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Près de 27 ans après les faits, le sujet est toujours aussi explosif et sensible. Il suscite encore des controverses entre la France et le Rwanda, même si les relations entre les deux pays se sont détendues avec l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron en 2017. L'attitude de la France face au génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda agite également la gauche et particulièrement le Parti socialiste, où le malaise perdure. Selon les informations de L'Express, l'historien Vincent Duclert sera auditionné par les dirigeants du PS le jeudi 20 mai afin d'évoquer le rapport de plus de 1000 pages rédigé par une commission d'historiens dont il était le président. ll ne sera pas le seul à prendre la parole : Bernard Cazeneuve interviendra ce soir-là devant les membres du Bureau national du PS au siège du parti, à Ivry-sur-Seine.
En 1998, l'ancien Premier ministre, alors député PS, était le co-rapporteur d'une mission d'information de la commission de la Défense et des Affaires étrangères sur le Rwanda. Cette mission parlementaire "sur les opérations militaires menées par la France, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990 et 1994" était présidée par Paul Quilès, alors président de la commission de la Défense nationale et des forces armées. "Le rapport de la mission a été reconnu comme sérieux par les historiens, avec des milliers de documents analysés, pour la plupart classifiés, et neuf mois de travail acharné", rappelle Paul Quilès auprès de L'Express.
"Olivier Faure veut faire la lumière sur cet épisode et regarder en face la vérité de l'histoire", souligne de son côté l'entourage du Premier secrétaire du PS, précisant que le député de Seine-et-Marne est à l'initiative de l'audition de Bernard Cazeneuve et de Vincent Duclert. "Aucun des membres actuels de la direction du parti n'était en responsabilité il y a 27 ans" au moment du génocide au Rwanda, rappelle l'entourage d'Olivier Faure. Une manière de dire que le dirigeant du PS et ses proches souhaitent aborder ce débat de la manière la moins passionnée possible - les socialistes s'écharpent régulièrement sur le rôle de la France au Rwanda.
"C'est la moindre des choses que le PS écoute aussi Cazeneuve"
"Olivier Faure a le souci de poser le problème sur la table alors que l'on observe une offensive de la part de certaines personnalités socialistes. Ces dernières considèrent qu'il n'y a pas lieu de poser la question des responsabilités françaises", déclare Vincent Duclert à L'Express.
Le rapport de la commission Duclert - mise en place en 2019 par Emmanuel Macron - remis au chef de l'Etat le 26 mars 2021 et rendu public dans la foulée est le fruit de deux années d'analyse des archives françaises. Il dresse un bilan sans concession de l'implication militaire et politique de Paris, jugeant que la politique de la France a été "une faillite". Selon ce rapport, dont une copie a été remise en mains propres au président rwandais Paul Kagame, la France "est demeurée aveugle face à la préparation" du génocide et porte des "responsabilités lourdes et accablantes" dans cette tragédie. Celle-ci avait abouti à la mort de quelque 800 000 personnes, majoritairement Tutsis, orchestrée par le régime extrémiste hutu entre avril et juillet 1994. Les historiens de la commission de recherche écartent toutefois la "complicité" de génocide.
Pour Paul Quilès, l'audition de Bernard Cazeneuve arrive "plus que tardivement". "C'est la moindre des choses que le PS écoute aussi Bernard Cazeneuve", réagit de son côté Hubert Védrine auprès de L'Express. "D'autant que le rapport Duclert, bien qu'il constate l'évidence - pas de complicité - essaye d'installer l'idée d'une responsabilité française. Responsable de quoi ?" s'interroge le président de l'Institut François Mitterrand, secrétaire général de la présidence de la République entre 1991 et 1995. L'ex-ministre des Affaires étrangères socialiste (1997-2002) souligne que "les horreurs du génocide ont été commises par des Rwandais" et rappelle que "l'intervention de la France en 1990 a permis les accords d'Arusha en 1993 plutôt favorables aux Tutsis, après quoi elle s'est retirée."
