Citation
Les commémorations
du génocide
des Tutsis – 800 000
morts d’avril à juillet
1994 – qui auront
lieu le 7 avril à
Kigali dérogeront
à l’antienne du président Kagame
de fustiger le soutien criminel de
la France aux génocidaires. Le
gouvernement rwandais a jugé,
le 26 mars, que le rapport d’une
commission d’historiens commandé
par le président Macron
et concluant à « un ensemble de
responsabilités, lourdes et accablantes
» de la France constituait
« un pas important vers une compréhension
commune » de son rôle
dans le génocide.
« Une chape de plomb pesait
sur le dossier. Elle a été levée. Pour
moi, il y un avant et un après ce
rapport », commente Patrick de
Saint-Exupéry, ex-journaliste au
Figaro, fondateur de la revue XXI, et
auteur, dès 2004, de L’inavouable :
la France au Rwanda (Les Arènes,
287 p.) et qui vient de sortir La
Traversée (1) pour dénoncer la théorie
du « double génocide », propagée
par les autorités françaises de
l’époque, voit deux motifs de satisfaction
à la publication du rapport
Duclert, du nom du président
de la commission. « Il recèle des
éléments d’information qui étaient
en partie connus. La grande différence
est qu’ils ont été approuvés
par l’Elysée. Et notamment, dans
son chapitre 7, la confirmation
de la guerre secrète menée par la
présidence en rupture avec le fonctionnement
institutionnel normal
de la France, observe Patrick de
Saint-Exupéry. Dans une interview
au Monde publiée le 29 mars,
le général Jean Varret (NDLR : chef
de la mission militaire de coopération
française à Kigali entre 1990
et 1993, avant d’être écarté) raconte
que l’Elysée disposait de moyens de
communication chiffrés et d’une
station Inmarsat sous les combles
pour donner directement des
instructions aux militaires
déployés au Rwanda. Pareille pratique
ne répond à aucune norme de
fonctionnement d’un pays démocratique.
François Mitterrand a
été le grand ordonnateur de cette
dérive du système institutionnel
qui a conduit à une catastrophe
absolue au Rwanda. »
Des crimes de guerre
Autre satisfecit du rapport
pour Patrick de Saint-Exupéry :
« François Mitterrand avait
officialisé, au sommet francoafricain
de Biarritz en novembre
1994, la thèse du "double génocide".
Depuis 27 ans, elle était
nourrie par un certain nombre
de hauts responsables, d’intellectuels,
de médias... Elle est officiellement
condamnée. » L’idée était
qu’un génocide aurait été perpétré,
après celui des Tutsis en 1994,
par l’armée du Front patriotique
rwandais arrivé au pouvoir à Kigali
contre les réfugiés hutus rwandais
en République démocratique
du Congo. Pour la confirmer ou
l’infirmer, le journaliste français,
dans La traversée, a confronté à
la réalité ses informations personnelles
qui démentaient cette thèse
et a refait le parcours des Rwandais
contraints à la fuite par le gouvernement
génocidaire, de Goma, à
l’est du Congo-Kinshasa, jusqu’à
Mbandaka, à l’ouest.
Sa conclusion ? « Il n’y pas eu de
deuxième génocide. Il est évident
et indiscutable que des massacres
ont été commis par l’armée rwandaise
et ses alliés congolais (NDLR :
les troupes de Laurent-Désiré
Kabila qui allaient conquérir le
pouvoir à Kinshasa). On peut les
qualifier de crimes de guerre. La
vengeance a parfois animé ses
auteurs. On était moins de deux
ans après le génocide des Tutsis. »
Patrick de Saint-Exupéry argue
que Paul Kagame, l’homme fort du
Rwanda, avait averti à plusieurs
reprises que les camps de réfugiés
hutus au Congo, contrôlés par les
forces génocidaires et trop proches
de la frontière rwandaise selon
les critères humanitaires, constituaient
une menace pour la sécurité
de son pays. Face à l’absence de
réaction de la communauté internationale,
il choisit de les démanteler
avec son armée. Mais pourquoi
la thèse du « double génocide » a-telle
été à ce point soutenue par les
dirigeants français ? « Pour tenter
d’esquiver leur responsabilité dans
le génocide des Tutsis », répond
sans hésitation Patrick de Saint-
Exupéry. Ils n’ont cessé d’encourager
le noyau dur des extrémistes.»
A travers l’opération Turquoise qui
a permis l’exfiltration du gouvernement
génocidaire ou par la poursuite
de l’approvisionnement en
armes de celui-ci au Congo.
Place à la justice
Le journaliste français rejette
la plus grande partie de la
responsabilité des morts au Congo
sur les cadres du régime rwandais
en débandade : « Ne sont-ce pas
les responsables du génocide qui
immolent leur propre peuple ? »
Et d’évoquer le récit de réfugiés
hutus eux-mêmes. A Tingi-
Tingi où un flot d’entre eux a été
installé sur une piste d’atterrissage,
Maurice Niwese écrit, dans
Le peuple rwandais un pied dans
la tombe (L’Harmattan, 2003, 212 p.),
à propos des siens : « Ces gens [...]
n’avaient connu qu’un seul succès :
nous conduire dans la misère dans
laquelle nous vivions, à mille lieues
de chez nous. » « Certains avaient le
droit de tuer et les autres le devoir
de mourir », complète Philippe
Mpayimana dans Réfugiés rwandais
entre marteau et enclume
(L’Harmattan, 2004, 158 p.). Et il
poursuit : « La soi-disant "communauté
ethnique des frères de sang
et de destin, du même nom et du
même nez" [...] n’avait réellement
rien en commun à part le mal. »
Mais revenons au rapport
Duclert et au rôle du cercle rapproché
de François Mitterrand
dans le génocide des Tutsis. Le
texte dit n’avoir rien trouvé dans les
archives qui indiquerait une complicité
dans celui-ci. « Accueillir à
Paris des génocidaires et leur prodiguer
des conseils ne suggère-t-il pas
une forme de "complicité ? ", s’interroge
dans Libération une experte
du dossier, Maria Malagardis. «Ce
n’est pas un rapport commandé
par l’Elysée qui va trancher cette
question-là, juge Patrick de Saint-
Exupéry. Elle le sera d’une manière
ou d’une autre devant la justice
qui y répondra de manière individuelle,
si des particuliers
ou des associations la
saisissent.» V
(1) La Traversée, par Patrick
de Saint-Exupéry,
Les Arènes, 328 p.
En juillet 1992,
François Mitterrand
reçoit son homologue
rwandais Juvénal
Habyarimana à
l’Elysée. Après
l’assassinat de ce
dernier et le début de
génocide,
la France continuera
de soutenir
le gouvernement
génocidaire.