Citation
1 La rencontre de Sam Kiley et des militaires français filmée
par CNN
Figure 1 – Sam Kiley montrant un point sur une carte à des militaires français
La rencontre de Sam Kiley, journaliste du quotidien britannique The Times avec des militaires français
le 26 juin a été filmée par l’équipe CNN de la journaliste Christiane Amanpour.
La référence de l’enregistrement de cette émission dans les archives CNN est la suivante :
Date : 06/26/1994
Type : PKG
Rptr : Christiane Amanpour
Tape No : B10726#02
CNN Id : 90318093
Source : CNN
Length : 00 :02 :33 :0
Le résumé est ainsi libellé :
01 :03 :55 :26 - Summary : This country known as the land of 1,000 hills. No Desert Shield,
no Operation Restore Hope, no armored vehicles or heavy weapons. Instead, here a couple of
platoons set off in jeeps to patrol this part of Rwanda, Looking for civilians in need of help.
(0 :00) /
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1 LA RENCONTRE DE SAM KILEY ET DES MILITAIRES FRANÇAIS FILMÉE PAR CNN 2
Ce clip peut être examiné en version “pre-screen” au prix de $150 USD. Sinon son acquisition coûte
$3,500 USD. Il est accessible sur http://www.francegenocidetutsi.org/KileyBucquet26juin1994.
mp4
Un examen du “pre-screen” de ce clip laisse voir une scène où un homme au crâne rasé et à lunettes, qui
pourrait être le journaliste Sam Kiley, montrant sur une carte certains points à des militaires français.
Sa voix est inaudible. La voix off de Christiane Amanpour déclare que les Français : « are strictly a
humanitarian force here to help civilians Tutsi or Hutu. As they venture to do precisely that on unfamiliar
ground, these men on their first reconnaissance patrol pause to take direction from journalists they meet
en route, but when they reach their first stop on this day, they find no needy civilians or refugees » 1
Sam Kiley était correspondant de The Times à Nairobi en 1994. 2
Figure 2 – Sam Kiley. Source : https://corporate.sky.com/file.axd?pointerid=
fbf9066532824cfb9d384298086724c6
L’homme à droite de Kiley est un capitaine (trois galons). Ce n’est ni Marin Gillier des commandos
de fusilliers marins, ni Jean-Rémy Duval des commandos de l’air. Avec son collègue à droite, ils portent
un béret noir avec un insigne en forme d’ancre qui semble être celui du RICM de Vannes. Ce capitaine
pourrait être Éric Bucquet.
Figure 3 – Le colonel Éric Bucquet adjoint “Terre” à l’état-major particulier du Président de la République
(13 juillet 2009). Source : http://www.acteurspublics.com/
1. Traduction de l’auteur : constituent une force strictement humanitaire pour secourir ici les civils tutsi et hutu. Alors
qu’ils se risquent pour ce faire dans ce terrain inconnu, ces hommes, lors de leur première mission de reconnaissance se sont
arrêtés pour se renseigner où aller auprès de journalistes rencontrés en route. Mais quand ils sont parvenus à leur première
halte ce jour-là, ils n’ont trouvé ni civils dans le besoin, ni réfugiés.
2. Sam Kiley est né en 1964 au Kenya. Depuis 2010, il travaille pour Sky News. Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/
Sam_Kiley.
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 3
Éric Bucquet est arrivé le 24 juin au Zaïre. 3 En 2009, avec le grade de général, il est adjoint au chef
d’état-major particulier du Président de la République. En 2012, le général Éric Bucquet est nommé à la
direction des opérations de la DGSE . 4
Le troisième militaire le plus à droite porte un calot avec un insigne de l’armée de l’air. Il semble
aussi avoir trois galons. Il est vraisemblablement chargé de l’appui aérien ainsi qu’en témoigne une photo
publiée dans l’Ancre d’or de janvier 1995. 5
Figure 4 – Le RICM au Rwanda - Préparation de la mission : les appuis aériens sont pris en compte.
Source : Dossier Turquoise, L’Ancre d’or, janvier 1995, p. 18
Des scènes de ce clip sont également visibles sur une vidéo de Associated Press (AP) https://www.
youtube.com/watch?v=dKnEeELKJgE.
2 Autres informations sur cette rencontre
Sam Kiley circulait en compagnie de Scott Peterson, journaliste au Christian Science Monitor et
photographe pour l’agence Associated Press, et Vincent Hugeux de L’Express. 6 Ils ont couvert l’arrivée
des Français de Turquoise à Cyangugu le 23 juin puis sont remontés vers le nord. Le 25 juin, ils étaient
à Kibuye puis sont allés à Bisesero. Le 26, ils ont rencontré un ou deux convois militaires français.
2.1 Le témoignage de Vincent Hugeux
Le 25 juin, ils ont rencontré une troupe de tueurs que Hugeux décrit dans L’Express du 30 juin 1994 :
Le sentier forestier, chaos de rocaille grise et de poussière ocre, grimpe à l’assaut de la
colline, vers Bisesero. De la piste qui, le long du lac Kivu, file plein sud vers Cyangugu, on en
devine à peine les lacets. « Mais il faut y aller, avait glissé dans un souffle un prélat téméraire.