Les propos de Glucksmann mettent le feu aux poudres
Plusieurs socialistes ont remis le sujet du Rwanda sur la table lundi dernier lors d'une soirée au siège du PS "célébrant l'esprit" du 10 mai 1981, quarante ans après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Didier Le Bret a déploré que les auteurs du rapport de la commission Duclert "ne connaissent rien à l'Afrique, encore moins à l'Afrique des Grands Lacs". Pour l'ex-candidat PS aux élections législatives de 2017, mari de Mazarine Pingeot, la fille de François Mitterrand, les conclusions de ce rapport ont été "un peu abordées" par le PS "comme étant quelque chose de sacré". Louis Mermaz, plusieurs fois ministre lors des deux septennats de François Mitterrand, a, lui, déploré "la série de publications diffamatoires et mensongères" sur la question de la responsabilité de la France au Rwanda.
Il a ciblé Raphaël Glucksmann, qui a "récemment tenu des propos dégoûtants et diffamatoires contre François Mitterrand". Le 26 mars dernier, le député européen avait estimé auprès de l'AFP que la responsabilité de l'Etat français et de François Mitterrand sur le dossier rwandais évoquée dans le rapport Duclert constituait le "pire scandale de la Ve République". Selon le responsable de Place Publique, le rapport Duclert démontre "la responsabilité accablante de l'Etat français et en particulier de François Mitterrand qui a orchestré, dirigé le soutien politique, financier et militaire à un régime extrémiste, raciste qui allait commettre un génocide". Ces propos ne passent pas du tout auprès des fidèles de François Mitterrand. Lundi soir, Louis Mermaz a demandé à Olivier Faure, assis à quelques mètres de lui, de "désavouer" les propos de Raphaël Glucksmann. En vain.
Le député européen avait déjà été pris dans une controverse avec d'anciens ministres socialistes. Dans une interview au Monde publiée en janvier 2019, la tête de liste PS / Place Publique aux élections européennes avait déclaré que "François Mitterrand a porté de la manière la plus radicale et la plus abjecte la politique de la France au Rwanda". En marge d'un meeting à Toulouse, le 6 avril 2019, il serait même allé plus loin, accusant l'ex-président de "complicité de génocide", des propos qu'il a depuis contestés. "C'est une insulte à la mémoire de François Mitterrand", s'insurge Paul Quilès. Comme l'avait révélé Le Figaro et le Canard enchaîné, 23 anciens ministres ou proches François Mitterrand, dont Hubert Védrine, Paul Quilès et Louis Mermaz, avaient adressé une lettre ouverte à Olivier Faure en mai 2019, juste avant les élections européennes, pour lui demander de convaincre Raphaël Glucksmann "de retirer ses insultes et accusations infondées envers François Mitterrand". L'histoire se répète : neuf anciens ministres de l'ère Mitterrand, dont Paul Quilès et Édith Cresson, ont repris la plume début mai pour les mêmes motifs.
Le fossé semble impossible à combler entre les positions défendues par Raphaël Glucksmann et celles des fidèles de François Mitterrand. La direction du PS devrait toutefois tracer un compromis. Olivier Faure a en effet prévu de s'exprimer prochainement sur ce sujet sensible. Il "rendra ses conclusions sur les leçons à tirer de cette séquence", explique son entourage. La prise de position du Premier secrétaire du PS interviendra après la réception des anciens collaborateurs de François Mitterrand par Emmanuel Macron à l'Elysée, dans le courant du mois de mai - le chef de l'Etat avait initialement prévu de prononcer un discours pour commémorer l'élection du premier président socialiste de la Ve République, mais il a finalement abandonné cette idée. Elle interviendra également après l'audition de Vincent Duclert et de Bernard Cazeneuve. Une audition que l'ancien Premier ministre, fin connaisseur du dossier, a minutieusement préparée : il a lu l'intégralité du rapport Duclert et a même glissé une cinquantaine de Post-it dans les pages de ce rapport. Les cadres du PS sont prévenus…