Fiche du document numéro 27624

Num
27624
Date
2010
Amj
Auteur
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Fichier
Taille
476906
Pages
15
Urlorg
Titre
Jean Mauricheau-Beaupré : de Fontaine à Mathurin, JMB au service du Général
Nom cité
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Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
JEAN MAURICHEAU-BEAUPRÉ : DE FONTAINE À MATHURIN, JMB AU
SERVICE DU GÉNÉRAL
Jean-Pierre Bat, Pascal Geneste
Presses Universitaires de France | « Relations internationales »
2010/2 n° 142 | pages 87 à 100
ISSN 0335-2013
ISBN 9782130580140

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« C’est Mauricheau-Beaupré qui a tout organisé !1 » Vibrionnant,
graphomane, incontrôlable, mais incontournable, ombre portée de
Jacques Foccart sur le continent africain, Jean Mauricheau-Beaupré a légitimé à lui seul les fantasmes des « réseaux Foccart »… Inaugurant la charge
hautement sensible d’envoyé du seigneur dans les anciennes colonies – missus dominicus –, son expérience marque durablement la nature des rapports
franco-africains dès la décolonisation. Homme clé, mais peu avouable, de
l’entourage foccartien, il s’est revendiqué comme la cheville ouvrière de la
politique gaulliste en Afrique noire.

Servir la France, servir de Gaulle (1920-1958)

Avant d’évoquer l’Afrique, le nom de Mauricheau-Beaupré est attaché dans la première moitié du xxe siècle au château de Versailles. Né le
2 février 1920, Jean Mauricheau-Beaupré est le fils de Charles MauricheauBeaupré, conservateur en chef du musée du château de Versailles et grand
spécialiste de l’histoire de l’art du Grand Siècle français2.
Les premiers engagements de son fils Jean se font sous l’étendard
de Défense de la France et de ses valeurs les plus traditionnelles : il est
fiché par les services de police judiciaire, la préfecture de police de Paris
en 1936 comme militant de l’Action française, repéré au cours d’une

1. André Renault, Maurice Robert, « ministre » de l’Afrique, Paris, Seuil, 2004, p. 148.
2. Charles Mauricheau-Beaupré (21 août 1889-26 avril 1953), diplômé de l’École du Louvre où
il enseigne de 1929 à sa mort, entre au musée du château de Versailles en 1919 et gravit les grades un
à un, d’attaché de conservation à conservateur adjoint (1929-1941) puis conservateur (1941-1953).
Spécialiste de l’histoire de l’art du xviie siècle, il est l’auteur entre autres de L’art au xviie siècle en France,
1re période. 1594-1661. 2e période, 1661-1715. Architecture, sculpture, peinture, arts appliqués, Paris, Guy Le
Prat, 1949 et 1947, coll. « Nouvelle encyclopédie illustrée de l’art français ». Sa nécrologie est parue
dans Le Monde du 28 avril 1953, après son accident mortel de voiture au Canada.
Relations internationales, n° 142/2010

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Jean Maur icheau-Beaupré : de Fontaine à
Mathurin, jmb au service du Général

Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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manifestation d’étudiants3. C’est avec la guerre que Jean MauricheauBeaupré va révéler ses vrais talents, dans l’action clandestine4. Lieutenant
de réserve de l’armée de l’air, il s’engage dans la Résistance, intègre le
réseau Marco-sr Kléber5 et, sous le pseudonyme de Fontaine, anime
notamment une filière de caches et d’évasions pour les aviateurs et
parachutistes alliés dans la zone de Paris et de Versailles. Le réseau qu’il
dirige, initialement sous la houlette de Jean Bruel6, est rattaché au réseau
Samson. Chargé de mission de 1re classe comme agent P2 pour la période
du 1er août 1943 au 30 septembre 1944, il est assimilé au grade de capitaine à la Direction générale des études et des recherches (dger) à Paris.
Intégré aux Forces françaises combattantes, il doit assurer la liquidation
de son réseau, étant lui-même démobilisé le 31 janvier 1946 (avec effet
au 21 décembre 1945) et décoré de la Légion d’honneur au titre de la
Résistance. Si son chemin avec les services spéciaux « officiels » de la
République s’arrête là, il ressort de la Résistance fervent gaulliste, prêt à
tout pour celui qu’il estime être le sauveur de la France. Parallèlement,
il a développé un certain goût et de grandes qualités dans le domaine de
l’action clandestine.
À la Libération, Mauricheau s’essaye dans les affaires, sans succès. En
quittant la dger, il est associé au Bureau international de recherches et
de coopération technique, dont il détient 30 % des parts. Il appartient
ensuite au conseil d’administration de la Société d’application supersonique (il démissionne de son poste de président-directeur général adjoint
le 1er octobre 1955, et de son siège d’administrateur le 27 avril 1956)
avant de devenir administrateur de la Société pour l’équipement auxiliaire industriel, dont il devient président-directeur général le 15 décembre 1958. Dans la France bouillonnante de la IVe République, ce n’est pas
le monde de l’entreprise qui peut l’épanouir. Il se trouve une mission en
phase avec ses ambitions : le militantisme en faveur du retour du général
de Gaulle.
Son engagement contre la IVe République se fait clairement jour
dès 1956.Mauricheaus’affiche comme un proche des Volontaires
de l’Union française, organe anticommuniste et rapidement antiIVe République, des vétérans d’Indochine et d’Algérie qui entendent
– par la force au besoin – imposer leurs vues face aux politiques accu-

3. Selon les dossiers des Renseignements généraux, Mauricheau serait connu également comme
vendeur à la criée du journal Action française. Archives nationales, site Fontainebleau (désormais an),
Direction centrale des Renseignements généraux, section presse, dossier 19860510, article 31 no 14023,
note du 13 novembre 1961.
4. Nous l’appellerons désormais Mauricheau.
5. Le réseau Marco est dirigé par Guy Jousselin de Saint-Hilaire. Il s’agit du service de renseignement clandestin du colonel Lochard. Entretien avec Mme Schroeder, membre du réseau Marco-Kléber
sous le pseudonyme d’« Anne », 30 juin 2008, Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense
nationale.
6. Jean Bruel, décédé le 23 juillet 2003, est connu pour être depuis 1949 le patron des bateaux-mouches de la Seine. Patriote intransigeant, ses sympathies sont allées vers l’oas durant la guerre d’Algérie.

