Fiche du document numéro 25487

Num
25487
Date
Février 2016
Amj
Auteur
Fichier
Taille
563711
Pages
5
Titre
Jean-François Dupaquier. Politiques, Militaires et Mercenaires Français au Rwanda. Chronique d'une désinformation [Note de lecture]
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
JEAN-FRANÇOIS DUPAQUIER. POLITIQUES, MILITAIRES ET
MERCENAIRES FRANÇAIS AU RWANDA. CHRONIQUE
D’UNE DÉSINFORMATION
Étienne Smith
De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »
2015/1 n° 253 | pages 149 à 152

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ISSN 0002-0478
ISBN 9782807300736

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Depuis vingt ans, l’engagement français dans
la crise rwandaise (1990-1994) a fait l’objet de
nombreux livres ou rapports et a nourri une
polémique récurrente. Différents aspects de cet
engagement controversé ont été mis en lumière,
mais de nombreuses questions restent en suspens
faute d’accès à l’ensemble des archives françaises
de cette période. Faute également à la désinformation qui entoure le dossier depuis le début et
qui nous ramène au cœur de l’engrenage génocidaire lui-même selon le journaliste d’investigation Jean-François Dupaquier. Dans son dernier
livre, qui prolonge les thèses avancées dans son
précédent ouvrage 2 , l’auteur fait le pari d’étudier
et de documenter les actions de désinformation initiées dès l’automne 1990 par
la frange extrémiste des forces armées rwandaises (FAR). Pour mener à bien la
généalogie proposée, il s’appuie sur une relecture de la documentation disponible notamment rwandaise (archives du ministère de la Défense), française
(archives de l’Élysée) et belge (enquête de l’Auditorat militaire), mais aussi sur
des documents (télégrammes des FAR) ou témoignages inédits.
L’ouvrage confirme le rôle-clé du colonel Anatole Nsengiyumva, redoutable et redouté patron du renseignement militaire, moins connu que le colonel
Bagosora, mais véritable chef d’orchestre de l’action psychologique menée par
les partisans d’une guerre totale contre le Front patriotique rwandais (FPR).
Entre 1990 à 1994, Nsengiyumva opère, via deux canaux de propagande, l’un
assez classique, l’autre plus sophistiqué, mais habilement synchronisés. En
premier lieu, la presse extrémiste, notamment le magazine Kangura, qui alimente la stratégie de la tension en dénonçant l’ennemi intérieur et sert à faire
passer au gouvernement les messages des radicaux des FAR. Puis, en 1994,
via la tristement célèbre radio RTLM qui se définira elle-même en 1994, en
plein génocide, comme l’« état-major de la guerre des mots » devant nécessairement accompagner l’action de « l’état-major de la guerre des balles » (p. 381).
En second lieu, par la diffusion de prétendues interceptions des communications du FPR, en réalité vraisemblablement fabriquées par Nsengiyumva
lui-même. Ces fausses écoutes servent à remonter le moral des troupes, à attester

1. Karthala, 2014.
2. Jean-François Dupaquier,
L’Agenda du génocide.

Le témoignage de Richard Mugenzi,
ex-espion rwandais, Paris, Karthala,
2010. Voir le compte-rendu dans

Afrique contemporaine, n° 239,
2011, p. 165-168.



149

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Jean-François Dupaquier
Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique
d’une désinformation1

