Fiche du document numéro 28518

Num
28518
Date
Mardi 26 décembre 2017
Amj
Auteur
Fichier
Taille
190383
Pages
4
Urlorg
Titre
Les ONGs droit-de-l’hommistes : dernier avatar du cheval de Troie
Sous titre
Aujourd’hui, le droit d’ingérence ne peut pas se justifier et se faire au nom de la mission civilisatrice, mais au nom des droits de l’Homme ; c’est pourquoi les organisations internationales « non gouvernementales »(OING) constituent le nouvel avatar du cheval de Troie.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation


« Quoi qu’il en soit, je crains les Grecs même quand ils font des présents », lâcha, exaspéré, le grand prêtre troyen Laocoon : il venait d’essayer, en vain, de dissuader les Troyens de faire entrer dans leurs murs, partiellement démolis à cet effet, le mythique Cheval de Troie, LE héros de L’Iliade d’Homère (autour de l’an 1000 av. J.-C.).

L’on connaît la suite. Malgré la mise en garde réitérée de sage Laocoon, les Troyens introduisirent dans leur ville ce qu’ils prenaient pour une offrande des Grecs à la déesse Poséidon afin que les vents leur soient favorables : ils avaient simulé une retraite, par la mer. Ce n’est que dissimulés dans le ventre du cheval géant en bois que les soldats grecs purent entrer dans Troie, après dix ans de siège, dans la ville et remporter la guerre. L’Iliade a, comme beaucoup de grands mythes dits historiques, une portée générale.

La portée générale du mythe du Cheval de Troie



Le Récit de la Guerre de Troie est une célébration de la Puissance des Cités grecques coalisées pour conquérir la très prospère ville de Troie, métropole de la fertile Asie mineure, de l’autre côté du Détroit des Dardanelles, et véritable cible de la coalition grecque : l’enlèvement d’Hélène n’était qu’un simple prétexte.

Quant au Cheval de Troie, il est la métaphore de la « supériorité » de la technologie des grecs et de leurs divinité – et donc de leurs valeurs – sur celles des « Barbares », naïfs et primitifs.

Si l’on fait un saut dans le temps, le récit homérique, sans cesse repris en littérature ou au cinéma en Terre Occidentale, peut être considéré comme le paradigme de l’expansion coloniale et de la domination du système-monde par l’Occident, du XVème siècle à nos jours, de la colonisation au droit d’ingérence. Au nom de « l’universalisme européen », l’Occident représentant les « Lumières », dont la religion et la technologie, face aux « Ténèbres ».

Pour justifier les avantages économiques, sociaux et politiques qui accompagnent l’exploitation des peuples dominés et pour les pérenniser, le dominant a toujours eu besoin de les légitimer moralement. À la fois auprès de sa propre opinion mais aussi auprès des peuples dominés. La justification éthique ne pouvait être que sa supériorité. Hier comme aujourd’hui.

Les avatars du Cheval de Troie du XVème siècle à nos jours



Durant la période coloniale, du XVème jusqu’aux indépendances, la « supériorité » de la civilisation occidentale se confondit d’abord et avant tout avec celle de la seule religion révélée et des concepts moraux qui lui sont rattachés. Concepts que l’on retrouve, laïcisés, dans les idéaux de 1789 consignés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, et, mutatis mutandis, dans son équivalent anglais (The Bill of Rights, 1689) ou américain (United States Bill of Rights, 1791)de la même époque.

À partir des années 1870, une nouvelle vague colonisatrice se développe en direction de l’Afrique et de l’Asie. La justification fut le droit et le « devoir de civiliser les races inférieures » (Jules Ferry, extrait des débats du 28 et du 30 juillet 1885 à la Chambre des députés), d’assumer « le fardeau de l’homme blanc » (Rudyard Kipling, The White Man’s Burden, 1899) : au nom de la foi au Progrès par la Science et la Technique, il fallait apporter la justice, l’égalité, l’école, la lutte contre les forces d’oppression et de mort. Mais aussi et toujours la Bible, toujours « le sabre et le goupillon ». Comme lors de la Guerre de Troie.

Depuis les indépendances, ce discours sur la supériorité de l’Occident et l’universalisme européen est repris par les organisations internationales non-gouvernementales droits-de-l’hommistes occidentaux de tout poil, toujours au nom du sacro-saint universalisme européen : il n’y aurait besoin que de changer le mot « blanc » par celui, aux apparences moins racistes, d’« occidental ». Et de remplacer le droit et le devoir de civiliser par le droit et le devoir de démocratiser et de « moderniser » le reste du monde. Notamment, l’Afrique, qui ne serait pas « suffisamment entrée dans l’Histoire ».

