Fiche du document numéro 25538

Num
25538
Date
Jeudi 21 novembre 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
89684
Pages
3
Titre
Un témoin à décharge omet de révéler ses liens avec l’accusé
Sous titre
Impressions de procès 6 – Jour 10 (matin)
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
Cette matinée d’audience du jeudi 21 novembre a été ponctuée d’incidents qui ont laissé planer un climat de suspicions et d’interrogations, peu propices à la sérénité des débats. Ainsi, dès le début de la séance, on a appris qu’un témoin entendu la veille avait fait parvenir sa facture d’hôtel par l’intermédiaire de l’accusé, ce qui laisse supposer que ce dernier entretient des contacts avec des témoins. La défense a fourni une explication emberlificotée selon laquelle le témoin aurait voulu remettre sa facture au greffier qui ne l’aurait pas prise. Le témoin aurait alors transmis le document au neveu de Fabien Neretse, présent dans la salle, qui l’aurait dès lors adressé à l’accusé. A entendre la défense, il n’y aurait donc pas eu de contacts directs entre l’accusé et ce témoin. Cependant, le soupçon de collusion ne peut être complètement levé. La suite de l’audience ne sera guère plus rassurante…

Place au témoignage de Vincent Kabarira, âgé de 71 ans, agriculteur à Mataba (Nord-Ouest du Rwanda) où trois de ses enfants fréquentaient l’école. Pour rappel, Fabien Neretse est accusé d’avoir formé une milice d’Interahamwe dans ce village avec des hommes qui étaient au départ des gardiens chargés de la sécurité de l’école que Neretse a lui-même fondée. Neretse y est également accusé du meurtre de Joseph Mpendwanzi, médecin et opposant hutu. Deux de ses enfants, Godelieve et Jacques, ont témoigné vendredi passé devant la Cour d’Assises.

Rituellement, la Juge demande à Vincent Kabarira s’il a des liens avec la famille ou la belle-famille de l’accusé. Le témoin répond par la négative.

« Connaissiez-vous Fabien Neretse ? », questionne la Juge. « Nous étions voisins, je le connais depuis sa naissance mais nous n’avions pas beaucoup de contacts », répond le témoin. « Des gens ont-ils été tués à Mataba ? » poursuit la Juge. « A Mataba, personne n’a été tué », affirme le témoin. « Connaissiez-vous Joseph Mpendwanzi ? » Le témoin explique qu’il se trouvait au centre de négoce de Mataba et qu’il a vu passer une voiture transportant des militaires et un civil. Comme le véhicule roulait vite, il n’a pas pu identifier les gens qui s’y trouvaient. Plusieurs autres témoins ont décrit cette scène en affirmant que Neretse conduisait la voiture et que Joseph Mpendwanzi s’y trouvait ligoté. Selon Vincent Kabarira, une heure plus tard, au bistro, un homme qui était assis avec eux, a parlé à Fabien Neretse en lui disant : « Je vous ai vu dans une voiture avec des militaires. » Fabien Neretse aurait alors expliqué qu’étant sur la route, des militaires et un civil l’auraient stoppé et lui auraient demandé de les véhiculer. Arrivés à une barrière, Neretse les aurait déposés et serait ensuite revenu au centre de Mataba. Pour le reste, le témoin ne sait pas ce qui est arrivé à Joseph Mpendwanzi. Mais il affirme que Neretse et Mpendwanzi étaient amis. Quand des fêtes familiales se déroulaient, ils s’y rencontraient.

Il est ensuite question de réunions qui se seraient tenues à Mataba et qui, selon plusieurs témoins, auraient servi à préparer les tueries. « Y a-t-il eu une réunion avec le préfet à Mataba ? » questionne la Juge. Vincent Kabarira le confirme, il y était présent. Selon lui, le sous-préfet et le bourgmestre présidaient la réunion et expliquaient comme organiser les rondes nocturnes. « Y a-t-il été question de la destruction de maisons de Tutsi tués ? », demande la Juge. Selon le témoin, le sous-préfet aurait dit : « Vous avez détruit des maisons. Celles qui sont encore debout, il faut les démolir pour combattre l’ennemi. » Il y a eu des bruits de balles qui ont clôturé la séance. Neretse se trouvait à cette réunion mais il se tenait à l’écart et n’a pas pris la parole. D’autres témoins affirment au contraire que Neretse s’y trouvait assis à côté des autorités (le préfet, le sous-préfet et le bourgmestre), ce qui lui conférerait davantage une position de pouvoir à Mataba. Par ailleurs, Neretse aurait prévenu qu’on allait y entendre des bruits de balles mais qu’il ne faudrait pas s’en inquiéter car ce seraient ses hommes qui les tireraient.
A la question de savoir si le témoin craint de témoigner, celui-ci répond clairement par la négative.

C’est alors que Me Maryse Alié, une des avocates de la famille Mpendwanzi, demande au témoin si la femme de celui-ci est parente avec la femme de Neretse. « Oui, elles ont le même père », répond le témoin. Vincent Kabarira est donc le beau-frère de Fabien Neretse.
Face à cette nouvelle information que l’avocate affirme avoir reçue au cours de l’audition du témoin, la Juge suspend l’audience, se retire et décide que l’audition n’est plus retenue comme celle d’un témoin sous serment mais seulement comme celle d’un témoin à titre de renseignement.

Les avocats des parties civiles soulignent les mensonges du témoin. « Il a voulu laver plus blanc que blanc ! » En effet, sur plusieurs points de sa déclaration, il a affirmé des éléments que Neretse n’a pas déclarés. Ainsi, Neretse n’a jamais dit que lui et Joseph Mpendwanzi étaient amis.

Maître Eric Gillet, l’un des avocats de la famille Beckers-Bucyana, a affirmé : « Le procès est pollué par les contacts que l’accusé entretient avec les témoins. Neretse devait très bien savoir que le témoin était de sa famille ! » Me Gillet rappelle que la défense prétend qu’il existe un « syndicat de délateurs », à savoir un système organisé de création de témoins payés pour témoigner dans des procès à l’étranger. « On est dans une accusation en miroir ! Car c’est justement ce que fait la défense », s’exclame-t-il. Par ailleurs, le Procureur du Roi rappelle que le témoin n’a pas dit craindre témoigner, il a pu prendre l’avion librement.

La défense, par le biais de Me Jean-Pierre Jacques, répond : « Si un témoin à décharge vient vous raconter sa version téléguidée, pourquoi n’y aurait-il que les témoins de la défense qui mentiraient ? Tous les témoins disent des choses vraies et des choses fausses. Tous les témoins mentent ! » Me Jacques poursuit et ose : « Le procès est pollué ? Oui, depuis 1994, il est pollué par les parties civiles, par Mme Beckers qui n’a cessé d’envoyer des lettres au Juge d’instruction ! »

Me Gillet réplique : « Dire que déposer plainte consiste à polluer un dossier, on ne peut pas l’accepter ! »

Cette audience aura donc mis en lumière les coups tordus de la défense qui, prise la main dans le sac, ne fait montre d’aucune humilité mais attaque de façon odieuse les parties civiles en prétendant que ce sont elles qui polluent le dossier. L’accusation en miroir semble bien devenir une technique habituelle de la défense…

Florence Evrard
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024