Là-bas, ça continue. Tous les jours. » Lui savait. Lui avait entendu, à un barrage, une bande
d’« interahamwe » – miliciens hutu – se vanter de « retourner au boulot ». Le boulot ? Une
version rwandaise de la « corvée de bois ». La traque frénétique des rescapés tutsi, perdus au
3. Unité blindée, Fiche de renseignement, 12 juillet 1994. (D4314)
4. Jean-Dominique Merchet, DGSE : le général Eric Bucquet à la direction des opérations, Marianne, 20 juillet
2012. http://www.marianne.net/blogsecretdefense/DGSE-le-general-Eric-Bucquet-a-la-direction-des-operations_
a705.html
5. Jean-Claude Lafourcade, Dossier Turquoise, L’Ancre d’Or, janvier 1995. http://www.francegenocidetutsi.org/
AncredOrJanvier1995.pdf
6. Scott Peterson, Me against my brother, Routledge, pp. 283, 286.
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 4
coeur d’un « Hutuland » ivre de pureté ethnique. Dès le premier virage, l’atmosphère s’alourdit.
Nulle âme qui vive. Ici, une case ronde aux murs à demi calcinés, privée de sa toiture. Une
parmi tant d’autres. Plus haut, on peine à dénombrer les maisonnettes isolées, ainsi décapitées
ou léchées par les flammes. Çà et là, des panaches de fumée suspects tranchent sur le vert
moiré des vallons. Le décor est sinistre, les acteurs inquiétants. D’abord cette cohorte au repos,
militaires et miliciens mêlés. Les uns en treillis, le fusil d’assaut à la hanche ; les autres armés
de machettes, de lances, de serpes, de piques et de gourdins noueux. L’arsenal des massacreurs.
Puis une colonne de paysans. Un « outil » à la main et, sur la tête, un butin de tuiles rondes
ou de tôles ondulées. N’était leurs gestes de victoire, n’était le grotesque salut militaire dont
ils gratifient l’étranger, ces terriens ravis de l’aubaine feraient figures de paisibles bâtisseurs.
Savent-ils au moins que, la veille, une patrouille de « marsouins » français, en route pour
Kibuye, a longé leur royaume ? Là-bas, dans ce bastion d’un pouvoir hutu aux abois, les bérets
verts ont séjourné six heures. 7 Avant de regagner leur base de Bukavu, en territoire zaïrois. 8
Ce témoignage de Hugeux est direct. Il ne s’est pas contenté des informations données par ce « prélat
téméraire » qu’est le prêtre croate Vieko Curic (ou Vjeko Curic). Laure de Vulpian apprend de Hugeux
que ce prêtre était venu à Kibuye le 25 juin à l’occasion de la visite du cardinal Etchegaray, envoyé du
pape. 9 Le cardinal Etchegaray reconnaît effectivement que Curic l’a accompagné lors de sa visite au
Rwanda en juin 1994. 10 Sam Kiley connaissait Curic. 11 Avec ses deux compagnons, Kiley et Peterson,
ils sont montés à Bisesero. S’ils n’ont pas rencontré de survivants, ils sont tombés sur une colonne de
massacreurs et Hugeux nous en décrit les deux composantes. La première est formée de militaires et de
miliciens armés de fusils d’assaut ou d’armes blanches. La seconde est formée de paysans qui d’une main
portent une arme blanche et de l’autre une part de butin.
En 2004, Hugeux revient sur la rencontre avec les militaires français :
Le 25 juin 1994, je parcourais en compagnie de deux confrères – un Anglais et un Américain
– les pistes de Bisesero, chaos de rocaille grise et de poussière ocre. « Il faut y aller, nous avait
glissé peu avant un prêtre croate, établi au Rwanda depuis des lustres. Là-bas, ça continue.
Tous les jours. » Lui avait entendu sur un barrage un gang d’interahamwe se vanter de
« retourner au travail ». Le travail ? Une version hutu de la « corvée de bois ». Le lendemain,
nous croisons une colonne de militaires français accompagnés d’une équipée de reporters.
Aussitôt, l’envoyé spécial du Times, Sam Kiley, et moi-même informons, carte à l’appui, le
capitaine de frégate Marin Gillier, chef du détachement, du carnage en cours sur les hauteurs
voisines. Or trois jours s’écouleront entre la première incursion des commandos de l’air de
Nîmes, relatée par Patrick de Saint-Exupéry dans un reportage saisissant, et le sauvetage des
ultimes survivants. Une source haut placée du ministère de la Défense me confiera plus tard
que la présence de Sam Kiley, soupçonné de collaborer avec les services de renseignement de
Sa Majesté, avait éveillé au sein de la hiérarchie tricolore la crainte d’un « coup tordu ». 12
Vincent Hugeux relate la rencontre avec le convoi français dans L’Express en 1998 :
Le 25 juin, deux jours après le déclenchement de l’opération « Turquoise », l’envoyé spécial
de L’Express se rend en compagnie d’un photographe américain et d’un confrère du Times
de Londres dans les collines de Bisesero, où les tueurs hutu traquent les paysans tutsi. Sur le
chemin du retour, le trio croise un groupe de journalistes emmenés par des officiers français,
aussitôt avisés. 13
7. Cette précision, « les bérets verts », fait penser que ces marsouins sont ceux du commando Trepel de fusiliers marins
commandés par Marin Gillier qui sont passés à Kirambo la veille, 24 juin, mais ne seraient pas parvenus jusque Kibuye.
8. Vincent Hugeux, Les oubliés de Bisesero, L’Express, 30 juin 1994, p. 42. http://www.francegenocidetutsi.org/
LesOubliesDeBiseseroExpress30juin1994.pdf
9. Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise - Rwanda, 1992-1994 - Responsabilités de l’État français
dans le génocide des Tutsi, Don Quichotte, p. 250.