150 notes de lecture

Afrique contemporaine 253

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de l’efficacité de son service, mais aussi à intoxiquer le président Habyarimana
et l’ambassade de France.
Avec le temps, les objectifs de cette action psychologique évoluent. Il
s’agit d’abord de convaincre l’opinion et les alliés français du rôle central de
l’Ouganda de Museveni dans ce qui ne serait qu’une « agression extérieure ».
Puis de justifier le maintien de la présence militaire française à chaque fois
que la France envisage d’alléger son dispositif, seul rempart contre une défaite
totale des FAR. Enfin, de diaboliser le FPR et discréditer l’opposition démocratique en accréditant l’idée d’un ennemi intérieur complice du FPR. Et finalement de saboter les négociations de paix d’Arusha et de coaliser un front radical
« Hutu Power » qui fragmente l’opposition démocratique. Malgré ses efforts
pour faire adhérer le président Habyarimana à son programme de guerre totale,
la faction Nsengiyumva/Bagosora connaît un revers majeur avec la signature
des accords d’Arusha en août 1993 et le départ programmé des Français pour la
fin de l’année. Pourtant, elle saura rebondir à l’automne en profitant de l’assassinat du président hutu burundais Melchior Ndadaye par des extrémistes tutsi
burundais pour faire avancer ses idées de relance des hostilités et d’une solution radicale et « définitive » au conf lit.
À lire Dupaquier, l’engrenage semble presque irréversible fin 1993 dès
lors que la faction extrémiste des FAR a décidé que l’extermination de l’ennemi intérieur (civils tutsi et opposition hutu désignés comme « complices »
du FPR ou « traîtres ») devient la seule solution pour reprendre l’avantage. Les
atermoiements d’Habyarimana sont perçus comme un obstacle, d’autant que
l’application des accords d’Arusha menace irrémédiablement les positions des
extrémistes hutu. Une fois le président éliminé le 6 avril – l’auteur attribue
l’attentat à ces extrémistes hutu –, l’opposition décapitée, puis les modérés des
FAR progressivement marginalisés, la logique génocidaire s’impose sans obstacle majeur et engendre à son tour son f lot de désinformation contrôlée.
Quel lien, dira-t-on, avec l’engagement français ? Selon Dupaquier, la
confrontation des messages des prétendues « écoutes » du colonel Nsengiyumva
et des télégrammes diplomatiques de l’ambassade de France permet de mesurer l’intoxication répétée des militaires français et de l’ambassade de France à
Kigali. L’auteur s’interroge : dans quelle mesure les officiers français qui cornaquent l’armée rwandaise sont dupes de la propagande qu’ils relaient ? Faut-il
envisager qu’ils y ont pris part ? La frontière entre intoxication, auto-intoxication et intoxication réciproque n’est pas toujours évidente. Les relations précises entre les extrémistes Bagosora, Nsengiyumva ou Serubuga et leurs frères
d’armes français entre 1990 et avril 1994 gagneraient à être plus précisément
documentés, mais l’osmose idéologique, stratégique et opérationnelle d’officiers français (du 1er RPIMa en particulier) avec leurs homologues des FAR
ressort clairement de leurs écrits. Le lieutenant-colonel Maurin qui collaborait régulièrement avec Bagosora et est allé témoigner en sa faveur devant le
Tribunal pénal international pour le Rwanda, pouvait-il être entièrement dupe
des projets de ce dernier ?



