Résumé
Report of the hearing, held on June 2 in front of the Parliamentary Information Mission, of Jean-Hervé Bradol (program manager for MSF) and Bernard Debré (Minister of Cooperation from November 1994 to May 1995).
Citation
La Mission d'information sur le Rwanda a auditionné hier Jean-Hervé Bradol, responsable de programme pour Médecins sans frontières (1), et Bernard Debré, ministre de la Coopération de novembre 1994 à mai 1995. Deux médecins. L'un est un homme de faits et l'autre, un homme de certitudes. Leurs approches diffèrent, leur conclusion est la même: la France a mené au Rwanda une politique pour le moins ambiguë.
En 1994, Bradol est sur le terrain, il décrit un climat politique qui se dégrade. Dès janvier, MSF prépare un plan d'intervention pour répondre aux massacres des civils, qui commenceront effectivement le 7 avril, au lendemain de l'attentat contre l'avion du président Habyarimana. Debré, lui, livre son analyse a posteriori: En arrivant au ministère de la Coopération, il enquête auprès des services de renseignement français. Il a, dit-il, déjà l'idée d'écrire un livre. Il se fait sa religion: c'est le Front patriotique rwandais qui a tiré contre l'avion. Et les missiles ont été «vraisemblablement» fournis par les Etats-Unis. Cette accusation, fondée sur la «conviction» de l'ex-ministre, tracasse les députés, qui n'ont visiblement pas les mêmes informations. Mais Bernard Debré ne démord pas de sa thèse: au Rwanda comme au Burundi ou dans l'ex-Zaïre, les Tutsis font la guerre pour, c'est le titre de son livre, «le retour du Mwami», ce roi tutsi d'avant le colonialisme. Sur les choix politiques des dirigeants français de l'époque, les deux hommes ont plus que des réticences. Le 19 mai 1994, en plein génocide, MSF est convoqué à la cellule Afrique de l'Elysée. Les médecins demandent de l'aide, on leur fait un exposé sur l'Afrique. Avec une «légèreté» qui étonne Bradol, le conseiller Bruno Delaye explique qu'il n'arrive pas à joindre au téléphone les responsables rwandais. Le 14 juin, MSF rencontre François Mitterrand: «Le discours a totalement changé.» Le Président traite le gouvernement intérimaire de «bande d'assassins» et dit de la veuve Habyarimana, que la France a exfiltrée et généreusement financée pour s'installer à Paris, qu'«elle a le diable au corps». Il annonce l'opération humanitaire Turquoise. «Ce n'est pas avec des médecins et des caisses de biscuits qu'on s'oppose à des assassins», s'insurge Bradol, qui s'étonne qu'Edouard Balladur et ses ministres se soient dits «fiers» de Turquoise lors d'une précédente audition.
Bernard Debré, lui, dit clairement pour la première fois que François Mitterrand souhaitait une intervention française sur l'ensemble du territoire rwandais et que son Premier ministre Edouard Balladur s'y est refusé. La proposition du Président, dit-il, revenait indirectement à réinstaller les Hutus au pouvoir. C'était dans ce qu'il appelle «la logique mitterrandienne», celle d'une idée de la démocratie fondée sur la majorité (hutue). La France est coupable, dit-il dans son livre, de s'être entêtée dans cette illusion, en couvrant en son nom les crimes de la majorité. Et peut-être en les aidant par des livraisons d'armes. «En juillet 1994, j'ai posé la question à Mitterrand à Cochin, dit le chirurgien. Réponse: "Vous croyez que le 7 avril le monde s'est réveillé en se disant le génocide commence?» «J'ai pris cette phrase ambiguë, poursuit Debré, comme une possible affirmation que des armes avaient été livrées après le début du génocide.».
(1) Pour lire toutes les auditions de la mission sur le Rwanda: http://www.paris.MSF.org/