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TEMOIGNAGE DE JEANNE UWIMBABAZI
Je m'appelle Jeanne UWIMBABAZI, je suis née le 14 juillet 1977 à Kigali, quartier Kicukiro, Rwanda.
Deux semaines avant les événements, notre gardien Kaliyopi qui était chargé de garder notre boutique la nuit, avait subi des pressions des interahamwe, pour qu'il abandonne son poste. Parmi ces interahamwe i] y avait : John, Charles le frère de John, Lani et d'autres dont je ne connaissais pas les noms. Ils étaient gardiens de boutiques voisines appartenant à des hutu. Ces hommes avaient des armes sur eux (couteaux, grenades…) celles-ci avaient été fournis par l'armée, les F.A.R (Forces Armées Rwandaises).
Nous étions à la maison, pendant Les petites vacances de Pâques, mes parents, mes deux sœurs (Marie- Josée et Angélique) et moi-même, ainsi que Kanyamugenge qui travaillait à la maison comme employé de maison, d'un garçon de 19 ans qui gardait la vache et de Kaliyopi, le gardien. Ce jour là, Le 6 avril 1996, à la maison il y avait aussi mon oncle Joseph Niuliyingoma (frère de ma mère).
L'après-midi, mon oncle, ma sœur Marie-Josée et moi, nous sommes allés nous promener en ville, c'était comme d'habitude, il y avait beaucoup de monde qui circulaient, les gens discutaient et riaient normalement. Nous sommes rentrés vers 17H30, mes parents travaillaient à la boutique qui était située tout près de la maison à 500 mètres environ, Nous avons dîné vers 21H00, il faisait nuit, puis nous sommes allés nous coucher.
Vers 22H30, notre garde est venu frapper à la porte, mon père est allé voir ce qu'il voulait. Kaliyopi a dit qu'on venait de tirer sur l'avion du président, qu'il était mort. Il a dit aussi que les interahamme ont fait des barrages dans le quartier et qu'ils ont commencé à tuer des gens. Nous nous sommes tous levés. Mon père et mon oncle sont restés dehors dans le jardin avec le gardien toute la nuit. On entendait de l'intérieur de la maison des gens dans La rue qui couraient, qui criaient. Nous sommes restés Là, jusqu'au lever du soleil.
Le 7 avril au matin, nous sommes allés seulement les femmes (ma mère et mes sœurs et mon petit cousin) voir notre tante Colette (sœur de ma mère) et son mari Vianney Nkejintwari qui habitaient la maison voisine. Elle a dit qu'elle avait vu sur la route des miliciens passer avec des matelas plein de sang, et des coussins qu'ils avaient pillés dans le quartier. Nous avons écouté la radio RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines). Ils appelaient les hutu au meurtre, c'est à dire d’aller tuer les gens en donnant des listes de noms. Nous sommes retournées à la maison et mon père nous à appris que les interahamwe étaient passés sur la route à pied avec des armes, des arcs et des flèches, des fusils, des grenades, des machettes, en passant ils ont dit « après c'est votre tour ».
Nous avons déjeuné vers 13H00. Les militaires sont venus accompagnés par les interhamwe, Mon père était dehors dans le jardin, avec mon oncle, notre garde ainsi que Kanyamugenge et le gardien de la vache. Les militaires ont demandé à mon père d'ouvrir la porte du jardin. Mon père à demandé ce qu'ils voulaient, ils ont répondu « ouvre ! », mon père est allé ouvrir le portail et tout de suite ils lui ont tiré une balle dans la tête. Mon oncle est rentré en courant à l'intérieur de la maison et il nous a dit que les militaires et les miliciens étaient là, qu'ils venaient de tuer mon père, ét qu'ils demandaient que nous venions tous devant la maison. Alors nous nous sommes enfuis, moi, mes sœurs, ma mère et Habimana. Nous sommes passés derrière notre maison et nous avons rejoins ma tante Colette et ses 4 enfants. Nous avons couru ensembles dans les petits chemins vers l'endroit où nous savions qu'il y avait des casques bleus, c'est à dire vers l'Ecole Technique Officielle (dont les dirigeants étaient des pères blancs, de plusieurs nationalités, belges, italiens et un zaïrois). Mon oncle Joseph et Les 3 employés de notre maison sont restés chez nous. Vianney et ses 3 voisins ont dit qu'ils allaient les rejoindre pour essayer de repousser les militaires et les miliciens. Au cours de La fuite, j'ai perdu ma famille, je ne savais plus dans quelle direction aller. Il y avait autour de moi des enfants de mon âge, du voisinage que je connaissais (3 garçons, Tintin, Petit et Kajyunguri). Nous avons continué sans savoir où nous allions car nous étions très affolés. Nous avons rencontré trois miliciens hutu qui étaient armés, ils nous ont demandé où nous allons et pourquoi nous courons, nous avons répondu évasivement ils nous ont poursuivi et ont essayé de nous rattraper.
