Le génocide du peuple Tutsi au Rwanda est encore frais dans les mémoires. Il l’est plus encore en écoutant la Châlettoise Espérance Patureau, 66 ans, qui a perdu presque toute sa famille au cours de ces trois mois d’horreur en 1994. Une tuerie planifiée qui a fait, selon les estimations, au moins un million de morts.
L’ancienne élue municipale a participé, en 2002, à fonder l’association française Ibuka, qui perpétue la mémoire des victimes du génocide perpétré par les Hutu, l’ethnie majoritaire.
Alors que la commission de l’historien Vincent Duclert vient de remettre un rapport accablant sur la responsabilité de la France dans le génocide (voir ci-dessous), La Rep’ est allée à la rencontre de la plus Rwandaise des Gâtinaises.
Vous n’étiez pas au Rwanda durant le génocide, mais vous avez perdu presque toute votre famille. Mon père, ma mère, et la plupart de mes frères et sœurs ont été tués. Nous étions dix, quatre filles et six garçons. Seules deux d’entre nous, ma sœur, religieuse, et moi, l’aînée, étions à l’étranger. Sur ceux qui étaient restés, il n’y a eu a qu’un rescapé, mon frère. Mais sa femme et ses filles, 3 ans et 2 mois, ont été tuées. Nous avons adopté deux enfants rescapés d’un autre de mes frères.
Comment en est-on arrivé à ce génocide selon vous ? Avant la colonisation, il n’y avait pas de différence entre Hutu (environ 90 % de la population), Tutsi (environ 8%) ou des Twa (1%). La monarchie réunissait tous les Rwandais, il y avait une unité de culture, de langue et de religion. Il y avait des mariages mixtes.
Les Belges ont voulu diviser pour régner, et ont mis en place les cartes d’identité avec la mention ethnique. Depuis l’indépendance en 1961, le pays était dirigé par les Hutu. C’est l’appareil d’Etat qui a organisé et planifié le génocide.
« En 95, quand j’ai su qu’un de mes frères avait survécu, j’ai osé y aller. Tu arrives chez toi, ce ne sont que des ruines. Le but du génocide, c’était d’effacer les Tutsi de la mémoire. »
Quelle était la place des Tutsi avant le génocide ? Les premiers pogroms datent de 1959. J’ai vécu la discrimination, dès l’école. Je me rappelle la propagande des Belges qui lançaient les tracts depuis des avions. J’avais 5 ans. En 1973, je travaillais dans le privé, on est venu nous chasser, les Tutsi.
Vous allez au Rwanda régulièrement aujourd’hui, comment vivez-vous ces retours dans votre pays ? Au début ça a été très dur. J’avais l’impression que le Rwanda allait m’engloutir. En 95, quand j’ai su qu’un de mes frères avait survécu, j’ai osé y aller. Tu arrives chez toi, ce ne sont que des ruines. Le but du génocide, c’était d’effacer les Tutsi de la mémoire.
Je suis retraitée aujourd’hui, alors j’y vais aussi souvent que je peux. On a reconstruit la maison où habitaient mes parents. Mais ce n’est pas vivable, près de ces voisins de toujours, avec qui tu partageais tout, et qui ont participé au génocide. Des familles dont certains membres sont toujours en prison. Alors on est parti.
Vous aviez senti ce drame arriver ? Oh oui. C’est pour ça que quand j’entends les politiques ou les militaires français dire qu’ils ne l’ont pas vu venir… Quand j’y allais, en 91, 92, ma famille me disait «
Mais qu’est-ce que tu viens faire ici ? Reste à l’abri et raconte aux gens ce qui va nous arriver ! » Pourquoi ne sont-ils pas partis ? Moi j’étais Française depuis mon mariage, mais les Tutsi n’avaient pas le droit d’avoir un passeport.
Au Rwanda, des gens ont massacré leurs voisins… On parle d’un génocide de proximité. Et c’est même pire que ça. Un jeune rescapé (Albert Nsengimana, ndlr) a écrit un livre intitulé
Ma mère m'a tué. Une fois son père Tutsi mort, sa mère, Hutu, a organisé le massacre de ses enfants.
Machettes, gourdins, pierres, outils du quotidien, les bourreaux ont utilisé tout ce qui leur passait par la main. Leurs victimes les suppliaient pour être tuées par balles. Presque trente ans après, on y déterre toujours des morts. A Butaré, d’où je viens, une fosse a été découverte récemment.
Le rapport Duclert pointe la stratégie de François Mitterrand, arrivé au pouvoir il y a bientôt quarante ans. Qu'en pensez-vous ? Quand il est mort (en janvier 96), mes enfants, qui étaient en primaire, ne se sont pas levés durant la minute de silence. Ils voyaient ce qui se passait à la télé, ils comprenaient. Mitterrand a semé le trouble dans les esprits, et a nié le génocide. La France auraient pu arrêter le génocide, mais elle ne l’a pas fait. Il y a aussi l’opération Turquoise, qui a permis aux génocidaires de s’échapper.
Qu'attendez-vous de la France, désormais ? Le minimum, pour des gens qu’on a abandonnés, ce serait des excuses. Mais il faudrait aussi une réparation financière pour aider les rescapés à bien vieillir, et ces enfants sans famille et sans bien, qui sont partis d’en dessous de zéro, à bien vivre à se construire une vie. Et il faut que les génocidaires qui vivent tranquilles en France soient jugés !
Un rapport accablant
Le rapport rendu par la commission dirigée par l’historien Vincent Duclert sur le génocide des Tutsi au Rwanda, 27 ans après les faits, établit "
un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes" de la France, engagée au Rwanda, laboratoire de la démocratie en Afrique. "
La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes", peut-on lire dans la conclusion.
Pour le consulter, rendez-vous sur le site gouvernemental vie-publique.fr