151

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Et qu’en est-il à Paris ? À partir d’une lecture attentive des « archives
Mitterrand », incomplètes car en partie expurgées, Dupaquier tente de démontrer comment cette propagande des « durs » du régime Habyarimana, relayée
par l’ambassade de France à Kigali et le renseignement militaire français, a
orienté les perceptions d’une poignée de décideurs parisiens, ainsi confortés
dans leurs propres grilles d’analyses stéréotypées et leurs fantasmes. La France,
à Kigali comme à Paris, a eu ses propres militaires extrémistes déterminés à
faire pencher les arbitrages mitterrandiens en faveur d’un engagement maximal
au service des FAR, marginalisant les voix plus modérées au sein de l’armée. À
Paris, au cœur de ce « Kriegspiel élyséen », on retrouve le général Quesnot (chef
d’état-major particulier de Mitterrand), l’amiral Lanxade (chef d’état-major des
armées) et le général Huchon (chef de la Mission militaire de coopération), dont
le bellicisme se nourrit des informations reçues de Kigali, informations qu’ils
dramatisent volontiers afin de pousser le président Mitterrand, très affaibli
par sa maladie, à prendre des positions plus fermes. Plus proches encore de
Mitterrand, Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée, et Bruno Delaye,
directeur de la cellule « Afrique », appuient cette stratégie en relayant les éléments de langage de ces hauts gradés et du lobby des troupes de marine. Plus
sensibles au risque médiatique, ils savent cependant s’en distancier si nécessaire et faire l’interface (et parfois écran) avec les journalistes et représentants
d’ONG qui interpellent le président Mitterrand. Les « archives Mitterrand »
sont à cet égard très instructives sur la fabrique de la politique élyséenne sur le
dossier rwandais entre 1990 et 1994 et les chaînes de décisions très restreintes à
l’origine des opérations extérieures caractérisées par une grande opacité. Selon
l’auteur, les hommes de l’Élysée « évolu[e]nt dans une sorte de bulle » (p. 366),
se piègent eux-mêmes par la sélection de l’information conforme et le rejet des
renseignements dissonants, la certitude arrogante de tout savoir, le tout dans
un mépris affiché pour les responsables d’ONG et les lanceurs d’alerte.
L’ouvrage documente les rivalités entre la DGSE (Direction générale
de la sécurité extérieure) et la DRM (Direction du renseignement militaire)
sur le dossier rwandais et le rôle particulièrement trouble de la DRM, alimentée par les officiers au contact quotidien des FAR, qui épousent les thèses
des extrémistes des FAR et relaient à plusieurs reprises les intoxications de
Nsengiyumva, alors que le DGSE invite à la prudence. En particulier, alors que
la DGSE ne croit pas à la thèse de l’implication du FPR dans l’attentat, la DRM,
relayée par Quesnot et Delaye à l’Élysée, pousse coûte que coûte cette version
qui fait l’affaire du gouvernement intérimaire en train de commettre le génocide. L’ouvrage s’interroge également sur la continuation de la désinformation
après le génocide, les manipulations à répétition autour de l’attentat, et l’activisme pour le moins suspect du mercenaire Paul Barril qui s’est mis dès 1990 au
service de la nébuleuse extrémiste des FAR et de l’ Akazu. L’auteur documente
enfin comment cette galaxie des dignitaires en exil du régime Habyarimana, de
concert avec Paul Barril, a interféré avec l’enquête du juge Bruguière et fourni
ses matériaux de désinformation aux ouvrages (ceux de Pierre Péan et Charles

3. Pierre Péan, Noires fureurs,
blancs menteur, Fayard, 2005 ;
Charles Onana, Les Secrets du
génocide rwandais, Duboiris, 2002.

152 notes de lecture

4. Étienne Smith est chercheur au
sein de la Chaire d’études africaines
(EGE-Rabat) et chercheur associé au
CERI-Sciences Po.

Afrique contemporaine 253

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Onana entre autres) destinés à prolonger la médiatisation des thèses favorables
aux extrémistes 3 .
Une des limites de l’ouvrage réside dans le choix de n’écrire l’histoire
que d’un des camps en présence, celui des extrémistes du régime Habyarimana,
focale qui se justifie amplement au regard de leur rôle déterminant dans les événements, mais qui laisse inévitablement dans l’ombre la stratégie et les objectifs des autres acteurs, le FPR et l’opposition démocratique. S’il est peu disert
sur le FPR, l’auteur rappelle néanmoins bien comment les Hutus de l’opposition
intérieure ont souvent payé de leur vie leur opposition à l’agenda criminel du
« Hutu Power » dans l’indifférence totale des acteurs français du dossier qui
n’hésiteront pas en revanche à s’afficher avec les extrémistes. Un autre écueil
serait de réduire la pluralité des logiques d’action à la seule dimension idéologique, de surestimer dans une veine intentionnaliste la cohérence, la planification au long cours et l’efficacité de la stratégie des extrémistes hutu. Sur ce
dernier point, l’ouvrage échappe cependant en partie à ce risque car il montre
autant leurs succès que leurs échecs. Au fond, leur radicalisation définitive
dans le choix du génocide peut se lire autant comme un succès (leur politique
génocidaire triomphe à partir d’avril 1994 et l’élimination de leurs opposants)
que comme le produit de leurs échecs antérieurs (leur « solution finale » est
un aveu de faiblesse, une option de la dernière chance destinée, espèrent-ils,
à inverser le rapport de force et à faire revenir l’armée française). Mais le livre
invite également à conclure que cette option génocidaire n’avait finalement
rien d’irréversible, et que l’absence manifeste de volonté de la contrer chez les
acteurs français du dossier a pu donner le sentiment aux extrémistes qu’ils
avaient carte blanche… Étienne Smith 4

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