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TÉMOIGNAGE DE JEANNE UWIMBABAZI
Les trois garçons ont pris un chemin différent. Moi comme je courais moins vite, j'ai demandé à des gens qui étaient devant des maisons de me cacher. Ils ont refusé, car ils étaient hutu. À côté de ces maisons, il y avait une femme hutu qui a bien voulu me cacher. Son mari hutu, lui aussi, n'était pas d'accord pour me prendre, puis il s'est rendu compte qu'il connaissait ma mère, alors il a accepté.
Des miliciens sont arrivés au domicile de ces gens, les hutu qui étaient devant les premières maisons m'ont dénoncée. Les miliciens ont réclamé, « la fille de Bucyana qui restait » car les autres membres de la famille avaient été tués. La famille a dit qu'elle n'avait vu personne, « qu'ils ne cachent pas, les enfants des ennemis ». Les miliciens sont partis. Je suis restée cachée là toute la nuit. Pendant la nuit, les miliciens sont à nouveau revenus, et disaient qu'ils me cherchaient. L'homme qui me cachait, toute la nuit a fait des aller et retour vers des maisons, pour les piller. Il se déplaçait, avec d'autres, ils étaient armés.
Le 8 avril au matin, cet homme m'a dit qu'il ne pouvait plus me cacher. Sa femme m'a prêté des vêtements, je suis allée dans une maison à côté que je connaissais. Là il y avait deux enfants, et deux jeunes filles, c'était la famille Mukabudara. Cette famille voulait aller dans cette école officielle, où il y avait des casques bleus pour s'y réfugier. Comme nous étions nombreux, nous avons décidé d'y aller les uns après les autres pour ne pas se faire remarquer par les miliciens. L'une des filles qui s'appelait Béatrice, est partie la première avec Les deux enfants, puis Nyiranuma, l'autre jeune fille, et moi, nous avons attendu un quart d'heure avant de rejoindre l'E.T.O. Nous avons décidé de marcher normalement sans courir, pour essayer de cacher notre peur. Sur le
chemin qui mêne à cette école, nous avons rencontré deux garçons qui habitaient notre quartier et qui étaient chômeurs (Hitimana, hutu du M.D.R Power et son copain). Ils nous ont demandé où nous allions, pour savoir si nous allions nous enfuir. Nous avons répondu vaguement. Nous avons continué la route pour nous rendre à l'école, nous nous sommes mises à courir, car nous avons aperçu des miliciens armés dans les petits chemins, qui avançaient vers nous. En arrivant devant l'E.T.O, nous avons vu les casques bleus cachés dans des tranchées, un casque bleu nous a fait signe de nous dépêcher. Jusqu'à ce moment, je n'avais aucune nouvelle de ma famille. En arrivant à l'entrée de l'E.T.O, les casques bleus de la MINUAR d'origine belge n'ont pas accepté que nous pénétrions à l'intérieur de l'école. La raison était qu'il n'y avait plus de place, puisque 1000 personnes s'entassaient déjà à l'intérieur. Nous avons insisté, mais la réponse était toujours la même : plus de place. Alors j'ai demandé si je pouvais parler à Frère Dieudonné ou à Oscar (religieux amis de ma famille). Les casques bleus ont demandé si nous étions élèves de l'école, nous avons menti en répondant oui. Ils ont enfin accepté de nous laisser entrer. Ils nous ont fouillé, pour vérifier si nous n'avions pas d'armes.
