Fiche du document numéro 29035

Num
29035
Date
Jeudi 23 juin 1994
Amj
Hms
13:00:00
Auteur
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Fichier
Taille
34649
Pages
6
Sur titre
Journal de 13 heures
Titre
Hier [22 juin] à 19 h 30, le Conseil de sécurité de l'ONU a autorisé l'intervention française. Les rebelles du Front patriotique du Rwanda ont dit qu'ils s'y opposeraient par tous les moyens
Sous titre
En France, les organisations humanitaires sont divisées. Les politiques aussi.
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Résumé
- Operation Turquoise began after the green light last night [June 22] from the United Nations. At least 200 paratroopers are on the border with Rwanda, where they are due to enter as of today.

- The paratroopers and marine commandos came into play last night. A reconnaissance of the zone along the Zairian-Rwandan border. Their column from Goma should arrive in Bukavu in the early afternoon. At the same time, a dozen Puma will land in the evening at the same Bukavu airport, a small runway which cannot be accessed by jumbo jets, hence the difficulty. Phase 2 of Operation Turquoise aims to protect, and not evacuate, a few thousand Tutsi refugees at high risk in a stadium in Cyangugu. The French soldiers should therefore enter Rwanda tomorrow morning and take a stand. The objective of phase 3 will be to extend the security zones.

- Operation Turquoise should mobilize a total of 2,500 men, around 100 vehicles and 40 planes. Humanitarian objective to initially protect 8,000 Tutsi in southwestern Rwanda.

- At the Ministry of Defense, yesterday afternoon [June 22], François Léotard and Admiral Lanxade, Chief of Defense Staff, explain Operation Turquoise. It is five o'clock. At 7:30 p.m., the UN Security Council authorized the French intervention. A few minutes later Operation Turquoise begins. 2,500 men will have to participate, all professional soldiers. 1,000 will be sent from France. 1,500 already posted in Africa are being routed right now to Zaire. Their mission is initially outside the combat zone. It should last a month. It will have only one goal: humanitarian.

- First objective: Cyangugu where several thousand Tutsi, the rebel ethnic group, would be in danger of death. 1,000 French soldiers will be brought into Rwandan territory. A risky operation since it is being carried out without the clear support of France's allies, most Europeans refused to participate. Only Italy seems ready to offer 500 men. Other countries, notably Belgium and the United States, are ready to provide logistical assistance.

- Since France launched its intention to intervene, the rebels of the Patriotic Front of Rwanda, the Tutsi, have said that they would oppose it by all means. They accuse France of supporting the power in place. For them, French soldiers are aggressors. Jacques Bihozagara, "Rwandan Patriotic Front Representative": "We are not going to go to Cyangugu specifically to go and fight the French forces! But if we have to get there, and if they are there, we will treat them as invaders! So otherwise said, we're going to face them".

- In France too, we have heard many comments on the intervention of our troops. Politicians are divided, even among the majority. Pierre Lellouche, "Deputy R.P.R." : "We can no longer tolerate genocides next to us by pretending that it does not exist". Jacques Baumel, "Deputy R.P.R." : "Carrying out an intervention in a distant country, ravaged by tribal struggles, ancestral, and which are likely to develop despite the presence of our unfortunate 2000 soldiers, is a terrible risk".

- On the side of humanitarian organizations, two opposing lines. Bernard Granjon, "President of Médecins du Monde": "The mere prospect of this French intervention meant that we could no longer go to Rwanda. In the South, because our position was deemed unseemly by the government troops. the North, because the RPF tells us: 'With the aggravation of the situation, we can no longer ensure your security'". Philippe Biberson, "Pdt Médecins sans Frontières": "The alternative to what is happening today was nothing, it was to wait for the genocide to be accomplished, for it to end. And then we could have effectively brought in the UN: it would have been too late, there was no one left to save".

- Régis Faucon: "It is true that it challenges us to see that the humanitarian organizations themselves do not agree. We must also not forget that the French go to a country, Rwanda, where they are not. not necessarily well received by everyone. France has a fairly heavy record in this region since it is often perceived as having sided with one ethnic group against another. So, and this is the whole paradox, there is a great distrust on the part of the ethnic group that, precisely, we intend to save".

