Fiche du document numéro 2874

Num
2874
Date
Mardi 19 juillet 1994
Amj
Fichier
Taille
123769
Pages
2
Titre
Rwanda : mourir au champ d'horreur
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Enfants hébétés. Cadavres dépouillés. Secours dépassés. A La
Grande-Barrière, l'enfer des réfugiés rwandais se poursuit.
Dimanche soir, la frontière entre le Rwanda et le Zaïre, qui devait
être une porte de salut, s'est ouverte grande sur l'enfer pour plus
d'une centaine de réfugiés rwandais tués aux champs d'horreur de La
Grande-Barrière. Hier matin, des enfants muets de terreur restaient
recroquevillés sur eux-mêmes, parmi les cadavres dont ils ont partagé
la nuit.

Deux obus de mortier vers 17 heures, des scènes de panique jetant la
foule pêle-mêle au bas d'un chemin ou contre un mur: lundi matin
restent une centaine de morts, au moins, dans trois champs de part et
d'autre de la route et plusieurs dizaines de blessés déchiquetés par
les éclats et sans soins depuis la veille.

Selon les soldats zaïrois - qui achèvent de compter les centaines de
lance-roquettes, fusils d'assaut, mitrailleuses et grenades à main et
à fusil confisqués aux Forces armées rwandaises (FAR) en déroute -
d'autres corps, piétinés ou tirés à la mitrailleuse, se trouvent
au-delà de la barrière fermée.

Désormais seuls au monde



À ce poste-frontière entre Gisenyi (Rwanda) et Goma (Zaïre), où se
pressaient depuis jeudi des centaines de milliers de réfugiés, plus
une âme ne se présente. La ville de Gisenyi, prise la veille par la
guérilla tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), paraît silencieuse
et déserte depuis les rives du lac Kivu.

Des dizaines et des dizaines d'enfants en bas âge émergent peu à peu
du désastre et découvrent qu'ils sont seuls au monde. Des femmes au
regard sans avenir errent parmi les corps, à la recherche de leurs
familles perdues.

Je cherche ma Fifi de cinq ans. Je l'ai perdue vers Gisenyi, dans la
panique. Il y avait tellement de monde sur la route. Les FAR nous
forçaient à avancer, mais c'était de plus en plus difficile. Son mari
et ses quatre autres enfants ont disparu. Mais ils sont plus
grands. Je sais qu'ils vont se débrouiller, se rassure Anastasie. Un
homme se penche aussi sur les corps. C'est ici, près de ces champs où
s'entassent une quarantaine de corps écrasés, qu'il a perdu de vue sa
famille.

De l'autre côté de la route en descendant vers le lac, une quinzaine
d'enfants ont été écrasés contre un mur par la pression de la
foule. Au milieu d'eux, une fillette de 7 ans, tétanisée, sera
ramassée par des soldats français.

Beaucoup de gens ont tenté d'échapper aux tirs par le lac et ont péri
noyés, rapporte Faustin Nzabalinda, un fonctionnaire de 32 ans. Des
nattes et des jerricans partent à la dérive... Faustin a passé là une
nuit noire emplie de tirs. C'était impossible de se dégager: il y
avait trop de monde.

« Avez-vous entendu? »



Au matin, lundi, se promenant parmi les cadavres, des réfugiés
faisaient leur marché dans les paquetages des morts, dénouant les
baluchons, fouillant les sacs, retournant les vêtements abandonnés. A
côté d'un pantalon sale, une écriture appliquée d'écolier demande, en
français, sur un petit cahier: « Avez-vous entendu quelque chose? ».
En milieu de matinée lundi, plus de dix-sept heures après le drame,
les secours commencent à peine. La Croix-Rouge internationale entasse
des blessés dans un camion et tente de regrouper, avec l'aide de la
presse, les enfants abandonnés. Les soldats français de l'opération
Turquoise, basée à Goma, arrivent avec deux blindés-infirmiers et des
brancards pour évacuer d'autres blessés vers l'antenne parachutiste
chirurgicale (APC) dressée sur l'aéroport de Goma et déjà submergée
par les blessés de l'aéroport: trois obus de mortier, tirés la veille
en bout de piste, ont fait dix morts et une trentaine de blessés.
Un homme se déplaçant péniblement à l'aide d'une perche clopine
jusqu'aux infirmiers français pour les conduire vers son épouse, en
train d'accoucher. L'enfant est déjà mort. La mère peut être
sauvée. Il restait lundi en fin de matinée tellement de souffrance à
soulager qu'on n'avait pas encore eu le temps de relever les
morts. (AFP.)
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024