A l'intérieur de l'E.T.O, il y avait énormément de monde, les classes étaient pleines, ainsi que la cour. Nyiranuma est partie à la recherche de sa famille et moi de la mienne.
Je suis entrée dans les classes, il y avait déjà des personnes blessées par des interahamwe. Leurs blessures avaient été provoquées par des coups de machettes sur la tête ou sur tout le corps, ou bien des blessures dues à des balles.
Les casques bleus donnaient les premiers soins. Dans chaque classe, je demandais si quelqu'un avait vu ma famille. Personne ne les avait vus.
Le suis restée trois jours, une famille de ma connaissance m'a nourri et prêté un matelas.
Le lundi 11 avril, un ami de mon père (Pierre Claver Kayumba) m'a prévenu que ma famille venait d'arriver. Malheureusement, ils ont dû rester en dehors des grilles de l'école, sur les terrains de sport qui sont à l'extérieur. Les casques bleus ont refusé leur entrée, car ils disaient qu'ils ne pouvaient plus assurer la sécurité de tant de gens, J'ai vu ma famille au travers de la clôture, j'ai parlé avec Marie-Josée, mon oncle Joseph et mon oncle Vianney, mais je n'ai pas pu rester longtemps, car nous n'avions pas le droit. Ils m'ont appris qu'ils avaient essayer de faire rentrer le corps de mon père, mais les militaires sont restés à côté pour qu'on ne l'enterre pas. Nous entendions des bombardements, des coups de fusils. Pendant la nuit cela était encore plus fort, car c'était pendant la nuit que les interahamwe armés et les militaires venaient attaquer les gens qui se trouvaient sur le terrain de sport. Lorsque les gens massés sur le terrain de sport, voyaient les interahamwe arriver, ils poussaient des cris très fort, alors les casques bleus s'approchaient de la grille, les miliciens repartaient. Le colonel Léonidas Rusatira des F.A.R est venu plusieurs fois à l’école, entouré de militaires, il parlait avec le directeur de l'école qui était père blanc : Père Michel. Pendant ces 3 jours, les casques bleus ont fait des va et vient avec leur camion pour évacuer les étrangers qui étaient dans ce quartier. Ensuite, les prêtres étrangers blancs et les autres étrangers amenés par les casques bleus faisaient des réunions pour organiser leur départ.
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Le 11 avril, les étrangers préparaient leurs bagages, quelques personnes ont demandé aux prêtres si elles pouvaient être déposées au siège de la MINUAR. Nous commencions à avoir peur, nous avons demandé aux casques bleus s'ils allaient partir avec les étrangers ils ont répondu qu'ils allaient rester encore trois semaines avec nous et que peut-être, après ils seront relevés. Le ministre Boniface Ngurinzira du parti M.D.R était réfugié avec sa famille dans cette école, il avait insisté auprès des étrangers qui faisaient la liste de départ pour se faire emmener avec eux. Les étrangers ont répondu que c'était trop dangereux, car c'était un homme politique. Vers 13H00, les étrangers ainsi que les prêtres et les religieuses étaient prêts à partir dans des véhicules de tourisme car ils prenaient l'avion à Kanombe à Kigali.
Après dix minutes, les casques bleus ont fait rentrer les gens qui étaient dans la cour, dans les classes disant qu'ils allaient leur donner à manger. Les gens sont rentrés, et pendant ce temps là, les casques bleus ont commencé à charger leurs camions. Il y a une jeep qui est arrivée avec trois militaires français à l'intérieur. Les premiers camions ont commencé à partir, les gens qui étaient à l'intérieur, sont sortis en hurlant et se sont mis devant les camions pour les empêcher de partir. Les casques bleus ont tiré en l'air, pour que les gens reculent. Les gens ont eu peur, les uns se sont couchés par terre, les autres ont couru. Nous nous sommes approchés d'un de leur camion, les casques bleus qui étaient dedans nous ont dit de les Laisser partir, que les militaires français allait rester avec nous, Ils sont partis, les gens se sont mis à pleurer avec leurs enfants. J'étais avec ma mère, mes sœurs, mon petit cousin, mon oncle, le mari de ma tante Colette et leurs enfants. Le bourgmestre était aussi réfugié avec sa famille dans cette école. Il faisait parti du P.S.D (Parti Social Démocrate). Il a essayé de calmer les gens et nous à dit que ce qui nous restait à faire était de nous défendre, mais nous n'avions aucune arme, même pas un bâton.
