Fiche du document numéro 28931

Num
28931
Date
Samedi 21 mai 1994
Amj
Hms
20:00:00
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
31905
Pages
4
Sur titre
Journal de 20 heures
Titre
Philippe Douste-Blazy : « C'est, je crois, le plus grand génocide de la fin du XXème siècle : 200 000 à 500 000 morts depuis deux mois ! »
Sous titre
La guerre civile fait rage entre les forces gouvernementales et les rebelles du Front patriotique, on parle de plusieurs centaines de milliers de morts.
Nom cité
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Résumé
- In Rwanda the civil war is raging between the government forces and the rebels of the Patriotic Front, we are talking about several hundred thousand deaths. The population took refuge in camps, especially on the border with Tanzania.

- Kigali airport, which was to serve as a humanitarian bridge, has been closed for three days. The capital cut off from the world is again on fire. On the ground, the men of the Patriotic Front seem to have the advantage. There are rumors that they could take over the capital in the coming days.

- Philippe Douste-Blazy: "It is, I believe, the greatest genocide of the end of the XXth century: 200,000 to 500,000 dead for two months! We are dealing with a genocide: that is to say no only adults but children. On the humanitarian level, that poses enormous problems because you have hundreds of thousands of refugees who come to Tanzania, Burundi, Zaire. Alain Juppé was one of the first to want resolution 918 . 5,000 men must be sent. But they will arrive in an absolutely apocalyptic situation. What I would like is that, rather than be an interposition force, they should be brought into the country so that they can be brought into the country. they prevent the massacres of the militiamen. Before seeing that the fire will turn into a fire, it is better to prevent. And that's what I want to say for Burundi which is right next door. The same ingredients: there are to the Hutus, the Tutsi. There will be hundreds of thousands of refugees who will arrive in the north from the country. And then I have a question to ask: there are UN observers, we know that there are countries bordering Rwanda which bring weapons. Kalashnikov, they're coming from somewhere. I think we really need these observers to tell us where it's going and when it's happening! And then on Tuesday [May 24], there is the Human Rights Commission in Geneva. I think we really have to put a big punch on the table because there are crimes against humanity, it's really horrible. And the international community must say it very loudly!".
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Claire Chazal :] […] de désolation nous parviennent du Rwanda où la guerre civile fait rage entre les forces gouvernementales et les rebelles du Front patriotique. Aujourd'hui encore de très violents combats se sont déroulés sur l'aéroport de Kigali. On parle de plusieurs centaines de milliers de morts. La population se réfugie dans des camps, notamment à la frontière avec la Tanzanie. C'est là que s'est rendu le ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy. Il nous… donnera son témoignage dans un instant. Mais tout de suite des images commentées par, euh, Ghislaine Laurent.

[Ghislaine Laurent :] Ils sont aujourd'hui encore des centaines de milliers à prendre le chemin de l'exode. Pour cette population désespérée, terrorisée, un seul espoir de survie : rejoindre les camps de réfugiés. Là, les blessés peuvent recevoir les premiers soins, tâche particulièrement difficile pour les organisations humanitaires. Ça et là, les distributions de vivres se poursuivent.

L'aéroport de Kigali, qui devait servir de pont humanitaire, est fermé depuis trois jours. Le pays ne peut plus être ravitaillé. La capitale coupée du monde est de nouveau à feu et à sang. Depuis ce matin les combats se sont intensifiés, on ne compte plus les morts. Les forces gouvernementales et les rebelles du Front patriotique s'affrontent sans relâche. Dans les rues de la ville, on parle de nouveau de combats au corps à corps. Sur le terrain, les hommes du Front patriotique semblent avoir l'avantage. Selon certaines rumeurs, ils pourraient même s'emparer de la capitale dans les jours qui viennent [pendant toute cette séquence, des images de massacres de civils ou de gens découpés à la machette sont diffusées].

[Claire Chazal interviewe à présent Philippe Douste-Blazy.]