Et toujours au nom du sacro-saint universalisme européen. Un racisme d’État. Là encore, il suffit de remplacer « la race aryenne » par « l’Occident » dans le postulat du racisme pseudo-scientifique de Gobineau : « Il n’existe nulle part de véritable civilisation sauf chez les nations où la race aryenne a dominé » (Essai sur l’inégalité des races humaines, 1855).

Et rien de bon ne peut sortir de ce qui n’est qu’un racisme d’État : parler des « bienfaits de la colonisation » relève du déni.

En effet, le Cheval de Troie est un cadeau empoisonné comme le logiciel informatique qui lui doit, métaphoriquement, le nom : installé ou téléchargé, ce logiciel, au sein duquel a été dissimulé un programme malveillant, peut permettre la collecte frauduleuse, la falsification ou la destruction de données.

Très récemment, c’est sous le masque de la Statue de la démocratie et de la Liberté que l’Irak fut envahi et plus tard la Lybie. Les effets dominos et dévastateurs de ces deux invasions sont comme les métastases d’un cancer : l’embrasement du Moyen-Orient et de l’Afrique de l’Ouest, mais aussi de l’Afrique du Centre, en témoignent suffisamment.

C’est sans aucun doute au Rwanda que le nouveau Cheval de Troie fit le plus de dégâts. C’est, en effet, dissimulés dans la statue de la déesse « Démocratie » que les militaires de la France de François Mitterrand sont intervenus : « la patrie des droits de l’Homme » avait le devoir de défendre « l’ethnie majoritaire à 85-87 % » contre la « minorité tutsi », « celle qui [était] en train d’emporter, de gagner cette guerre, parce que c’est une catégorie de gens courageux, organisés, de tradition militaire » (François Mitterrand, interview du 14 juillet 1994). Le Génocide contre les Tutsi fit 1 074 017 victimes, dont 934 218 identifiées avec certitude, selon les chiffres officiels du recensement de 2000.

L’Opération Turquoise, officiellement engagée pour mettre fin au génocide, n’a eu pour effet que le pourrissement de la situation en RDC et (donc) dans toute l’Afrique centrale. Plus de 20 ans après le Génocide et malgré la présence de plus de 10 000 Casques bleus, censés éteindre le feu allumé au pays de Gihanga. Sauf que la seule intention du pompier pyromane est d’activer le feu ! Puis de crier à l’incendie. Un cercle plus que vicieux : infernal !

« Quoi qu’il en soit, il faut craindre les Grecs même s’ils offrent des présents ». En effet, comme le rappelle la sagesse rwandaise, « urusha nyina w’umwana imbabazi aba ashaka kumurya ». Traduction littérale : « Celui qui fait montre de plus de compassion pour un enfant que sa propre mère, c’est qu’il veut le dévorer ». À l’instar des Grecs vis-à-vis des Troyens.

La parade et protection contre le « Cheval de Troie » ne peut évidemment pas venir des mêmes OING et de leurs États. C’est aux victimes de la mettre en place. Il est impératif et vital, en cessant de se contenter de crier au feu, de réellement agir pour sortir véritablement de la dépendance coloniale. Et, pour commencer, de se défaire totalement du complexe du colonisé, de ce sentiment paradoxal de sympathie et d’admiration vis-à-vis de celui qui l’exploite. Fasciné qu’il est par les merveilles venues de la Terre Occidentale, tels les Grecs devant le Cheval de Troie.

Merveilles euphémiquement baptisés « soft power » mais dont la puissance de feu est aussi dévastatrice que celle des armes. Voire plus, à long terme.

Aucun pays ne s’est développé en dehors de sa langue. Et des valeurs dont cette langue est l’expression et le précieux réceptacle. Le « miracle rwandais » est la parfaite illustration de cette révolution copernicienne, de ce « passage de soi à soi-même à un niveau supérieur » car « c’est par l’être que l’Afrique pourra accéder à l’avoir ». À un avoir « authentique » et durable (Joseph Ki-Zerbo, « Vers un développement africain endogène »).

Et c’est cette détermination à sortir de l’orbite occidentale qui vaut au Pays de Gihanga d’être la cible privilégiée de nos OING, qui n’ont de « non gouvernementales » et de « défenseurs des droits de l’Homme » que le nom. Invitation à ceux qui ne manqueront pas de hurler à l’iconoclastie : qu’ils commencent par s’interroger sur la création et surtout sur le(s) financement(s) desdites OING.

*André TWAHIRWA, africaniste et élu local en Île-de-France
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