Citation
PAR PHILIPPE LEYMARIE *
"PANIQUE à Kigali" : chasse à l'homme, pogroms au coupe-coupe, épuration
ethnique… Après le Liberia, l'Éthiopie, la Somalie, le sud-Soudan, le Zaïre, le
Mozambique, et toujours l'Angola et l'Afrique du Sud, le Rwanda aura de nouveau, en
avril, fourni au monde effaré son lot d'images de fureur et d'horreur. Une fois de plus,
l'"Afrique des tribus, millénaire et sauvage", aura eu raison de l'Afrique des États ce
grand banquet de la modernité auquel la convie, avec superbe et bonne conscience, la
communauté internationale…
Le Rwanda, "pays des Mille Collines", avec son jumeau burundais autre enfant
monstrueux de la décolonisation est certes familier de ces grandes hécatombes entre
communautés hutu et tutsi sur ces plateaux surpeuplés : 1959, 1963, 1965, 1967, 1973,
1991, 1992, 1993... autant de tueries présentées comme "ethniques" qui, comme
ailleurs, avaient surtout pour but de chasser les minorités qui monopolisent le
pouvoir.
Cette fois, la France a eu le beau rôle : les archanges du 3e régiment parachutiste
d'infanterie de marine, venus de leur base de République Centrafricaine, rompus aux
interventions "militaro-humanitaires", ont exfiltré en quelques jours Français, Belges
et autres Européens, et même un orphelinat rwandais au complet. Au point de tirer,
au même moment, à l'un des prélats du synode des évêques africains, à Rome, ce cri
du cœur : "L'Afrique n'est plus qu'un simple décor pour une soi-disant action
humanitaire réservée à des sauveteurs venus d'ailleurs (1)."
Puis les paras français ont réembarqué précipitamment à bord de leurs Transall
salvateurs, comme le leur enjoignait la guérilla à majorité tutsie du Front patriotique
rwandais qui menaçait, sinon, de les considérer comme ennemis…
Paris avait beaucoup à se faire pardonner… La précédente intervention militaire
française au Rwanda, en novembre 1990, prévue pour assurer pendant quelques
semaines la sécurité des Européens de Kigali à la suite d'une première offensive de ce
même Front patriotique, avait duré plus de trois ans : le corps expéditionnaire
français avait atteint jusqu'à 600 hommes (soit plus que le nombre de ressortissants à
protéger…), un détachement d'assistance militaire et d'instruction (DAMI) avait pris
en main l'entraînement de l'armée rwandaise et de la gendarmerie, des armes avaient
été livrées (ce que la Belgique, ex-tutelle coloniale des pays de la région, avait
soigneusement évité de faire) (2).
En quelques mois, grâce à cette coopération, l'armée rwandaise s'était accrue de 5 000
à 40 000 hommes, les militaires français étant conduits à se déployer à ses côtés dans
des zones de combat, malgré les protestations de la guérilla, pour qui, déjà à l'époque,
Paris avait sauvé le régime du général-président Habyarimana, chef d'une
"ethnocratie hutue contestée" (3).
A la demande de la guérilla, et en vertu de nouveaux accords de paix signés en août
1993 à Arusha (Tanzanie), c'est l'ONU qui avait pris la relève des Français, avec
notamment un bataillon relevant de la Belgique, ancienne puissance coloniale au
Rwanda. Après le massacre de dix de ses "casques bleus", Bruxelles, à son tour, a
décidé le retrait de son contingent.
Ainsi était signé le quasi-arrêt de mort de l'opération des Nations unies dans ce pays
(MINUAR). Et les Rwandais abandonnés à eux-mêmes par une organisation mondiale
de plus en plus réduite à n'être qu'un directoire occidental, mêlant l'impuissance
comme elle le prouve tous les jours en ex-Yougoslavie à l'incompétence, comme elle l'a
montré, de manière éclatante, en Somalie (4).
PHILIPPE LEYMARIE
* Collaborateur régulier du Monde diplomatique, il a été chargé des questions africaines et de défense sur
Radio-France internationale (RFI). Il est l'auteur, avec Thierry Perret, des 100 Clés de l'Afrique
(Hachette littérature, 2006). Il tient, sur notre site, le blog Défense en ligne.
(1) Mgr Jean-Guy Rakotondravahatran, évêque d'Ihosy, à Madagascar, AFP, 12 avril
1994.
(2) En 1993, le ministère de la coopération a réservé un crédit de soutien aux forces
armées rwandaises de 12 millions de francs ; six missions temporaires d'instruction de la
gendarmerie ont été envoyées sur place ; une quarantaine d'officiers rwandais ont
fréquenté les grandes écoles militaires françaises…
(3) Cf. Philippe Decraene, l'Afrique centrale, CHEAM, Paris, 1993.
(4) Le rapport secret établi par un général finlandais, un général ghanéen et un juge
zambien et remis, en mars dernier, au secrétaire général des Nations unies accuse
directement les Etats-Unis et les forces de l'ONU d'être responsables de l'escalade de la
violence en Somalie. Il reproche au gouvernement américain d'avoir conduit une guerre
personnelle contre le général Aïdid, chef de l'Alliance nationale somalienne, sans
autorisation et en dehors de tout commandement de l'ONU.