement en première instance –, elle a estimé qu’il savait qu’ils allaient être commis et n’avait rien fait pour les prévenir.
Militaire de haut rang, connu pour être l’un des plus radicaux du clan au pouvoir sous la présidence de Juvénal Habyarimana, Bagosora, né en 1941, a vu le jour dans la province de Gisenyi (nord-ouest du Rwanda), d’où étaient originaires les faucons du régime hutu. Sa fille aînée est une filleule de la première dame, Agathe Habyarimana.
Élève au petit séminaire, il a fait toute sa carrière au sein de l’armée. Parmi ses coups d’éclat, sa participation au coup d’État de 1973 perpétré par Juvénal Habyarimana et le clan des Hutus de la province du Gisenyi.
Profitant du rapprochement entre la France et le Rwanda sous Valéry Giscard d’Estaing et surtout sous François Mitterrand, Bagosora a été formé par l’École de guerre et fut auditeur de l’Institut des hautes études de défense national (IHEDN). Il a occupé plusieurs fonctions au ministère de la défense et au sein du commandement de l’armée, apparaissant du côté des plus radicaux du régime.
Commanditaire de l’attentat contre Habyarimana, pour la DGSE
Son extrémisme dérange même Juvénal Habyarimana qui le met à la retraite en 1992. Une mesure qui ne l’empêche pas, à la veille du génocide, d’être directeur de cabinet au ministère de la défense. Selon une note de la DGSE datée de septembre 1994, sa mise à la retraite l’aurait poussé, avec Laurent Serubuga, l’ancien chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), à commanditer l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, le 6 avril 1994.
Pour les services secrets français de l’époque, cette « mise à la retraite (…) a été à l’origine d’un lourd ressentiment et d’un rapprochement remarqué auprès de Mme Agathe Habyarimana, veuve du président et considérée souvent comme l’un des principaux cerveaux de la tendance radicale du régime. » L’attentat « aurait été prémédité de longue date par les extrémistes hutus ».
À la mort du président Habyarimana et du chef d’état-major de l’armée, Théoneste Bagosora est la plus haute autorité militaire du pays, en l’absence du ministre de la défense à l’étranger. Il s’oppose à ce que la première ministre d’alors, Agathe Uwilingiyimana, une démocrate hutue, exerce le pouvoir. Elle est aussitôt assassinée par la garde présidentielle, avec les dix casques bleus belges chargés de la protéger. Bagosora est alors à l’initiative du gouvernement intérimaire formé à l’ambassade de France et responsable du génocide.
Sera-t-il enterré en France ?
Pour le général Roméo Dallaire, commandant des casques bleus au Rwanda en 1994, Bagosora était « soit la personne la plus insensible d’Afrique, soit la réincarnation de Machiavel en train d’exécuter un plan retors » (1). Recherché pour son rôle dans ce génocide, il est finalement arrêté le 9 mars 1996 et extradé devant le TPIR.
« Cette disparition amène à se poser une question : où Bagosora sera-t-il inhumé ? », interroge, après l’annonce de ce décès, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). De fait, plusieurs membres de sa famille résident en France, et le CPCR craint que sa dépouille soit accueillie dans l’hexagone, comme l’ont été celles d’autres génocidaires rwandais : « Il ne faudrait pas » que sa tombe « devienne un “lieu de pèlerinage” ».
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À propos des génocidaires rwandais
Lors de son procès, l’accusation avait présenté Théoneste Bagosora comme « le cerveau » du génocide, qui a coûté la vie à un million de personnes, principalement des Tutsis. Ce qu’il a toujours nié.
Sur le continent africain, le Botswana, le Bénin et le Mali font partie des pays ayant accepté de recevoir les génocidaires rwandais condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
La France a accueilli en 2018 la dépouille de Simon Bikindi, qui chantait l’extermination des Tutsis sur les ondes de Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM). Et en 2010, celle de Jean-Bosco Barayagwiza, président du parti extrémiste CDR, l’un des fondateurs de la RTLM.
(1) Lire J’ai serré la main du diable, Libre Expression, 2003.