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sés de « lâcher » les colonies7. Il devient un familier des milieux qui
refusent de « brader l’Empire » : l’affaire Moureau en 1956 l’amène
à s’engager avec le Front national des combattants8. Ses positions
empruntent à son passé résistant ses élans d’homme d’action : il adhère
à l’idée des comités de vigilance réclamés par Jean-Marie Le Pen et
Jean-Maurice Demarquet, animateurs du Front national des combattants. En 1957, Mauricheau estime que l’aboutissement logique
de cette démarche doit être la constitution d’un Comité de salut
public. Il envisage alors des plans d’action et de propagande destinés à
dénoncer le régime pour en préparer le renversement, pour rappeler
l’homme providentiel dont l’identité ne fait à ses yeux aucun doute9.
Les conclusions de la note dans laquelle il développe ces projets d’action sont claires :

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Partisan de thèses antiparlementaristes, on retrouve là sa formation maurrassienne de jeunesse, distinguant « pays réel » et « pays légal ».
Naturellement, pour un ancien résistant gaulliste, la place des militaires
et des vétérans est primordiale dans le « pays réel », encore plus lorsqu’ils
s’imposent en ultime rempart de la patrie face à des politiciens jugés corrompus ou incapables. À la différence de certains vétérans des guerres coloniales, il n’est pas un simple déçu de la République. S’il partage leurs thèses
subversives, il n’en prône pas moins une solution politique, qui trouve son
ancrage rue de Solférino, au siège du Rassemblement du peuple français.
Mauricheau est un familier du rpf : c’est là qu’il rencontre pour la première
fois Jacques Foccart, alors secrétaire général du mouvement gaulliste11. Mais

7. Les Volontaires de l’Union française ont notamment organisé la manifestation de la place de
l’Étoile en 1954, où fut giflé René Pleven, ministre de la Défense.
8. Fondation Charles-de-Gaulle, rpf br 611, correspondance Jacques Foccart, dossier
Jean Mauricheau-Beaupré, tracts et correspondances (1957-1958). Le 23 juin 1956, le capitaine Moureau,
officier français, est capturé au Maroc. Les milieux politiques délaissant l’affaire aux yeux des militaires,
ces derniers dénoncent l’incompétence d’un gouvernement qui abandonne son armée en Afrique du
Nord après l’avoir abandonnée en Indochine. Cette affaire radicalise les positions des activistes nationalistes qui décident alors d’organiser des comités de vigilance, fer de lance pour abattre le régime.
9. Fondation Charles-de-Gaulle, rpf br 611, correspondance Jacques Foccart, dossier
Jean Mauricheau-Beaupré, tracts et correspondances (1957-1958), note verbale : « La situation du
pays est trop grave pour qu’en cette matière, on puisse pratiquer l’attentisme ou un faux neutralisme.
D’ailleurs, pratiquer la conspiration du silence devant le nom de Charles de Gaulle, en l’état actuel des
affaires de la France, serait une véritable démission du sens national. »
10. Fondation Charles-de-Gaulle, rpf br 611, correspondance Jacques Foccart, dossier
Jean Mauricheau-Beaupré, tracts et correspondances (1957-1958), note de Jean Mauricheau-Beaupré,
2 p.
11. Le rpf n’est pas dissous en 1953 : si de Gaulle prend officiellement ses distances avec le
mouvement, Jacques Foccart, lui, croit en la nécessité d’entretenir les contacts et le militantisme des
« compagnons ». Jusqu’alors responsable des affaires outre-mer et coloniales du rpf, il décide en 1953
de prendre le rôle – devenu difficile dans ces conditions – de secrétaire général du rpf.

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Intérêts de l’opération a) embêter les députés ; b) former l’armature d’un mouvement politique à venir. Par ex[emple], en transformant les comités de vigilance
en c[omi]tés de salut public10.

Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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c’est avec des hommes d’action tels que les colonels Bourgoin12 et Battesti13
qu’il se sent alors le plus proche.
Il se lance dans le journalisme militant en 1956-1957 avec Le Grand
Soir, véritable brûlot visant à ridiculiser la « République des partis » et,
au-delà de la dénonciation de la IVe République, à préparer le retour du
général de Gaulle. Le Grand Soir sert en fait de laboratoire à un journal beaucoup plus redoutable et beaucoup plus influent : Le Courrier
de la colère, animé par Michel Debré, André Fanton et Pierre Battesti, et
financé par François Saar-Demichel. La société des Éditions de la Nation
est créée en décembre 1957 : Mauricheau, qui en est le gérant, détient
24 % des parts14. C’est à partir de cette expérience qu’il peut être identifié
comme la créature de Michel Debré, dont il partage tous les avis politiques. Après le 13 mai 1958, il est l’un des permanents de son équipe, aux
côtés de Pierre Bourgoin, Constantin Melnik, Pierre Battesti ou encore
Pierre Debizet alias Debarge15. Une fois son démiurge devenue garde des
Sceaux, il reste l’un de ses protégés favoris, sans cependant trouver son rang
dans l’équipe ministérielle de la place Vendôme. Pourtant, il n’en nourrissait pas moins certaines ambitions : lorsque Michel Debré est nommé
Premier ministre en janvier 1959, le poste de conseiller technique à la
sécurité à Matignon ne le laisse pas insensible. Mais Constantin Melnik lui
est préféré.
Le premier Premier ministre de la Ve République, son « patron », selon
ses propres termes, décide alors de lui offrir une place au sein du nouveau

