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À quelles conditions l’histoire d’un pays est-elle en mesure d’aborder les pages sombres du récit national ? Entretien avec l’historienne Hélène Dumas, à partir du cas du génocide des Tutsis au Rwanda, oublié de la première édition de l’Histoire mondiale de la France.
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Dans la première édition de l’Histoire mondiale de la France, ni la date de 1994 ni le génocide des Tutsis au Rwanda n’apparaissaient, alors que cette entreprise éditoriale donnait toute sa place au régime de Vichy ou à la guerre d’Algérie. L’oubli sera rectifié dans l’édition de poche, enrichie de quinze textes supplémentaires.
Cet acte manqué est-il symptomatique d’une situation française où le dernier génocide du XXe siècle est négligé, voire occulté, en raison de la proximité des autorités françaises avec le pouvoir génocidaire hutu ? Alors que l’Histoire mondiale de la France a été accusée par les conservateurs de diluer l’histoire nationale en faisant la part trop belle aux apports extérieurs, demeure-t-elle tributaire d’une tendance propre à exalter les grandeurs du pays, comme le faisait le roman national habituel ?
Sans aller jusque-là, se pose la question de ce qui est nécessaire pour qu’un récit historique sache aborder de front les pages sombres d’une nation. Doit-on pour cela attendre des décennies que se fasse le travail du temps ? Faut-il que des chercheurs étrangers s’en emparent, comme il avait fallu le travail de l’Américain Robert Paxton pour mettre en lumière les fautes du régime du Vichy ? Est-il nécessaire qu’une volonté politique spécifique accompagne les chercheurs ?
Dans le cas du génocide des Tutsis, commis pendant une période de cohabitation en France, le verrou politique est d’autant plus fort qu’il concerne aussi bien la gauche que la droite. Comment imaginer alors une reconnaissance officielle de ce qui s’est passé il y a un quart de siècle au « pays des mille collines » aussi forte que celle qui a eu lieu en Belgique ? Pourquoi la dimension militaire de l’opération Turquoise demeure-t-elle si difficile à admettre, alors qu’il est désormais impossible d’y voir uniquement une opération humanitaire ? Où et comment s’écrit aujourd’hui l’histoire du génocide des Tutsis ? Peut-on se prémunir contre les entreprises contemporaines de négation ou de révision de l’Histoire ?
Entretien avec Hélène Dumas, chargée de recherche au CNRS et auteure de Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda (Le Seuil).
