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RFI : Qu’attendez-vous du discours qu’Emmanuel Macron doit prononcer ce jeudi matin au mémorial du génocide de Gisozi ?
Jean-Paul Kimonyo : Pour nous, les faits sont plus importants que les mots. Mais les faits, c’est d’abord d’accepter le rôle que la France a eu durant les années de braise au Rwanda, c’est une première chose. Deuxième chose aussi, c’est la fin de l’hostilité de l’État français contre l’État rwandais qui est une chose de nouveau quand même. Ensuite, il y a la poursuite des génocidaires finalement après une longue période où la France a été complice. Donc, il y a un certain nombre de faits qui ont été posés, et c’est cela vraiment le plus important. Maintenant, les mots aussi ont leur importance. On est preneurs, mais on n’a aucune exigence. En tant que victimes de ce qui s’est passé au Rwanda, nous n’allons pas demander ou exiger des excuses. Non, on va attendre que le président [Emmanuel] Macron prononce le discours qu’il a préparé.
Et au vu du rapport Duclert, commandé par l’Elysée et publié il y a deux mois, est-ce que vous pensez que les mots que prononcera Emmanuel Macron seront à la hauteur de l’attente ou pas ?
J’espère bien, parce que le président [Emmanuel] Macron a fait preuve de courage. Rien ne l’obligeait à aller aussi fortement et aussi vite dans le processus de rapprochement avec le Rwanda. Donc, je ne vois pas pourquoi ce courage politique s’arrêterait là au mémorial du génocide contre les Tutsis. De ce point de vue, je fais assez confiance au président [Emmanuel] Macron, parce qu’il a fait preuve de courage politique et de clairvoyance. D’autre part aussi, la barre est relativement haute, puisque déjà le président [Nicolas] Sarkozy avait exprimé des regrets par rapport à une forme d’aveuglement. Donc, cela m’étonnerait que [le président Emmanuel] Macron aille en deçà de cela.
À partir du moment où Emmanuel Macron doit aller plus loin que Nicolas Sarkozy, qui avait déjà parlé d’« erreurs et d’aveuglement » il y a 11 ans, est-ce qu’il n’est pas conduit tout naturellement à présenter des excuses ?
Dans le monde actuel, il y a un esprit d’activisme qui quelquefois réclame des excuses à des grandes institutions, à des personnes, ce n’est pas vraiment dans la culture rwandaise. Dans la culture rwandaise, si quelqu’un doit faire des excuses, on laisse cette personne venir les faire elle-même, mais on ne va pas exiger d’une personne de faire des excuses.
Oui. Le Rwanda ne va rien demander à la France, mais si la France le fait, le Rwanda appréciera…
Absolument. S’il y a des excuses qui sont prononcées, bien entendu qu’on les acceptera avec un esprit très positif, bien sûr.
Dans sa dernière interview à RFI et France 24 le 17 mai dernier, le président Paul Kagame laisse entendre qu’il continue personnellement de penser que la France est complice du génocide des Tutsis, mais qu’il ne le dit pas pour des raisons politiques. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Je ne vais pas me comparer au président [Paul] Kagame, mais j’ai à peu près la même position, c’est-à-dire que, vu les faits, il y a une certaine conviction qui ressort de tous ces faits-là. Mais, maintenant, il y a aussi la réalité politique, la réalité sociale, la réalité économique de notre pays. Pourquoi chasser des fantômes du passé, alors qu’on peut reconstruire un avenir plus solide ?
De cette visite, vous attendez la fin de l’hostilité de l’État français à l’égard de votre pays, est-ce que cela veut dire qu’un ambassadeur de France va revenir à Kigali ?
Très probablement. C’est l’une des annonces qui risque d’être faite tout à l’heure par le président Macron. Ce serait l’aboutissement logique du processus de rapprochement entre les deux pays.
Vous, qui êtes francophone, est-ce que vous êtes pour ou contre le retour de l’enseignement du français à l’école au Rwanda ?
Je serais pour, mais de façon limitée, parce qu’on ne peut pas faire de zigzags avec la langue d’enseignement dans les écoles. C’est un processus lourd et ils sont déjà engagés dans le processus de l’anglicisation de la langue dans l’enseignement. Donc, cela pourrait se faire, mais de façon limitée : après un certain nombre d’années, en ayant par exemple des options de cours de français ou même d’enseignement de français, mais après avoir d’abord bien maîtrisé le kinyarwanda, ensuite l’anglais, et ensuite le français.
Donc, le français en première langue étrangère en quelque sorte ?
Oui.
Est-ce que la mainmise du parti au pouvoir, le Front patriotique français (FPR), sur la vie politique rwandaise et est-ce que les atteintes aux droits de l’homme –on pense évidemment à la mort de l’artiste Kizito Mihigo, chanteur de gospel retrouvé mort, dans sa cellule du commissariat de police de Kigali le 17 février 2020-, est-ce que tout cela ne risque pas de compliquer la réconciliation entre le Rwanda et la France ?
D’abord, c’est votre interprétation des faits, parce que, à ma connaissance, il n’y a aucune preuve de la façon dont vous présentez les choses. Et d’autre part aussi, que ce soit la France ou le Rwanda, ils devraient travailler sur des sujets d’intérêt commun plutôt que de chercher les sujets controversés qui pourraient nous faire reculer en arrière. Aller de l’avant est beaucoup plus utile, que ce soit pour la France ou pour le Rwanda, que de chercher des sujets controversés sur lesquels on ne s’entend pas.
Est-ce qu’après le rapport Duclert, est-ce qu’après le discours Macron, vous seriez favorable à des poursuites judiciaires, au Rwanda ou en France d’ailleurs, contre les responsables français de l’époque, de 1994 ?
Par rapport au gouvernement rwandais, je ne pense pas que le gouvernement français fera des poursuites, mais on ne peut pas empêcher la société civile ou les personnes privées de chercher à ce que justice leur soit rendue.