Citation
Patrick de Saint-Exupéry et son épouse Marie-Pierre Subtil ont quitté le microcosme parisien pour une grande maison aux plafonds hauts et aux larges fenêtres. Implantée dans un hameau de Saône-et-Loire arrimé aux derniers reliefs du Morvan, à quelques kilomètres de la Nièvre, cette ancienne teinturerie est leur nouvel le vie, leur nouvelle adresse. Les travaux en cours rendent leur quotidien encore un peu spartiate, avec une seule pièce chauffée. Autour de livres en piles sur la table basse, des fauteuils clubs confortables. Les mégots dans le cendrier s’écrasent aux rythmes des réponses de Patrick de Saint-Exupéry. Pour toute une profession, l’ancien grand reporter du Figaro, 58 ans, appartient aux vaches sacrées. Auréolé du Prix Albert-Londres en 1991, du Prix Bayeux des reporters de guerre en 1996.
Révolté
L’homme aux yeux clairs et au regard innocent est celui des saines colères, celui dont la voix porte. Sorti au début du mois, son dernier livre La traversée remet en cause la version soutenue par les autorités françaises d’un deuxième génocide opéré au Congo, dans le prolongement de celui du Rwanda en 1994. « Quand on travaille sur ce dossier, cela cogne de tous les côtés », estime Patrick de Saint-Exupéry. « Un journaliste, c’est un révolté », définit-il. Avec ce reportage, le grand reporter revient à ses premières amours. Il solde l’aventure éditoriale représentée par XXI, puis 6Mois, deux revues à succès valorisant le reportage dont il a été cofondateur,… et la déroute représentée par l’hebdomadaire Ebdo, arrêté brutalement en mars 2018, au bout de sept numéros seulement. « Nous avions eu un premier succès avec XXI, un second avec 6Mois. On s’était dit jamais deux sans trois. Mais nous n’avons pas poussé la réflexion assez loin. » L’ambition éditoriale était pourtant noble. « À Paris, on ne sait plus ce que c’est que le populaire. La presse est devenue une presse d’initiés. Or, dans la presse, on ne s’adresse pas à une institution, on s’adresse à un lecteur. »
Retour à Kaboul
Cet investissement éditorial s’étant soldé à la barre du tribunal par une reprise de Rollin Publications, placé en liquidation judiciaire en avril 2018, le voici donc de retour pour écouter la fureur du monde. En janvier dernier, Patrick de Saint-Exupéry s’est rendu trois semaines à Kaboul, y retourne en mai. L’ambition est de mettre en boîte un reportage de 3 x 52 minutes pour la télévision. Le prochain livre de la collection Reporters, où il a publié le sien et qu’il dirige, sera consacré à la Colombie. Patrick de Saint-Exupéry continue donc de pointer le doigt, de nous empêcher de détourner le regard. Inlassablement.
Repères
Aller voir le monde Antoine de Saint-Exupéry, l’aviateur et écrivain, était le cousin du grand-père de Patrick de Saint-Exupéry. Né en 1962, diplômé de l’Institut Pratique du Journalisme, il a collaboré à France Soir, au Figaro… Il a couvert le Cambodge, le Liberia, l’Afrique du Sud, la guerre du Golfe, l’Iran, l’Arabie saoudite et le Rwanda puis Moscou, où il fut correspondant permanent du Figaro, de 2000 à 2004. En 2008, il lance XXI puis 6Mois, en 2011.
Publication
La traversée Un périple à travers l’immense forêt congolaise, de Kigali au Rwanda à Kinshasa en République démocratique du Congo. L’enjeu ? Vérifier les accusations des autorités françaises, répétées depuis plus de vingt ans : un génocide se serait déroulé au cœur de la forêt équatoriale congolaise. Au fil des étapes, les témoins parlent. La vérité émerge, et avec elle le rôle de la France au Rwanda puis au Congo. Un engrenage qui a conduit Paris à s’enfoncer toujours plus avant dans la compromission. Un reportage fascinant. (Ed. Les Arènes, 22 €).
CONVICTION. Comme le définit Patrick de Saint-Exupéry, « le journaliste est celui qui essaye de faire comprendre le monde à ceux qui en sont éloignés ». PHOTO PHILIPPE QUAISSE