Claire Chazal : Voilà, alors Philippe Douste-Blazy vous en revenez, vous êtes arrivé il y a à peine une heure de…, de là-bas. D'abord est-ce qu'on peut faire un point de la situation : euh…, nombre de blessés, nombre de réfugiés ?

Philippe Douste-Blazy : D'abord Claire Chazal, j'aurais envie de vous dire : "Arrêtez…, arrêtons le massacre" [une incrustation "Philippe Douste-Blazy, Ministre délégué à la Santé" s'affiche en bas de l'écran]. Et surtout prévenons ceux qui peuvent arriver demain. C'est à la fois terrifiant et…, et terrible. Terrible parce que c'est le…, je crois, le plus grand génocide de la fin du XXème siècle : 200 000 à 500 000 morts depuis deux mois ! Deux millions de réfugiés. Et terrifiant parce que c'est un génocide ! On a affaire à un génocide : c'est-à-dire non seulement les…, les adultes mais les enfants. J'entendais ce matin, juste avant de partir à…, au Rwanda, une radio qui disait : "Ne faisons pas les mêmes erreurs qu'en 59 : ne laissons pas les enfants, tuons-les". Et donc, c'est…, c'est vraiment l'horreur ! Et sur le plan humanitaire, ça pose des problèmes énormes parce que vous avez des centaines de milliers de réfugiés qui viennent, euh, en Tanzanie, au Burundi, au Zaïre. Et…, et le camp de réfugiés de Ngara, où j'était hier [20 mai], euh, c'est un camp de 250 000 personnes ! C'est-à-dire le plus grand camp de réfugiés qu'on ait jamais vu. Avec des problèmes de…, de risques d'épidémie : euh…, quatre méningites à méningocoque, ça veut dire peut-être 10  000 ou 20 000 la…, la semaine prochaine. Euh, c'est des…, des épidémies, euh, rougeole, paludisme, dysenterie bacillaire. C'est aussi l'eau potable qui manque. Nous avons amené deux grands, euh, épurateurs d'eau potable -- 125 m3 par heure -- pour les sauver. Et puis les enfants qui sont en dénutri [sic], donc beaucoup de barres énergétiques -- 1 200, 2 000 calories par jour. Si on ne fait pas ça, je veux dire, ça va être vraiment un carnage absolument abominable ! Et puis…, ça c'est le côté hutu. Et puis il y a, euh…, bien évidemment, des camps de réfugiés tutsi. Alors là, ce sont des gens qui ont vu des massacres. Et les yeux sont…, sont vides. C'est…, c'est… vraiment absolument horrible. J'ai vu une jeune femme de 20 ans qui me dit que lorsque… ils sont arrivés, il y avait des dizaines de milliers de miliciens qui viennent chez les gens, qui leur disent : "Est-ce que vous avez de l'argent ? Si vous avez de l'argent, on vous tue à la Kalachnikov, si vous n'avez pas d'argent, c'est à coup de machette". Et elle a été laissée pour morte, elle a pu se…, elle a pu se glisser dans la nuit dans la forêt et…, et rejoindre un camp. Donc voilà où nous en sommes aujourd'hui. Je crois que c'est…, vraiment il faut le dire à tout le monde, quoi, c'est horrible.

Claire Chazal : Alors…, donc le dire, c'est une chose, témoigner c'est une chose. Qu'est-ce…, qu'est-ce qu'il faut faire ? D'abord pour aider les organisations humanitaires qui sont là-bas, elles sont nombreuses. Et qu'est-ce que peuvent faire les soldats de l'ONU que l'on attend maintenant ?

Philippe Douste-Blazy : Alors d'abord sur le plan humanitaire, sur le plan politique. Sur le plan humanitaire, grâce vraiment au ministère de la Coopération, à Michel Roussin…, on a vraiment pu amener 200 tonnes par pont aérien. 300 tonnes vont arriver. L'eau potable, je vous en ai parlé. Il faut vraiment ne pas lâcher et Médecins sans frontières, Médecins du monde, l'AICF, ils font un boulot fantastique. Mais sur le plan politique, bien évidemment la résolution…, et Alain Juppé a été un des premiers à vouloir cette réso…, résolution 918. Il faut envoyer 5 000 hommes. Mais j'allais dire, bon, ils vont arriver dans un…, dans une situation absolument apocalyptique.