- As Operation Turquoise began this morning, it is important to briefly recall how catastrophic the situation is in Rwanda. Hundreds of thousands of refugees, hundreds of thousands of dead. A real genocide for several months. Despite the horror figures: 200,000, 300,000, 500,000 people have already been massacred. Thousands of Rwandans are throwing themselves on the roads of the exodus, the assassins of yesterday mingling with their victims to escape the advance of the RPF. It is in this context that the French took the initiative of a one-off humanitarian intervention, two and a half months after the start of the massacres.
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Jean-Pierre Pernaut :] L'opération Turquoise a commencé. C'est le nom donné à l'intervention française au Rwanda après le feu vert hier soir [22 juin] des Nations unies. 200 parachutistes au moins se trouvent à la frontière du Rwanda où ils doivent entrer dès aujourd'hui. Avec eux, au téléphone, nos envoyés spéciaux Marine Jacquemin et Frans-Yves Marescot.

[Marine Jacquemin :] [Une carte du Zaïre indique la ville de Goma] La phase 1 de l'opération terminée, les paras et les commandos marines sont entrés en jeu cette nuit. Une reconnaissance de zone, dit-on, le long de la frontière zaïro-rwandaise [on voit des militaires filmés de nuit, vraisemblablement sur l'aéroport de Goma]. Leur colonne partie de Goma devrait arriver à Bukavu en début d'après-midi [diffusion d'une carte du Rwanda et de l'Est du Zaïre ; la ligne de front entre la zone contrôlée par l'armée gouvernementale et la zone contrôlée par le FPR est indiquée et une flèche partant de la ville de Goma vers la ville de Bukavu apparaît]. Parallèlement, une douzaine de Puma atterrira dans la soirée sur le même aéroport de Bukavu, une petite piste où l'on ne peut accéder par gros-porteurs, d'où la difficulté.

La phase 2 de l'opération Turquoise a donc commencé. Son but : protéger pour l'instant -- et non évacuer -- quelques milliers de réfugiés tutsi très menacés dans un stade de Cyangugu. Les militaires français devraient donc entrer au Rwanda demain matin et prendre position. Sauf rebondissement ou impondérable de dernière minute, cette opération se prolongerait quelques jours et la phase 3 pourrait alors commencer avec pour objectif l'extension des zones de sécurité. Mais cela, c'est une autre histoire [des images de gros-porteurs et de blindés militaires sont notamment diffusées].

[Jean-Pierre Pernaut :] Oui, vous verrez le reportage de Marine Jacquemin ce soir au journal de 20 heures. L'opération Turquoise devrait mobiliser en tout 2 500 hommes, une centaine de véhicules et quatre…, 40 avions. Objectif humanitaire, on vient de le rappeler, pour protéger dans un premier temps 8 000 Tutsi dans le Sud-Ouest du Rwanda. Ce qu'on sait de l'opération avec Nahida Nakad.

[Nahida Nakad :] Le ministère de la Défense hier après-midi [22 juin] : François Léotard et l'amiral Lanxade, chef d'état-major des armées, expliquent l'opération Turquoise. Il est 17 heures [on voit François Léotard et Jacques Lanxade projeter un diaporama sur grand écran et le commenter]. À 19 h 30, le Conseil de sécurité de l'ONU autorise l'intervention française. Quelques minutes plus tard l'opération Turquoise commence. 2 500 hommes devront y participer, tous des soldats professionnels. 1 000 seront envoyés de France. 1 500, déjà postés en Afrique, sont acheminés en ce moment même vers le Zaïre [diffusion d'images d'archives de militaires français]. Ils viennent de Centrafrique, de Djibouti, du Gabon et de la Réunion. Ils seront postés à Kisangani au nord-est du Zaïre. Et surtout à Goma et à Bukavu à la frontière avec le Rwanda [diffusion d'une carte d'Afrique centrale ; deux flèches indiquent l'arrivée de soldats basés en Centrafrique et au Gabon vers le Rwanda]. Leur mission se porte dans un premier temps hors de la zone de combat. Elle devrait durer un mois. Elle aura un seul but : humanitaire.

Premier objectif : Cyangugu où plusieurs milliers de Tutsi, l'ethnie rebelle, seraient en danger de mort. 1 000 soldats français seront amenés à pénétrer en territoire rwandais [la même carte du Rwanda que celle projetée ci-avant est diffusée : elle indique les villes de Bukavu et de Cyangugu]. Une opération à risque puisqu'elle se fait sans l'appui clair des alliés de la France, la plupart des Européens ont refusé d'y participer. Seule l'Italie semble disposer à offrir 500 hommes. D'autres pays, notamment la Belgique et les États-Unis, sont prêts à fournir une aide logistique. Les soldats français devront rester au Rwanda en attendant le déploiement des Casques bleus, prévus pour la fin du mois de juillet [diffusion d'images de véhicules blindés des Nations unies].

