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Ils voulaient exterminer tous les Tutsi. Jusqu’au plus petit. Jusqu’au dernier. Ils voulaient régler la question Tutsi une fois pour toutes. Tel était leur programme. Avaient-ils les moyens de leurs ambitions? Evidemment : qui pouvait, qui allait les arrêter ? L’armée était sous leur coupe, les milices formées pour exterminer au pas et en ordre de bataille, les médias sous contrôle, la masse chauffée à blanc et les soutiens internationaux puissants et inconditionnels. Qui pouvait les arrêter ? Les Tutsi étaient promis à l’effacement.
L’histoire en a décidé autrement. Les génocidaires ont finalement échoué dans leurs plans. Lamentablement ! Et les voilà en juillet 1994, défaits militairement, divaguant sur les routes de la honte, sur les routes de Goma. Et les voilà traqués par la morale et la justice internationales. Le flagrant délit était énorme, les preuves évidentes. Ils ne pouvaient pas nier. Le génocide fut retransmis en direct sur toutes les chaînes de télévisions de la planète, vécu en temporalité réelle par le monde entier. Alors pour justifier leur barbarie, ils ont inventé une parade de circonstance : la thèse du double génocide. « Oui, nous sommes des monstres ignobles, disaient-ils, toutes dents dehors, les mains encore dégoulinant de sang. Oui. Mais ceux d’en face aussi. Le FPR a aussi tué. Les Tutsi ont aussi tué. Il y a eu un double génocide. Et d’ailleurs ce sont eux qui ont commencé. C’est l’attentat contre l’avion présidentiel du 6 avril 1994, qui a tout déclenché.» L’école négationniste de Goma était née, les idées-forces de son discours fondateur lancées officiellement. Nous étions en juillet 1994.
Quinze ans et quelques mois plus tard, quinze ans après le génocide que sont devenus ses sinistres initiateurs et négateurs ? Pourchassés, la plupart d’entre eux ont été finalement arrêtés, les uns après les autres, jugés, condamnés et écroués. Justice. Leur rhétorique haineuse est, elle, malheureusement encore libre de mouvement, logée, nourrie et portée par certaines plumes douteuses, en mission de falsification de l’histoire et de règlement de compte. Le discours est à l’évidence plus moderne, plus civilisée mais au fond identique : cynique, inhumain, violent, éhonté, sans-gêne pour les morts, offensant pour les rescapés. Triste constat : la liste des candidats à l’affect anti-Tutsi est encore longue. Oui, mais, Pierre Péan, enquêteur chevronné, pourfendeur dans les années soixante-dix de ces chefaillons nègres, inarticulés, corrompus, geôliers de leurs propres peuples ne peut pas être de cette division-là !
Oui mais, que dit Péan sur le Rwanda ? Que cherche-t-il, cahin-caha, clopin-clopant, à graver dans les mémoires depuis quelques saisons ? Qu’énonce-il ? Rien d’original. Rien de neuf. Son discours reprend en réchauffé – consciemment ou pas – tous les postulats et présomptions de l’argumentaire de l’école de Goma. Alors, oui, il est légitime de se poser des questions, de s’interroger : qu’est-ce qui fait écrire le sieur Péan, qu’est-ce qui est en jeu dans son nouveau combat ? La recherche de la vérité ? Baratin, boniment. La vérité est connue de tous. Le génocide rwandais n’est pas un sujet de controverse : les faits sont précis, vérifiés, concordants, documentés, jugés. Alors ? Double génocide, répond notre célèbre écrivain. Autrement dit, le génocide contre les Tutsi n’aurait été en fin de compte macabre qu’une violence de plus noyée dans un ensemble de violences. En somme, comme dirait l’autre « un détail » de l’histoire. Confusion sincère ou calculée, voulue ? Pourquoi cette reprise martelée d’une thèse aussi fétide, celle du « double génocide ». Péan le sait très bien, tout meurtre, tout crime n’est pas un génocide. Oui mais, il y a, bon sang, le nombre des morts qui parle ! Et voilà notre chevalier blanc qui se lance dans un bidouillage abject du nombre des morts. Et là nous touchons le fond de la confusion intellectuelle, car ce n’est pas l’ampleur de l’amputation, le nombre des morts, qui fait d’un crime un génocide ; le chiffre ne fait pas le génocide. Elémentaire.
Oui mais Kagamé ! Kagamé! hurle alors sur tous les plateaux, Péan. Kagamé. L’obsession Kagamé. Dans une interview accordée à Marianne, l’écrivain affirme préférer feu Omar Bongo – personnage qu’il voua autrefois aux gémonies – à Kagamé. C’est son choix. Il est libre de son choix. Oui mais cela ne nous éclaire en rien sur sa volonté obsessionnelle de ramener le débat sur le génocide contre les Tutsi du Rwanda sur la personnalité de Kagamé ? Pourquoi cette volonté de transférer le mal du génocide sur Kagamé ? Pourquoi cet acharnement à faire de Kagamé le mal à supprimer ? Pour les génocidaires rwandais la cause est entendue : Kagamé est le mal suprême. Leur ennemi public numéro 1. Rien de plus normal. Il est celui qui les a empêché de mener à terme leur projet d’extermination, de finaliser « le travail » (génocide dans leur jargon scabreux). Au fond, à travers Kagamé, leurs charges visent en définitive son groupe d’appartenance dans sa globalité.
Mais pour Péan, quelles sont les raisons de cette fixation Kagamé ? Intime conviction. Selon mon intime conviction, raconte-t-il, à tours d’interviews, Kagamé est l’instigateur de l’attentat contre l’avion présidentiel, élément déclencheur du génocide. Affirmation, accusation grave, proférée sur la base d’une simple intime conviction ! Glissement après glissement, nous y voilà. Nous voilà de nouveau, hélas, au point de départ : de plein pied dans les thèses de l’école de Goma. L’extermination des Tutsi ? Comprenez, soyez compréhensifs, indulgents : après la mort de leur Président, tel un virus ravageur et soudain la colère s’est saisie sans ambages de la tête des Hutu et ils sont devenus illico fous, déments, féroces, sauvages, cruels, impitoyables, sanguinaires. Le courroux. Le génocide aurait été ainsi improvisé dans la fureur générée par cet ignoble attentat. La faute à la fureur. Soyons sérieux : la thèse d’un génocide réactionnel et spontanée est archi-faux ; un génocide ne s’improvise pas, il s’organise, il se planifie. Les faits sont là pour le confirmer : l’exécution du génocide contre les Tutsi du Rwanda fut précédée par un temps long de maturation, de préparation minutieuse, animée, orchestré par une ingénierie étatique.
Tous les négationnismes ont un invariant : cette volonté permanente de recadrage de l’histoire ; cette tentation de nier ou de relativiser le crime absolu au moyen d’un cadrage arbitraire, choisi, accommodant. Le procédé est assez simple : on isole un élément des faits, on zoome et on pilonne ; on fait diversion, on déplace le débat. On essaie de réécrire l’histoire. Certains en ont fait leur mission, leur métier. Péan peut continuer à écrire sur le Rwanda ses thèses vaseuses si cela l’enchante mais cela ne changera strictement rien au cours de l’histoire. En septembre 2008, lors de son procès pour « incitation raciale » et « diffamation raciale », il avait posé cette question assez congrue : « Peut-on écrire sur le Rwanda ? ». La procureure de la république avait répondu opportunément : « On peut écrire sur le Rwanda, mais pas n’importe quoi, pas n’importe comment. »