10. Roger Etchegaray, L’assassinat du Père Vjeko Curic, 2 février 1998. http://www.francegenocidetutsi.org/
EtchegarayAssassinatCuric2fevrier1998.pdf
11. Sam Kiley, ‘I saw hills covered with bodies resembling lawns of flesh’., The Times, 14 mai 1994. http://www.
francegenocidetutsi.org/LawnsOfFleshKiley14May1994.pdf
12. Vincent Hugeux, Dix ans après le génocide, Retour à Bisesero, L’Express, 13 avril 2004. (D15821)
13. Vincent Hugeux, Rwanda : Pourquoi tant de gêne ?, L’Express, 12 février 1998, p. 76. http://www.
francegenocidetutsi.org/HugeuxExpress12fevrier1998.pdf
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 5
Lors de son audition, Vincent Hugeux confirme la rencontre du père Vieko le 25 juin à Kibuye et
évoque sa découverte à Bisesero. À la question du juge, « vous êtes-vous rendu à Bisesero en 1994 ? », il
répond :
Oui, nous y sommes allés à trois. A l’époque, il y avait sur place un envoyé spécial du
Vatican, Monseigneur Etchegarray, par hasard. Le 25 juin, nous sommes tombés sur cette
délégation au sein de laquelle j’ai pris contact avec un religieux qui s’appelait le père Vjeko,
d’origine croate qui vivait au Rwanda depuis plus de 20 ans et qui parlait parfaitement le
kinyarwanda. Celui ci me dit “est ce que vous voulez voir ce qui se passe vraiment ?”. Je lui
réponds “oui, nous sommes là pour ça”. Il m’a indiqué qu’il fallait qu’on fasse demi tour et
continuer sur 10 km sur la route principale puis prendre un chemin rocailleux sur la gauche
pour arriver à Bisesero. Nous y sommes partis immédiatement. Nous avons passé plusieurs
barrages, je mettais en évidence mon passeport français et non celui de mes confrères américains
et anglais, à ce moment là, les Français étaient considérés comme des sauveurs par les
miliciens. Je me souviens qu’au cours de ce séjour, un des miliciens à un barrage, avait cru
reconnaître en moi l’un de ses instructeurs parachutistes. Ce qui nous a frappé c’est qu’en
montant vers la colline de Bisesero c’est qu’on ne voit rien, il y a un grand silence, on aperçoit
des fumées d’incendie venant de cases. Plus on avance plus on croise des groupes assez disparates,
armés de machettes, gourdins, kalashnikov. On était dans un climat de retour de corvée
de bois. Je constate que certains semblent transporter un butin comme des tuiles, des taules
ou du matériel agricole, du bétail. En revanche, à la différence de nos confrères un peu plus
tard, nous ne voyons ce jour là ni cadavres apparents ni de civils en fuite. Après avoir patienté
un moment au sommet de cette colline nous avons décidé de faire demi tour. Je n’y suis pas
retourné en juillet, je n’y suis revenu que 10 ans après, en mars-avril 2004. (D15823/2)
Le juge interroge Hugeux sur sa rencontre du 26 juin avec des militaires français :
QUESTION : dans votre article publié le 12 avril 2004 (D15821/5) vous écrivez que le
26 juin vous avez croisé une colonne de militaires français accompagnés d’une équipée de
reporters. Pouvez-vous nous préciser le lieu de cette rencontre, les noms des journalistes qui
vous accompagnaient et ceux des reporters qui suivaient cette colonne ?
RÉPONSE : c’était sur la route, entre deux villes. On continuait à rayonner entre Kibuye
et Cyangugu. Nous étions encore tous les trois. Ce dont je me souviens c’est que dans ce
groupe, il y avait plusieurs confrères et consoeurs que je connaissais dont Patrick De Saint
Exupéry qui participait à un voyage de presse organisé par le SIRPA. Il y avait aussi une
consoeur de la télé mais je ne me souviens plus de son nom, peut être Isabelle Baillancourt
ou Dorothée Ollieric. C’était la mi-journée. Le 26 car c’était le lendemain de notre expédition
à Bisesero. Nous nous sommes adressés à l’officier qui m’est apparu comme le plus gradé, un
capitaine, et nous attirons son attention sur ce qui nous apparaissait comme une situation
d’extrême urgence dans la zone que nous avions visité la veille, le Père Vjeko avait insisté sur
la gravité et l’actualité des massacres. Je me souviens avoir déployé une carte en essayant de
lui montrer l’endroit où nous étions la veille et l’incitant à transmettre cette information à sa
hiérarchie pour une intervention sans délai. Dans notre esprit, il allait appeler sa hiérarchie
pour qu’il y ait une intervention immédiate sur Bisesero. Ensuite, chacun a poursuivi sa route
en s’éloignant.
QUESTION : vous souvenez vous du nom de cet officier et à quel corps il appartenait ?
RÉPONSE : je ne m’en souviens pas à cet instant.
QUESTION : quelle a été la réponse de l’officier à l’information que vous lui avez donné ?
RÉPONSE : dans mon souvenir, il a eu une réponse standard du style “je transmettrai”.
Quand à mon retour à Paris j’ai appris que la réaction avait tardé, j’ai pris contact avec
des officiers que je connaissais et on m’a indiqué que le fait d’être accompagné de confrères
américain et britannique a pu susciter un doute. Plus tard, on m’a assuré que Kiley était
suspecté d’être un agent du MI6.(D15823/2)
Isabelle Baillancourt est une journaliste de télévision travaillant à TF1. Hugeux la confond-elle avec
Christiane Amanpour de CNN?
