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Qui est l’auteur de ce rapport ?
C’est le célèbre cabinet d’avocats américains Levy Firstone Muse LLP, basé à Washington. Cabinet où l’on trouve Robert Muse (qui donne son nom au rapport), ancien avocat du Sénat dans la commission d’enquête sur le scandale du Watergate. Ce cabinet a également représenté ses clients dans des enquêtes aussi variées que l’attaque sur Benghazi, l’Irangate (scandale politico-militaire survenu aux États-Unis dans les années 1980), l’ouragan Katrina et les élections américaines de 2016. On le retrouve aussi dans la défense des familles des victimes du massacre du « Bloody Sunday » en Irlande du Nord, en 1972.
Ce rapport, commandé par Kigali en 2017, a été réalisé par une équipe internationale de 43 personnes. Elle a consulté des sources documentaires de première main, des rapports et des études réalisés par des États, des ONG, des universitaires, des télégrammes diplomatiques, des documentaires, des articles de presse. Elle a rencontré des centaines de personnes, entendu plus de 250 témoins en anglais, français et Kinyarwanda. Parmi eux, le président Paul Kagame, des officiers de l’armée rwandaise, soutenue par la France, des rescapés du génocide qui ont eu affaire à l’armée française, des diplomates et des officiers de l’armée américaine.
Y a-t-il des nouveautés ?
Le rapport Muse est complémentaire du rapport Duclert. Il donne à lire des témoignages d’acteurs non français qui apportent de nouvelles précisions, à propos notamment de la négociation des accords d’Arusha (1992-1993). Il met en lumière le rôle de Paul Dijoud, à l’époque directeur des affaires africaines du ministère des Affaires étrangères français, chargé de superviser les négociations entre le FPR et le régime rwandais. Alors qu’il assurait que la « démarche française était désintéressée » dans ces négociations de paix d’Arusha, le ministre des affaires étrangères rwandais de l’époque assure, dans une note adressée au président Habyarimana, que Paul Dijoud avait demandé à le voir à la fin d’une réunion pour lui « réitérer l’appui inconditionnel de la France au Rwanda ». Dans ce rapport, Paul Kagame lui-même confirme que ce dernier lui a dit en septembre 1991 : « Il paraît que vous êtes de bons guerriers, il paraît que vous pensez que vous irez jusqu’à Kigali, mais même si vous y arrivez, vous ne retrouverez pas vos familles… Tous vos proches, vous ne les retrouverez pas. »
Il éclaire aussi des points laissés dans l’ombre par le rapport Duclert, comme le rôle, pendant le génocide, du capitaine Paul Barril, ancien officier du GIGN : avec ses hommes, il a retardé de trois semaines la défaite de l’armée rwandaise à Kigali.
Ce rapport montre que la création de la zone Turquoise par la France, a bien eu une dimension offensive avortée, comme l’ont d’abord dit le lieutenant-colonel français Ancel et l’aviateur retrouvé par La Croix, en juin 2018. Sur l’affaire des livraisons d’armes et de l’aide apportée par Paris aux génocidaires, le rapport évoque plusieurs témoignages qui vont plutôt dans ce sens, comme celui du lieutenant-colonel de l’armée américaine Babbitt, envoyé sur le terrain pour suivre l’opération Turquoise.
Que conclut le rapport ?
Deux idées maîtresses ressortent du rapport : la première est que « l’État français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible ». « Des responsables français ont armé, conseillé formé et protégé le régime rwandais, ne tenant pas compte de la volonté du régime du président Habyarimana de déshumaniser les Tutsis au Rwanda, et à terme, d’assurer leur destruction et leur mort. » Premier responsable de cette politique, assure le rapport, le président François Mitterrand, qui « lui-même comprenait ce risque et l’acceptait ».
La seconde conclut ensuite qu’au « cours des vingt-cinq dernières années, l’État français a mené une opération de camouflage afin d’enterrer son passé au Rwanda ». Et de faire allusion aux enquêtes « biaisées », comme celle de la commission Quilès, ou celle du juge Bruguière qui s’est appuyée « sur le témoignage de génocidaires ».
Le rapport souligne aussi que la justice française a fait de l’obstruction pendant des décennies pour ne pas livrer les génocidaires à la justice, que de nombreuses personnes soupçonnées d’être des génocidaires ont trouvé refuge en France, qu’il a fallu attendre 27 ans et la parution du rapport Duclert pour que Paris donne accès aux archives qui montrent ce que l’exécutif disait, savait et faisait. Et que la France a ignoré à trois reprises la demande de l’État Rwandais de bien vouloir lui communiquer trois séries de documents pour les besoins de son rapport.
La France est-elle coupable de complicité de génocide ?
Sur ce point, le rapport Muse conclut comme le rapport Duclert : « Nous n’avons trouvé aucune preuve que les responsables français ont participé aux meurtres de Tutsi pendant cette période. » Mais, ajoute-t-il aussitôt, « force est de constater que seul l’État français a apporté un soutien indéfectible à ses alliés rwandais (…), seul l’État français a été un collaborateur indispensable dans l’établissement d’institutions qui deviendraient des instruments du génocide. » « Le rôle de l’État français a été singulier. Et pourtant, celui-ci n’a toujours pas reconnu son rôle et ne s’en est toujours pas officiellement excusé. »