[Jean-Pierre Pernaut :] Depuis que la France a…, a lancé son intention d'intervenir, vous savez que les rebelles du Front patriotique du Rwanda -- les Tutsi -- ont dit qu'ils s'y opposeraient par tous les moyens. Ils reprochent à la France de soutenir le pouvoir en place. Pour eux, les soldats français sont des agresseurs. Écoutez le représentant en Europe du FPR que vient de rencontrer Patricia Allémonière.

[Jacques Bihozagara, "Représentant Front Patriotique Rwandais" : "Nous n'allons pas aller… à Cyangugu, donc, spécifiquement, pour aller combattre les forces françaises ! Mais si nous devons y arriver, nous allons y aller. Et si elles sont là, nous allons les traiter comme… des envahisseurs ! Donc autrement dit, euh…, leur… arrivée ne va pas changer notre stratégie militaire. Mais si nous devons nous rendre à Cyangugu et qu'ils se trouvent à Cyangugu, vous comprenez que… on va les affronter".]

[Jean-Pierre Pernaut :] En France également on a entendu de nombreux commentaires sur l'intervention de nos troupes. Les organisations humanitaires sont divisées. Les politiques aussi, et même au sein de la majorité. Réactions recueillies par Pierre li et Isabelle Torre.

[Isabelle Torre :] La décision de la France d'intervenir ce matin a été prise en commun accord par l'Élysée et Matignon après quelques dissensions, c'est vrai, sur le niveau d'intervention nécessaire. Pour certains députés à droite, il était urgent d'arrêter enfin le massacre [diffusion d'images de députés à l'Assemblée nationale].

[Pierre Lellouche, "Député R.P.R." : "Il faut être capable, si on s'appelle l'Europe, si on s'appelle la France de défendre les valeurs, euh, élémentaires qui sont ceux des droits de l'Homme. Les plus…, les plus basiques ! On ne peut plus tolérer des génocides à côté de nous en faisant semblant que ça n'existe pas".]

D'autres, surtout à l'UDF, dont Valéry Giscard d'Estaing, sont plus réservés : difficile, pour eux, d'y aller seul.

[Alain Juppé, "Ministre des Affaires Etrangères" : "J'entends dire, euh…, ici ou là que nous sommes seuls. Nos partenaires européens -- tous, sans exception ! -- ont fait savoir qu'ils approuvaient cette initiative".]

Restent quelques irréductibles, totalement contre.

[Jacques Baumel, "Député R.P.R." : "Faire une intervention dans un pays lointain, ravagé par des luttes tribales -- ancestrales ! --, et qui risquent fort de se développer malgré la présence de nos malheureux 2 000 soldats, est un risque terrible".]

Du côté des organisations humanitaires, deux lignes opposées.

[Bernard Granjon, "Président de Médecins du Monde" : "La seule perspective de cette intervention française a fait que nous ne pouvons plus aller au Rwanda. Dans le Sud, parce que notre prise de position a été jugée inconvenante par les troupes gouvernementales -- ce que je trouve tout à fait logique. Dans le Nord, en zone FPR, parce que le FPR nous dit : 'Avec l'acutisation de la situation, nous ne pouvons plus assurer votre sécurité'".

Philippe Biberson, "Pdt Médecins sans Frontières" : "L'alternative, euh…, à…, à…, à ce qui se passe aujourd'hui, c'était rien, en gros. C'était attendre que, euh, le génocide s'accomplisse, qu'il se termine, qu'on laisse les gens tranquille. Et puis ensuite on aurait pu faire intervenir effectivement l'ONU : il aurait été trop tard, il n'y avait plus personne à sauver".]

Alors que le génocide continue, c'est peut-être plus l'heure aujourd'hui des militaires que celle des médecins.

[Jean-Pierre Pernaut s'entretient à présent en plateau avec Régis Faucon.]

Jean-Pierre Pernaut : Régis Faucon, la France a eu du mal à obtenir l'accord des Nations unies -- à une voix seulement, ça s'est fait. Euh…, certes une opération humanitaire mais une opération à risque quand même ?