12. Pierre-Louis Bourgoin (1907-1970) est un vétéran des ffl depuis le ralliement de l’Oubangui
Chari en 1940. Officier parachutiste, il participe à tous les théâtres d’opérations de la Seconde Guerre
mondiale où sont engagées les ffl. Démobilisé en 1945, il s’engage sans réserve dans le soutien au
retour du général de Gaulle, usant de ses contacts avec les milieux activistes pro-Algérie française. Fidèle
au Général, il continue à suivre ses pas malgré la solution algérienne gaulliste contraire à ses souhaits
(Bourgoin est un pied-noir originaire de Cherchell), devenant député unr de 1958 à 1970, et viceprésident de l’Association de soutien au général de Gaulle.
13. Pierre Battesti (1905-1973), vétéran des ffl, colonel, est un pied-noir marocain. Après
mars 1956, il rentre en France avec le sentiment qu’il faut sauver l’Algérie et empêcher que le scénario marocain ne se répète. Il devient le principal animateur du réseau politique des pieds-noirs en
métropole. Il trouve là un formidable biais d’action dans la crise algérienne. Ardent partisan de l’Algérie
française et du retour au pouvoir du général de Gaulle, il est élu député pour la première législature
de la Ve République. Mais l’affaire algérienne le sépare de ses amis gaullistes : il quitte l’unr dès 1959,
et la politique en 1962.
14. Michel Debré détient 25 % des parts et Pierre Battesti 51 %. Sur l’action de Michel Debré à
cette période, voir Michel Debré et l’Algérie, actes du colloque, Assemblée nationale, 27 et 28 avril 2006,
Paris, éditions Champs-Élysées, 2007.
15. Ancien de la France libre (réseau Libération Nord puis bcra), Pierre Debizet milite activement en 1958 sous le pseudonyme de Debarge pour le retour au pouvoir du général de Gaulle. En
accord avec Jacques Foccart dont il est un proche, il prend en charge le Service d’action civique (sac)
dès sa création officielle en 1960. Il laisse sa place à la tête du sac à Paul Comiti dans le cadre de la phase
finale de la décolonisation de l’Algérie. Rappelé en 1968 par Jacques Foccart à la tête du mouvement
pour remettre de l’ordre et organiser l’opposition aux mouvements de gauche, il est inquiété par la
Justice en 1981 (mais sans suite pénale) à l’occasion de la tuerie d’Auriol qui aboutit à la dissolution du
sac en 1982. Il connaît Mauricheau depuis la période agitée des gaullistes sous la IVe République.

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Jean Mauricheau-Beaupré

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Secrétariat général de la Communauté (sgc)16. L’y installe-t-il comme pisaller, faute de mieux, ou s’agit-il d’une nomination stratégique pour que le
Premier ministre conserve un œil dans les affaires africaines, devenues un
pré carré élyséen ?

Le chantre de la Communauté (1958-1963)

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Voici le portrait qu’en dresse a posteriori Jacques Foccart dans les entretiens qu’il accorde à la fin de sa vie au journaliste Philippe Gaillard17. Tout
marginal qu’il soit, Mauricheau a un statut officiel : nommé attaché au
Secrétariat général de la Communauté le 1er août 1959, il y devient chargé
de mission en 1960, poste qu’il occupe jusqu’au 24 janvier 1963. Son intégration au sein du Secrétariat général de la Communauté, composé essentiellement d’administrateurs et de juristes, est toutefois délicate. Il ne goûte
pas les règlements technico-bureaucratiques par lesquels on gère les affaires
de la Communauté. Il les juge inefficaces et ne fait aucun effort pour
accompagner ses collègues chargés de mission dans les différents conseils
exécutifs. Le Secrétariat doit avant tout être un organe d’action politique, et
non un service paperassier de plus dans l’administration française.
Aussi s’adresse-t-il plus volontiers à Jacques Foccart, conseiller du président, qu’à Raymond Janot, secrétaire général de la Communauté, de janvier 1959 à mars 1960, et donc son supérieur hiérarchique pour cette
première période. Toutes ses notes à Jacques Foccart, manuscrites, sont
adressées à l’« ami », au « patron », et Michel Debré, dont il reste l’un des
hommes liges et qu’il appelle par son prénom, est mis en copie ; il n’est pas
certain que Raymond Janot ou Alain Plantey, conseiller technique au sgc,
les aient vues un jour.
Dès le 14 septembre 1959, Mauricheau interpelle Jacques Foccart, alors
conseiller technique de la présidence de la République, sur les principes
d’une action psychologique à mener pour le compte des gouvernements
africains. Il est toujours question d’asseoir la position française en Afrique
sur le plan politique et de contrecarrer les ingérences étrangères dans le
contexte de la décolonisation et de la crise algérienne. Pour Mauricheau,
cette action doit être conduite en priorité auprès des étudiants africains
16. À cette date, le secrétaire général de la Communauté se nomme Raymond Janot, cosignataire
avec Michel Debré de la Constitution de la Ve République. Foccart est alors conseiller technique au
cabinet du général de Gaulle, à Matignon puis à l’Élysée, pour l’Outre-Mer, les questions de sécurité
(rapport avec les services de renseignement) et les rapports avec les gaullistes. Ce n’est qu’en mars 1960
que Foccart est nommé secrétaire général de la Communauté.
17. Philippe Gaillard, Foccart parle, 1913-1969. Paris, Fayard-Jeune Afrique, 1995, t. 1, p. 213.

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Mauricheau-Beaupré a été chez Debré et chez moi aussi, mais un peu marginal.
C’est un homme très entreprenant, qui vit pour l’action et le secret. Il aime bien les
« coups ». C’est aussi un patriote intransigeant, d’une honnêteté irréductible.

Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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dont la vocation est de fournir ensuite aux États de futurs fonctionnaires.
Mais les instances internationales, et l’onu en particulier, ne doivent pas
être négligées. En 1959, l’influence de Mauricheau au plus haut sommet
de l’État est indéniable. Jacques Foccart lui accorde le plus grand crédit,
allant même jusqu’à transmettre au général de Gaulle une note de huit
pages datée du 2 décembre 1959 sur l’intérêt qu’il y aurait à faire visiter à
Khrouchtchev le Sahara français18.
Partisan des méthodes d’action directe, seules à pouvoir donner des
résultats, Mauricheau met d’abord son énergie à créer une association,
« Progrès et Communauté », destinée à supplanter la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (feanf), politiquement trop hostile au
régime gaullien. Installée au cœur du Quartier Latin, rue Galande, la structure doit permettre d’accueillir en France les étudiants africains et d’organiser leurs loisirs. Grâce à l’appui de Jacques Foccart et aux relais des cabinets
d’André Malraux, du ministre des Travaux publics, des Transports et du
Tourisme et du Haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports, Mauricheau
finance l’action de son association et obtient du général de Gaulle, alerté
en juin 1960 par Michel Debré sur le cas de « Progrès et Communauté »,
qu’une subvention lui soit régulièrement versée. Même si Mauricheau
est contraint, à plusieurs reprises, de réclamer au secrétaire général de la
Communauté l’effectivité de la dotation, l’organisme fonctionne.
Le remplacement de Raymond Janot par Jacques Foccart en mars 1960
amplifie naturellement le rôle de Mauricheau au sein d’un secrétariat général de la Communauté réorganisé et plus efficace. Désormais, la théorie
développée dans les mois antérieurs est mise en pratique, et le terrain d’expérimentation stratégiquement et symboliquement désigné à l’heure où les
États africains prennent leur indépendance, c’est le Congo19. Mauricheau
aborde le Congo avec Jacques Foccart en mai 1960. La première note est
du reste significative, puisqu’elle a pour objet Charles Delarue sur lequel
Foccart entend s’appuyer pour gérer sur place la crise katangaise. L’analyse
de Mauricheau est sans appel : Delarue, « inspirateur des projets d’Union
équatoriale », a « une grande influence », « le goût de l’ombre, comme
moi » et il est « efficace »20.
18. Sur Krouchtchev et l’Algérie, l’affaire est allée loin. Voir Thierry Wolton, La France sous
influence. Paris-Moscou, 30 ans de relations secrètes, Paris, Bernard Grasset, 1997, p. 293-300.
19. Jean-Pierre Bat, « Décolonisation et politique française au Congo-Brazzaville (1958-1963) »,
Positions de thèses de l’École nationale des chartes, 2006.
20. Alfred Delarue (1913-1964) est un ancien policier de la Brigade spéciale 1 des Renseignements
généraux de la Préfecture de police sous l’Occupation, spécialisé dans la lutte anticommuniste. Arrêté à
la Libération, il s’évade du camp de Noé. Considéré techniquement comme un excellent inspecteur des
Renseignements généraux, ses talents ne sont pas perdus pour tout le monde : il devient l’agent clandestin le plus efficace du commissaire Jean Dides, alors détaché auprès du cabinet du préfet de police
Baylot. « L’affaire des fuites » cristallise cette lutte anticommuniste et remet Delarue, alors connu sous
le pseudonyme de « M. Charles », sur le devant de la scène lors du procès. Devenu Charles Delarue, et
après avoir fait un bref passage dans la crise algérienne, il est approché par Youlou en 1959 pour organiser un bureau de documentation (service de renseignement et de contre-espionnage) à Brazzaville.
Il incarne l’orientation anticommuniste du régime de Youlou. Il décède en décembre 1964 dans des
circonstances peu nettes.

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Mauricheau, qui n’hésite pas à réclamer que son « patron » lui transmette la production du sdece et les télégrammes de l’ambassade, propose
très vite une ligne de conduite pour le Congo belge où Tshombé déclare le
11 juillet 1960 la sécession de la province prospère du Katanga du reste du
pays nouvellement indépendant, dirigé par Kasavubu et Lumumba : il s’agit
de trouver des relais afin que ce ne soit pas la France qui agisse directement. Ces relais pourraient être des mercenaires qui remettraient de l’ordre
provisoirement. C’est dans cet esprit que Mauricheau est alors dépêché à
Brazzaville, avant-poste français, où l’on redoute la contagion du « chaos
d’en face ». Dès lors, l’expérience congolaise peut être considérée comme
le laboratoire d’une « méthode jmb » : contact direct avec Foccart au titre
de missus dominicus, mise en réseau des chefs d’États du Rassemblement
démocratique africain (rda) pour harmoniser leurs positions francophiles,
intervention au Congo belge par le biais de mercenaires. Chacun de ces
trois points peut être illustré par quelques exemples.
Missus dominicus21, il aspire à canaliser lui-même les rapports entre
Youlou et la France pour les questions spéciales engageant la sécurité du
Congo. L’aide matérielle de l’État français au Congo de Fulbert Youlou en
matière de maintien de l’ordre passe clairement par Mauricheau : lorsque
Maurice Bat, officier du sdece et chef de la sécurité de l’abbé Fulbert, vient
en France solliciter divers équipements réformés pour le compte de la
police congolaise, il s’adresse à Demichel, mécène gaulliste, et à Mauricheau,
qui informe aussitôt Jacques Foccart ; lorsque Fulbert Youlou effectue ses
voyages officiels, Mauricheau l’accompagne et lui écrit une partie de ses
discours. Le premier président congolais et les hommes politiques qui l’entourent sont d’autant plus enclins à le considérer comme le représentant
de Foccart, et par là même du général de Gaulle, que cette situation leur
donne une importance particulière qui met en évidence les enjeux fondamentaux que représente la décolonisation de l’Afrique centrale.
Le réseau politique voulu par Félix Houphouët-Boigny et garanti par
le rda est l’outil le plus sûr, selon Mauricheau, pour assurer sa vision politique de l’Afrique : faire triompher la politique de grandeur chère à de
Gaulle par le maintien d’un ensemble francophone et francophile qu’il
convient de défendre face aux autres puissances. C’est pourquoi il fait porter ses efforts en 1960 sur l’intégration au sein de l’onu des États de la
Communauté, qu’il convient à tout prix de maintenir dans une certaine
cohésion : « On peut dire que c’est à l’automne, à New York, que le destin
de la Communauté va se jouer. La meilleure formule serait évidemment
une délégation de la Communauté à l’onu » dit-il à Jacques Foccart le
18 août 1960. Dans le contexte algérien, il estime que l’opinion publique
française attend de connaître le vote à l’onu des « filleuls » africains pour
21. Le registre faisant état des missions effectuées en Afrique par les membres du secrétariat
général pour les Affaires africaines et malgaches signale la présence de Jean Mauricheau-Beaupré
à Brazzaville à six reprises entre juillet 1961 et juillet 1962. À l’exception de celui de juillet 1961 qui
fait suite au voyage de Fulbert Youlou à New York le mois précédent, ces séjours congolais n’excèdent
généralement pas une semaine.