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 6
Alors que Hugeux dit ne pas se souvenir du nom de cet officier, le juge lui fait remarquer qu’il a écrit
avoir rencontré Marin Gillier :
QUESTION : dans votre article du 12/04/04, vous dites avoir conversé avec le capitaine
de frégate Marin Gillier. Est-ce l’officier dont vous parliez ?
RÉPONSE : je ne peux pas affirmer avec certitude que ce jour là j’ai conversé avec le
dénommé Marin Gillier. C’était ma conviction au moment où je l’ai écrit, ce nom figure dans
mon carnet. Je vais chercher ce carnet que j’ai mis à l’abri en 2004 compte tenu de la polémique
qui enflait sur Bisesero. J’admets avoir un doute sur l’identité de cet officier compte tenu de
la vigueur de sa réaction telle que l’on me l’a rapportée.
Ce doute de Hugeux sur l’identité de l’officier est troublant. À moins qu’il y ait eu deux rencontres,
l’une avec Marin Gillier et l’autre avec un officier dont il n’a pas retenu le nom et qui serait Éric Bucquet
d’après cette photo extraite du clip CNN.
2.2 Le témoignage de Scott Peterson
Peterson décrit une rencontre avec des tueurs qui semble être la même que celle évoquée par Hugeux :
Buoyed by the protective French presence, the interahamwe militia and army pressed on
with their genocidal work. Far away from the main road, even farther away from the first
French reconaissance teams, we came across a group walking up a hill on a mission of killing.
Most of the 50 men and boys strung out along the road carried machettes, hardened clubs,
and grenades. They had already decimated many Tutsi houses and carried away stacks of roof
tiles and corrugated iron on their heads. Thinking we were French, they waved and smiled as
we drove by, shamelessly oblivious of their daily destruction. Among them were government
soldiers, “working” side by side with them to conclude the genocide.
At sunset, the warm air was thick with smoke, for nearly every one of the 200 houses in
that Tutsi area was burning. Flames licked at the sky as though nothing had changed since
the “Apocalypse of 1959”. 14
Peterson raconte qu’il est frappé par la malaria. Il rejoint Goma où il prend un vol de la Croix rouge
pour Nairobi. 15
2.3 Le témoignage de Sam Kiley
Sam Kiley évoque les massacres qui continuent et la visite du cardinal Etchegaray dans The Times
du 27 juin 1994 :
The slaughter of Tutsi by Rwandan government supporters continued unabated in spite
of a meeting between the government and the Pope’s envoy, who pleaded for an end to the
killings.
When the French troops left Gisenyi, where Cardinal Roger Etchegaray met representatives
of the Rwandan government, houses continued to burn in the commune of Bisesero, ten miles
inland from Lake Kivu near Kibuye. A source close to the cardinal said that his plans this
week included meetings with members of the rebel Rwandan Patriotic Front. 16
Il relate cette rencontre du 26 juin 1994 avec des militaires français en 1998 :
The troops, Marine commandos under the command of Captain Marin Gillier, had been
told of the plight of the Tutsis in Bisesero, a hillside hamlet near lake Kivu, by “The Times”
on the day they arrived in Rwanda on June 26, 1994, as part of Operation Turquoise, a
humanitarian mission backed by the United Nations. The aim of the mission led by the
French was to prevent continuing massacres of Tutsis and Hutu moderates. But events at
14. Scott Peterson, op. cit., pp. 285-286. http://www.francegenocidetutsi.org/PetersonMeAgainstMyBrothers284-287.
pdf
15. Scott Peterson, op. cit., p. 287.
16. Sam Kiley, UN dithers on Rwanda rescue as Tutsi hail French troops, The Times, June 27, 1994, p. 11. http:
//www.francegenocidetutsi.org/KileyTimes27June1994.pdf
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 7
the time and subsequent revelations, which have prompted the French Government to open
a parliamentary inquiry into the actions of its troops in Rwanda, indicate a high level of
collusion with the Hutu killers. “The Times” gave the map coordinates of Bisesero to the
French and said, after a frightening tour of the area : “Large numbers of Tutsis are being
killed as we speak. You must go in and stop them.” This encounter was filed and broadcast
by CNN.
The French commandos did drive into Bisesero. But they did nothing to save lives. Instead,
they entered the area accompanied by people identified as leading members of the
Interahamwe, the genocidal hutu militia, and at first refused to believe that the Tutsis were
in danger. Hutu leaders had told Captain Gillier that the Tutsis were “infiltrators” from the
Tutsi-led rebels of the Rwandan Patriotic Front (RPF). 17
Il y a un désaccord apparent entre ce récit de Kiley et ce reportage de CNN. Kiley dit avoir informé
Marin Gillier des commandos de marine alors que ce n’est pas lui à qui il s’adresse dans le reportage de
CNN. Est-ce une erreur de Kiley ou est-ce que Kiley a rencontré deux convois, celui de Bucquet et un
autre avec Marin Gillier ?
Alors que Peterson, qui était tombé malade, rejoint Goma, Kiley, lui, reste dans la zone et fait équipe
avec Michel Peyrard de Paris-Match. Le 30 juin, de Gishyita ils montent à Bisesero, précédant le convoi
de Gillier. Il paraît étonnant qu’il confonde Gillier et Bucquet. Ou alors il les a rencontrés tous les deux
et ne nomme que Gillier car il l’a revu le 30 juin.
2.4 Le témoignage de Patrick de Saint-Exupéry
Des journalistes accompagnaient le convoi de Bucquet : Corine Lesnes, Patrick de Saint-Exupéry,
Dominique Garraud et Christophe Boisbouvier.
