Citation
Deux affaires portaient sur le droit d’accès aux archives du Président François Mitterrand pour la période du génocide intervenu au Rwanda, pour lequel l’attitude de la France donne lieu à des interprétations contradictoires (sauveurs et arrêteurs de massacres ? ou protecteur des massacreurs ? ou un peu des deux ?). En ces domaines, autrefois, s’appliquait un droit simple : les archives publiques étaient ouvertes au delà d’un certain délai, lui-même un peu complexe. Point.
Puis vint la décision n° 2017-655 QPC, en date du 15 septembre 2017, par laquelle le Conseil constitutionnel a posé qu’est garanti constitutionnellement (art. 15 DDHC ; art. 10 CEDH) le droit d’accès aux documents d’archives publiques, avec possibilité pour le législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. S’en suivit l’adoption de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 conduisant à la formulation actuelle de l’article L. 213-4 du code du patrimoine. Vient maintenant le moment de donner le mode d’emploi concret de ce texte à la lumière des exigences constitutionnelles posées par le Conseil constitutionnel. Or, l’affaire qui donne lieu à cette application est tout sauf neutre. Le requérant, auteur de plusieurs ouvrages consacrés au rôle de la France au Rwanda pendant les événements liés au génocide perpétré en 1994, s’était vu opposer le refus du ministère de la culture pour consulter les documents déposés par le Président de la République alors en fonctions, François Mitterrand, aux Archives nationales. Ce refus tirait les conséquences de l’opposition émise par la mandataire désignée par l’ancien Président de la République. Ces archives, comprenant notamment des notes rédigées par les conseillers du Président et des comptes-rendus de réunions du Gouvernement, sont en effet couvertes par un protocole qui ne prévoit leur ouverture générale au public que 60 ans après sa signature, en 2055. Le Conseil d’État rappelle qu’une consultation anticipée est toutefois possible sur autorisation de la mandataire. Le Conseil d’Etat pose en ce domaine que la protection des secrets de l’État doit être mise en balance avec l’intérêt d’informer le public sur ces événements historiques. Avec une interprétation plus favorable à la transparence immédiate qu’à l’effet apaisant des distances temporelles entre les événements et leur analyse… Voyons comment. Le Conseil d’État, saisi en cassation et réglant l’affaire au fond, estime que le chercheur a un intérêt légitime à consulter ces archives pour nourrir ses recherches historiques et éclairer ainsi le débat sur une question d’intérêt public. En outre, si les documents en cause comportent des informations sensibles, il s’avère que leur consultation a déjà été autorisée pour de précédents travaux de recherche qui font état de leur contenu et qu’ils ont, pour certains, été rendus publics par le passé. S’agissant d’archives publiques émanant du Président de la République et des membres du Gouvernement, le Conseil d’État précise que l’autorisation de les consulter avant la fin du délai pendant lequel elles ne sont pas librement accessibles est accordée si la consultation de ces documents ne porte pas une atteinte excessive au secret des délibérations du pouvoir exécutif, à la conduite de la politique étrangère et aux intérêts fondamentaux de l’État, que la loi a entendu protéger. En conséquence, après cette mise en balance des intérêts du chercheur et du grand public avec ceux de l’État, le Conseil d’État juge que l’administration doit permettre au chercheur d’accéder à ces archives.
Le Conseil d’Etat pose que ces dispositions doivent être, d’une part, interprétées conformément à l’article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 qui garantit, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 septembre 2017 précitée, le droit d’accès aux documents d’archives publiques et, d’autre part, appliquées à la lumière des exigences attachées au respect de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d’expression duquel peut résulter, à certaines conditions, un droit d’accès à des informations détenues par l’Etat. Dans tous les cas, l’autorisation de consultation anticipée des documents d’archives publiques est accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, en particulier le secret des délibérations du pouvoir exécutif, la conduite des relations extérieures et les intérêts fondamentaux de l’Etat dans la conduite de la politique extérieure. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Et le Conseil d’Etat y va donc de son mode d’emploi en posant que les risques qui doivent être mis en balance sont : • ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en particulier au secret des délibérations du pouvoir exécutif, • la protection qu’appelle la conduite des relations extérieures et la défense des intérêts fondamentaux de l’Etat ou encore à la sécurité des personnes. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics. Et sur ce point, le juge de cassation ne sera pas désarmé. L’appréciation portée par le juge de l’excès de pouvoir sur la proportionnalité de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques le refus opposé, en application du dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code du patrimoine, à une demande de consultation anticipée des archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, est en effet, pose le Conseil d’Etat, soumise, devant le juge de cassation, au contrôle de qualification juridique des faits. Certains reprocheront le caractère timoré de cette décision. Elle nous semble cela dit très balancée, dans son principe. Nul doute que les points à mettre en balance sont ici retracés avec prudence et respect des intérêts à prendre en compte pour notre Nation. Mais il n’en demeure pas moins que la transparence prévaut, avec une minoration le rôle du temps et tranche dans un sens qui privilégie et conduira souvent à privilégier la transparence presque immédiate, avec ses avantages et ses limites. En ce domaine comme en tant d’autres, la transparence de la maison de verre l’emporte sur le goût du secret, se réjouirons les uns. Au risque de priver notre état de sa raison d’Etat et de son efficacité, et même au delà, au risque de glisser vers une dictature de la transparence en tous domaines, craindront les autres.