Claire Chazal : Mais est-ce que déjà ils vont pouvoir arriver ?

Philippe Douste-Blazy : Ils vont pouvoir arriver mais, ce que je voudrais, c'est que plutôt que ce soit une force d'interposition, il faudrait les mettre dans le…, dans le pays de façon à ce que… ils préviennent les massacres des miliciens.

Claire Chazal : Parce que pour le moment leur mission elle est purement humanitaire ?

Philippe Douste-Blazy : Mais oui…, mais oui…, mais on peut se demander, c'est là la grosse question : euh, que peut faire un soldat qui n'est pas armé dans un pays, euh, comme celui-là ? Je vous rappelle…, avant de voir que le feu va devenir un incendie, il vaut mieux prévenir. Et c'est ce que j'ai envie de dire pour le Burundi qui est juste à côté. Les mêmes ingrédients : il y a les Hutu, les Tutsi. Il va y avoir des centaines de milliers de réfugiés qui vont arriver dans le nord du pays, qui va déséquilibrer cette balance qui est un peu précaire. Et je crois que notre place est aussi de prévenir des massacres demain. Et puis moi j'ai une question quand même à poser : il y a des observateurs de l'ONU, on sait qu'il y a des pays frontaliers du Rwanda qui apportent des armes. Les Kalachnikov, elles arrivent de quelque part. Je crois qu'il faut vraiment que ces observateurs nous disent où ça passe et quand ça passe ! Et puis, euh, mardi [24 mai], il y a à Genève la commission des droits de l'Homme. C'est la première mission de Monsieur Ayala, euh, Lasso. Et je crois qu'il faut vraiment mettre un grand coup de poing sur la table parce qu'il y a des crimes contre l'humanité, c'est vraiment horrible. Et il faut que la communauté internationale le dise très fort !

Claire Chazal : Est-ce que la France est, par…, par exemple, prête à envoyer des hommes elle-même, pour, euh, soutenir cette force de…, de…, des Nations unies ?

Philippe Douste-Blazy : Oui le Premier ministre a…, a décidé que la France sera présente. La France est très présente sur le plan humanitaire. La France sera présente, bien sûr, avec les forces de l'ONU. Mais je…, je dirais qu'il faut bien sûr aller au Rwanda. Il faut…, nous avons emmené des anesthésistes-réanimateurs, des chirurgiens. Nous faisons de l'humanitaire. Mais il faut aussi faire sur le plan politique de la prévention, en particulier au Burundi, ça c'est mon avis.

Claire Chazal : Parce qu'on sent bien que…, que le risque, finalement, c'est de tomber dans le piège de la Bosnie, où ces soldats de l'ONU se sont trouvés dans ce pays presque impuissants.

Philippe Douste-Blazy : Exactement. Je…, je crois que la meilleure des…, le meilleur des cas pour l'ONU, c'est qu'ils arrivent au moment où, en définitive, ils sont acceptés par un camp et par l'autre et que c'est une manière pour eux de ne pas se battre. Alors l'ONU est là et ça va. Si c'est l'incendie, si c'est l'horreur déjà, apocalyptique, alors comment peut-on demander à des gens de se respecter si on n'a pas nous-mêmes de fusils ? Euh, je crois que c'est vraiment aujourd'hui les limites…, nous sommes devant les limites, euh, de…, de l'ONU. Pour le Rwanda, je crois qu'aujourd'hui c'est surtout humanitaire. Il faut que ces 5 500 hommes arrivent tout de suite pour prévenir…, euh, les massacres. Mais surtout aller à côté : Zaïre, bien évidemment le Burundi, et la Tanzanie. Parce que sinon je crois que dans quelques mois, il y aura aussi des massacres là-bas.

Claire Chazal : Je vous remercie beaucoup Philippe Douste-Blazy d'être venu témoigner, donc, dès votre retour du Rwanda. Merci beaucoup.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024