Patrick de Saint-Exupéry évoque cette rencontre dans le récit de son voyage de Goma à Kibuye en
compagnie d’un convoi militaire français :
Rencontré au détour d’un virage, un journaliste anglais du Times explique : « Ils continuent
de brûler des maisons et tuer des gens. J’étais hier à Bigabiro, et j’ai vu brûler deux cents
maisons. Il y avait également des pillages et des exactions. Chaque soir des gens étaient
exécutés. » Le capitaine Becquet prend note, il ne peut rien faire tout de suite : « Je rendrai
compte ce soir au commandement à mon retour de mission. » 18
Il faut lire Bisesero au lieu de Bigabiro et Bucquet au lieu de Becquet.
Dans son audition à la police judiciaire, Patrick de Saint-Exupéry n’évoque pas cette renconter du 26
juin. (D4002-D3997, D4018-D4014)
Dans son audition par le juge, il déclare à propos de cette rencontre le 26 juin :
Je revenais du Rwanda, j’étais de passage à Paris et j’ai profité d’un vol militaire avec un
certain nombre de journalistes et nous arrivons à Goma au Zaïre le 25 juin en journée. Je me
mets avec deux autres journalistes en arrivant à Goma, Dominique Garaud, éditorialiste à la
Nouvelle République du Centre et Christophe Boisbouvier de RFI. Nous louons un minibus le
26 au matin avec un chauffeur Zaïrois. Nous partons tous les 3, en suivant un convoi militaire,
5, 6 véhicules. Nous pénétrons sur le territoire rwandais par le poste de frontière de Goma.
A un moment donné, nous avons croisé une voiture de journalistes qui se sont mis à discuter
avec le chef du convoi, parmi eux se trouvait Vincent Hugeux de l’Express. C’est lui qui parle
de Bisesero au responsable du convoi. Je l’avais oublié, mais quand Vincent m’en a parlé il y
a une dizaine d’années, cela m’est revenu. Je suis présent à cette conversation, de mémoire,
Vincent Hugeux et un autre journaliste ont une discussion sur un capot de voiture autour
d’une carte et Hugeux donne un certain nombre d’explications et fait un topo de ce qu’il a
traversé ou entendu. Je ne me souviens plus du nom de l’autre journaliste. Je ne me souviens
pas que cet autre journaliste se soit exprimé. Lorsque Vincent Hugeux m’a rappelé cet épisode,
ce sont des images qui me sont revenues en mémoire, mais je ne me souviens pas des mots
exacts, ni des explications qui ont été fournies par Hugeux. Plusieurs choses s’additionnent, il
17. Sam Kiley, French ‘turned blind eye’ to Tutsi massacre, The Times, April 3, 1998, p. 17.
18. Patrick de Saint-Exupéry, Un accueil sous les vivas, Le Figaro, 27 juin 1994, p. 2.
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 8
y a une conjonction de facteurs, il faut quitter ce convoi militaire, Kibuye s’impose, car c’est
un endroit où il n’y a pas d’information, il n’y a rien. Nous sommes sans doute influencés
par le mot Bisesero et par la description que Vincent en a faite. A priori, si Vincent Hugeux
dit qu’il a entendu parler de Bisesero et que nous nous sommes dirigés vers Kibuye, il semble
évident qu’il a été parlé de cela lors de cet échange. Quand nous étions partis le matin de
Goma, nous n’avions pas fixé l’objectif d’aller à Kibuye. (D15925/2)
Le juge lui demande si Marin Gillier est le même homme qu’il a rencontré le 26 juin :
LE JUGE : Vous avez donc rencontré Marin Gillier, le 1er juillet 1994, sur le site de
Bisesero, était-ce le même homme que celui que vous avez rencontré le 26 juin en pénétrant
sur le territoire rwandais ?
RÉPONSE : Non, je ne l’ai pas reconnu, mais cela n’exclut pas que ce soit le même homme,
mais j’ai écrit un papier le 27 ou le 28 juin ou j’évoque l’entrée de la colonne sur le territoire
rwandais et il est possible que j’ai indiqué le nom de l’officier qui commandait le convoi. Je
vais faire les recherches nécessaires. (D15925/9)
Patrick de Saint-Exupéry fait allusion à son article dans Le Figaro du 27 juin, déjà cité. Il n’y donne
pas le nom de l’officier.
2.5 Le témoignage de Dominique Garraud
Dominique Garraud relate la rencontre dans Libération en 1994 :
Sur les bords de l’immense lac Kivu, qui marque la frontière avec le Zaïre, la guerre est
toute proche. Les villageois assurent que le FPR assiège la ville de Gitarama. Au sud, à 20
kilomètres à l’est de Cyangugu, dans la région où se trouverait un camp de réfugiés hutus
comptant plus de 100 000 personnes, le village de Bigabiro aurait été incendié et ses habitants
massacrés. 19
Garraud ne dit pas qui donne l’information sur le « village de Bigabiro » (lire Bisesero). Mais dans
sa déposition, il déclare au juge :
Je suis parti en avion militaire avec un groupe de journalistes essentiellement Français.
Nous avions été pris en charge par le SIRPA. Nous sommes arrivés le 20 ou le 21 juin 1994 à
Goma au Zaire.
Entre notre arrivée et notre départ sur le terrain, nous avons accompagné un détachement
militaire Français qui part de Goma en direction de Kibuye dans le centre du Rwanda.
Avec mes collègues Patrick de Saint-Exupéry du Figaro et Christophe Boisbouvier de RFI,
nous avons loué un véhicule à Goma ce qui nous permettait de quitter le convoi militaire pour
rejoindre Kibuye où se mettait un détachement de Forces militaires spéciales ayant un rôle de
précurseur.