Un bruit a couru que les militaires et les interahamwe étaient en train de pénétrer dans l'école. Les gens ont eu peur, ils ont commencé à se disperser. Tout le monde a décidé de fuir, à part les personnes qui étaient blessées trop gravement, Quelques uns ont décidé de retourner chez eux. Nous avions décidé de nous rendre au siège de la MINUAR.
Lorsque nous sommes sortis de l'école, des militaires F.A.R nous attendaient avec des armes. Nous étions plus de 2000 personnes. À partir de ce moment, ce sont eux qui nous ont dirigé. Juste devant il y avait un barrage avec des interahamwe et des membres de la C.D.R (Coalition pour la Défense de Ia République - parti extrémiste hutu) qui demandaient les cartes d'identité pour connaître l'ethnie des gens. Ils commençaient à tuer les gens, avec des couteaux ou des fusils. Nous ne nous sommes pas arrêtés de marcher, à un moment ils nous ont mis au bord de la route, assis sous la pluie, ils se moquaient de nous, ils nous provoquaient. Nous avons pris une autre route toujours guidés par les militaires, les troupes grandissaient de plus en plus, il y avait ceux qui étaient sur les côtés, devant, derrière, dans les camions, avec des armes, ils chantaient ! Ils nous menaçaient tout le temps, ils nous prenaient nos vêtements, notre argent. Un interhamwe est venu de mon côté, il m'a tapé avec un gros marteau sur l'épaule.
Sur la route, il y avait beaucoup de hutu avec des bâtons, des machettes et j'en ai reconnu quelques uns :
- Rozata, fille d'un burundais hutu qui avait une machette à la main
- Ngunda et son frère Vianney Araujo qui avaient des bâtons à la main
Nous sommes arrivés dans un quartier qui s'appelait Nyanza, de Kicukiro. Sur ce grand terain dont le centre faisait un creux, ceux qui nous guidaient nous ont rassemblé au centre, eux sont restés sur la hauteur. Lorsque nous nous sommes rendus compte qu'il n'y avait que la mort, Vianney a demandé à un militaire qu'ils nous tuent ainsi que quelques amis, avec des balles de fusil, plutôt qu'avec des coups de machette, et en échange on allait lui donner de l'argent. Mais son chef l'a appelé. Ils ont demandé que ceux qui sont hutu sortent de la foule avec leurs cartes d'identité. Puis ils nous ont dit de nous coucher par terre, nous avons hésité, ils ont commencé à tirer dans la foule des coups de fusil, ils ont envoyé des grenades, des flèches, des coups de machette, des coups de gros bâtons avec des gros clous plantés au sommet, les gens se sont écroulés les uns sur les autres. Et j'ai perdu de nouveau ma famille, j'étais sous les autres. Les gens avaient commencé à prier, les autres criaient, les enfants pleuraient. Ensuite ils achevaient ceux qui étaient encore vivants avec des coups de machette. Il commençait à faire nuit, c'était vers 18H30.
Je les ai entendus s'appeler entre eux, en disant qu'ils avaient fini leur travail, qu'il faisait nuit et qu'ils reviendront le lendemain. J'avais un mort sur le dos, un autre sur les genoux, mes habits étaient pleins de sang, mais je n'avais aucune blessure.
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Nous avons attendu au moins une heure avant de nous lever, d'autres gens encore vivants se levaient aussi. J'ai demandé s'ils avaient vu les membres de ma famille, ils m'ont répondu qu'on les avait tué.