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Jean Mauricheau-Beaupré

Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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porter sur eux un jugement définitif. Mauricheau n’a de cesse de combattre le groupe afro-asiatique en défendant l’idée qu’il faut faire exister et se
développer l’esprit communautaire par le biais de structures d’accueil communes, à Paris et à New York.Thuriféraire de la Communauté, il va jusqu’à
défendre au nom de Youlou le concept de « Communauté restaurée »,
en 1961, auprès de Foccart… sans succès. De manière plus pragmatique, il
est conscient qu’en cette même année 1960, la guerre froide s’infiltrant en
Afrique par la crise congolaise, le point d’équilibre de l’Afrique centrale se
situe à Léopoldville. Il est ainsi persuadé que la meilleure stratégie consiste
à défendre le meilleur allié des Français dans la zone, Moïse Tshombé,
quitte à devoir en redéfinir quelque peu la carte en appliquant au Congo
Léopoldville les thèses fédéralistes d’Houphouët-Boigny.
La méthode de « jmb » est illustrée par l’intervention au profit du
Katanga : très vite, il comprend que la France doit pouvoir disposer de ressources efficaces mais non officielles, en marge même des services spéciaux.
Ce seront les mercenaires dont il soutient l’action, l’accompagnant par ses
contacts avec le commandant Roger Faulques, officier en second puis remplaçant du colonel Trinquier auprès de Tshombé. À cette première génération de soldats, vétérans des guerres coloniales et spécialistes de la « guerre
révolutionnaire », Mauricheau substitue une nouvelle génération de mercenaires, plus marginale, car beaucoup moins militarisée. Bob Denard
– qu’il dispute d’ailleurs au sdece – en devient rapidement l’archétype. Le
lien avec ce dernier est sans doute le plus fort et le plus intime de tous les
mercenaires « africains ». Ces hommes deviennent les relais directs de son
action en Afrique centrale. Il réalisera avec leur concours de nombreuses
opérations dans les années 1960 et 1970. L’homme des « coups » commence à se tailler une véritable réputation de « barbouze »22 !

De Youlou à Houphouët-Boigny, de Mauricheau à JMB (1963-1996)

Lorsque la raison d’État prend le pas sur les convictions de ses mentors,
Mauricheau est de plus en plus isolé. Il quitte administrativement le secrétariat général pour les Affaires africaines et malgaches de la présidence de
la République, est rattaché au ministère de la Coopération et, à ce titre, est
envoyé « en assistance technique » auprès de l’abbé Youlou.
La chute de l’abbé après les « Trois Glorieuses » (13-15 août 1963) et
son remplacement par Massemba-Debat, marxiste convaincu, c’est aussi
l’échec de Mauricheau. Fort de la confiance que lui a accordée Foccart,
il n’a pu empêcher que l’amplification des tensions interethniques et les
22. Si le terme est forgé pour la lutte anti-oas et désigne très rapidement le sac, son sens en
Afrique est élargi aux agents des services spéciaux. Nous l’entendons ici au sens le plus proche de son
origine : agent parallèle des services de sécurité agissant pour le compte des gaullistes. C’est ce degré
de « parallélisme » qui est sujet à caution pour justifier ses relations et sa marge d’initiative par rapport
à Jacques Foccart.

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mécontentements provoqués par la personnalité de Youlou ne débouchent
sur de violentes manifestations populaires. Lorsque celles-ci se déclenchent, ni l’ambassadeur en poste, Jean Rossard, ni les forces armées françaises en présence, commandées par le général Kergaravat, ni les services
de renseignement officiels n’interviennent pour renverser la situation. Mais
Mauricheau n’est pas homme à abandonner celui auprès duquel il a servi
durant plusieurs années. Dès l’année suivante, il prépare plusieurs plans
d’évasion de Youlou. Mais contrairement à la légende – pourtant confirmée par Foccart dans ses entretiens avec Philippe Gaillard23 – qui en fait le
responsable de l’évasion réussie de l’abbé, ce dernier parvient à quitter sa
prison par ses propres moyens, sans le concours de jmb qui n’a jamais reçu
le feu vert ni même le feu orange de Foccart pour cette mission. Si l’ancien
président congolais gagne par ses propres moyens Léopoldville, il est en
revanche pris en main par Mauricheau depuis Léopoldville pour organiser
son exil africain puis madrilène. Le contact entre les deux hommes reste
maintenu, pour prévoir d’éventuels retours au pouvoir à Brazzaville.
« jmb » tire les leçons de l’échec brazzavillois de 1963. Il est aussitôt
replié sur Abidjan, véritable centre névralgique du rda en Afrique, et
reprend des fonctions de conseiller technique, détaché auprès du président
Houphouët-Boigny, toujours au titre de la Coopération. La Côte d’Ivoire
devient peu à peu sa nouvelle patrie : son contrat de coopérant achevé,
Houphouët-Boigny le conserve à ses côtés comme conseiller ivoirien
jusqu’à sa mort. Bien loin des directives du ministère de la Coopération,
Mauricheau commence à élargir les ambitions de la politique africaine
qu’il pense servir depuis Abidjan. Le pseudonyme que donne « jmb » à
Houphouët-Boigny est hautement révélateur du rang qu’il lui attribue sur
le continent africain : le président ivoirien est « Big Brother », le grand
frère de tous les chefs d’État francophones. Dans cette optique, Charles de
Gaulle est le « Big Father ».
À ce moment, le rapport de force a évolué : la France s’est dotée de l’arme
nucléaire, et Mauricheau retrouve l’espoir d’une nouvelle Communauté
bien plus solide que la première, construite sans malentendus autour de
cette nouvelle force. La conférence de presse que prononce Tshombé à
Paris le 12 octobre 1964 développe ce thème :
Paris est une capitale africaine et européenne, aujourd’hui plus que jamais. Le
nouveau mot qui doit succéder à « Empire » est plus prosaïque, c’est le parapluie
atomique, la protection par des accords militaropolitiques […]. Il est clair que

23. Entretiens de Jean-Pierre Bat avec Philippe Lettéron le 14 décembre 2004, et Martial Sinda
(neveu et conseiller de l’abbé Youlou) les 18 janvier et 6 février 2005. Gaillard, Philippe, Foccart parle,
Fayard/Jeune Afrique, 1995, p. 213-214. Pourquoi Foccart privilégie-t-il cette version fausse des événements ? Plusieurs explications peuvent être données : la plus crédible est sans doute que le secrétaire
général pour les Affaires africaines et malgaches a envisagé effectivement que soit réalisé l’un des nombreux plans d’évasion de Mauricheau ; mais, surpris par l’initiative de Youlou, il n’a pas voulu perdre
la face et, gageant sur les préparatifs de Mauricheau, a préféré laisser croire que c’est lui qui avait tout
organisé.

