Fiche du document numéro 28641

Num
28641
Date
Lundi 14 juin 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
27642
Pages
2
Urlorg
Sur titre
Diplomatie
Titre
Rwanda : le nouvel ambassadeur de France, un «lanceur d’alerte» d’avant le génocide
Sous titre
En nommant Antoine Anfré ambassadeur de France à Kigali, Macron reconnaît indirectement le rôle de ceux qui ont tenté, en vain, d’alerter sur les risques du soutien de la France à un régime qui préparait le génocide des Tutsis de 1994.
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il est parfois risqué d’avoir raison trop tôt. Mais l’Histoire n’est jamais définitivement écrite, et ceux qui ont été ostracisés, pour avoir fait preuve de courage, finissent souvent par être récompensés.

En proposant Antoine Anfré au poste d’ambassadeur de France au Rwanda, choix validé samedi par Kigali, Emmanuel Macron ne concrétise pas seulement le rétablissement des relations diplomatiques entre deux pays aux relations tumultueuses depuis le génocide de la minorité tutsi en 1994. Il offre ce poste, qui reste délicat, à un homme qui peut aujourd’hui être assimilé à un lanceur d’alerte, pour avoir analysé avec lucidité, et dès 1991, les dangers d’un soutien français à un régime acculé, et emporté dans une spirale mortifère.

Plus d’un quart de siècle après la tragédie, la nomination d’un nouvel ambassadeur de France a d’emblée une importance symbolique : il n’y en avait plus depuis 2015. Lorsqu’une énième crise avait conduit à rappeler le dernier titulaire du poste, occupé ensuite par un simple chargé d’affaires. En cause à l’époque, encore et toujours, les crispations mémorielles qui hantent les relations franco-rwandaises depuis 1994, sur le rôle joué par Paris aux côtés des responsables d’une solution finale, qui fera près d’un million de morts en trois mois. En près de trente ans, les clashs et coups d’éclat n’ont pas manqué. Provoquant même la rupture des relations diplomatiques entre 2006 et 2009.

De façon assez audacieuse, Macron a mis un terme à l’ambivalence officielle de la France sur ce «passé qui ne passe pas» selon la formule consacrée : le 27 mai à Kigali, il a clairement reconnu «la part de souffrances infligées au peuple rwandais» par les compromissions de Paris aux côtés d’un allié qui voyait dans l’extermination des Tutsis le seul moyen de se maintenir au pouvoir. Reprenant les termes qui figurent dans les conclusions du rapport de la commission Duclert, rendu fin mars, le président français avait d’ailleurs lui aussi évoqué ce jour-là «une responsabilité accablante» de la France, «dans l’engrenage qui a abouti au pire».

Mis à l’écart en 1992



Le travail de la commission Duclert, chargée d’examiner pendant deux ans les archives disponibles sur ce passé trouble, avait préparé le terrain de cette reconnaissance officielle. Or le nouvel ambassadeur à Kigali est plusieurs fois évoqué dans le rapport de cette commission. Aujourd’hui âgé de 58 ans, Antoine Anfré n’en avait que 28 en 1991, lorsqu’il est nommé rédacteur pour le Rwanda à la direction des Affaires africaines et malgaches du quai d’Orsay. Il rentre alors de Kampala en Ouganda, pays voisin du Rwanda, où il était conseiller à l’ambassade de France. Tout au long de l’année 1991, ses «notes personnelles» dénoncent une «impasse politique», suggèrent le double jeu d’un régime tribaliste, mais aussi clanique, en perte de vitesse, même parmi la majorité hutu, et qui ne tient en réalité que grâce au soutien militaire de la France. «Notre action dans ce pays mérite d’être réorientée», conseille le jeune diplomate.

Ses analyses provoquent rapidement sa marginalisation. Anfré est dégagé dès 1992. Bien plus, son départ du quai d’Orsay s’accompagne d’une note en baisse et de «commentaires écrits très accablants», constate le rapport Duclert, qui rappelle qu’après sa mise à l’écart, Anfré quitte le quai d’Orsay, passe le concours de l’ENA. Sa carrière «n’aura pas le relief de celle à laquelle il aurait pu prétendre au vu de ses qualités intellectuelles».

Sa nomination à Kigali montre le chemin parcouru depuis cette période où ceux «qui contestaient la doxa» officielle, étaient «écartés des postes de décision et de réflexion», comme le souligne encore le rapport Duclert. Lors de son discours du 27 mai, Macron a lui aussi évoqué «les alertes des plus lucides observateurs», au sein de l’administration comme de l’armée, que Paris avait à l’époque choisi d’ignorer. Désormais, ils peuvent enfin être réhabilités. Une page se tourne.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024