Fiche du document numéro 26851

Num
26851
Date
Mardi 25 août 2020
Amj
Auteur
Fichier
Taille
153337
Pages
2
Titre
Le Rwanda réclame l’arrestation et l’extradition d’Aloys Ntiwiragabo
Sous titre
Le pays des mille collines, qui espère pouvoir juger celui que les rescapés considèrent comme un Eichmann rwandais, demande son arrestation et son extradition, selon nos informations.
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
A gauche, une photo d'Aloys Ntiwiragabo. A droite, ce même
<br/> Rwandais, en février 2020


Le Rwanda a demandé l’arrestation d’un des architectes présumés du génocide
rwandais, après son identification en France par Mediapart. Aloys Ntiwiragabo
était le chef des renseignements militaires du Rwanda pendant le génocide des
Tutsis. Il est soupçonné d’avoir planifié et supervisé les massacres.

Après la mort d’Augustin Bizimana, ex-ministre de la défense génocidaire, à la
fin du printemps 2020, seuls deux des onze responsables militaires désignés par
le procureur le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) comme les
architectes du génocide des Tutsis continuaient d’échapper à la justice. Le
colonel Aloys Ntiwiragabo est l’un de ces deux derniers suspects.

D’après une source proche du dossier, la réaction du Rwanda ne s’est pas fait
attendre après nos révélations. Kigali a transmis par voie diplomatique les
documents juridiques usuels afin d’obtenir l’interpellation du suspect dont
elle réclame également l’extradition.

La même source nous a fait savoir que le Rwanda attend une réaction de la
France.

Le 24 juillet, dans les heures qui suivent la parution de notre enquête sur le
colonel Aloys Ntiwiragabo, c’est le branle-bas de combat à Kigali.


Jamais arrêté, l’officier avait complètement disparu depuis de nombreuses
années. Le Rwanda, qui le considérait en 2003 comme le n° 1 de l’aile dure des
génocidaires, avait perdu sa trace. Faute de temps, l’enquête du TPIR fut
interrompue en 2004. Aucun mandat d’arrêt ne visait Aloys Ntiwiragabo, que
personne n’imaginait retrouver.

Alors quand la nouvelle parvient à Kigali, c’est le procureur général en
personne, Aimable Havugiyaremye, qui hérite du dossier. « C’était un
soulagement d’apprendre qu’il est en France et qu’il a été identifié »,
admet-il, interrogé par Mediapart.

Les magistrats rwandais se lancent dans une course contre la montre. Objectif :
émettre un mandat d’arrêt international en bonne et due forme le plus
rapidement possible pour s’assurer que les autorités françaises interpellent le
suspect. Ce dernier pourrait décider de s’évanouir encore une foi dans la
nature.

Pendant quatorze jours, les magistrats épluchent minutieusement les archives et
sollicitent les témoins. Ils interrogent des rescapés, d’anciens membres des
services de renseignement et des combattants démobilisés des Forces
démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR). « On a reconstitué son
dossier, puis on a poursuivi nos enquêtes et on les a terminées. Nous avons
réuni vingt-cinq témoins. Un nombre que nous jugeons suffisant pour établir un
acte d’accusation », affirme Aimable Havugiyaremye.

Le mardi 11 août, le Rwanda s’adresse officiellement au ministère français de
la justice. Le pays des mille collines transmet son acte d’accusation et
réclame l’arrestation d’Aloys Ntiwiragabo, ainsi que son extradition vers
Kigali.

Les autorités judiciaires rwandaises ont également saisi Interpol
(l’Organisation internationale de police criminelle) pour qu’elle émette une
notice rouge à l’encontre du colonel Ntiwiragabo. Il s’agit d’un avis de
recherche adressé aux polices du monde entier. L’institution internationale,
basée à Lyon, examine en ce moment la demande du Rwanda.

En France, une enquête préliminaire du Parquet national antiterroriste a été
ouverte il y a un mois. L’initiative du Rwanda devrait normalement accélérer le
processus judiciaire et peut-être précipiter l’interpellation du suspect.

Sollicité par Mediapart pour confirmer la bonne réception des demandes du
Rwanda, le ministère de la justice a refusé de donner suite, prétextant ne pas
pouvoir « communiquer sur cette affaire en cours ». De son côté, le Parquet
national antiterroriste ne nous a pas répondu.

Soucieux du respect des protocoles diplomatiques, Kigali s’est abstenu de
réagir officiellement à la publication de l’enquête de Mediapart et à
l’ouverture de l’enquête préliminaire. Désormais dans l’attente d’une réaction
des autorités françaises après ses démarches, la diplomatie rwandaise s’en
tient à un silence convenu.

« J’espère surtout que cette affaire ne traînera pas trop et qu’il sera
arrêté », s’inquiète de son côté Alain Gauthier, président du Collectif des
parties civiles pour le Rwanda (CPCR).

Il peut s’interroger : le parquet de Kigali a transmis 42 mises en accusation
aux autorités françaises concernant des suspects de génocide, sans conséquences
concrètes.

[[lire_aussi]]La France s’illustre encore aujourd’hui comme sanctuaire pour les
génocidaires rwandais. Seuls trois d’entre eux ont été condamnés par des
tribunaux français. Parmi les autres personnes poursuivies, deux ont bénéficié
d’un non-lieu, deux ont disparu et une autre est morte sans avoir été jugée.
Les 22 affaires restantes, dont la plus ancienne a débuté en 1995, avancent
péniblement.

Pour les Rwandais, il est tout simplement impensable que l’un de ces scénarios
se reproduise concernant le colonel Aloys Ntiwiragabo.

« J’aimerais que Ntiwiragabo soit jugé ici et que l’on récupère la boîte vitrée
dans laquelle comparut Eichmann [bureaucrate nazi responsable de la logistique
de l’holocauste – ndlr] à Jérusalem. Nous la customiserons pour en faire une
version rwandaise », nous dit Albert Rudatsimburwa, journaliste, PDG de la
radio rwandaise Contact FM à Kigali et rescapé du génocide.

Mais un problème demeure : la France refuse d’extrader les présumés
génocidaires vers le Rwanda, contrairement à ses voisins européens, qu’ils
soient allemands, norvégiens, hollandais ou encore danois. Malgré les efforts
du pays des mille collines en matière de justice, Paris a systématiquement
refusé de lui remettre les suspects.

« On dispose de tous les moyens pour pouvoir juger Aloys Ntiwiragabo. Des
suspects de génocide ont déjà été envoyés par divers pays pour être jugés ici
au Rwanda. Les pays qui les ont extradés sont satisfaits », tient à préciser le
procureur Aimable Havugiyaremye.

Pour l’heure, celui que les rescapés considèrent donc comme un possible Adolf
Eichmann rwandais est toujours en liberté dans l’Hexagone. Il est présumé
innocent et, selon ses avocats, il n’a fait l’objet d’aucune convocation.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024