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Jean Mauricheau-Beaupré

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Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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Le bon docteur Moïse « Kapenda » redevient son cheval de bataille.
Bien que « jmb » soit basé à Abidjan, l’Afrique centrale francophone reste
son centre d’intérêt. Il met alors en place une campagne d’opinion, avec
l’aide de son ami journaliste et photographe Paul Ribeaud, qui consiste à
faire de Tshombé le dernier rempart du Congo-Léopoldville face au chaos
et faire de lui l’homme politique fort, plus seulement du Katanga, mais de
tout le Congo. La feuille de route est tracée avec l’accord d’HouphouëtBoigny : à court terme, seuls Tshombé et ses mercenaires peuvent ramener
l’ordre ! Bob Denard et ses hommes réapparaissent sur le terrain congolais,
en contact avec Mauricheau. L’objectif à moyen terme est évident : intégrer
le Congo ex-belge dans l’ensemble francophone, dans un premier temps
via l’Organisation commune africaine et malgache (ocam), pour agrandir
et sécuriser le pré carré français en Afrique noire.
Pour mener à bien l’expérience congolaise, Mauricheau fait appel à
un jeune homme qu’il a rencontré en 1960 alors qu’il était un jeune militant étudiant gaulliste à l’essec : Philippe Lettéron. Après un faux départ
comme conseiller économique de Youlou (la nomination a été annulée de
fait par la révolution d’août 1963), il est redirigé auprès de Tshombé, devenu
Premier ministre à Léopoldville en 1964, pour lui servir de conseiller, mais
être également agent de liaison de Mauricheau, basé en Côte d’Ivoire. Mais
cette politique ultrafrancophile n’est appréciée ni des Américains ni des
opposants africains de Tshombé, qu’ils soient pro-occidentaux, comme le
groupe de Binza, ou lumumbistes et révolutionnaires.Tshombé doit quitter
le pouvoir fin 1965 pour laisser Mobutu s’en saisir.
La grande leçon « méthodologique » qui en ressort est le parfait fonctionnement du tandem Mauricheau-Lettéron, chacun à un poste géographique différent sur le continent. Cette expérience va donc être rééditée à
l’occasion d’autres dossiers.
C’est le cas notamment avec Tombalbaye au Tchad, entre 1966 et 1968.
Suite au déclenchement de la rébellion dans le Ouaddaï en septembre 1965,
l’État tchadien s’effrite : Mauricheau coordonne l’envoi d’une « petite
équipe » à Fort-Lamy, composée, outre Antoine Hazoume24 déjà sur place, de
Philippe Lettéron et Pierre Debizet. Ils ont pour mission de réorganiser le
parti populaire tchadien (ppt-rda) à l’occasion de son 6e congrès national.
Mais le grand dossier que va gérer Mauricheau, riche de ces expériences en Afrique centrale, est la sécession biafraise, sorte d’acmé de
24. Outre différents collaborateurs plus ou moins occasionnels, il convient de citer
Antoine Hazoume comme un maillon complémentaire de ce réseau politique informel. Dahoméen
d’origine, Hazoume est devenu conseiller rda de Fulbert Youlou après avoir négocié son rattachement
au parti d’Houphouët-Boigny en 1956-1957. Il rencontre Mauricheau avec l’affaire katangaise, pour
laquelle il est le conseiller spécial du président congolais. Après les « Trois Glorieuses », il devient le
conseiller de Tshombé, puis celui de Tombalbaye en 1965, travaillant en étroite liaison avec Mauricheau
et le sdece, dont il est un agent. Il trouve la mort à Fort-Lamy en 1967, sans que les circonstances de sa
mort aient pu être élucidées (assassinat ou maladie fulgurante).

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l’Afrique étant sous la France, étant le losange dont la France est le sommet, c’est la
protection atomique qu’elle doit rechercher (jusqu’au cap de Bonne Espérance).

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son action africaine pour laquelle il recourt à toutes les ressources expérimentées depuis 1960. Pendant près de trois ans et face aux grandes
puissances occidentales et à la plupart des pays du Tiers-monde, la France
soutient le Biafra du colonel Ojukwu, autoproclamé indépendant le
30 mai 1967. Cette aide n’est pas gratuite : il s’agit d’affaiblir la zone
d’influence britannique en Afrique occidentale, de s’opposer à l’ingérence des Soviétiques sur le continent africain, de prendre position dans
cette région riche en pétrole et, accessoirement, de faire payer au Nigeria
ses vives protestations après les essais nucléaires menés par la France
au Sahara en 1960. Mais elle est limitée : alors que l’armée fédérale du
Nigeria dispose d’importants armements soviétiques, bénéficie des services de conseillers militaires des pays de l’Est et joue sur les hésitations
anglo-américaines, le Biafra ne peut compter que sur un soutien militaire
de la France indirect et insuffisant, que le général de Gaulle accepte de
consentir sans l’annoncer officiellement25.
Via la Côte d’Ivoire et le Gabon, les livraisons d’armes s’organisent ;
les équipes de mercenaires se mettent en place. Le colonel Ojukwu
établit à Paris le Biafra Historical Research Center où travaillent
Bob Denard et Roger Faulques, qui recrutent d’autres mercenaires,
comme Rolf Steiner, Gildas Lebeurrier ou l’excentrique comte suédois
Carl Gustav von Rosen, et sont informés de l’évolution de la situation
par des hommes en place, comme le commandant Picot. Les présidents
Houphouët-Boigny et Bongo reçoivent le soutien financier de l’Afrique
du Sud et de la Rhodésie et reconnaissent officiellement la république
du Biafra. Se dessine peu à peu un axe tripartite, où l’appui du Vatican
aux chrétiens Ibos du Biafra n’est également pas négligeable. Auprès
d’Houphouët-Boigny, Mauricheau est au cœur de ce dispositif d’aide aux
Biafrais. D’Abidjan, il informe Jacques Foccart de manière permanente
tandis que, de Libreville, le tandem Philippe Lettéron-Pierre Debizet en
fait de même. Le secrétaire général pour les Affaires africaines et malgaches dispose aussi des informations adressées personnellement par les
ambassadeurs en poste : Jacques Raphaël-Leygues en Côte d’Ivoire et
Maurice Delauney au Gabon26. Il peut enfin compter sur les services
secrets du général Jacquier : Maurice Robert, qui coordonne de Paris
l’action des « correspondants » en Afrique, Raymond Bichelot, positionné
à Abidjan, Pierre de La Houssaye, à Libreville, et Louis de Rouvroy de
Saint-Simon envoyé au Biafra.
Ojukwu défait et l’affaire biafraise achevée aux dépens des sécessionnistes, le sémillant « Mathurin » redevient l’éternel Mauricheau-Beaupré.
Il ne cesse pas pour autant ses activités. Depuis la présidence ivoirienne,
et avec l’accord tacite – sinon informel – de Foccart, il reprend son bâton
25. Maurice Vaïsse, La puissance ou l’influence : la France dans le monde depuis 1958, Paris, Fayard,
2009, p. 308.
26. Correspondance adressée à Jacques Foccart, conservée aux Archives nationales, 5 ag/fpr 181
(Raphaël-Leygues) et fpr 196 (Delauney).