Régis Faucon : Oui, absolument. Une opération à…, à haut risque même, mais qui ne fait pas l'unanimité, on vient de…, de l'entendre. Risque militaire, risque politique. Même si tout cela, je crois, il faut bien le préciser, a été bien cadré : par l'ONU d'abord. Et par les Français eux-mêmes qui, euh, se sont fixés des limites. Des limites dans…, dans le temps : ceci ne devrait durer que deux mois en attendant l'arrivée -- euh, hypothétique il est vrai --, euh, des Casques bleus de l'ONU. Et limitée aussi au…, au niveau des objectifs puisqu'il s'agit -- on l'a dit, on l'a répété et c'est très important -- de faire de l'humanitaire et de l'humanitaire seulement. Ce qui est vrai en revanche, c'est que, euh, les militaires français, clairement, ne savent pas très bien ce qu'ils vont, euh, trouver sur le terrain. Et là, on…, on tombe dans l'ambiguïté qui est souvent évoquée entre le militaire et l'humanitaire qui font pas toujours bon ménage. Souvenez-vous des questions qu'on s'est posé au moment de la Somalie. Et c'est vrai que ça nous interpelle de voir que les organisations humanitaires elles-mêmes ne…, ne sont pas d'accord. Il ne faut pas oublier aussi que les Français vont dans un pays, le Rwanda, où ils ne sont pas, euh, obligatoirement bien accueillis par, euh, par tout le monde. La France a un assez lourd passif dans cette région puisque, euh…, elle est souvent perçue comme ayant pris, euh, parti pour une ethnie, euh…, contre une autre. Même si le gouvernement s'en défend bien sûr. Donc il y a -- et c'est tout…, tout…, tout le paradoxe, toute la difficulté de cette opération --, il y a une grande méfiance de la part de l'ethnie que, justement, on se propose de sauver. Mais vous savez Jean-Pierre, je crois qu'à un moment, il faut savoir ce qu'on veut. On ne peut pas en même temps, euh…, crier au scandale parce qu'on n'intervient pas -- souvenez-vous : "Que fait la communauté internationale devant, euh…, cet abominable génocide ?" -- et en même temps aujourd'hui faire la fine bouche alors qu'il y a une intervention.

Jean-Pierre Pernaut : Effectivement…, euh, Régis.

Comme l'opération Turquoise a commencé ce matin, il est donc important de rappeler brièvement quelle est la…, à quel point la situation est catastrophique au Rwanda. Des centaines de milliers de réfugiés, des centaines de milliers de morts. Un véritable génocide depuis plusieurs mois. Catherine Jentile.

[Catherine Jentile :] Les massacres ont commencé quelques heures après l'attentat qui a coûté la vie au numéro un rwandais. La garde présidentielle et les milices se déploient dans Kigali et assassinent des centaines de Tutsi et d'opposants hutu [diffusion de scènes de massacres datant du 9 avril 1994]. Deux jours plus tard, des parachutistes français et belges organisent le rapatriement des ressortissants étrangers [diffusion de scènes d'évacuation d'étrangers du 11 avril 1994]. Alors que les tueries se multiplient dans tout le pays, le Conseil de sécurité de l'ONU réduit de 2 700 à 270 le nombre de Casques bleus au Rwanda.

Il va falloir attendre presque un mois pour que la communauté internationale se ressaisisse. Un mois et un flot d'images quasiment insoutenables d'un génocide. Les organisations humanitaires résument en deux mots leur situation [plusieurs cadavres filmés dans différents endroits du pays illustrent le propos de la journaliste].

[Aalane Fereydoun, "Chef de mission Croix-Rouge" : "Complètement débordé et puis on est les seuls dans le pays pour le moment qui ont une présence. Il faut que les autres viennent !".]

Les 5 500 Casques bleus que l'ONU a finalement décidé d'envoyer sur place, justement, n'arrivent pas. Malgré les chiffres de l'horreur : 200 000, 300 000, 500 000 personnes auraient déjà été massacrées [on voit à l'image des gens grièvement blessés dans un hôpital de fortune].

Les camps aux frontières du pays sont rapidement surpeuplés, les conditions d'hygiène sont déplorables. Des milliers de Rwandais se jettent sur les routes de l'exode, les assassins d'hier se mêlant à leurs victimes pour échapper à l'avancée du FPR. C'est dans ce contexte que les Français ont pris l'initiative d'une intervention ponctuelle à caractère humanitaire, deux mois et demi après le début des massacres [diffusion d'images de camps de réfugiés et de scènes d'exode].

[Jean-Pierre Pernaut :] Voilà. Cette opération, l'opération Turquoise, a commencé aujourd'hui. Et les 200 premiers parachutistes français devraient rentrer sur le territoire rwandais avant ce soir.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024