Fiche du document numéro 28569

Num
28569
Date
Vendredi 11 juin 2021
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Titre
Rwanda : l'interminable traque des génocidaires [Avec Maria Malagardis]
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Le 27 mai dernier, à Kigali, Emmanuel Macron demandait pardon au nom de la France pour son rôle dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Un pardon assorti d’une promesse : celle de poursuivre les auteurs de ce génocide et de permettre à la justice de se faire. Avec Maria Malagardis (grand reporter au journal Libération, spécialiste de l’Afrique et ancienne correspondante à Athènes).
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Émission de radio (son)
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FR
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Ils seraient une centaine au moins, réfugiés en France. Génocidaires présumés, ils vivent parfois sous de fausses identités comme le grand financier du génocide Félicien Kabuga arrêté l'été dernier à Asnières.

Depuis 27 ans cette impunité est intolérable pour les Rwandais qui voient dans l'inertie de la justice française une forme de complicité. En 27 ans, une trentaine de plaintes à peine ont été déposées, toutes portées, à bout de bras, par des collectifs de parties civiles, épuisés par la la lenteur de la justice : trois procès seulement ont eu lieu.

Chasseurs de génocidaires

A la tête du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda un couple. Dafroza Gauthier a perdu une centaine de membres de sa famille pendant le génocide. Avec son époux Alain, un ancien enseignant français, ils arpentent depuis inlassablement le pays pour enquêter et faire traduire en justice les génocidaires rwandais qui seraient aujourd'hui cachés en France. La presse les a surnommé les chasseurs de génocidaires, les Klarsfeld du Rwanda. Un engagement raconté par la journaliste Maria Malagardis, spécialiste du Rwanda au journal Libération dans le livre « Sur la piste des tueurs rwandais » (Flammarion).

Depuis vingt-cinq ans, les époux Gauthier sont en connexion permanente avec le Rwanda. Quand la justice internationale et ses gros moyens débusquent Félicien Kabuga, eux traquent sans relâche les autres, ceux qui sont cachés à Gisors, Toulouse, Orléans... "On apprend par internet, ou des témoins anonymes qui nous signalent la présence de personnes susceptibles d'avoir participé au génocide, explique-t-il. Puis nous partons au Rwanda enquêter nous-mêmes, trouver des témoins et rencontrer les complices des gens que nous voulons poursuivre en France." Ces complices sont des génocidaires, mais Alain Gauthier rencontre rarement des refus. "On est plutôt bien reçus car ils purgent des peines lourdes, souvent la perpétuité et ils n'apprécient guère que leurs commanditaires soient tranquillement réfugiés en France".

Il y a trois semaines, alors que le Rwanda s'apprêtait à recevoir la visite annoncée comme historique d'Emmanuel Macron, Alain Gauthier arrivait à Kigali et montait dans une voiture, direction les collines de l'ouest du pays, surplombant les eaux du lac Kivu. Son objectif : retrouver des témoins et s'imprégner des lieux, en prévision de la tenue de prochains procès devant la cour d'assises de Paris, dont celui de Marcel Hitayezu, un prêtre rwandais, installé depuis plus de 20 ans en France et naturalisé, rattrapé par des accusations sur son rôle lors du massacres de Tutsi réfugiés dans son église en 1994, au début du génocide au Rwanda.

En avril dernier, Marcel Hitayezu était accusé d'avoir «privé de vivres et d'eau des Tutsi s’étant réfugiés dans son église» et d'avoir «fourni des vivres aux miliciens ayant attaqué les Tutsi réfugiés» dans sa paroisse de Mubuga. A l'issue de son interrogatoire, le prêtre a été mis en examen, notamment pour «génocide» et «complicité de crimes contre l'humanité.

Cette arrestation a été ordonnée par un magistrat du pôle «Crimes contre l'humanité» du tribunal de Paris, chargé depuis le 26 juillet 2019 d'une information judiciaire visant le prêtre. Cette enquête avait été ouverte trois ans après le refus définitif de la justice française, en octobre 2016, d'extrader Marcel Hitayezu vers le Rwanda.

Un autre prêtre catholique réfugié en France, Wenceslas Munyeshyaka, lui aussi accusé d'avoir joué un rôle dans les massacres de 1994, a bénéficié d'un non-lieu en 2015.

Entre avril et juillet 1994, le génocide a fait plus de 800.000 morts selon l'ONU, essentiellement des Tutsi exterminés.

Le sort judiciaire des suspects réfugiés en France est un des points de tension entre Paris et Kigali, relation empoisonnée par la question du rôle des autorités françaises en 1994. Le ton est désormais à l'apaisement depuis le rapport Duclert, qui a conclu le mois dernier à des «responsabilités lourdes et accablantes» de Paris lors des massacres.

Le temps joue en faveur des bourreaux.

À chaque séjour au Rwanda, Dafroza et Alain Gauthier le constatent : beaucoup de témoins ont disparu, ou ne souhaitent plus témoigner. Parfois les églises ont tenté de réconcilier, ou d'accorder leur pardon. Certains rescapés, le leur disent ; il est temps de tourner la page.

Pour Maria Malagardis, le rapport de la commission Duclert (disponible dans son intégralité ici) commandé par l'Élysée sur les responsabilités françaises au Rwanda pourrait marquer un tournant pour les présumés génocidaires. "Leur fuite est la conséquence directe de la politique que la France a mené au Rwanda et qui a conduit les forces françaises à intervenir à la fin au génocide en créant les conditions pour que ces responsables du génocide puissent fuir grâce à la zone tampon que la France crée à ce moment là. Un grand nombre se sont ainsi retrouvés assurés d'avoir un accueil qui ne serait pas hostile ou menaçant pour eux."

Il reste des dizaines de génocidaires présumés - à des degrés divers - réfugiés en France. C'est aussi en France que vit Agathe, la veuve du président hutu assassiné, Juvénal Habyarimana.
Agathe Habyarimana, rappelle Maria Malagardis, avait demandé le statut de réfugié en 2007, demande refusée en raison de sa "présumée éventuelle complicité dans le génocide, voire dans l'instigation du génocide." Une plainte a ensuite été déposée contre elle, toujours officiellement en cours. La veuve de l'ancien président rwandais a introduit des recours pour contester la décision du rejet de son statut de réfugié. En 2009, le Conseil d'État l'a à nouveau retoqué. "Elle vit cependant dans l'Essonne où son permis de résidence a été refusé, la préfecture la déclarant indésirable. Elle a aussi introduit des recours qui ont fini par être également rejetés. Elle se trouve aujourd'hui comme une clandestine. Elle n'a pas de statut. Il y a une procédure judiciaire contre elle et rien ne se passe", s'étonne Maria Malagardis. Certes, précise-t-elle, Agathe Habyarimana a quitté le Rwanda très vite après le début du génocide - sous la protection de la France. "Mais un certain nombre de rapports, de télégrammes diplomatiques, de témoignages suggèrent qu'elle a pu jouer un rôle très important, elle et sa fratrie, dans la montée des périls pendant les années qui précèdent le génocide. Et que l'assassinat de son mari, qui était le président du pays sert de signal au déclenchement du génocide. Ce sont des soupçons graves, et le travail de la justice peut être particulièrement difficile dans son cas."

L'équipe

Aurélie Kieffer
Production
Annie Brault
Réalisation
Claude Guibal
Claude Guibal
Journaliste
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