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Jean Mauricheau-Beaupré

Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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de pèlerin au début des années 1970 pour conforter la francophilie des
chefs d’État du pré carré, les anciens comme Tombalbaye et les plus jeunes comme Bongo ou Bokassa. Loin des considérations de la francophonie naissante, Mauricheau cherche à polariser ces nations sous l’égide de
l’éternel « Big Brother » ivoirien… Ce qui lui vaut, un moment, quelques
frictions avec Albert-Bernard Bongo qui juge son action plus centrée sur
le rayonnement politique ivoirien que sur la création d’un ensemble francophone multipolaire (Bongo nourrissant très vite l’ambition de devenir
l’arbitre de l’Afrique centrale)27. Là encore, la tactique de Mauricheau est
simple : secondé très souvent par Gildas Lebeurrier, il prône la consolidation des régimes « amis de la France » par la sécurisation physique de
leurs représentants28. Il recommande également la mise en place d’une
diplomatie ivoirienne (et donc implicitement française) fondée sur une
analyse pragmatique de la situation continentale. Ainsi décide-t-il d’appuyer beaucoup de ses actions depuis l’Afrique du Sud (tant pour des
considérations économiques que stratégiques) dès les années 1960, trouvant sur ce terrain encore l’oreille bienveillante d’Houphouët-Boigny29.
Mai 68 et le « non » au référendum gaulliste d’avril 1969 sonnent pour
lui comme le glas d’une époque, sinon d’un âge d’or. Malgré sa mobilisation pour la défense de son « Charlot », ce militant « plus gaulliste que de
Gaulle » ne peut qu’acter avec une certaine amertume le départ de celui

27. Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, Paris, Fayard-Jeune Afrique, 1997-2001. Foccart effectue
un voyage en Afrique en septembre 1971. Le 7, il a un entretien avec le président Bongo, à Lomé.
« Nous parlons très longuement d’Houphouët, nous parlons de Mauricheau-Beaupré, à qui Bongo
reproche essentiellement d’être plus du côté d’Houphouët que du sien » (t. IV, p. 70).
28. En 1970, au Tchad, malgré les ratés de l’expérience de réforme du ppt-rda avec Lettéron et
Debizet, il confirme le soutien à porter à Tombalbaye, pressé militairement par la rébellion. En accord
avec le colonel Robert et Foccart, il estime que c’est au général Cortadellas, chef de l’escale française
à Fort-Lamy, de reprendre en main l’organisation militaire du territoire. En Centrafrique, il propose
dès la fin des années 1960 à Bokassa la mise en place d’un service de renseignement et de protection
présidentielle (que le service de coopération technique internationale de police refuse in fine d’assumer,
estimant que cette opération n’entre pas dans ses missions). Au Gabon, enfin, Gildas Lebeurrier est
mandaté en 1970 pour étudier, de concert avec Yves Le Braz – chef de la garde présidentielle – un plan
de protection (notamment la mise en place d’une ligne directe) et d’évacuation du président gabonais
de sa chambre au Palais jusqu’au camp militaire De Gaulle. Dans tous ces projets, Mauricheau lance
plus d’initiatives qu’il n’en achève. Cette activité continue toutefois de lui conférer, aux yeux des présidents africains, une autorité morale dans le domaine du renseignement et de la sécurité.
29. Dans le Journal de l’Élysée, Mauricheau apparaît clairement comme l’interface entre les
représentants sud-africains à Paris et le secrétariat général pour les Affaires africaines et malgaches.
Le 28 octobre 1969, Foccart note : « L’après-midi, je reçois le ministre de la Défense nationale de la
République sud-africaine, accompagné de deux ou trois collaborateurs, et Mauricheau-Beaupré. Le
ministre me remercie beaucoup de tout ce que je fais pour essayer de sortir la République sud-africaine
de son état d’isolement du fait de l’apartheid. Cette conversation est intéressante » (t. III, p. 139). Deux
ans plus tard, le 17 novembre 1971, on trouve un témoignage similaire : « À 11 heures 45, je reçois
Botha, le ministre de la Défense d’Afrique du Sud, envoyé par Mauricheau-Beaupré » (t. IV, p. 143).
En outre, Mauricheau recommande notamment à Philippe Lettéron, alors conseiller de Tombalbaye,
de chercher dans le marché sud-africain les débouchés nécessaires du coton pour relancer l’économie
tchadienne. Sur les relations franco-sud-africaines, voir Anna Konieczna in Revue d’histoire diplomatique,
2009-4.

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Jean Mauricheau-Beaupré

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qu’il considère comme le père de la nation30. Orphelin ? Mauricheau jouit
encore de la confiance de Foccart sous la présidence pompidolienne, mais,
au fil des ans – et a fortiori après la dissolution du secrétariat général des
Affaires africaines et malgaches en mai 1974 –, l’homme s’ancre définitivement aux côtés d’Houphouët-Boigny, qui reste pour lui le meilleur
rempart africain de la grandeur de la France.
Queue de comète de la politique foccartienne en Afrique ? Réseau
sans tête ? Sans répondre à de telles questions, force est de constater que
Mauricheau émerge dans les années 1970 comme l’un des héritiers d’une
fraction de cette politique, maintenant des contacts avec le colonel Robert
(devenu le chef du service de renseignements d’Elf) ou ses correspondants
(comme le journaliste Paul Ribeaud)31. La légende noire prend le dessus
et Mauricheau, coupé de la France, est réduit à incarner la face cachée des
« réseaux Foccart » jusqu’à sa mort… et dans les mémoires. Ainsi retrouvet-on sa trace dans la crise au Liberia. Fringant septuagénaire, Mauricheau
est dénoncé comme un des intrigants de ce désordre, jouant la carte de la
déstabilisation régionale pour renforcer la place de la Côte d’Ivoire.
C’est moins quarante ans de « coups » et d’action que l’Afrique ellemême qui s’avère fatale à « jmb ». Rentré « un peu grippé » à son domicile de Sainte-Gemme, à l’occasion d’une de ses rares escales en France,
il décède en dix jours, le 28 novembre 1996 à 5 heures du matin32. Il est
enterré au cimetière du Père-Lachaise le surlendemain.
*
**

