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Alors que doit s’ouvrir, en mars, le procès du bombardement mortel d’un camp militaire français en Côte d’Ivoire, en 2004, l’avocat de la majorité des parties civiles pointe, dans « Crimes sans châtiment : affaire Bouaké, un des plus grands scandales de la Ve République », les zones d’ombre qui planent encore sur cette affaire.
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Livre. Certains livres ont pour seul objectif de jeter un pavé dans la mare, de tenter de dévier le cours d’une histoire qui paraît déjà écrite en espérant que l’opinion publique s’empare de l’« affaire d’Etat » qu’ils sont censés dénoncer. Crimes sans châtiment : affaire Bouaké, un des plus grands scandales de la Ve République, de Jean Balan, est de ceux-ci.
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Si son auteur est en lui-même un personnage de roman et que l’encre de sa plume est trempée dans la colère, il met tout en œuvre pour ne pas se voir classé dans la bibliothèque des ouvrages complotistes où certains s’efforceront de le ranger.
Depuis quinze ans, Jean Balan consacre sa vie à cette affaire. Elle le ronge, le ruine, mais il s’obstine. Comme tout le monde, il crut au départ que les deux avions Soukhoï 25 qui bombardèrent le camp militaire français de Bouaké, en Côte d’Ivoire, le 6 novembre 2004, avaient obéi à des ordres du pouvoir ivoirien. Les relations entre les présidents d’alors, Jacques Chirac et Laurent Gbagbo, étaient détestables. Abidjan et Paris étaient en situation de quasi-guerre ouverte. La responsabilité de la mort des neuf soldats de l’opération « Licorne » et de l’agronome américain qui était venu se réfugier sur l’emprise française ne pouvait donc incomber qu’à M. Gbagbo.
« Les morts n’étaient pas prévus »
Au fil de l’enquête ouverte à Paris, des auditions d’une bonne partie des protagonistes, une autre hypothèse s’est peu à peu dessinée aux yeux de Jean Balan : celle d’une « bavure manipulée », selon la déposition du général qui dirigeait les forces françaises au moment des faits. En clair, l’avocat commis d’office au départ, devenu le défenseur d’une vingtaine de soldats ayant survécu et de familles de défunts constituées comme parties civiles, soupçonne Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur mais toujours investi dans les affaires franco-africaines, d’avoir orchestré les frappes sur la base française afin de trouver un prétexte au renversement de Laurent Gbagbo.
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« Les morts n’étaient pas prévus. C’est cela qui a provoqué la panique à Paris et a amené à poser une chape de plomb sur l’affaire », dit Jean Balan, tout en reconnaissant qu’il ne détient pas la preuve de cette « déduction » basée sur les 15 000 pages du dossier d’instruction. D’après lui, Michèle Alliot-Marie, alors à la défense, et Michel Barnier aux affaires étrangères ont servi de complices en laissant filer les pilotes biélorusses des deux avions, interpellés au Togo dix jours après les frappes, et les mécaniciens qui avaient été arrêtés à Abidjan par l’armée française.
Ulcéré que les trois ex-ministres n’aient pas été renvoyés devant la Cour de justice de la République, comme le souhaitait la dernière juge d’instruction chargée de l’affaire, l’avocat trouvera peut-être dans le procès des trois pilotes et copilotes, qui doit s’ouvrir le 17 mars à Paris, l’occasion d’exprimer son sentiment d’injustice. Les accusés ne devraient pas être dans le box, mais les anciens dirigeants ont été cités à comparaître comme témoins.
« Crimes sans châtiment : affaire Bouaké, un des plus grands scandales de la Ve République », de Jean Balan, Max Milo, 354 pages, 21,90 euros.