Je ne voyais rien, nous étions dans le noir. J'étais avec les enfants Kiyonge, deux filles de mon âge et deux petits garçons, une grande fille de Muzungu Thomas (Candide Kayirere) avec un petit garçon de son frère et une fille de Nyirahuku (Angélique) et une autre fille, Pauline. Eux non plus n'avaient aucune blessure, et nous étions tous du même quartier. Comme les miliciens et les militaires avaient dit qu'ils allaient revenir, nous avons essayer d'aller un peu plus loin, mais nous ne connaissions pas ces chemins dans la forêt.
Nous avons marché toute la nuit, et lorsqu'il a commencé à faire jour, nous nous sommes cachés dans un champ de bananiers. Nous y avons passé toute la matinée, nous entendions des voix, des bruits de voitures ou des bombardements, mais personne ne nous avait encore vu.
Vers 15H3O, nous avons entendu des gens qui avançaient vers nous, nous faisions semblant d'être mort (on était allongé face contre terre). Un à dit: tiens, y a d'autres cadavres ici », l'autre a répondu n'approche pas trop, on ne sait jamais ». Ensuite, ils se sont mis à parler à voix basse, se sont absentés à peu près 1/4 d'heure et sont revenus avec d'autres interahamwe, Je n'en connais pas le nombre, car nous faisions semblant d'être morts. Ils m'ont donné deux coups de machette derrière la tête, la blessure atteignait le bulbe rachiden, ainsi que deux coups sur chaque cheville pour me couper les tendons d'Achille. La jeune fille qui s'appelait Angélique a eu 6 coups de machette partout dans la tête et un sur le mollet. Candide, lui a eu aussi des coups de machette dans la tête et on lui a coupé quelques doigts (cinq à peu près entre les deux mains). Kiki, elle a reçu un coup de machette à côté de l'oreille, sur la joue, ainsi qu'un dans le côté de la jambe. Son petit frère Ngagi a reçu des coups sur les jambes et des doigts sectionnés. Pauline en a reçu sur les bras. Les autres sont morts sur le coup : la sœur de Candide, le fils de son frère, Fifi et son petit frère.
Nous avons perdu beaucoup de sang, et nous avions très soif, nous nous sommes traînés jusqu'aux bananiers, nous avons sucé les troncs pour y trouver de l'eau. Les miliciens sont revenus avec leurs enfants et leurs femmes, ils ont remarqué que nous nous étions déplacés, et l'un de leurs enfants a dit que l'un d'entre nous avait bougé. Ils pensaient que nous étions tous mort ou presque, ils ont donc décidé de nous enterrer car ils trouvaient que l'on commençait à sentir mauvais. Ils ont commencé à creuser un trou, mais la nuit arrivait, aussi ils ont dit qu'ils reviendraient très tôt le matin.
Pendant la nuit, nous avons essayé de nous traîner, mais c'était difficile, car il n'y avait que Pauline qui pouvait marcher. Alors nous nous sommes mis à quatre pattes pour pouvoir avancer (Pauline, Kiki et moi), Angélique, Candide et le frère de Kiki ne pouvaient pas du tout se lever. Nous avons donc continuer à nous traîner vers la forêt, pendant à peu près 1km environ.
Le matin, le bruit des grenades, des bombardements, des mortiers, avait repris de plus belle. Vers 5H30, on a entendu des bruits de pas dans la forêt, puis des bruits de personnes qui faisaient des trous. Ces gens là nous ont vu, l'une des personnes s'est approchée de moi, j'avais terriblement peur, il m'a touché la joue, puis m'a ouvert l'œil: « celle-ci est encore vivante » c'était quelqu'un qui portait l'uniforme du F.P.R. J'ai essayé de m'asseoir. Je n'y croyais pas, j'étais sauvée. Ils m'ont pris dans leurs bras et m'ont emmené dans une maison inhabitée, occupée par les militaires du F.P.R. Ce quartier s'appelait Gahanga. Nous leur avons parlé des autres enfants restés un peu plus loin pour qu'ils aillent les chercher, ce qu'ils ont fait. Ils nous ont donné des habits pour nous changer, ils nous ont soigné. Pendant la journée, d'autres blessés sont arrivés, des tutsi principalement et des démocrates hutu.