30. Le rôle de Mauricheau pendant les événements de Mai 68 est peu connu. Par le Journal de
l’Élysée, nous savons qu’il est présent à Paris auprès de Jacques Foccart. Le 19 mai, il propose de créer
une commission comprenant les autorités universitaires, les parents d’élèves, les étudiants, et de la faire
travailler directement sous la direction du général de Gaulle. Foccart le note et commente cette idée :
« Elle est peut-être valable, mais ce n’est pas dans le style du Général et on ne pourra pas le faire » (t. II,
p. 114). Le 28 mai, au plus fort de la crise, alors que Georges Pompidou vient de signer les accords de
Grenelle, que François Mitterrand propose la création d’un gouvernement intérimaire et que le général
de Gaulle s’apprête à disparaître, Foccart témoigne : « Dans la matinée, je suis harcelé par MauricheauBeaupré qui me demande ce que l’on fait, et par Barberot, entré dans mon bureau comme un volcan
en disant : “C’est insensé, je n’ai ni essence ni moyens, j’ai des hommes et je ne peux rien faire”. Je
me débats avec Messmer, depuis que l’essence manque, pour avoir des bons pour les gens du Service
d’action civique, de Mauricheau, de Barberot et d’autres types. Je fais ce que je peux pour répondre
aux demandes de chacun, pour soutenir les uns et calmer les autres. C’est vraiment très dur » (t. II,
p. 139). On peut avancer, avec précaution, l’hypothèse selon laquelle Mauricheau aurait servi d’intermédiaire au recrutement des mercenaires d’Afrique, mieux connus en mai 1968 sous leur surnom de
« Katangais » (en référence à leur expérience mercenariale fondatrice sous les ordres de Tshombé), pour
participer aux opérations de maintien de l’ordre.
31. Alexandre de Marenches et Christine Ockrent, Dans le secret des princes, Paris, Stock, 1986,
p. 157. Le comte de Marenches, devenu directeur général du sdece, ordonne une enquête sur les activités africaines de Mauricheau, considéré comme « le barbouze » par excellence.
32. Correspondance et entretien avec Mme Schroeder, 30 juin 2008. Les causes précises de sa mort
ne sont pas établies. Son décès est attribué à une crise aiguë de paludisme ou à une fièvre africaine
mal identifiée.

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Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste

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Dès les années 1960, une légende noire s’est forgée autour de l’action
de Jacques Foccart et de ses soi-disant « réseaux » en Afrique, légende assise
par les ouvrages de Pierre Péan33, dont l’un des objectifs est la délégitimation du pouvoir gaulliste. Il ne fait pas de doute que le secrétaire général
pour les Affaires africaines et malgaches de la présidence de la République,
qui voyait quotidiennement le chef de l’État, a entretenu le mystère par sa
longévité, son refus de tout engagement électif, son obstination à ne pas
répondre aux attaques. Il est également certain que Jacques Foccart adossait
son action aux apports constructifs de ses cercles de relations, d’origines
diverses (essentiellement issues de la Résistance, des anciens combattants et
du milieu gaulliste) et plus ou moins discrètes34.
Jean Mauricheau-Beaupré incarne pour beaucoup – à commencer
pour les collaborateurs officiels du secrétaire général aux Affaires africaines
et malgaches – le conseiller occulte de Jacques Foccart. Mais il n’avait rien
d’un clandestin, comme le prouve sa trajectoire que nous avons essayé de
retracer. D’abord proche de Michel Debré, il entre ensuite dans l’orbite
foccartienne jusqu’à prendre, à plus de 45 ans, une dimension essentielle
dans la conduite de la politique africaine de la France et de devenir, sur le
terrain, le point nodal de l’action voulue par le général de Gaulle.
Cet homme de convictions, et par là même d’influence, est avant tout
un homme d’action et de terrain qui protège jusqu’au bout une « certaine
idée de la France » et de sa position dans le monde, quels qu’en soient
les moyens et avec la reconnaissance du plus haut sommet de l’État. En
témoignent les très nombreuses occurrences (une quarantaine) que l’on
trouve dans le Journal de l’Élysée de Jacques Foccart après septembre 1967
et surtout après l’élection de Georges Pompidou à la tête de l’État, en
juin 196935.
Mais il est difficile d’imposer le sens de l’Histoire. Mauricheau devint
l’archétype des hommes qui, sur le terrain, développèrent et défendirent
ardemment le concept de Communauté franco-africaine, de pré carré que
la France gaullienne rêvait de façonner à son image, et qui se transformèrent en une décennie en symboles de la Françafrique, synonyme d’affairisme et de turpitudes.
Jean-Pierre Bat
Paris I Panthéon – Sorbonne

Pascal Geneste
Archives nationales
33. Pierre Péan, Affaires africaines, Paris, Fayard, 1983 et L’homme de l’ombre, Paris, Fayard, 1990.
34. Voir Jean-François Médard, « “La politique est au bout du réseau”. Questions sur la méthode
Foccart », Cahiers du Centre de recherches historiques, octobre 2002, no 30, p. 99-116.
35. Jacques Foccart en dresse un portrait édifiant le 25 novembre 1968, définissant Mauricheau
comme un « garçon remarquable qui fait un travail considérable avec Houphouët. C’est pour moi
un agent de liaison très précieux, enfin un collaborateur très précieux dans nos relations avec la Côte
d’Ivoire, comme d’ailleurs avec bien d’autres pays » (Journal de l’Élysée, t. II, p. 466). Lorsqu’il reçoit la
Légion d’honneur, le 22 octobre 1969, Jacques Foccart est présent et commente : « Il la mérite bien
pour toute l’action qu’il mène depuis si longtemps » (t. III, p. 138).

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