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La remise du rapport sur le Rwanda au Président de la République le 26 mars 2021 par la commission Duclert représente une avancée dans la recherche des responsabilités des gouvernements français de l’époque, voire de la complicité de certains de ses représentants.
La première qualité du rapport est de mettre en lumière l’aveuglement idéologique de la « cellule Élyséenne » composée des généraux Jean-Pierre Huchon et Christian Quesnot – alors chef de l’état-major particulier du Président de la République –, du chef d’État-major des armées l’amiral Jacques Lanxade, du conseiller Afrique Bruno Delaye, du secrétaire général Hubert Védrine et du Président de la République François Mitterrand. Leur lecture ethnique postcoloniale du Rwanda oublie les nombreuses personnes assassinées, outre les Tutsis, les Hutus et les Twas défenseures des droits de l’Homme et opposants politiques. Elle est aussi biaisée par le syndrome de Fachoda – qui conçoit tout recul de l’influence française en Afrique comme le résultat d’un complot ourdi par les Britanniques, voire les États-Unis – qui les a conduits à un engagement direct dans le soutien au régime d’Habyarimana, comme le montre le rapport.
Sa deuxième qualité est de faire fi du mythe d’un « génocide de machettes [1] », notamment véhiculé par des ONG [2], des médias et des responsables politiques ou militaires de tout bord. Il s’est pour cela basé dans un premier temps sur les informations transmises par les militaires ou les représentants français sur place qui alertaient dès 1990 sur la mise en place d’un système d’élimination des Tutsis avec des caches d’armes et des listes de noms. Puis, dans un second temps, sur la description des massacres, nombreux comme au quartier de Gikondo à Kigali le 9 avril 1994 qui montre que les habitants furent d’abord massacrés « à coups de grenades et de balles [3] » avant d’être achevés à coup de machettes en « fin de chaîne ».
Bien que ce rapport manque cruellement d’éléments factuels sur les transferts d’armes du gouvernement français auprès du régime génocidaire après 1993 [4], il donne néanmoins suffisamment d’informations sur la compromission de l’État français pour qu’une justice bien inspirée s’interroge sur la responsabilité, voire la complicité de certains politiques et militaires français. Il en va par exemple ainsi du massacre de Bisesero en juin 1994 [5] où l’ordre n’a pas été donné aux militaires français de protéger les Tutsis. A cela s’ajoute le refus du gouvernement français et de la « cellule Élyséenne [6] », d’arrêter les responsables du génocide identifiés et encore présents sur le territoire contrôlé par l’opération Turquoise de l’armée française.
Enfin, avec l’accueil en France d’une partie des responsables du génocide, dont notamment la veuve du Président Habyarimana Agathe Habyarimana [7] cheffe de l’Akazu – une organisation qui structure la frange la plus extrémiste des Hutus, elle est composée de leurs proches parents et elle verrouillait tout accès au pouvoir – les gouvernements français successifs pourraient avoir violé les articles III et VI de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime du génocide. Celle-ci, ratifiée par la France en 1950, entrée en vigueur un an plus tard, engage les États parties à juger « les personnes accusées de génocide » ou de tentatives de génocide ce qui sous-tend donc leur arrestation préalable.
Notons encore deux dispositions dans le droit international auxquelles la France est liée et sur lesquelles la justice pourrait s’appuyer : les crimes de génocide sont imprescriptibles
Le concept de complicité et/ou de responsabilité évolue avec la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc et de la cour pénale internationale [8].
La sortie de ce rapport nous invite à exiger que justice soit rendue pour prévenir de nouvelles complicités au sein du gouvernement français, notamment à travers les transferts d’armes, dans des crimes internationaux. C’est dans cet esprit que ASER suivit de l’ACAT, ACF, MDM, Salam4Yemen, Sherpa et Stop Fueling War ont déposé une requête auprès du Conseil d’État pour demander la suspension des ventes d’armes en direction de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis engagée dans la guerre au Yémen.
*auteur de Quelles frontières pour les armes ?, édition A. Pedone.
[Notes :]
[1] Audition du Général Maurice Schmitt, Mission information parlementaire su le Rwanda ; Hubert Védrine, France culture, 15 avril 2021.
[2] Quelles frontières pour les armes ?, Benoît Muracciole, éd. A. Pedone, Paris, 2016 ; Amnesty International France, avril 2004.
[3] La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994), rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021, chapitre 4, page 387.
[4] Quelles frontières pour les armes ?, III. Le Génocide du Rwanda, 1. Des transferts irresponsables d’armes au service d’un génocide.
[5] La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994), rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021, chapitre 5, page 511.
[6] Ibid., chapitre 6, page 631.
[7] Ibid., pages 313-404.
[8] La notion de complicité à travers l’évolution du droit international pénal, Valentin Steiner, travail de mémoire, université de Lausanne (faculté de droit), sous la direction du Professeur Damien Scalia, Droit pénal humanitaire, 2018.