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Nouvel exode rwandais? Certes, mais pas généralisé.
En zone FPR, les associations rwandaises des droits de l'homme
repartent en croisade.
L'exode, toujours l'exode. On en parle beaucoup, de ce risque de
nouvelle hémorragie de population vers le Zaïre, en prévision du
départ des troupes françaises du sud-ouest du Rwanda. Mais la
situation ne semble pas être identique partout.
Pour le Comité international de la Croix-Rouge et Médecins sans
frontières, deux des grosses organisations présentes, on assiste à un
nouveau mouvement de population. À l'ouest de la zone humanitaire
sûre, la ZHS, créée par la France, le CICR a estimé qu'entre 250 et
300 déplacés au kilomètre - soit environ 30.000 personnes - se
dirigeaient mercredi vers la ville frontalière de Cyangugu, face à
Bukavu côté zaïrois. Et MSF parle d'un troisième exode, au vu des
files continues de réfugiés qui se dirigent vers Cyangugu, afin de
franchir la frontière et de gagner Bukavu. MSF exprime son inquiétude
en soulignant notamment que beaucoup de nouveaux arrivants donnent des
signes de malnutrition et que, par ailleurs, les sites d'accueil
aménagés aux environs de Bukavu seront bientôt saturés, tandis que les
nouveaux sites identifiés par le FPR sont inaccessibles pour des
raisons logistiques.
L'envoyé spécial de l'AFP, quant à lui, confirme le déplacement
massif, qui s'effectue essentiellement sur l'axe Gikongoro-Cyangugu
(130 km) et de Kibuyé vers Cyangugu (100 km).
L'attachée de presse au Bureau d'urgence des Nations unies au Rwanda
estime que 500 Rwandais quittent chaque jour Kibuyé, sur la côte
rwandaise du lac Kivu, pour gagner l'île de Ijwi, à mi-chemin de la
rive zaïroise du lac et ce en grande partie sous la pression des
anciennes milices gouvernementales.
Peut-être le déploiement, cette semaine encore, de l'essentiel du
bataillon ghanéen près de Cyangugu va-t-il mettre un coup d'arrêt à
ces départs.
C'est en tout cas ce qui semble s'être produit plus à l'est, dans le
secteur de Gikongoro, où la population a assisté hier matin au passage
de témoin entre les soldats français de l'opération Turquoise et les
Casques bleus ghanéens de la Minuar II. Les gens semblent confiants et
aucun mouvement significatif de population n'a été enregistré.
Hier matin, le porte-parole de la Minuar, le major Guy Plante, s'est
voulu optimiste: Il y a bien des mouvements de réfugiés vers l'ouest,
mais ils ne sont pas significatifs. Ils concernent quelques milliers
et non des centaines de milliers de personnes.
Un curé de Gikongoro, le père Rusingizandekwe Thaddée, fait aussi
valoir que le climat a changé depuis la visite lundi de quatre
représentants du gouvernement de Kigali, qui ont garanti que le FPR
n'attaquerait pas après le départ des Français.
Pendant ce temps, les membres des associations rwandaises de défense
des droits de l'homme, emprisonnés sous l'ancien régime et persécutés
pendant la guerre, ont repris leur croisade, pour enquêter sur les
massacres et empêcher les nouvelles autorités de commettre les mêmes
abus que les anciennes. Nous n'avons pas encore dénoncé le nouveau
gouvernement, mais nous n'hésiterons pas à le faire, déclare Joseph
Matata, secrétaire permanent de l'Association rwandaise pour la
défense des droits de l'homme (Ardho). Nous lui avons soumis une liste
d'une dizaine de noms de personnes disparues, nous attendons de
pouvoir les rencontrer. Si on nous en empêche, nous considérerons
qu'elles ont été victimes d'exécutions sommaires, après avoir été
arrêtées pour leur participation présumée au génocide, insiste-t-il.
L'Ardho, avec trois autres organisations - l'Association des
volontaires de la paix, l'Association rwandaise pour la défense des
droits de la personne et des libertés publiques et la Ligue pour la
protection des droits de l'homme - toutes créées dans les années
1990-1991, se sont regroupées en un « Comité de liaison des
associations de défense des droits de l'homme » (Cladho). En
collaboration avec une cinquième association - Kanyarwanda -, le
collectif a commencé à Kigali une enquête nationale sur les
massacres.
Six personnes, réparties en trois équipes de deux, vont sur le
terrain, interrogent les témoins, notent les noms, les dates, les
lieux, repèrent les fosses communes. Nous nous sommes donnés trois
mois pour publier un rapport. Nous n'aurons peut-être pas fait le
tour, mais nous aurons recueilli un grand nombre de données, dont
pourront disposer les tribunaux nationaux ou le tribunal international
qui doit être mis en place pour juger les criminels présumés, explique
Bernadette Kanzayire, de l'AVP.
Déjà, des accusations claires fusent. Ainsi, Joseph Matata accuse des
soldats de l'ancienne garde présidentielle, porteurs du virus du sida,
d'avoir contaminé sciemment des femmes tutsies. Nous avons recueilli
les témoignages de cinq femmes qui se considèrent comme des mortes
vivantes, dit-il, constatant: On a tout essayé pendant ce
génocide. (D'après AFP.)