Sous titre
Immigration, terrorisme, colonisation, corruption… En marge de sa visite au Rwanda, le chef de l’état a répondu à l’envoyé spécial du JDD. Il appelle l’Europe à effacer en partie la dette africaine, évoque le retrait de nos soldats
du Sahel et dénonce « un détournement du droit d’asile ».
Citation
[Extrait :]
Au Rwanda, une
nouvelle page
Onze ans après la visite de Nicolas
Sarkozy qui n’avait pas permis la
normalisation espérée, Emmanuel
Macron a raturé à de nombreuses
reprises le discours qu’il devait
prononcer
« solennellement » jeudi
au Mémorial du génocide des Tutsis.
Dans l’avion qui l’amenait mercredi
soir à Kigali, il l’a raccourci pour n’en
garder que l’essentiel. Au rang 24 de
l’appareil, son interprète anglophone
a jonglé avec son surligneur orange
pendant une partie du vol. Aussitôt
arrivé à son hôtel le matin, entouré de
ses conseillers dans le hall, Macron a
remplacé certains mots par d’autres.
« Il y avait une attente considérable que
j’avais à cœur de ne pas décevoir, nous
a-t‑il confié le soir même. J’ai essayé de
ciseler ce qui était notre responsabilité.
Je ne pense pas avoir été injuste avec
la responsabilité de la France, qui est
différente de la responsabilité collective.
Mais ce qui est très dur, c’est de
rendre justice à ceux qui sont morts
dans le silence. Je ne voulais pas donner
le sentiment
aux Rwandais que je
jouais. J’ai donc pesé chaque mot. J’ai
été sincère, pour dire la vérité. »
Après l’avoir lu lentement au pupitre,
à deux pas du flambeau de la mémoire,
il est allé étreindre longuement une
femme au deuxième rang. Une rescapée
du génocide qui tenait à le remercier. Il
lui a dit qu’elle ne le devait pas. Mais elle
a insisté, parce que le langage du président
français venait enfin de traduire
la réalité de celles et ceux qu’elle avait
perdus. Lorsque plus tard le président
rwandais, Paul Kagame, l’a félicité pour
ce texte « puissant » qui valait mieux que
des « excuses », Macron a semblé soulagé,
comme si une page se tournait enfin.
« C’était important pour moi mais
surtout pour notre pays, pour notre
génération. La réaction de Paul Kagame
m’a surpris. Il ne m’avait pas mis dans la
confidence sur la façon dont il allait réagir.
Il a dit exactement ce que je pense,
mais le fait qu’il le dise, lui, a infiniment
plus de poids et de valeur. » Et les associations
de victimes qui réclamaient
des excuses ? Et les adversaires de
Kagame qui l’accusent de museler
toute opposition sous prétexte qu’elle
serait révisionniste ? « Nous parlons
d’un pays qui, il y a vingt-sept ans, a
vécu l’indicible, répond le président
de la République. La génération au
pouvoir et ses enfants le vivent encore.
Dans une telle situation extrême, dans
cet absolu, comme disait le philosophe
Vladimir Jankélévitch, je ne donnerai de
leçon à personne pour savoir comment
il faut vivre avec cela. Cette génération
a ses parts de silence, de tabous, mais
aussi de réconciliations. Je crois que
notre démarche de vérité sur le Rwanda
doit être fondatrice de la manière dont
nos démocraties doivent aborder ces
sujets pour nous rendre plus forts.
Sinon, le risque est d’utiliser l’Histoire
comme le fait la Russie ou la Chine,
avec une forme de négationnisme, de
révisionnisme historique, comme si
le patriotisme consistait à cacher sa
propre histoire ou à l’améliorer. »
Emmanuel Macron dit qu’il croit tout
l’inverse. Comme s’il n’avait pas dit son
dernier mot après avoir pris acte du
silence confus qui a suivi la publication
du rapport Stora sur les mémoires croisées
franco-algériennes.
Le chef de l’État
se souvient du discours du Vél’ d’Hiv
de Jacques Chirac, en 1995. « Il a fallu
qu’arrive Jacques Chirac, le premier président
qui n’avait pas vécu cette histoire de
façon directe. Regardez le temps qu’il nous
faut pour venir à bout de notre traumatisme
sur la guerre d’Algérie, et nous n’y
sommes toujours pas. » Et lorsqu’on lui
demande si, comme François
Mitterrand
pour sa gestion de la crise rwandaise, il
ne risque pas dans dix ou vingt ans d’être
accusé d’avoir sous-estimé les dangers
ou de s’être aveuglé sur ce qu’il croyait
juste, au Sahel et ailleurs en Afrique, il
répond : « Je vis avec cette obsession, je
vis avec cette obsession. »
Jeudi soir, sur la terrasse du Centre
régional polytechnique de Tumba, une
école d’ingénieurs perdue au sommet
de l’une des mille collines du pays, à
une heure de route de Kigali, le soleil
était en train de se coucher et le ton
de la conversation avec les étudiants
est devenu presque intime. À un jeune
homme qui lui demandait conseil pour
créer son entreprise, Macron répond :
« croire en soi mais douter, prendre des
risques et ne jamais commettre deux fois
la même erreur ». Comme si de la réussite
impérieuse des jeunes Africains
dépendait la sienne.