Le soir, les militaires nous ont dit que l'endroit où nous étions n'était pas assez sûr. Ceux qui ne pouvaient pas marcher ont été mis dans une camionnette et amenés à l'hôtel Rebero l'horizon. C'était un hôtel qui appartenait à la famille du président Habyarimana que les militaires du F.P.R contrôlaient. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait déjà beaucoup de blessés graves par coups de machette, d'épée, par balles ou grenades. Quelques blessés graves sont morts quelques jours après. Les militaires ont continué à nous donner des soins et à manger. Du camp militaire de l'armée F.A.R à Kigali, nous recevions des roquettes, des mortiers et parfois cela faisait à nouveau des blessés. Je suis restée une semaine là, ensuite j'ai été évacuée au C.N.D (Conseil National du Développement). Nous recevions des soins tous les jours. Deux ou trois jours après, un médecin militaire du F.P.R m'a fait des points sur la nuque et sur les chevilles.
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À la radio nous écoutions R.T.L.M, qui continuait à donner des appels au meurtre avec des expressions telles que « balayer tous les tutsi et leurs complices », « d'aller débroussailler toutes les forêts pour découvrir ses ennemis », « Ce sont les tutsi qui ont tué Habyarimana. il faut se venger ! ». Tous les jours cette radio donnait des listes de noms de gens qu'il fallait supprimer. Les journalistes dont je me souviens qui travaillaient pour cette radio sont :
+ Noël Nahimana
+ Kantano Habimana
+ Philippe Dahindan (suisse)
A la fin du mois, dans la capitale, la guerre s'est aggravée. Nous avons donc été à nouveau évacués dans le
camps de Byumba. C'était une région où il n'y avait pas d'affrontement, car c'était une région tenue par Le
F.P.R. La blessure sur la nuque s'est cicatrisée, mais les points aux chevilles se sont déchirés et j'ai eu plusieurs
infections. Dans ce camp, il y avait un hôpital crée par le F.P.R, et il y avait aussi des médecins de M.S.F.
Un jour un médecin militaire du F.P.R accompagné d'autres médecins étrangers sont venus me voir. Ils m'ont dit que peut-être je pourrais aller me faire soigner en Europe. Ils ont regardé aussi d'autres cas très graves qui nécessitaient des interventions longues et délicates.
Le 4 juin au matin, on est venu nous dire de nous préparer pour partir. Nous étions 32, surtout des enfants, il n'y
avait qu'Alphonse et moi qui avions entre 17 et 19 ans, nous avions tous des blessures graves, Nous sommes
partis vers 8H30, accompagnés de quelques médecins de « M.D.M. Chaîne de l'espoir ». Arrivés à Nairobi, au Kenya, nous avons pris
un autre avion pour Paris. J'ai été accueillie par une famille intermédiaire à Paris, Anne Luxereau.
Le lendemain, j'ai pris l'avion pour Albi (Tarn) avec un autre enfant Théoneste. Nous avons été pris en charge chacun par nos familles d'accueil qui faisaient partis de « M.D.M Chaine de l'espoir». C'est depuis cette date que je vis avec Joël et Françoise Nugier et leurs deux enfants, Mathieu et Vianney (14 et 10 ans).
Nous avons été chacun dans une clinique pour subir une intervention chirurgicale le plus vite possible. J'ai été opérée le lendemain par le Dr Francis Julia à la clinique « l'Espérance ». L'intervention s'est bien passée, je suis ressortie 10 jours plus tard, les jambes plâtrées, sur un fauteuil roulant.
Après un mois et demi, on m'a enlevé les plâtres et j'ai commencé la rééducation et ceci pendant six mois. Au mois d'août je marchais avec des béquilles, début septembre, je marchais sans béquilles. Au cours de cette période, j'ai appris que deux membres de ma famille étaient vivants. Guillaume et Angélique. Ils m'ont appris comment sont morts ma sœur Yvonne, son mari et son bébé. Le bébé a été jeté sous leur yeux dans un trou et désespérés ils ont suivis leur bébé et ont été enterrés vivants.
Le 8 septembre 1994, je suis rentrée au Collège de Cordes (Tarn), où j'ai repris mes études. Aujourd'hui je marche normalement.
Jeanne UWIMBABAZI
Fait à , le 12 Novembre 9