Avant d’arriver à Kibuye le 26 juin au soir, nous avons rencontré Vincent Hugeux de
l’Express, qui se trouvait avec un collègue du Times. Ils partaient de la région de Kibuye pour
retourner à Goma. Il nous a appris qu’il avait entendu dire que des massacres continuaient
dans les collines aux alentours de Kibuye qui s’est avéré être Bisesero.
Arrivés à Kibuye, nous nous sommes rendus au camp militaire Français d’environ une
soixantaine d’hommes commandés par le Colonel « Diego » et qui provenaient des Commandos
de l’Air de Nimes et de parachutistes de la Gendarmerie intégrés au Forces spéciales.
Nous faisons part au Colonel des informations communiquées par notre confrère Hugeux.
Nous sommes toujours le 26 juin au soir.
Le colonel « Diego » à [sic] l’air de découvrir cette nouvelle et il regarde sur une carte à
quel endroit se trouve Bisesero.II nous indique au cours de la discussion, qu’éventuellement il
ira faire une reconnaissance le lendemain et qu’il accepte que nous l’accompagnions. 20
Ce colonel Diego est le lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval des commandos de l’air (CPA 10).
19. Dominique Garraud, Rwanda : L’armée française avance à pas comptés, Libération, 27 juin 1994, p. 16. http:
//www.francegenocidetutsi.org/GarraudSmithFriletLiberation27juin1994.pdf
20. Déposition de Dominique Garraud, 2 juin 2006 (D4030).
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 9
2.6 Le témoignage de Christophe Boisbouvier
Boisbouvier déclare lors de sa déposition à la police judiciaire :
J’ai été l’envoyé spécial de RFI au Rwanda afin de couvrir la mission de l’opération Turquoise.
J’ai du partir le 24 juin 1994 pour arriver le 25 à Goma (ex Zaire) et traverser la
frontière en suivant une colonne de Turquoise, à bord d’un véhicule civil. Je suis parti seul en
tant que reporter radio, c’est-à-dire muni d’un magnétophone et d’une valise satellite. Et à
bord de ce véhicule civil, qui était conduit par son propriétaire à savoir un zairois de Goma,
se trouvaient trois journalistes : Saint Exupery, Garraud et moi.
Nous avons roulé toute la journée pour arriver le 25 au soir à Kibuye ville située au centre
Ouest du Rwanda sur le lac Kivu. Nous avions alors dépassé la colonne française qui était
restée dans les environs de la frontière. (D4034)
Il confirme qu’avec les autres journalistes ils ont suivi une colonne de Turquoise. Il affirme qu’ils sont
arrivés à Kibuye, ce qui est en contradiction avec les autres témoignages. Il ne parle pas de la rencontre
avec Kiley.
2.7 Le témoignage de Corine Lesnes
Corine Lesnes décrit un convoi du RICM qui se dirige de Gisenyi à Kibuye dimanche 26 juin. Mais,
curieusement, elle dit que ce convoi retourne le soir au Zaïre. Il semble être commandé par le lieutenant
Dominique Arrambourg. 21 Est-ce le même convoi ? L’explication est donnée par ce lieutenant Arrambourg.
En raison du mauvais état de la piste vers Kibuye, le capitaine Bucquet a décidé de scinder le
convoi en deux, le groupe du lieutenant Arrambourg rentrant à Goma. 22
2.8 Le témoignage de Thierry Prungnaud
Thierry Prungnaud révèle dans son livre écrit avec Laure de Vulpian que Marin Gillier a été envoyé
par le SIRPA à la rencontre de journalistes qu’il devait accompagner jusque Kibuye.
Ce jour-là, dimanche 26 juin, le capitaine de frégate Marin Gillier avait abandonné ses
hommes à la demande du Sirpa : il devait prendre en charge un groupe de journalistes fraîchement
débarqués de Paris et les accompagner jusqu’à Kibuye pendant que ses hommes
vaquaient à leurs occupations. Le soir même, il était de retour au camp. 23
Il s’agirait du groupe de journalistes accompagnant le convoi du capitaine Bucquet. Dans sa déposition
au TPIR, Patrick de Saint-Exupéry ne dit pas qu’il a été pris en charge par Marin Gillier jusque Kibuye,
mais qu’au contraire, « les militaires se sont arrêtés pour une raison que j’ai oubliée et donc, nous avons
continué par nous-mêmes et là, le voyage est devenu un peu plus compliqué. » 24 Gillier serait donc allé
à la rencontre des journalistes pour prendre le relais de Bucquet qui s’arrêtait à Rubengera. 25 Laure de
Vulpian tente de reconstituer cette ou ces rencontres des journalistes Kiley, Hugeux et Peterson avec les
militaires français en faisant quelques erreurs :
Dimanche 26 juin [...]
En route, ils croisent une colonne française. En tête le capitaine Bucquet du RICM qui
va s’installer à Rubengera. Derrière lui, les véhicules qui doivent être « livrés », notamment à
Diego. Pour l’heure, les P4 sont occupées par des journalistes fraîchement débarqués de Paris
et que l’armée convoie. La caravane s’immobilise, les hommes mettent pied à terre. Les trois
21. Corine Lesnes, Les ambiguïtés de l’opération « Turquoise », Le Monde, 28 juin 1994, p. 7. http://www.
francegenocidetutsi.org/LesnesAmbiguiteTurquoise28juin1994.pdf
22. Capitaine Arrambourg, Le 1er escadron du RICM à Gisenyi. Cf. L’Ancre d’Or, janvier 1995, p. 23. http://www.
francegenocidetutsi.org/AncredOrJanvier1995.pdf#page=11
23. Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, op. cit., p. 129.
