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Éléments : La controverse sur le rôle de la France au Rwanda gagne chaque année en virulence, au point que le président François Mitterrand, Edouard Balladur son Premier Ministre et Alain Juppé, le ministre des Affaires Etrangères de l’époque, sont régulièrement accusés dans la presse de « complicités », voire de « culpabilité » d’un génocide. Comment l’expliquez-vous ?
Hubert Védrine : Je pense sincèrement que les accusations contre la France au Rwanda sont une des plus grandes fake news lancées contre notre pays depuis les intox de la guerre froide. Le président rwandais a déclenché une polémique médiatique très habile en traitant les livres et les auteurs qui le dérangeaient de négationnistes, ce qui a terrorisé les gens alors que personne ne nie le génocide. Les attaques contre la France ont été savamment construites. Il s’est trouvé dans le monde médiatique, intellectuel, et à gauche, particulièrement, des gens qui se sont laissé séduire par cette thèse hallucinante. Il y a pourtant vingt à trente livres belges, canadiens, congolais, français qui démontrent la fausseté des accusations contre la France et expliquent exactement le rôle du Président Paul Kagame; ils sont boycottés dans les médias français. La couverture médiatique sur la guerre au Rwanda est biaisée. Pendant quinze ans, Le Monde n’a jamais donné une seule fois la parole à des auteurs qui défendent une autre thèse que celle en cours officiellement à Kigali. Le Rwanda est devenu le prétexte pour tous les gauchistes de la place de Paris de régler leurs comptes avec François Mitterrand, la Ve République, la France comme puissance. Cette violence se libère aujourd’hui parce que ces têtes folles étaient auparavant tenues par le Parti communiste, puis englobées dans la stratégie Mitterrand. Mais aujourd’hui, plus rien ne les retient. Ce débat empoisonné est un bon révélateur du degré de masochisme atteint dans notre pays. Si les journaux étaient tenus comme autrefois, ça ne durerait pas une minute. Cette accusation a depuis prospéré. François Hollande n’a pas cherché à faire évoluer la situation. Et il est trop tôt pour mesurer les conséquences de la politique du président Macron.
Accuser la France pour son rôle au Rwanda, c’est un peu comme si l’on accusait les pompiers qui ont tente d’arrêter l’incendie de Notre-Dame en leur disant qu’il fallait arriver la veille !
Éléments : Dans l’entrée que vous consacrez au Rwanda, vous exposez les deux thèses en présence qui ont conduit au génocide des Tutsis rwandais en 1994. Pourquoi la France est-elle mis en accusation ?
Hubert Védrine : Accuser aujourd’hui la France pour son rôle au Rwanda, c’est un peu comme si l’on accusait les pompiers qui ont tenté d’arrêter l’incendie de Notre-Dame en leur disant qu’il fallait arriver la veille ! C’est lamentable. La France est le seul pays au monde au sujet duquel on ne peut faire aucun reproche, sauf celui d’avoir sous-estimé l’intelligence tactique de Paul Kagame. Personne ne nie le génocide : il n’y a pas de doute. En revanche, il y a des doutes sur l’action de Paul Kagame avant le génocide, et après, au Congo, notamment. Il se trouve que c’est le FPR de Paul Kagame, alors en exil en Ouganda, qui a attaqué le 1er octobre 1990 en pénétrant au Rwanda. Le président hutu Habyarimana demande alors l’aide militaire de la France. Très tôt, François Mitterrand comprend les risques énormes de cette guerre civile, à cause notamment des horreurs commises contre les Tutsis en 1962, au moment du départ des Belges. La première réaction de Mitterrand a été de dire : « Si on laisse faire, cette guerre civile sera atroce. Je les bloque militairement, mais je les oblige à un compromis politique. » Cette politique a abouti aux accords d’Arusha en 1993. Conformément à ces accords, la France se retire, et passe alors le relais à une force des Nations-Unies, la Minuar. En 1994, quand l’avion du président Juvénal Habyarimana, a été abattu, la France n’est plus présente, sinon résiduellement, et la force des Nations Unies se décompose à mesure que les Belges se retirent.