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Mgr Joseph Duval, archevêque de Rouen et président de la conférence des évêques de France, et Mgr Jacques David, évêque de La Rochelle et président du Conseil national de solidarité, sont rentrés, mardi 23 août, d'une visite de six jours au Rwanda.
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Dans la chapelle des Pères Pallotins de Kigali, Mgr Duval et Mgr David
ont vu, mêlés aux calices et aux ciboires, des ossements calcinés,
séquelles d'un massacre de réfugiés tutsis par des miliciens hutus en
avril dernier. « Nous avons pensé à la prophétie d'Ezéchiel sur les
ossements desséchés, dit Mgr Duval : Je vais faire entrer en vous
l'Esprit et vous vivrez
(ch. 37) ». A la cathédrale de Nyundo, à l'ouest
de la capitale rwandaise, où 400 personnes ont été fusillées, ils ont vu
d'autres images d'une « sauvagerie désespérante ». « L'armée et les
milices savaient très bien que les Tutsis allaient se réfugier dans les
églises », disent les deux évêques français. De lieux d'asile, les
églises sont devenues des lieux d'« abattage ».
Ainsi, à Butaré, Kigali, Kabgaï, Gikongoro, dans les camps de réfugiés
de Goma et Bukavu, les deux évêques français ont-ils tenté de mesurer
l'ampleur de la tragédie du Rwanda, de soutenir les efforts du clergé,
des instituts missionnaires, des organismes caritatifs. Un pays « entièrement ruiné », une population qui se sent « abandonnée »,
disent-ils, faisant la liste des besoins en eau, en électricité, en
téléphone, en abris, en soins, surtout en informations « objectives ». « Car la peur, fondée sur la rumeur, domine tout. La question cruciale
aujourd'hui est bien de vaincre cette peur », estime le président des
évêques de France.
La réinstallation des réfugiés au Rwanda est encore largement un voeu
pieux. « Dans les camps, disent Mgr Duval et Mgr David, les gens
attendent des garanties. Le courant en faveur du retour n'est pas encore
passé ». S'ils se réjouissent de la mission remplie par l'armée
française dans la zone « Turquoise » (ils ont rencontré le général
Lafourcade avant son départ), ils s'inquiètent de la persistance des
racines du conflit : le problème ethnique.
La responsabilité du clergé
Car c'est lui aussi qui a brouillé les cartes au sein d'une Église qui a
sa part de responsabilités dans les origines du drame.
On a souvent présenté le Rwanda comme le pays le plus catholique
d'Afrique et la tragédie actuelle comme un échec de l'évangélisation
dans cette région. « En fait, on a exagéré la réalité du catholicisme au
Rwanda, rectifie Mgr Duval. On ne comptait pas plus d'un prêtre pour 20 000 habitants et la pratique de la messe du dimanche ne dépassait sans
doute pas 15 %. » Il ne nie pas pour autant les liens privilégiés de la
hiérarchie catholique rwandaise avec l'ancien pouvoir hutu, ni le
militantisme de l'archevêque de Kigali (assassiné le 3 juin) dans
l'ancien parti unique. Mais plus profondément, explique Mgr Duval, c'est
l'incapacité de ces évêques et prêtres rwandais, au moins pour partie, à
se définir autrement que par l'« allégeance » à leur ethnie d'origine
qui explique leur attitude passée et leur incapacité à prévenir le
drame.
Cette Église du Rwanda a payé le prix fort : trois évêques sur neuf ont
été assassinés, ainsi qu'une centaine de prêtres sur un total d'environ
700, et une centaine de religieux et de religieuses. Des missions ont
été dévastées, pillées. Cette Église « effondrée », encore divisée, est
à reconstruire et le retour sur place des missionnaires étrangers est
souhaité par les évêques français. En attendant, ce sont les secours
d'urgence qu'il faut continuer d'acheminer et la délégation épiscopale,
qui était conduite par le Secours catholique (1), a renouvelé son appel
à la solidarité « matérielle et spirituelle » la plus large des
Français.
(1) le Secours catholique (106, rue du Bac à Paris) représente en France
la Caritas-Rwanda, qui, à la demande de l'UNICEF et du Haut Commissariat
aux réfugiés, crée en particulier des camps destinés aux enfants
abandonnés.