24. Audition de Patrick de Saint-Exupéry au procès de Clément Kayishema, TPIR, 18 novembre 1997, pp. 122–124.
http://www.francegenocidetutsi.org/transcript-18111997-fr.pdf#page=122
25. Le rapport Mucyo affirme qu’un détachemant sous les ordres du capitaine Bucquet est arrivé secrètement le 23 juin
à Rubengera. Est-ce une confusion avec le 26 juin ? Cf. Rapport Mucyo, pp. 206-229. http://www.francegenocidetutsi.
org/RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=212
2 AUTRES INFORMATIONS SUR CETTE RENCONTRE 10
journalistes racontent alors aux deux officiers leur rencontre de la veille, à Bisesero, avec un
groupe de « massacreurs ». Marin Gillier prend l’information très au sérieux. Il demande à
Vincent Hugeux de lui situer précisément sur la carte qu’il a dépliée sur le capot de sa P4. Le
journaliste s’exécute.
Face à cette scène et aux premières loges, Christophe Boisbouvier, Dominique Garraud et
Patrick de Saint-Exupéry, qui sont dans la « caravane » médiatique. Attentifs, ils ne perdent
pas une miette de l’échange entre les officiers et leurs trois confrères. 26
Le convoi du capitaine Bucquet n’amène pas des véhicules pour les commandos de l’air de Duval alias
Diego. Ces véhicules n’arriveront que le 29 juin sous la responsabilité du sergent-chef Gallet, d’après le
Cahier des opérations du CPA 10 (D15811/7).
Il y a confusion avec le convoi de Gillier qui amène deux P4 des gendarmes à Kibuye en venant de
Kirambo le 26 juin.
Les journalistes n’occupent pas les P4 puisqu’ils ont loué leur propre véhicule à Goma.
Marin Gillier et Éric Bucquet ont-ils voyagé ensemble ? Rien ne le confirme. Etaient-ils ensemble
quand ils ont rencontré Hugeux, Kiley et Peterson ? Rien ne l’indique. Il semble plus probable que ces
trois journalistes ont rencontrés Gillier et Bucquet à des moments différents.
2.9 Le témoignage de Marin Gillier
Dans son compte rendu de mission Turquoise, 27 Gillier note pour le 26 juin :
Dimanche 26
0600 : départ vers le camp de Kirambo de KTP et 4 GSIGN.
0930 : arrivée au camp, mise ne place d’un dispositif de protection. Une escouade poursuit
sur Kibuye avec le reliquat de gendarmes. (D3200)
Gillier a-t-il fait partie de cette escouade ? Il dit bien qu’elle amène à Kibuye des gendarmes du
GSIGN. Ceci explique que Duval dispose de deux jeeps P4 que l’on voit rouler dans Kibuye le 26 juin. 28
Lors de sa deuxième déposition de témoin assisté Marin Gillier reconnaît qu’il a rencontré des journalistes
dont Sam Kiley au crâne rasé :
Question : certains témoins prétendent que vous étiez en mesure de savoir ce qui se passait
vraiment sur les collines de Bisesero avant le 30 juin, voire que vous le saviez. Ainsi, Vincent
Hugeux, à l’époque grand reporter à “L’Express”, explique (D15823/2) qu’il a rencontré, le
26 juin, entre Kibuye et Cyangugu, une colonne militaire, qu’il s’est adressé au capitaine qui
commandait ce détachement pour l’informer que des massacres se poursuivaient sur Bisesero.
Il a relaté cet épisode dans un article publié le 12 avril 2004 (015821/5). Patrick de Saint
Exupery, grand reporter au “Figaro”, se souvient de cet échange (D15925/2), il en fait état
dans un article paru le 18 mars 2006, où il vous cite nommément (D4162). Dominique Garaud,
envoyé spécial au journal “Libération”, évoque également cet échange avec Hugeux le 26 juin
1994, et confirme que l’information a été donnée que des massacres étaient en cours dans les
collines aux alentours de Kibuye (D4029). Cela vous rappelle-t’il quelque chose ?
Réponse : je remarque avec intérêt que les 3 reporters que vous évoquez ont attendu les
années 2000 pour tirer la sonnette d’alarme sur de prétendus manquements. Sont-ils pour
autant complices de génocide ? Pour ma part, je ne me souviens plus des journalistes que j’ai
croisés alors, à l’exception d’un Britannique, qui a tout de suite éveillé mon attention car il
avait un comportement similaire aux forces spéciales : crâne rasé, montage de bivouac type
forces spéciales, capacité à se préparer un plat chaud en plein vent, bref j’ai tout de suite été
persuadé qu’il s’agissait d’un SAS en mission de renseignement sous couverture. Le fait qu’il
établisse son campement à proximité immédiate de notre cantonnement, au sud de Gishyita,
m’a également alerté. À longueur de journée, nous recueillions des informations d’origines très
diverses : autorités, populations, ONG, religieux, journalistes, etc. En général, les éléments
qui nous étaient exposés l’étaient de façon relativement floue, ce qui nous paraissait normal
26. Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, op. cit., pp. 255-256.
27. Le capitaine de frégate Gillier, Compte rendu de mission Turquoise, Lorient, 30 juillet 1994. (D3179-D3204)
28. Marine Jacquemin, TF1, 26 juin 1994 à 20 h.
3 À QUI LE CAPITAINE BUCQUET REND-IL DES COMPTES? 11
de prime abord compte tenu de la complexité de la situation. Assez rapidement, c’est à dire
en 3 ou 4 jours, il est apparu que ceux qui étaient très précis et souvent directifs tentaient
de nous induire en erreur. Enfin, tous les éléments d’information qui convergeaient vers nous,
demandaient, sinon exigeaient, des réponses immédiates de notre part en termes sécuritaires,
médicaux ou humanitaires. N’étant pas en mesure de répondre à toutes les sollicitations,
il convenait, pour nous, d’essayer de les prioriser en fonction de l’urgence apparente, de la
crédibilité de la source de l’information mais également de la précision des faits relatés qui
nous permettait ou pas d’espérer apporter une réponse efficiente. Une fois posé ce cadre
général, j’en viens aux journalistes. Certains ont commencé à suivre notre convoi, lorsque
nous sommes entrés au Rwanda pour nous installer dans la région de Gishyita, alors que notre
méconnaissance de la situation tactique nous incitait à la plus grande prudence. Nous avons
constaté des comportements où des journalistes recherchaient le scoop en totale déconnexion
avec notre perception de la situation. J’ai demandé à plusieurs reprises qu’on ne laisse pas
certains de ces journalistes cheminer avec nous. Plus tard, et alors que nous avions installé
notre PC au sud de Gishyita, je me souviens d’une occasion où au moins deux journalistes
sont venus me parler de Bisesero. Parmi les deux, figurait le Britannique. Je me souviens
qu’une carte a été ouverte et étalée sur le capot d’une de nos P4. Le souvenir que j’en ai, c’est
que les éléments présentés alors n’étaient pas d’une grande précision. De plus, j’étais allé peu
avant dans les Balkans où j’avais assisté à des actions des forces spéciales britanniques contre
leurs homologues françaises qui m’avaient semblé indignes. Cela ne m’a pas renforcé dans la
confiance à accorder aux journalistes à cet instant. Mon souvenir suivant avec les journalistes
est à Bisesero le 30 après-midi. Je précise enfin, pour finir de répondre à la question, qu’à
l’époque, je n’étais pas capitaine, mais que j’avais des galons de lieutenant-colonel comme en
attestent de nombreux films qui ont été pris durant cette opération.
Question : en conclusion, vous n’avez pas rencontré ces personnes dans les circonstances
telles qu’ils les décrivent ?
Réponse : je n’ai jamais rencontré de journalistes qui me décrivent d’une façon précise
des exactions qui justifieraient une action immédiate de notre contingent. Je le déplore.
(D15981/11-12)
Gillier situe cette première rencontre avec des journalistes dont « le Britannique » « alors que nous
avions installé notre PC au sud de Gishyita ». Ceci correspond à la journée du 26 où il a installé son PC
à Kirambo, au sud de Gishyita. Il prétend que « les éléments présentés alors n’étaient pas d’une grande
précision » alors qu’il se souvient « qu’une carte a été ouverte et étalée sur le capot d’une de nos P4 ».
Comment un simple journaliste aurait-il pu être plus précis ?
3 À qui le capitaine Bucquet rend-il des comptes ?
Ce convoi de Gisenyi à Kibuye paraît résulter de directives pour le colonel Rosier pour le 25 juin 1994
envoyées par le COIA/CCR au colonel le Guen en date du 24 juin :
Mesures particulières
- être en mesure et en fonction des renseignements obtenus, de participer à partir de midi
à une reconnaissance menée depuis Goma vers Gisency [sic], puis sur la route de Kibuye au
sud et à l’est jusqu’à Kanama avec les moyens suivants :
- RICM = 1 section
- COS = 1 équipe en accompagnement
1 à 2 HM en mesure d’intervenir. 29
Kanama est à l’est de Gisenyi, après Nyundo. Cette directive fait apparaître que ce convoi commandé
par le capitaine Bucquet est placé sous les ordres du colonel Rosier. C’est donc à lui que le capitaine
Bucquet a rendu compte de sa mission.
29. COIA/CCR, au colonel Le Guen, Directives pour le colonel Rosier pour le 25 juin 1994,
no 49/DEF/EMA/COIA/CCR/CD, 24/06/1994.
4 CONCLUSION 12
4 Conclusion
Le groupe de journalistes Hugeux, Kiley, Peterson est allé à Kibuye le 25 juin où un prêtre leur a dit
que des tueries continuaient à environ dix kilomètres de là. Ils se sont rendus à cet endroit qui s’est révélé
être Bisesero. Ils y ont rencontré des tueurs et ont vu des maisons en flammes mais n’ont pas croisé de
survivants. Le lendemain 26, ils ont rencontré un convoi français commandé par le capitaine Bucquet du
RICM. Trois journalistes français Patrick de Saint-Exupéry, Dominique Garraud et Christophe Boisbouvier
accompagnait ce convoi et ont été témoins de cette rencontre dont des images ont été filmées par
Christiane Amanpour de CNN.
Par ailleurs, toujours le 26, les journalistes Hugeux, Kiley, Peterson ont rencontré Marin Gillier alors
qu’il se dirigeait sur Kibuye et lui ont délivré la même information. Gillier le reconnaît. Vincent Hugeux
a une certaine hésitation sur l’identité de l’officier qu’il a informé car il a tendance à confondre ces deux
rencontres. Mais il se souvient de Marin Gillier.
Marin Gillier et Éric Bucquet ont-il informé leur supérieur le soir même ? C’est probable. Celui-ci
était le colonel Rosier. Les journalistes Saint-Exupéry, Garraud et Boisbouvier ont également informé
le lieutenant-colonel Duval dit Diego à Kibuye. Ainsi le 26 juin au soir, l’armée française savait que les
massacres se poursuivaient à Bisesero, non loin de Gishyita.